Posts Tagged ‘Elisabeth Badinter’

R.E.S.P.E.C.T.

jeudi, décembre 30th, 2010
Aretha Franklin

Aretha Franklin

Pour 2009, je vous faisais des vœux, que je renouvelle bien sûr cette année : qu’elle vous soit aussi douce et légère qu’un pyjama de bébé. En 2010, j’ai pris une résolution, à laquelle j’ai essayé de me tenir tant bien que mal. Pour 2011, je prends à nouveau une résolution. Je veux qu’on me respecte, en tant que femme et en tant que mère. Le manque de respect pour les femmes, y compris en tant que mères est tellement implicite dans notre société que ce n’est que depuis peu que j’en prends vraiment conscience. Il y a internet et les blogs bien sûr, avec Olympe, Emelire, A dire d’elles, la Fée myrtille et bien d’autres qui me pardonneront j’espère mon manque d’exhaustivité. Il y a aussi mes lectures papier, comme L’amour en plus d’Elisabeth Badinter (que j’ai trouvé bien plus intéressant que son dernier opus). Récemment, trois lectures ont contribué à la montée de mon ras-le-bol :

  • Le chœur des femmes, de Martin Winckler. Si vous ne connaissez pas encore le bonhomme, courez voir son site qui regorge d’infos médicales utiles et à jour sur la contraception notamment. Quant au roman, il met en scène (entre autres) un médecin (dont on devine facilement qu’il est une sorte d’alter ego littéraire de l’auteur) qui se bat pour que ses confrères donnent aux patientes le respect et l’écoute qui leur sont dues. On y apprend notamment que les femmes pourraient très bien être examinées en position « à l’anglaise » (allongées sur le côté) plutôt que dans la position gynécologique classique (poétiquement baptisée « poulet de Bresse » par certains), ce qui serait plus confortable, tant physiquement que psychologiquement. Y sont aussi reprises les préconisations de l’auteur pour rendre la pose d’un DIU moins douloureuse, qui ne semblent malheureusement pas beaucoup suivies en France. Et à part ça le livre se lit tout seul, même s’il y a quelques passages un peu téléphonés (oh l’interne sûre d’elle qui ne rêve que de chirurgie et pas d’histoires de bonnes femmes est devenue encore plus humaine et engagée que le gentil médecin : pas possiiiiible !). Pour en savoir plus voir par exemple la critique de Telerama.
  • Le site d’un gynécologue, sur lequel je suis tombée par hasard. Voilà un médecin qui est sans doute animé par les meilleures intentions, et doit sincèrement penser avoir le bien-être et la santé des femmes comme priorités. Mais quel paternalisme transpire de ses écrits ! Une rubrique est intitulée « Côté mamans : maladies et petits bobos » : à qui s’adresse-t-on ? A des femmes majeures en pleine possession de leurs moyens intellectuels ou à des enfants de cinq ans ? Je n’attends pas d’un médecin qu’il me parle de mes « petits bobos » ou m’enjoigne de « prendre mes petits cachets roroses et bleubleus pour faire dodo et être en pleine foforme » mais qu’il me parle d’adulte à adulte. Cette condescendance s’étend d’ailleurs aux sages-femmes (comme le faisait remarquer Chantal Birman dans Au monde, la façon dont sont reconnues les sages-femmes est assez symptomatique du traitement réservé aux femmes), et après que je l’ai interpellé sur Twitter, un étudiant sage-femme répondant à l’étrange pseudonyme de Gromitflash a vivement réagi sur son blog (notre échange de tweets incluait aussi 10 lunes qui a vu aussi rouge que son avatar). Par ailleurs le site présente un certain nombre d’erreurs, ou au moins d’opinions personnelles de l’auteur présentées comme des vérités générales, au mépris des études et recommandations officielles. Je n’ai pas le courage de tout détailler, mais il y a des exemples particulièrement flagrants dans les pages sur l’épisiotomie (a-t-il seulement lu les recommandations de ses pairs du CNGOF ?), sur l’allaitement (« plus une société est évoluée, moins l’allaitement maternel est prisé » : les pays scandinaves seraient-ils restés à l’âge de pierre ?) ou encore sur l‘accouchement (avec la position « libre » qui est une légère variante de la position gynécologique : sait-il qu’on peut accoucher sur le côté, à quatre pattes, accroupie et j’en passe ?). Bien sûr l’exercice médical n’est pas plus la simple mise en œuvre de directives que la maîtrise d’une langue étrangère ne se résume à la connaissance de son dictionnaire. Mais n’est-ce pas un manque de respect flagrant pour ses patientes (pour ne pas parler d’incompétence) que de s’asseoir allégrement sur les dernières études et avancées ?
  • L’art d’accommoder les bébés, de Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand. Je suis en train de le lire et j’ai bien l’intention d’y consacrer un billet, tellement il me plaît. Je ne vais donc pas détailler, mais les auteurs analysent avec beaucoup de finesse et de mordant le traitement réservé aux mères depuis plus d’un siècle. Un livre à mettre entres toutes les mains !

