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Une école différente

lundi, octobre 27th, 2008

 Si on s’intéresse à l’éducation non-violente, on finit fatalement par se poser des questions sur l’endroit où on va tôt ou tard envoyer nos enfants passer leurs journées : l’école. Même si les châtiments corporels sont heureusement bannis, l’ambiance à l’Education nationale n’est pas encore à la gordonisation généralisée. Alors que je commençais à réfléchir aux alternatives, je suis tombée sur ce livre : Montessori, Freinet, Steiner… une école différente pour mon enfant ? par Marie-Laure Viaud (docteur en sciences de l’éducation). Il dresse un panorama plus ou moins exhaustif des pédagogies alternatives, avec une description détaillée de chacune aux différents niveaux (de la maternelle au lycée). Il donne aussi une liste de tous les établissements concernés en France, avec de jolies cartes. Donc en (très) gros (je fais un résumé un peu grossier, j’espère que les gens qui s’y connaissent ne m’en voudront pas trop s’ils passent par là) :

  • Montessori
Basée sur les travaux de Maria Montessori au début du XXème siècle, cette pédagogie repose sur deux grands principes. D’une part, l’enfant passe régulièrement par des périodes sensibles pendant lesquelles il pourra apprendre très facilement. D’autre part, chaque enfant progresse à son propre rythme. Les classes Montessori regroupent donc des élèves d’âge différent et mettent à leur disposition un tas de matériel sophistiqué que l’enfant peut manipuler seul. Cette pédagogie insiste beaucoup sur l’apprentissage par le toucher. L’ambiance générale en est très studieuse et calme. Une grande importance y est accordée à la façon de se tenir, au rangement et à la propreté. Par ailleurs, les enfants y ont une grande autonomie. Toutes ces écoles sont privées hors contrat et il faut compter 4000 à 6000 euros de frais de scolarité par an.
En savoir plus : http://www.montessorienfrance.com, http://www.montessori-france.asso.fr
  • Steiner
Les écoles reposant sur les travaux de Rudolf Steiner sont également appelées écoles Waldorf (car développés pour les enfants du personnel de la fabrique de cigarettes Waldorf-Astoria). Cette pédagogie accorde une grande place à la créativité et à l’expression artistique. Il y a aussi beaucoup de chants, de rondes, et surtout une pratique très régulière de l’eurythmie, qui est une sorte de danse. On y insiste beaucoup sur le rythme des saisons, avec un lien quasiment spirituel avec la nature. Il faut savoir enfin que cette pédagogie est basée sur l’anthroposophie, qui est plus ou moins considérée comme une secte, même si bien sûr cette théorie n’est pas enseignée dans les écoles, qui ne sont pas elles-mêmes des mouvements sectaires. Ce sont des écoles privées hors contrat dont le coût varie de 1500 à 3800 euros l’année.
  • Freinet
Cette pédagogie, basée sur les travaux de Célestin Freinet, est appliquée à la fois dans des écoles entières (peu nombreuses), mais aussi dans certaines classes au sein d’écoles « classiques ». Les principes en sont :
– le travail à partir des intérêts des enfants, en menant des projets pour fonder les apprentissages sur des situations « vraies »
– l’importance accordée aux activités artistiques et d’expression libre
– la pratique de la démocratie à l’école, avec un conseil de classe/d’école mis en oeuvre par les élèves
Ces classes et écoles sont généralement publiques donc gratuites. 

 

Il y a d’autres initiatives présentées, comme la Pédagogie institutionnelle, les Calendretas, la méthode Decroly, etc. J’avoue qu’à l’instar de l’auteur je trouve la pédagogie Freinet la plus séduisante (et pas que pour les sous…), tandis que les écoles Steiner m’attirent moins. Manque de pot, en région parisienne il n’y a que deux maternelles Freinet, une à Bobigny (dans le 9-3) et l’autre à Saint-Ouen-l’Aumône (au fin fond du 95), et je me vois mal déménager juste pour ça (imaginez qu’en plus on finisse affectés à une autre école, parce qu’à mon avis ça doit se bousculer au portillon). 

