Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


« « Préc. Le poids : et alors ?    |     Suiv. Quand la grossesse n’est pas désirée : que faire ? » »

Une histoire ordinaire : mon IVG douce-amère

Par  • Le 8 novembre 2012 à 7:27 • Catégorie : Guests, Surmonter

Aujourd’hui, la basse-cour a l’honneur d’accueillir une invitée : je vous présente Nanette. Si vous ne la connaissez pas déjà vous pouvez suivre ses humeurs ici. Elle a souhaité partager avec nous son expérience sur un sujet à la fois banal, délicat et intime : l’interruption volontaire de grossesse. Reprenant la formule testée avec Ficelle, je vous propose de lire d’abord son témoignage puis dans un second temps de le compléter par un autre billet plus général sur la question. Si vous souhaitez discuter de la question de l’IVG , je vous demande de réserver vos commentaires pour ce second billet et de respecter les choix et les ressentis que Nanette nous expose. Je lui laisse maintenant la parole, en la remerciant très chaleureusement de nous offrir ce témoignage dont la publication me tient à coeur.

 J’ai choisi d’avorter en 2002. Il y a longtemps que j’avais envie d’en parler sur mon blog mais je n’ai jamais trouvé le bon moyen, le bon moment. J’ai toujours su que j’en parlerai un jour pourtant.
D’abord parce que je n’ai jamais caché grand-chose à mes lectrices (sauf sans doute, nos identités véritables à ma famille et à moi) et ensuite parce que selon moi, il FAUT en parler. Le plus possible. Et sans honte.
Et pourtant, moi qui ai souvent raconté le plus intime sur mon blog, je trouve que raconter cet épisode de ma vie est ce qu’il y a de plus difficile.

J’ai accouché de mon premier enfant un mois avant mes 18 ans, en mars 2000. J’étais en classe de terminale et ma grossesse que j’ai très longtemps cachée à mes parents a été assez difficile et évidemment difficilement acceptée par ma famille. J’ai eu la chance d’être beaucoup soutenue par mon père et de pouvoir poursuivre mes études et ma vie – presque – comme toutes les jeunes filles de mon âge. Pendant les deux années qui ont suivi la naissance de mon fils, je suis restée célibataire. Et puis, à la faveur de la fac, des rencontres, des sorties et entre deux allers-retours à la crèche, j’ai fini par rencontrer quelqu’un.

Tout se passait très bien… jusqu’à ce que je tombe enceinte à nouveau malgré la contraception. Je prenais depuis longtemps une pilule inadaptée. Dès que je l’ai su, à la seconde même, il n’a jamais été question que je garde ce bébé. Je me démenais depuis des mois pour pouvoir enfin vivre seule, j’allais encore à la fac et je vivais de ma bourse et des allocations. Et cette histoire, même si elle était très belle, je savais bien qu’elle ne durerait pas. J’ai néanmoins prévenu mon compagnon, qui a jugé comme moi que ce n’était ni le moment, ni les conditions pour avoir un enfant. Je n’ai pas désiré qu’il m’accompagne dans ce parcours et lui non plus. En fait, j’ai souhaité traverser tout ça seule. Je ne peux pas expliquer pourquoi aujourd’hui. Je n’ai pas eu honte, mais je n’ai pas ressenti le besoin d’être soutenue, du moins pas avant ni pendant l’intervention.

Dès lors que ma décision a été prise, je n’ai pas été triste, ni affligée. Ma sœur à qui je m’étais confiée s’est beaucoup étonnée de mon apparente « froideur ». Assez rapidement, j’ai pris rendez-vous dans le service d’orthogénie de l’hôpital Béclère. C’est un petit bâtiment séparé de l’hôpital, composé de plusieurs bureaux et aux murs bardés d’affiches sur la contraception, le droit à l’IVG, le planning familial. J’ai été reçue par une femme admirable qui y exerce encore. Très humainement, elle m’a expliqué que cet entretien était le premier du parcours que nous allions faire ensemble : j’allais devoir rencontrer un psychologue, une sage-femme puis la revoir de nouveau, elle. Elle m’a examinée et a fait une échographie pour dater la grossesse. Elle m’a posé des questions sur les raisons de cette décision et sans insister, s’est bien assurée de ma conviction.