Alors voilà mon plan d’attaque. Plutôt que de me lamenter sur ce que je voudrais que les autres fassent, autant prendre les choses (et ma petite personne) en main.

  • Changer le vocabulaire. C’est peut-être symbolique, mais je ne veux plus qu’on m’appelle maman (à part mes poussins bien sûr). Quand j’appelle l’école, la crèche ou toute autre chose pour les enfants, je me présente par mon nom et en tant que mère de Pouss1/Pouss2. On est entre adultes que je sache. Tant pis pour Google (et désolée pour mes consœurs), mais ici ce n’est pas un « blog de maman ». Et j’encourage toutes celles qui veulent être prises au sérieux à abandonner « bidou » et « gygy » pendant qu’on y est.
  • Ne plus me laisser faire. Si j’avais seulement eu l’aplomb pour répondre à l’anesthésiste qui m’appelait « ma belle », ou à la pédiatre qui menaçait Pouss1 d’une fessée s’il n’arrêtait pas de pleurer… Et à défaut d’avoir le courage de dire à ma gynécologue qu’elle examine avec la délicatesse d’un panzer, j’irai voir quelqu’un d’autre (oui j’ai l’inclination pour le conflit d’une serpillère, il faut que je me soigne).
  • J’adore me délasser les neurones en lisant la presse féminine, mais je n’achèterai plus de magazine avec les mots « maman » (cf premier point), « régime », « maigrir », « minceur » et « horoscope » sur la couverture (sauf s’il y a un article sur ce blog à l’intérieur, je n’ai pas pris pour résolution de renoncer à ma mégalomanie). Pour ceux que le point sur les régimes laisse perplexes (et pour les autres aussi) je ne peux que recommander ces articles de Mona Chollet : « Culte du corps », ou haine du corps ? et Sortir du « harem de la taille 38 ». D’ailleurs à moins d’une raison médicale, comme en 2010, je ne ferai pas de régime (à moins qu’une diète composée exclusivement de Côte d’or ne soit reconnue sous cette appellation). Oui, j’ai du gras et de la cellulite qui ne rentrent que rarement dans un 38, et alors ? Et j’invite tout le monde (si ce n’est déjà fait) à aller voir le site du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (GROS). Pour l’horoscope je crois que ça se passe de commentaire.

Et vous ?

Photo : En voilà une qui sait demander qu’on la respecte et qui ne fait même pas du 38.

Mais qui est Mère Nature ?

jeudi, septembre 16th, 2010

mere_nature Naturel (n.m.) : Ce qui revient au galop quand on le chasse.

