Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


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Entre leurs mains

Par  • Le 15 décembre 2013 à 22:02 • Catégorie : Faire un bébé, Naissance

 J’ai eu la chance d’être invitée à l’avant-première du film Entre leurs mains, un documentaire sur l’accouchement à domicile. J’y allais un peu nez au vent, n’ayant pas trop suivi le projet, et j’ai eu une très bonne surprise. Après quelques minutes, j’ai été happée et je n’ai plus vu le temps passer. D’habitude je n’aime pas trop les documentaires militants (même quand ils militent pour des causes que je soutiens), qui ont une fâcheuse tendance à en faire des tartines aux dépens de l’honnêteté intellectuelle la plus basique. Ce n’est pas le cas d’Entre leurs mains, qui fait un excellent travail, tout en sobriété et en finesse. J’ai aussi beaucoup apprécié l’équilibre délicat entre l’émotion et les arguments rationnels (ainsi que l’absence des chants mayas chers à mon amie 10 lunes). Très simplement, le film suit quatre sages-femmes qui ont fait ce choix d’accompagner des femmes et des couples dans leurs projets de naissance physiologique et respectée, à la maison ou en plateau technique. Il aborde aussi bien les raisons qui poussent les femmes dans ce choix, les questions que suscite cette approche de la naissance (tant du côté parents que du côté sage-femme), que les obstacles qui s’empilent contre elle.

Quelques mots d’abord sur l’accouchement à domicile (AAD) et l’inévitable question de la sécurité. On parle là d’une pratique extrêmement définie et cadrée, et pas comme on l’entend souvent d’un retour en arrière ou d’accoucher « comme les Africaines » (qui comme chacun sait forment un grand tout homogène). En réalité, il s’agit plutôt d’accoucher comme les Allemandes, les Suissesses, les Néerlandaises, les Anglaises… Les femmes qui font ce choix sont soigneusement sélectionnées en amont grâce au suivi prénatal : sont exclus les jumeaux (ou plus !), les bébés en siège, les prématurés et toutes les pathologies. Elles doivent également pouvoir être transférées facilement vers une maternité en cas de complication. La présence continue auprès de la femme de la sage-femme, avec les compétences et le matériel appropriés, permet une détection précoce des problèmes pouvant survenir en cours de travail. L’Association nationale des sages-femmes libérales récapitule tout cela dans sa charte de l’AAD.  Par ailleurs, la revue Cochrane sur le sujet, publiée en 2012, conclut qu’en l’état des connaissances… on ne peut pas conclure. Globalement il faut être vigilant sur les études sur le sujet qui mélangent souvent plusieurs types de naissances à domicile : non planifiées, avec une variété d’accompagnement (aux USA notamment il y a plusieurs « sortes » de sages-femmes, aux compétences différentes)…

Personnellement, ce que j’ai vu en filigrane tout le long du film et dans le débat qui a suivi, c’est le féminisme, même si le mot n’a jamais été prononcé. Des femmes qui se battent pour faire respecter leurs choix et leur corps, ça vous dit quelque chose ? Des femmes qui se battent pour offrir cette liberté, cette autonomie à d’autres femmes (les sages-femmes sont majoritairement des femmes même s’il y a aussi des hommes) ? Se battre est bien le mot, puisque tout est fait pour décourager ces pratiques. Au delà de l’opprobre qui pèse tant sur les femmes (forcément folles inconscientes) que sur les sages-femmes (des sorcières, voire des gourous sectaires), et qui use même les meilleures volontés, il y a la résistance active du reste du système de santé : les maternités qui refusent les inscriptions des femmes ayant un projet d’AAD (alors que c’est justement la condition de la sécurité), les femmes en transfert mal accueillies, les plateaux techniques qui restent fermés aux sages-femmes libérales (sauf de très rares exceptions)… et surtout l’assurance, obligatoire pour tout professionnel de santé, qui monte à 20 000 € par an pour pratiquer l’AAD, ce qui est totalement inenvisageable dans les conditions actuelles de leur rémunération (une sage-femme qui va se rendre disponible 24h/24 7j/7 pour accompagner une femme qui accouche, aussi longtemps que nécessaire, touchera 313,60 € de la Sécu, incluant le suivi des suites de couches). Ainsi ces sages-femmes travaillent à la limite de la légalité, risquant de fortes amendes, de la prison et la radiation de l’Ordre des sages-femmes (soit l’interdiction d’exercer leur passion et surtout leur gagne-pain).

Clarifions également un autre malentendu : personne dans le film (ou dans les défenseurs de l’accouchement physiologique que je connais d’ailleurs) ne milite pour interdire la péridurale ou pour imposer une nouvelle façon de faire aux femmes. Il ne s’agit surtout pas de faire de l’accouchement une nouvelle épreuve de bonnematernitude. L’objectif est d’une part que les femmes bénéficient d’informations leur permettant un choix éclairé, et d’autre part que ce choix ne soit pas purement virtuel. A mon sens, le problème relève de plusieurs difficultés :

  • les réticences de certains professionnels de santé à remettre en cause leurs pratiques, en dépit des preuves scientifiques de leur inutilité voire de leur nocivité (ainsi le monitoring continu entraîne plus d’interventions sans diminuer la mortalité infantile par rapport au monitoring intermittent, ainsi l’utilisation du Syntocinon augmente le risque d’hémorragie de la délivrance, etc), le tout mâtiné d’un certain paternalisme
  • un système de santé qui pense faire des économies sur le dos des femmes en remplaçant les sages-femmes par des machines-qui-font-PING (poke les Monty Python -à voir ABSOLUMENT)
  • l’inflation du risque médico-légal qui se retourne contre les patientes, les médecins et sages-femmes étant généralement poursuivis pour n’être pas intervenus plutôt que pour l’avoir fait inutilement

Le film en outre ne veut absolument pas opposer l’AAD à la naissance à l’hôpital, mais demande leur coexistence, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la physiologie dans les maternités. Au delà des quelques inévitables sombres connards, il y a dans les hôpitaux une large majorité de gens qui font du mieux qu’ils peuvent avec les contraintes qu’ils subissent (de moyens, mais aussi de formation insuffisante sur l’accouchement physiologique -point bien abordé dans le film).

En tant que femme, en tant que féministe, je pense que ce film doit être aussi largement diffusé que possible. Il est intéressant de noter qu’il n’a pu voir le jour que grâce au soutien financier des particuliers, parmi lesquels une large majorité de femmes, si j’en crois le générique de fin. Il faut que les femmes et les filles (et aussi les hommes) sachent qu’une naissance peut être un évènement puissant et paisible, très loin des représentations hystériques qu’on en donne habituellement. Il faut mettre parmi les revendications féministes de premier plan : « une femme qui accouche, une sage-femme » (j’en avais déjà parlé il y a un moment, et c’est apparemment le cas au Royaume-Uni, d’après une des sages-femmes du film). Il n’est pas acceptable que 85% des femmes qui subissent une épisiotomie ne soient pas consultées (voire même pas informées). En France on est à 800 000 naissances par an : même en enlevant les naissances multiples et celles qui ont la « chance » d’accoucher deux fois dans l’année, ça fait quand même un paquet de femmes concernées.

Pour voir le film : il sera diffusé (en version courte) pendant les vacances sur Public Sénat (qui fait partie des financeurs, ayant identifié la dimension politique du sujet). Les dates sont disponibles ici (je comprendrai que ce ne soit pas votre priorité le 24 décembre à 22h30…). J’étais bien entourée pendant la projection, et mes camarades sages-femmes ont eu la souris plus vive que la mienne pour donner leur avis :

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