Encore une fois, c’est soulagée que j’ai quitté son cabinet. Je suis revenue à Béclère quelques jours plus tard pour voir la psychologue à qui j’ai dû, à nouveau raconter mon histoire. J’ai moins « accroché » avec elle, donc j’ai trouvé ça assez gênant. J’ai vu la sage-femme peu de temps après. Elle m’a expliqué que vu l’âge de ma grossesse, j’avais encore « le choix » de la méthode utilisée pour procéder à mon IVG : l’avortement médicamenteux par prise de Cytotec ou la chirurgie par aspiration.
J’ai choisi les médicaments.
Malheureusement, l’hôpital n’a pas pu accéder à ma demande. A l’époque (je ne sais si c’est toujours le cas [Note de la PP : maintenant l’IVG médicamenteuse peut être faite en ville et la femme prend le traitement chez elle]), l’avortement médicamenteux se faisait en plusieurs phases : la prise du cytotec sous surveillance quelques heures, puis un nouveau rendez-vous pour vérifier l’expulsion de l’embryon.

Par manque de place disponible (et pour des soucis d’emploi du temps), je n’ai finalement pas eu le choix et nous avons fixé la date de l’intervention. J’ai décidé de ne pas être endormie, j’allaisamèrement le regretter.

Le matin de l’intervention, j’étais à l’hôpital à 8 heures. J’ai eu le droit de boire un verre d’eau. Je me suis déshabillée et j’ai enfilé la blouse de l’hôpital. On m’a donné un comprimé de cytotec destiné à ouvrir le col de l’utérus, à prendre localement donc. L’effet a été très rapide, j’ai commencé à saignotter un peu. J’ai encore attendu deux heures avant d’être emmenée dans une pièce qui n’avait rien d’un bloc opératoire. La lumière était tamisée, un petit chariot à instrument dans un coin, une grosse machine dans l’autre. A cet instant, je ne ressentais toujours rien. Physiquement, je commençais à avoir une douleur comparable à celle du début de mes règles. Moralement, tout allait très bien : je savais ce que je faisais ici et pourquoi j’étais là. J’étais très sûre de moi.

La femme médecin (qui est généraliste et pas gynécologue) que j’avais rencontrée la première fois est venue me parler et m’a expliqué en détails ce qu’elle allait faire. Une infirmière serait là pour me tenir la main. Je crois me souvenir qu’on m’a injectée un petit anesthésiant local au niveau du col. L’intervention a commencé. A l’aide d’un spéculum, le médecin a examiné mon col pour voir s’il était bien ouvert. Puis a commencé une phase assez douloureuse. Elle m’a expliqué que mon col n’était pas « dans l’axe » et qu’elle allait devoir le maintenir avec une pince. Je ne sais pas si l’anesthésique était trop léger mais j’ai eu extrêmement mal. Pendant toute la durée de son geste, elle n’a pas arrêté de me parler, l’infirmière à côté de moi me serrait la main, enfin c’est plutôt moi qui lui broyais les doigts. Je n’ai pas vu de mes yeux tout le matériel qu’elle avait installé (un spéculum donc, et cette fameuse pince), mais nous avons trouvé le moyen d’en rire : à chacun de mes gestes, j’entendais un bruit métallique !