Ces derniers temps le naturel est à la mode, en particulier chez les jeunes parents (et leurs progénitures). Certains ne jurent que par cela, d’autres au contraire y voient l’ennemi à pourfendre. Mais le naturel, c’est quoi ? Si vous consultez votre dictionnaire (voir une version online ici), vous verrez que ce terme correspond à un grand nombre de définitions. En réalité il me semble que ça ne veut plus dire grand chose. Faut-il suivre nos instincts (ou plutôt les comportements « réflexes » dictés par nos hormones) ? Alors même que nous ne vivons plus dans les conditions dans lesquelles ces comportements ont été mis en place ? Comment faire la part entre ces « instincts » et nos conditionnements sociaux et familiaux ? Doit-on oublier que notre nature, toute mammifère qu’elle soit, inclut également un cerveau perfectionné permettant la réflexion et la prise de décision consciente ? Qu’a priori il n’est pas juste là pour décorer ?

Et franchement, je trouve qu’un certain nombre de pratiques étiquetées naturelles ne le sont pas vraiment. Mes couches lavables ? C’est un mélange de PUL, microfibre et micropolaire. Autant vous dire qu’elles ne poussent pas vraiment dans les arbres. Ma coupe menstruelle ? On a retrouvé dans une sépulture du Néolithique des coupelles en terre cuite portant des traces de sang, et d’ailleurs il est bien connu que les femelles bonobo plient des feuilles de bananier en forme de petite cloche pour affronter leur cycle menstruel. Les salles « nature » des maternités ? Physiologique me semble un terme plus approprié, quoique probablement discutable aussi (chacun sait que la chatte qui accouche s’empresse de se faire couler un bon bain chaud aux huiles essentielles…).  A contrario, quoi de plus naturel que le pétrole ? ou des virus comme Ebola et le VIH (d’ailleurs refilés par nos cousins simiesques) ? La violence, en particulier envers les femmes et les enfants, est une des caractéristiques les mieux partagées par les êtres humains à travers la planète (voir par exemple ici) : faut-il en déduire que c’est dans notre nature et cesser de lutter infatigablement contre ?

Plutôt que de chercher ce qui est le plus proche d’un état naturel que nul ne sait vraiment définir, voici donc quelques propositions de critères pour guider nos choix :

  • Quel est l’impact sur la santé ?
  • Quel est l’impact sur l’environnement ?
  • Combien ça coûte ?
  • Est-ce que c’est pratique ?
  • Est-ce que ça me plaît ?

Et lorsque cela concerne plusieurs personnes (notamment les décisions relatives aux enfants, qui impliquent toute la famille) : qu’est-ce qui permet de concilier au mieux les besoins de tout le monde ?

Bien sûr, chacun peut ordonner ces critères selon ses priorités, ou les réarranger en fonction des cas. Pour ma part, si on reprend certains exemples cités plus hauts, les couches lavables et la coupe menstruelle obtiennent pour moi le meilleur score à l’ensemble de ces questions par rapport aux alternatives. Par pitié ne me traitez pas de maman nature ! Sur ma boussole : pas d’idéologie, pas de naturalisme, mais pragmatisme, rationalité et surtout plaisir.

Image : Pourquoi la nature a horreur du vide (jeu de mot sur « vacuum » qui veut dire à la fois vide et aspirateur). Je vous recommande aussi cette petite BD.

Mère indigne ?

mercredi, mars 10th, 2010

bad-parenting Au gré de mes pérégrinations sur le net, je suis tombée sur cette petite annonce :

Bonjour,

Je prépare un reportage pour M6 et l’émission 100% Mag, « je suis peut-être une mère indigne mais je l’assume. »
Je cherche a suivre dans le cadre de ce reportage des femmes de 30 ans environ qui se sentent avant tout femme avant d’être mère.
Ces femmes ne culpabilisent pas de ne pas jouer tous les soirs avec leurs enfants, elles partagnent toutes les taches avec le père, elles sortent, elles ne sont pas coller à leurs enfants en permanence…