 

Il est bien sûr extrêmement délicat d’estimer l’efficacité de ces méthodes, d’une part car elles ne concernent finalement qu’un petit nombre d’enfants, et d’autre part car les élèves à qui on les applique ne sont pas forcément représentatifs de la population générale (notamment dans les écoles à 6000 euros par an… ou au contraire dans certains lycées Freinet qui sont destinés aux jeunes en grande difficulté). Cependant, l’auteur présente un certain nombre d’études qui montrent globalement que :
– D’une part les élèves des écoles alternatives n’ont pas de moins bons résultats que les autres (voire en ont des meilleurs), mais qu’en parallèle ils sont beaucoup plus autonomes, avec un meilleur esprit critique et/ou artistique (selon la pédagogie).
– D’autre part, lorsque ces élèves rejoignent le système traditionnel, ils peuvent avoir quelques difficultés de transition mais s’adaptent finalement sans trop de problème.

 

La quatrième de couverture promettait de tout nous dire sur « Comment appliquer le meilleur de ces pédagogies à la maison ? », que je me réjouissais de découvrir. Plutôt décevant, en fait c’est un tableau des pratiques généralement associées au maternage (allaitement long, portage…) et des principes d’éducation non violente (à peu de choses près des sites, auteurs et livres que je connaissais déjà et dont j’ai déjà parlé sur ce blog). Non que ce ne soit pas intéressant, mais je n’ai pas appris grand chose et j’attendais des idées pédagogiques beaucoup plus concrètes (idées d’activités, de jeux, etc). Pour ça je n’aurai plus qu’à me retourner vers le grand internet mondial.

 

Il y a enfin quelques pages sur l’école à la maison, mais si l’aventure vous tente ce n’est pas ce bouquin qu’il vous faut. L’auteur mentionne quelques sites qui peuvent être utiles :
http://www.lesenfantsdabord.org/
http://laia.asso.free.fr/
http://www.cise.fr/

 

En conclusion, nous avons encore le temps, puisque le poussin n’ira normalement à l’école qu’en septembre 2010. Cependant, plutôt que de nous mettre bille en tête sur telle ou telle pédagogie, je pense que nous procèderons plutôt en enquêtant sur les écoles des environs, publiques et privées, pour trouver celle qui nous conviendra le mieux (comme le fait remarquer l’auteur, au-delà de la pédagogie théorique, il y a par exemple la personnalité de l’enseignant qui joue énormément). Il y a d’ailleurs dans le livre une liste de questions à poser pour en savoir plus, tant sur les détails très pratiques (nombre d’enfants par classe, organisation du déjeuner…) que sur les grandes questions (mode de résolution des conflits entre enfants, gestion des problèmes de comportement…). Je garderai aussi les idées de Gordon Neufeld dans un coin de ma tête. 

Hold on to your kids (2)

mardi, septembre 9th, 2008

 

Pour ceux qui l’auraient ratée, la première partie est ici.

Alors en pratique que faire ? Si on est convaincu par cette théorie, il devient évident que les modes de garde et de scolarisation de notre société sont organisés en dépit du bon sens, même s’il y a une prise de conscience réelle de ces enjeux par les professionnels. La faute en est notamment à l’importance grandissante accordée à l’indépendance, l’autonomie et la socialisation des enfants. Il faut accepter que les enfants sont des êtres dépendants, au moins jusqu’à l’adolescence (incluse). La question est : de qui veut-on qu’ils dépendent ? de leurs parents qui en assument la responsabilité ? ou d’enfants de 8 ans ? D’autre part, le concept de « socialisation » n’a pas de fondement tant que les enfants sont immatures. Ils doivent d’abord construire leur propre personnalité pour pouvoir se frotter aux autres sans perdre leur identité. Ils ne peuvent donc être ensemble que sous la supervision active d’un adulte, avec lequel ils ont au préalable établi un lien d’attachement (pas forcément aussi fort qu’avec leurs parents bien sûr). Petit à petit, ils acquièrent la capacité d’accueillir simultanément des sentiments contradictoires, et donc de se mettre à la place de l’autre. Ainsi seulement peuvent-ils montrer de vraies capacités de socialisation.

Les auteurs soulignent ainsi que les enfants qui sont orientés vers leurs pairs sont très à l’aise quand ils commencent l’école, ce qui à première vue provoque la joie des parents et des enseignants, tandis que ceux orientés vers les adultes y viennent d’abord avec réticence. Cependant cette facilité apparente cache un vrai problème : ces enfants aiment aller à l’école pour y retrouver leurs camarades, pas pour apprendre. Sans compter que les retards psychologiques causés par cette orientation contre nature ne vont pas aider leurs capacités d’apprentissage.