Elle a ensuite allumé la grosse machine à côté d’elle. Avec le long tuyau qui en sortait, elle a aspiré. Là encore, j’ai eu mal. Je me rappelle très bien ce bruit d’aspiration : le bruit de la machine et le bruit de ce qu’elle aspirait. J’ai ressenti le besoin de prier, même si ce que j’étais en train de faire est complètement réprouvé par ma religion. J’ai pleuré un peu, de douleur. Ca a été très rapide. Mes jambes étaient tétanisées, je tremblais un peu et il restait dans mon corps un peu de cette intense douleur que j’ai ressenti durant ces quelques minutes.
Le médecin m’a débarrassée de tout son matériel, m’a longtemps rassurée. L’infirmière à côté de moi ne m’a pas lâché la main une seule minute. La douleur commençait à s’éloigner, c’était terminé, j’étais soulagée.

Elles ont toutes les deux fini par quitter la pièce pour me laisser seule quelques minutes. Je ne peux pas dire aujourd’hui si c’était volontaire. Mais le fait de me retrouver seule a été comme un déclencheur. J’ai regardé cette machine et j’ai réalisé qu’il y avait dedans ce bébé que je n’avais pas gardé. Je me suis sentie bizarre : j’avais toujours mal, j’étais seule dans la pièce avec cette machine. Et pour la première fois depuis des semaines, j’ai pleuré. Je ne regrettais pas ma décision mais j’avais enfin l’impression d’en comprendre l’importance : j’avais perdu quelque chose, même si c’était mon choix. De comprendre qu’on pouvait porter le deuil d’un enfant qu’on ne voulait pas. Le médecin est revenu et m’a réconfortée sans me parler, je n’en avais pas besoin et je crois qu’elle l’a compris.

Je suis allée me rhabiller à peu près calme. En enfilant mon jean, je me suis rendue compte qu’il était tellement serré qu’il me faisait mal au ventre. J’ai pleuré à nouveau. On m’a laissée en salle d’attente, une heure peut-être. Puis le médecin a contrôlé l’expulsion de l’embryon par échographie. Tout allait bien, je pouvais rentrer chez moi, avec une ordonnance d’anti-douleur.

Je n’ai eu aucune complication, mais j’ai mis du temps à m’en remettre psychologiquement. Regarder mon fils, jouer avec lui m’a été assez difficile pendant quelques jours. Quand j’ai revu le médecin, j’ai été heureuse de pouvoir en parler avec elle. Nous avions cette journée en commun, nous l’avions vécue ensemble. J’ai rarement croisé un médecin généraliste aussi… gynécologue. Des années plus tard, je l’ai revue à la télévision. J’ai su qu’elle s’était toujours battue (et se bat toujours) pour que l’IVG ne disparaisse pas de l’hôpital public. C’est une spécialité que les médecins
ne souhaitent pas apprendre.

Je ne repense que rarement à cette journée. Quand mon deuxième enfant, ma fille, est née, j’y ai pensé. Sans nostalgie, sans peine, mais j’y ai pensé. Il y a quelques mois, j’ai visité une maternité dite « de pointe ». J’ai tenu à visiter le service d’orthogénie (ridiculement petit par rapport au reste de l’établissement). J’ai été heureuse de constater que des médecins se battaient toujours pour le droit des femmes.

Difficile de conclure un pareil billet… Il est rare de lire ce genre de choses sur les blogs de mamans, alors si j’ai pu libérer, déculpabiliser une personne ou si quelqu’un s’est reconnu dans mes mots –maux), j’en serais heureuse.

En tout cas, à moi ça m’a fait du bien.

P.S : Je remercie la Poule Pondeuse de m’avoir prêté un petit bout de son canapé pour que je puisse m’y épancher. Chez moi, je ne me sentais pas très à l’aise. Merci à toi.

Image : difficile d’illustrer un tel billet alors j’ai choisi cette fleur, la douce-amère (source Flickr). 

Tagged as: , , , ,


« « Préc. Le poids : et alors ?    |     Suiv. Quand la grossesse n’est pas désirée : que faire ? » »

Comments are closed.


« « Préc. Le poids : et alors ?    |     Suiv. Quand la grossesse n’est pas désirée : que faire ? » »