Je voulais savoir si vous pouviez m’aider à trouver des femmes qui ont ce profil.
Je suis à votre disposition.
Cordialement

(NB : les fautes d’orthographe ne sont pas de moi)

Ah ? Une femme qui ne joue pas tous les soirs avec ses enfants, qui partage les tâches avec le père, sort et ne reste pas collée à ses enfants en permanence est une mère indigne ? C’est drôle, ce profil me ressemble étrangement ainsi qu’à la grande majorité des mères que je connais. Moi je dirais plutôt que c’est une mère équilibrée qu’une mère indigne mais bon. Nous sommes toutes la mère indigne de quelqu’un (notons cependant que ce sont surtout les mères qui sont indignes, quid des pères ?). Sans compter que ces derniers temps c’est devenu furieusement tendance d’avouer ses petits travers parentaux et de se présenter ainsi comme « indigne ». Evidemment je suis la première à rire comme une baleine en lisant certains récits, mais ne va-t-on pas un peu trop loin dans cette mode du mauvais parent, où le moindre écart à une norme supposée devient une marque d’indignité ? Soyons francs, ces parents qui revendiquent haut et fort leur supposée incompétence ne font rien qui leur vaudrait une visite de la PMI. Et les vrais parents indignes, eux, ne font heureusement rire personne.

Il me semble que le principal problème auquel le parent est confronté est de faire un compromis permanent entre les besoins de toute la famille. Selon le côté vers lequel on fait peser la balance, on sera un parent indigne ou un parent sacrificiel. La vraie question pour moi ce n’est pas ce que l’on fait ou pas, mais pourquoi on le fait. Un petit exemple : en ce moment j’allaite Pouss2 et il dort avec nous. Les uns diront que je suis une mère anti-féministe, qui se laisse mener en bateau par un petit tyran (qui n’a pas 2 mois), les autres penseront que je suis une mère trop fusionnelle et castratrice qui étouffe ce pauvre enfant et l’utilise comme prétexte pour m’éloigner de son père (je caricature à peine). Or quelle est la principale motivation pour cet arrangement nocturne ? La qualité (et la quantité) de mon sommeil. Même si je partageais les levers nocturnes avec le Coq, ça ferait déjà trop pour ma flemme. D’ailleurs comme je gère Pouss2 pour la nuit, c’est lui qui se lève quand Pouss1 fait un cauchemar, hé hé. Voilà comment une même situation peut me faire passer pour une mère indigne ou bouffée par ses gosses. Moi j’ai simplement l’impression d’avoir trouvé un bon compromis qui permet de satisfaire les besoins de tout le monde. Compromis que je n’hésiterai pas à remettre en cause dès que l’un de nous n’en sera plus satisfait (et qu’il fera moins froid la nuit). Alors qui est égoïste : la mère qui allaite parce que c’est pour elle un vrai plaisir ou celle qui donne des biberons pour que son mari se lève la nuit ? la mère qui a arrêté un travail peu valorisant dont le faible salaire suffisait juste à payer les frais de garde ou celle qui s’épanouit dans le poste de ses rêves pendant que ses enfants sont à la crèche ?