Cela ne veut pas dire qu’il faille bannir les crèches, garderies et écoles, mais plutôt les réorganiser pour donner une part plus importante au rôle de l’adulte, et diminuer celle dévolue aux interactions entre les enfants (cette fameuse « socialisation »). Il faut que l’enfant sente que ses parents passent une sorte de relais d’attachement à l’adulte référent (maîtresse, puéricultrice), et que celui-ci s’en saisisse.

Les conseils pratiques (que je n’ai pas trouvé très bien organisés dans le livre et vous retranscris tant bien que mal) pour cultiver l’attachement avec ses enfants (ou ceux dont on s’occupe)  :

  • Ne jamais oublier que c’est à l’adulte de prendre l’initiative et c’est à lui qu’incombe la responsabilité de maintenir le lien. Si la relation se délite, il ne peut en vouloir qu’à lui-même.
  • Interagir très fréquemment avec l’enfant et chercher son contact, au moins visuel, pour réactiver l’attachement : de la même façon que devant un nouveau-né on va tout faire pour attirer son attention et obtenir un sourire, il faut répéter ce rituel avec les enfants (évidemment de plus en plus subtilement au fur et à mesure qu’ils grandissent) aussi régulièrement que possible, et surtout avant toute autre interaction (notamment pour tout acte d’autorité).
  • Offrir aux enfants l’occasion de s’accrocher (psychologiquement) à nous et inviter leur dépendance : d’une façon ou d’une autre, il faut que l’enfant se sente bienvenu, qu’on lui donne envie de s’attacher. Il ne faut pas hésiter à donner de l’attention à l’enfant même quand il n’en réclame pas : celui-ci doit sentir que l’amour et l’attention du parent ne dépendent pas (entièrement…) de son comportement et de ses réalisations. Contrairement aux oisillons, les enfants n’ont pas besoin qu’on les pousse hors du nid : au contraire, plus on les pousse, plus ils s’accrochent (même si ce n’est plus forcément à nous).
  • Faire la boussole : guider l’enfant dans toute situation inconnue et prendre l’initiative à base de « Voici ce que nous allons faire », « Tu peux t’asseoir ici » etc. C’est pourquoi certains programmes envoient les enfants/ados difficiles passer une semaine dans un environnement naturel hostile, où ils n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers l’adulte pour survivre.
  • Ne pas hésiter à réorienter l’attachement vers soi : cependant il faut être conscient que plus l’enfant est orienté vers les autres enfants, et plus c’est une tâche difficile qui demandera une patience et une motivation quasi-infinies. De plus il faut être bien prêt à en assumer la responsabilité : briser un attachement est une violence psychologique extrême qui ne doit pas être entreprise à la légère. Garder toujours à l’esprit que c’est la relation qui compte, et pas le comportement. Ce dernier ne pourra être réglé qu’une fois la relation restaurée.
  • Ne pas combler systématiquement l’ennui en invitant un copain : selon les auteurs, l’ennui provient d’un attachement déficient qui prévient l’émergence de la personnalité de l’enfant. Il faut donc au contraire renforcer cet attachement afin d’aider cette émergence. Un enfant qui s’ennuie souvent n’est en fait pas assez mature pour avoir de vraies interactions avec d’autres.
  • Privilégier les amitiés de l’enfant avec des enfants orientés vers les adultes : idéalement il faudrait avoir un minimum de lien avec leurs parents (frères et soeurs, cousins-cousines, enfants de vos amis etc).
  • Cultiver des petits rituels familiaux : dîner ensemble, faire une balade le dimanche… Il ne faut pas hésiter à les imposer aux enfants.
  • Eviter de prendre toutes ses vacances sans les enfants (ou de les laisser au Mickey club toute la journée) : moins on passe de temps avec, plus le lien d’attachement s’affaiblit, plus les enfants sont difficiles à gérer, et plus on veut passer ses vacances sans.
  • Etre très vigilant sur ces notions d’attachement lorsqu’on confie ses enfants : il faut que l’enfant comprenne qu’il est pris en charge par le nouvel adulte et ce avec la bénédiction de ses parents. Ne pas hésiter à laisser un petit souvenir (doudou, photo, tissu avec son parfum, etc). Et surtout s’assurer qu’un lien se crée bien entre l’enfant et l’adulte qui le garde. L’absence d’attachement crée en effet un vide immense que l’enfant remplira avec la première personne voulant remplir cet office, tel une oie de Lorenz.
Autre question qui doit maintenant vous tarauder : comment maintenir un semblant de discipline dans son foyer sans mettre en péril notre précieux lien d’attachement ? Car encore une fois, à nul moment les auteurs ne prônent la permissivité : au contraire, il est capital de mettre des limites à l’enfant et de ne pas douter de la « hiérarchie » naturelle. Les parents ont la responsabilité donc ce sont eux qui prennent les décisions : combler tous les besoins ne veut pas dire répondre à toutes les envies. La discipline exposée dans le livre tend à unir plutôt qu’à diviser, et a l’air du genre qui porte ses fruits à long terme, plus qu’en 15 jours. Personnellement, c’est trop tôt pour tester alors je vous laisse juger par vous-mêmes.
