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Un procès

jeudi, janvier 8th, 2009

Aux Etats-Unis, une femme, Catherine Skol, a porté plainte contre l’obstétricien qui a pris en charge la naissance de son 5ème enfant, pour le traitement qu’il lui a réservé à cette occasion. Il me semble que c’est une première, car la mère et l’enfant sont en bonne santé physique. D’après la plainte officielle, les chefs d’accusation sont négligence (« gross negligence ») pour les faits suivants :

  • refus de commander/prescrire aucun médicament antalgique
  • ordres pour le traitement d’une possible hémorragie du post-partum sans tenir compte du fait que Mme Skol n’était pas une grande multipare
  • information de Mme Skol qu’elle risque de saigner jusqu’à mourir
  • examen vaginal augmentant la douleur de Mme Skol sans son consentement
  • réparation de la déchirure périuréthrale de Mme Skol sans anesthésie, alors qu’il est en outre probable qu’aucune suture n’était nécessaire, causant non seulement une douleur lors de l’opération mais également après

et avoir causé une détresse émotionnelle par négligence (« negligent infliction of emotionnal distress »). Pardonnez l’approximation de la traduction, je ne suis pas juriste. Si quelqu’un veut corriger en commentaires, j’apporterai les modifications ad hoc.

La description complète de l’accouchement (qu’on trouvera ici mais en anglais, avec des extraits du document officiel) n’est pas très rassurante.

En résumé, le Dr Pierce, contre qui la plainte a été déposée, remplaçait son obstétricien habituel qui était en vacances. Il a apparemment décidé que Catherine Skol avait mérité de souffrir pour ne pas l’avoir appelé avant d’aller à la maternité. Par exemple, il a refusé pendant plus de deux heures et demi de faire appeler l’anesthésiste pour qu’elle ait la péridurale qu’elle demandait, ou de lui donner aucune forme de soulagement de la douleur, au prétexte que le bébé serait là dans dix minutes (et en dépit du stade de dilatation de la parturiente, confirmé par l’interne de garde). Il l’a contrainte à prendre une position extrêmement inconfortable malgré ses protestations (d’autant plus qu’elle souffre de hernies discales). Il a répété à plusieurs reprises qu’il était certain qu’elle aurait une hémorragie du post-partum, et qu’il était probable qu’elle et son bébé meure (affirmation d’autant plus dévastatrice que la patiente avait déjà accouché d’un bébé mort-né quelques années auparavant), alors qu’apparemment aucun fait médical ne soutenait de telles suppositions (et d’ailleurs elle n’en a pas eu). Il l’a fait pousser alors qu’elle n’était pas à dilatation complète et a répondu à toutes les questions et contestations par « Taisez-vous et poussez ». Il a recousu sa déchirure sans anesthésie (malgré des demandes répétées de la patiente) et avec une aiguille plus grande que celles utilisées habituellement (donc apparemment plus douloureuse) en demandant au mari de la maintenir de force, et elle n’a pu obtenir d’antalgiques (prescrits par l’interne) qu’après son départ. Et pour finir, il a dit à l’infirmière que Mme Skol avait mérité de souffrir pour ne pas l’avoir appelé avant de venir, car parfois la douleur est le meilleur professeur. Bizarrement, Mme Skol, dont c’était le cinquième enfant, n’avait jamais eu de naissance aussi douloureuse et traumatique pour les quatre précédents. D’après le document de la plainte, l’hôpital s’est excusé et a mis le Dr Pierce à l’épreuve depuis. Bien sûr, on ne voit ici qu’une seule des deux versions, et comme toujours l’accusé doit être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, mais si ce qui a été présenté est confirmé (et l’infirmière et l’interne auraient confirmé tout cela) il me semble qu’une sanction plus sévère s’impose (et surtout la protection de ses autres patientes, futures et actuelles).