Personne ne peut décider à votre place de ce qui vous conviendra ou pas. Et je rejoins tout à fait Elisabeth Badinter quand elle dit que nous ne sommes pas un troupeau. J’ajouterai même que nos enfants et nos hommes non plus. Mais si je peux donner un conseil aux autres parents, c’est justement de surveiller la balance et de ne pas oublier leurs propres besoins (et si vous avez lu Gordon vous savez que ce n’est pas incompatible avec le respect des besoins des autres). Les enfants ont tendance à être ingrats (en particulier à l’âge éponyme) et il ne faut pas s’attendre à ce que devenus adultes ils soient éperdus de reconnaissance pour ce que vous leur avez sacrifié (cela s’applique aussi à votre employeur d’ailleurs). D’ailleurs ils trouveront toujours quelque chose à vous reprocher (y compris d’être si parfait qu’ils ne trouvent rien à vous reprocher, ce qui est extrêmement frustrant). Et pour eux, je pense que ce n’est pas d’avoir tel ou tel lait, telle ou telle couche, ou tel ou tel temps de présence parentale qui est important, mais bien d’avoir du lait, d’être propre et d’avoir des parents qui les aiment. Bien sûr, on a maintenant des données et des arguments qui nous permettent de savoir quelles sont les options les meilleures de façon générale (c’est-à-dire que statistiquement c’est mieux mais au cas par cas pour certains ça ne change pas grand chose alors que pour d’autres c’est une énorme différence), et nous ne pouvons pas les ignorer ou les réfuter juste parce qu’elles ne nous arrangent pas. J’essaie d’ailleurs sur ce blog de partager des informations et des réflexions pour avancer en ce sens, en limitant autant que possible la culpabilisation. Mais faut-il pour autant faire le grand chelem du parent parfait, si c’est au détriment de son équilibre personnel ? Je ne le pense pas. A chacun ses priorités, ses envies, ses besoins, et à chaque famille ses compromis.

Si c’est ça être un parent indigne, alors vive l’indignité !

Photo : mère indigne ou mère stupide ? (on fait de la philosophie par ici, mais oui)

Les instincts maternels

mardi, janvier 13th, 2009

instincts_maternels La lecture de L’amour en plus, d’Elisabeth Badinter, m’avait donné envie d’en savoir plus sur la question de l’instinct maternel. Je me suis donc plongée dans Les instincts maternels, de Sarah Blaffer Hrdy (titre original : Mother Nature. A History of Mothers, Infants and Natural Selection). Autant vous le dire tout de suite, je n’ai pas été déçue. Ce livre est absolument passionnant, et je le recommande à tous : femmes, hommes, parents, non parents. Et bien qu’extrêmement bien documenté et fouillé, avec de solides références scientifiques, il me semble plutôt abordable et agréable à lire pour le novice. Primatologue et anthropologue, Sarah Blaffer Hrdy (non, je ne sais pas comment ça se prononce) rassemble notre connaissance des animaux (et en particulier des primates) et des hommes à travers le monde, à la lumière de la sociobiologie, pour comprendre la part de notre biologie dans notre comportement autour de la reproduction. En gros, on peut dire qu’elle essaie de dégager la base commune à tous les Homo sapiens sapiens de ces comportements, hors des modifications culturelles. Ou encore : l’homme a-t-il un « programme naturel » ? Et si oui, quel est-il ?

Je trouve ce type d’approche incontournable, car comment pouvons-nous exercer notre libre arbitre si nous ne connaissons pas nos motivations archaïques, celles qui sont inscrites au plus profond de notre être ? Attention, loin de moi (et il me semble de S. Blaffer Hrdy) l’idée de dire que nous devons suivre à la lettre ces instincts, puisque d’une part ils ont évolué dans des conditions qui ne sont pas celles que nous connaissons actuellement (et donc ne sont peut-être plus optimaux aujourd’hui), et d’autre part ce n’est pas pour rien que nous sommes doté de la capacité d’aller à l’encontre de ces instincts justement. Et puis pour quiconque est intéressé par le maternage, et veut agir suivant ses instincts, je trouve que ce type de mise en perspective est presque indispensable. Cela peut être aussi le moyen de clouer le bec à un certains nombres d’idées reçues sur le sujet, comme nous allons le voir.

Rappelons aussi que la théorie de la sélection de groupe, selon laquelle notamment les individus agiraient « pour le bien/la préservation de l’espèce », a été écartée il y a quelque temps déjà, même si elle ressort régulièrement deci delà. La vision actuelle de l’évolution est plus proche de celle de Richard Dawkins dans Le gène égoïste (autre lecture que je vous recommande) : en gros les individus agissent pour in fine maximiser la reproduction de leurs gènes et c’est tout. L’espèce, rien à carrer.