  • Pour rappeler un enfant à l’ordre, mieux vaut utiliser la connexion que la séparation (style « au coin pour 5 minutes »). La séparation peut être efficace à court terme justement car elle est basée sur le besoin de proximité provoqué par l’attachement, mais risque de dommager la relation à long terme. Lorsqu’un enfant a un comportement inadéquat, il faut commencer par activer le lien, en ramenant l’enfant vers soi, tant psychologiquement que physiquement : « Hé hé, tu as l’air de bien t’amuser. Viens voir par ici qu’on discute deux minutes ». Et ça plutôt que « File dans ta chambre, on en reparlera quand tu seras calmé ». Ensuite on peut donner des indications très claires de ce qu’on attend avec beaucoup plus de chances qu’elles soient reçues.
  • Mettre l’accent sur la relation, pas sur le comportement. De façon intéressante, les auteurs expliquent que le principe de réaction immédiate marche bien sur les animaux mais pas vraiment sur les enfants. Un gamin en pleine crise ne peut pas assimiler ce qu’on lui dit, autant pisser dans un violon. Surtout il ne faut pas laisser entendre qu’on ne peut pas gérer l’enfant, mais au contraire garder le contrôle de soi (à défaut de contrôler la situation). Il est plus profitable de « refaire le film » au calme après coup.
  • Aider l’enfant à s’adapter face à la frustration : d’abord rester très ferme sur l’objet de la frustration (typiquement « non on ne fera pas ça ») sans négocier ou tergiverser, puis ensuite amener l’enfant à verser les « larmes de la résignation » en le réconfortant (« tu espérais vraiment que ce serait différent », « c’est vrai que c’est difficile pour toi »), pour l’aider à accepter ce qu’il ne peut changer. Ce serait la meilleure conduite avec un bambin en crise d’opposition.
  • Solliciter une bonne intention plutôt qu’exiger un bon comportement. Ainsi l’enfant sent que l’accent est mis sur sa volonté (« crois-tu que tu pourrais mettre tes chaussures avant de partir ? ») plutôt que sur celle de l’adulte (« je veux que tu mettes tes chaussures »). Lorsque l’enfant malgré tout n’a pas le comportement attendu, ne pas hésiter à dire « je sais bien que tu ne l’as pas fait exprès » ou ce genre de phrase.
  • Essayer de tempérer un comportement impulsif plutôt que de l’arrêter. Du style « je sais bien que tu aimes ta petite soeur, tu ne voudrais pas lui faire de mal » plutôt que « Arrête de taper ta soeur ». Cela marche d’autant mieux quand les émotions ne sont pas encore trop intenses (ou après coup). Cependant cela demande de la part de l’enfant une maturité suffisante pour pouvoir ressentir des sentiments contradictoires simultanément. Dans ce cas, il faut essayer de séparer son comportement de sa personne : « tu as vraiment été emporté par ta colère/l’envie de taper ta soeur » pour l’aider à accomplir la maturation nécessaire.
  • Lorsque l’enfant est trop immature pour produire de lui-même le comportement requis, il faut le guider : « maintenant c’est au tour de ton frère » « ici il faut parler tout doucement » etc. La difficulté est de donner des instructions compréhensibles immédiatement par l’enfant.
  • Une autre piste lorsqu’un enfant est trop immature est de lui éviter de se retrouver dans une situation qui déclenche une crise. Tout le monde sera d’accord qu’on ne peut pas demander à un enfant de deux ans de rester parfaitement calme pendant 1h30 de concert classique. De la même façon, il faut essayer d’identifier les situations « à risque » en fonction de la maturité de l’enfant. Cependant il est inévitable et indispensable qu’il apprenne tôt ou tard à gérer la frustration, c’est donc un équilibre délicat à gérer.
Ah ça a l’air bien joli tout ça (surtout avec mon résumé à la hâche), mais évidemment pas toujours très réaliste (il y a notamment une description d’un petit village de Provence idyllique plein de gens parfaitement attachés, pourtant je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de personnes qui pratiquent ce type de discipline, là ou ailleurs). Cependant ce sont des pistes intéressantes à explorer, et à mon avis des concepts essentiels à connaître.
Et rappelons-nous ceci : la priorité est la relation d’attachement. Tant qu’elle n’est pas bien établie, le reste ne marchera pas : on ne peut attendre ni comportement adapté, ni maturation psychologique. Elle doit rester notre priorité, même si c’est loin d’être facile tous les jours.