Alors, est-ce encore une de ces plaintes ridicules de ces idiots d’Américains ? Eh bien je ne le crois pas. Le harcèlement moral est puni par la loi me semble-t-il. On trouve normal qu’un policier qui maltraite quelqu’un en garde à vue soit sanctionné, qu’un enseignant qui abuse de son autorité soit mis en question. Lorsqu’on est dépositaire d’une certaine autorité, cela entraîne des responsabilités. De la même façon un médecin qui profite de sa position pour maltraiter son patient doit rendre des comptes. Peut-être que la voie judiciaire n’est pas la voie la plus appropriée pour en demander, mais je ne sais pas s’il en existe d’autres dans ce cas-là, et au moins cela a le mérite de mettre ce genre d’affaire sur le tapis. Et visiblement quelqu’un qui tient ce genre de raisonnement (et dont je ne pense pas qu’il soit représentatif de ses confrères) a une large capacité de nuisance auprès de ses patientes, qu’il convient de protéger.

En France, ce type de débat pourrait bien aussi être d’actualité, notamment autour de l’épisiotomie : puisque la loi Kouchner du 4 mars 2002 pose le droit au consentement éclairé (c’est-à-dire qu’une intervention ne peut être pratiquée qu’avec l’accord du patient, celui-ci en ayant au préalable bien compris les tenants et les aboutissants), pratiquer une épisiotomie malgré le refus de la patiente est illégal. Théoriquement on pourrait donc faire un procès pour maniement abusif du ciseau, sauf qu’il semble qu’aucune sanction ne soit prévue lorsqu’on contrevient à cette loi. J’avoue que je ne sais pas trop quoi penser de cela (j’ai vu sur des forums des personnes envisager ce type d’action), si ce n’est qu’il doit être extrêmement difficile de prouver que l’épisiotomie n’était pas nécessaire et que le praticien n’a pas agi avec les meilleures intentions pour le bien-être de ses patients, mère et enfant (d’autant plus que le CNGOF préconise de la pratiquer selon un jugement d’expert: « Dans toutes ces situations obstétricales spécifiques, une épisiotomie peut être judicieuse sur la base de l’expertise clinique de l’accoucheur »). Je pense aussi que régler ce problème par la justice serait la pire façon, mais en attendant comment prendre en compte le besoin de réparation des femmes qui ont été traumatisées par ce geste (même s’il était nécessaire d’ailleurs) ?

Je ne suis pas fanatique de la dérive judiciaire de l’obstétrique, qui traduit souvent un refus du risque zéro que je trouve préoccupant. D’autant plus que le risque croissant d’action judiciaire, au-delà du préjudice évident causé aux professionnels de santé, n’est pas forcément profitable aux patients non plus : de moins en moins d’obstétriciens (mais aussi de sages-femmes libérales faisant les accouchements à domicile, étranglées par les demandes des assurances), surmédicalisation parfois iatrogène pour se parer en cas de procès, etc. Mais il me semble que j’aurais tendance à pardonner plus facilement une erreur de bonne foi qu’une maltraitance volontaire (même s’il existe évidemment une large variété de situation entre ces extrêmes).

Enfin, cela n’est pas sans rappeler non plus la mise en garde à vue du médecin urgentiste de Valence pour avoir effectué sur une patiente en plein malaise cardiaque (dont elle est décédée) des gestes jugés inadéquats par les témoins du drame qui a été (comme toujours) magistralement traitée par Maître Eolas. Il semble d’ailleurs que le médecin n’ait pas été inquiété plus avant. Dans ce cas-là apparemment, les gestes qui ont épouvanté l’assistance font partie des gestes de routine, impressionnants pour le quidam mais néanmoins efficaces et nécessaires pour la réanimation (un peu comme si nous assistions à une chirurgie orthopédique : aimeriez-vous voir un médecin avec une perceuse ou une scie, pourtant essentielles à leur travail ?).

En bref, tout cela est loin d’être simple et ne sera certainement pas réglé par un article de blog, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en discuter ! J’essaierai de vous tenir au courant de l’issue de la plainte.