Ceci étant dit, il n’est pas question de faire ici un compte-rendu exhaustif de ce livre, que j’engage plutôt chacun à lire lui-même, même si je ne résiste pas à vous citer quelques unes de ses conclusions. Une des idées importantes développées est que les humains, comme la plupart des êtres vivants, et notamment ceux dont la reproduction est très coûteuse (grands mammifères principalement), ont toujours eu recours au planning familial. L‘allaitement est notamment un bon moyen d’espacer les naissances (même si ça n’est pas toujours très fiable, voir par exemple ce feuillet de la Leche League pour plus de détails) : en effet un jeune enfant est un lourd fardeau pour la mère (rappelons qu’un allaitement exclusif coûte environ 500 calories par jour, ce qui est deux fois plus que la grossesse au troisième trimestre), et en assumer deux à la fois risque d’entraîner la mort des deux, voire de la mère (on parle ici des conditions préhistoriques lors de l’évolution des hominidés, pas de notre société occidentale où la bouffe coule à flots). En parallèle, la condition physique de la mère détermine également sa fécondité : pas assez de graisse, trop d’efforts physiques peuvent arrêter l’ovulation (actuellement on retrouve cette influence dans les aménorrhées plus fréquentes chez les anorexiques et les sportives de haut niveau, notamment marathoniennes).

Toutes ces dispositions n’empêchent pas qu’un enfant puisse arriver à un moment où la mère ne peut s’en occuper, et là l’auteur accumule un faisceau de preuves assez convaincant pour montrer que l‘infanticide est bien plus répandu qu’on le croit, dans le monde animal mais également chez les humains, et aussi bien les bons sauvages bien connectés à leurs instincts que les bons Chrétiens allant à l’église tous les dimanches. Par infanticide on recouvre ici une large palette de comportements plus ou moins actifs : abandon, envoi en nourrice, non allaitement (on parle là d’un contexte où l’allaitement est essentiel à la survie de l’enfant, pas de l’Occident au XXIème siècle)… L’enfant humain est en effet si dépendant qu’il suffit la plupart du temps que sa mère s’en désintéresse pour qu’il meure, sans qu’elle ait à lui porter activement un coup fatal.

C’est dans cette décision que le cerveau conscient intervient : la mère peut évaluer au mieux en fonction des conditions actuelles les chances de survie de l’enfant, et si il vaut le coup qu’elle consente à l’énorme investissement qu’il demande. Parmi les critères de décision se trouvent aussi bien des facteurs extérieurs (ressources, aide dont pourra bénéficier la mère…) que propres à l’enfant (santé, sexe, malformations, poids…). L’auteur note ainsi que les nouveaux-nés humains sont extrêmement gras par rapport aux autres petits primates, et que les adultes ont tendance à trouver cette graisse séduisante (par exemple, on dit « un beau bébé » pour  un bébé bien potelé) ; or la survie d’un bébé est notamment corrélée à son poids de naissance, indépendamment de sa prématurité éventuelle (même si c’en est aussi un indicateur).

Par ailleurs, l’infanticide n’est pas l’apanage des mères : les hommes peuvent également y avoir recours, notamment lorsqu’ils veulent qu’une femme allaitant un enfant qui n’est pas le leur redevienne fertile. Ce serait d’ailleurs l’explication à la peur des inconnus manifestée par les tout petits : crainte du mâle infanticide. L’auteur note que cette peur est innée, contrairement à celle des prédateurs qui est apprise auprès des parents. Enfin, il est bien entendu que l’explication des comportements infanticides par la biologie et l’évolution n’en est pas une justification morale ; les moyens modernes de contraception sont un moyen bien plus acceptable d’organiser le planning familial, qui semble lui incontournable (à part chez les Duggar…).