Hold on to your kids (1)

lundi, septembre 8th, 2008

Parmi mes lectures estivales (Voici, Glamour…) s’est glissé ce livre : Retrouver son rôle de parent (ou en VO Hold on to your kids), de Gordon Neufeld et Gabor Maté. Les auteurs sont Canadiens, le premier est psychologue et le second médecin. Je dois dire qu’à première vue, un livre qui annonce que les temps ont changé, que les enfants et ados sont plus difficiles et plus mal élevés qu’avant, qu’y a plus de saison ma brave Simone et qu’à notre époque les enfants se tenaient bien (et la fermaient), ça ne me fait pas très envie. Mais la personne qui me l’a prêté a insisté que c’était ‘achement intéressant alors j’ai passé outre, et bien m’en a pris. Je crois que c’est probablement le livre le plus intéressant qu’il m’ait été donné de lire sur la parentalité. Il intéressera aussi beaucoup les professionnels de l’enfance (éducateurs, profs, puéricultrices, nounous, etc). Comme je suis vraiment très sympa, je vais vous raconter un peu (enfin vous allez voir la tartine) mais si ça vous parle, je vous recommande vraiment de mettre la main dessus.

La plus grande partie du livre nous explique le concept psychologique d’attachement. Développée chez l’homme par John Bowlby en 1969, cette théorie décrit le lien si particulier qui se met normalement en place entre l’enfant et le(s) parent(s) qui l’élève(nt). Il a également été observé chez les animaux pour lesquels au moins un des parents s’investit dans l’éducation des jeunes (typiquement oiseaux et mammifères). En gros, dès sa naissance, l’enfant a un besoin émotionnel fort d’attachement, qui est normalement comblé par ses parents, à la fois par une satisfaction de ses besoins physiques (faim, froid etc) et de ses besoins psychologiques (amour, réconfort…). Un lien très particulier se crée alors, l’enfant se tournant vers l’adulte dès qu’il a un besoin à satisfaire tandis que l’adulte est prêt à faire pour l’enfant toutes sortes de choses qu’il ne ferait pour personne d’autre (mettre les mains dans le caca, se lever 15 fois la nuit, vous voyez ce que je veux dire). Ce lien fera également que l’enfant suivra volontiers les directives données par l’adulte qui devient en quelque sorte sa boussole, son point de repère. Un bon lien d’attachement entre l’enfant et ses parents rend la parentalité facile, puisqu’il pousse les parents à se « sacrifier » pour leurs enfants (ou en tout cas rend les sacrifices plus doux) et pousse les enfants à obéir aux parents et à tout faire pour leur être agréable (mais si, mais si). Si vous voulez en savoir plus, vous avez l’article wikipedia (en anglais, le français est assez vide), et si vous voulez en savoir beaucoup plus, il y a ce livre : L’attachement. Concepts et applications, par Nicole et Antoine Guedeney (par contre j’avoue je ne l’ai pas lu).

Une bonne relation d’attachement est indispensable à la maturation psychologique d’un enfant : tant qu’il ne ressent pas de sécurité à ce niveau-là et craint de perdre l’objet de son attachement, toute son énergie sera dévouée à obtenir cette sécurité. Il est donc capital qu’il sente que ses parents l’aimeront et s’en occuperont quoi qu’il fasse, quoi qu’il soit. C’est de sentir cet amour inconditionnel qui va lui permettre d’exprimer sa vulnérabilité, elle-même indispensable à son développement psychologique. Tant qu’il ne peut pas transformer la frustration en tristesse (qui est une forme de vulnérabilité), il ne pourra pas la gérer. C’est aussi ce qui lui permettra de laisser s’exprimer des sentiments contradictoires (« j’ai très envie de jouer avec cette porcelaine Ming » et « je n’ai pas envie qu’on me gronde ») et ainsi de s’intégrer harmonieusement dans la société.

L’apport des auteurs à cette théorie -au demeurant relativement bien établie- est le suivant. Dans les sociétés occidentales modernes, les enfants ne s’attachent plus à leurs parents, mais à d’autres enfants. C’est notamment criant à l’école. Voyez un enfant qui tout à coup ne veut plus travailler, veut avoir les mêmes chaussettes Spiderman/le même ensemble jean slim-string que les copains/copines, devient insupportable et agressif avec ses parents/profs, passe toute sa soirée sur MSN/à envoyer des textos/sur Facebook avec ses copains et semble devenu imperméable à tout, carotte comme bâton (son langage se réduisant à « bof » et « j’m’en fous »). Ce sont les principaux symptômes de l’attachement à ses pairs (aux autres enfants). On dirait le portrait d’un ado mais en fait ça peut très bien commencer plus tôt, et même à l’adolescence, quand ce type de comportement s’exacerbe, il n’est pas vraiment normal.

En quoi est-ce gênant ? D’une part, l’attachement est bipolaire. C’est-à-dire qu’on ne peut avoir plusieurs figures d’attachement que si elles sont compatibles. Par exemple, la baby sitter ou les grands-parents sont compatibles avec les parents. Mais les parents ne sont pas compatibles avec Mattéo et Léa. Donc plus l’enfant s’attache à d’autres enfants, et plus il rejette les adultes en général et ses parents en particulier. Il devient agressif et n’a plus aucune intention de suivre une quelconque indication ou ordre venant de leur part. Déjà un premier problème pour les parents ainsi que pour les adultes encadrant l’enfant (profs, éducateurs…).

D’autre part, on a vu que l’enfant attendait de la figure d’attachement un amour inconditionnel pour pouvoir accomplir harmonieusement son développement psychologique. Ses copains sont totalement incapables de lui offrir cela. L’enfant alloue donc en vain toute son énergie à tenter de combler ce vide, énergie qu’il ne peut alors plus consacrer à sa maturation. De plus pour garder ces attachements éphémères, l’enfant doit se blinder contre sa vulnérabilité et ne jamais la laisser paraître. Il doit éteindre sa compasssion, sa tristesse, sa curiosité mais aussi sa joie. Il doit juste avoir l’air cool. Tout le temps. Pour être accepté il tente de ressembler aux autres et étouffe sa propre personnalité. Il ne peut donc pas connaître de maturation psychologique. Cela a également un retentissement important sur son comportement : tout le monde est d’accord pour dire qu’il est plus facile d’obtenir un comportement « acceptable » d’un enfant de 6 ans que d’un enfant de 2 ans. S’il reste bloqué à un stade de développement précoce, ses possibilités comportementales le sont aussi.

Pour les auteurs, un grand nombre des problèmes rencontrés par les parents actuellement vient de là. On se focalise sur le comportement des enfants alors qu’il faudrait commencer par réparer le lien d’attachement. Tant que ce lien n’est pas orienté vers un adulte (qui doit être prêt à en assumer l’immense responsabilité), celui-ci aura les plus grandes difficultés à orienter le comportement de l’enfant. Et toute l’autorité et les claques du monde n’y changeront pas grand chose (à moins vraiment de terroriser l’enfant mais qui voudrait cela ?). Les systèmes disciplinaires « classiques » (carotte et bâton en gros) ne marchent que dans le cadre d’un lien d’attachement fonctionnel.

Une bonne illustration de ce phénomène est à mon avis le problème des jeunes de banlieue (bon permettez-moi deux minutes de faire des grosses généralités pour vous faire passer l’idée, même si je suis tout à fait consciente que la réalité est plus complexe et nuancée). Lorsque les deux parents travaillent beaucoup et que les enfants vont de crèche en école en passant par la garderie dans des structures avec peu de moyens (et donc moins de personnel, qui plus est fréquemment renouvelé), où ils sont toute la journée avec d’autres enfants dans le même cas, la situation est très favorable à un attachement entre pairs. Ainsi cela entraîne la formation de bandes apparemment imperméables à la raison et la perte de l’autorité des parents. Le problème n’est donc pas l’interdiction faite aux parents de coller une bonne rouste (comme on peut l’entendre) mais le rétablissement d’un attachement vers les adultes.

Alors en pratique que faire ?

(à suivre… ici)