Un autre élément intéressant est que l’élevage d’un enfant, et en particulier d’un nouveau-né, requiert tellement d’énergie et de calories qu’il ne peut pas être assumé par une mère seule (toujours dans les conditions préhistoriques…) : celle-ci doit bénéficier de l’aide d' »allomères », qui peuvent être des femmes de sa famille (plus jeunes qui s’entraînent ou au contraire grands-mères qui veillent sur leur descendance) ou des hommes (généralement le ou les père(s) potentiel(s)). Cette aide peut se manifester de plusieurs façons : garde de l’enfant pendant que la mère cherche de la nourriture, ou au contraire aider la mère à trouver plus de ressources, avec toutes sortes de situations intermédiaires, en lien direct avec l’organisation de la société considérée (matrilinéaire, patriarcale, polygame, etc). L’auteur note d’ailleurs que la monogamie est un bon compromis (le meilleur ?) pour l’ensemble des parties (père, mère et enfant).

L’explication des comportements altruistes des allomères se trouve dans la sélection de parentèle : il est rentable d’aider la descendance d’une personne de votre famille (donc qui partage une certaine proportion de vos gènes) si le coût qui vous incombe est inférieur au bénéfice que vous en retirez, pondéré par votre lien de parenté. De façon plus générale, l’explication des comportements altruistes est loin d’être  incompatible avec la théorie du gène égoïste, même si c’est assurément un des grands défis de cette science.

L’auteur nous parle également d’attachement et revient notamment sur l’opposition historique entre féministes et théoriciens de l’attachement, les premières reprochant aux seconds de vouloir les enfermer aux fourneaux avec les mômes. Mais nous ne pouvons pas rejeter une théorie aussi bien étayée juste parce qu’elle ne nous arrange pas ou parce que certains de ses tenants ont des tendances machistes. Oui, les enfants, comme les autres petits primates, sont des créatures d’attachement, qui en plus de sécurité physique ont besoin de sécurité émotive. Je ne résiste pas à vous citer ce passage :

Les bébés n’ont aucun moyen de savoir que la mère qui est partie travailler n’est pas morte, que les tigres à dents de sabre ont disparu, les jaguars sont plutôt rares, l’abandon illégal, et que très peu de mères modernes envisagent cette dernière solution. Car les bébés sont conçus pour être comme si les biberons n’avaient jamais été inventés, et aucune loi jamais votée.

Avant qu’Elisabeth et Marianne n’accourent, je précise tout de suite que Sarah Blaffer Hrdy (tout comme Gordon Neufeld) nous rappelle que ce n’est pas parce que cette réalité est incontournable que les femmes doivent rester au foyer : le vrai défi est de trouver des modes de garde de qualité qui permettent de développer une bonne relation d’attachement entre l’enfant et ses parents. Voir cet autre passage :

Si de multiples gardiens sont impliqués tôt dans la vie, il arrive souvent que l’enfant en choisisse un avec qui former une relation primaire. Pourtant, les enfants sont assez flexibles sur ce point. Tous les gardiens précoces deviennent les équivalents émotionnels de la parenté. Tout gardien est capable de passer le message que recherchent désespérément les bébés  – « On veut bien de toi et on ne te laissera pas tomber » – message qui suscite le sentiment de sécurité de l’enfant – une épée à double tranchant lorsqu’une allomère disparaît soudain.

[…] Ils [les théories de Bowlby, le pape de l’attachement] ne découragent pas les mères d’avoir recours aux crèches, mais ils poussent fortement à ce que la crèche ressemble à la famille, avec une série stable de personnages et une atmosphère qui offre à l’enfant un sentiment d’appartenance.

Notons aussi que les hommes semblent tout aussi capables de materner que les femmes : la seule différence (mis à part les nénés) est qu’ils réagissent à un seuil de stimulation des demandes de l’enfant un peu plus élevé que celui des femmes. Et donc, comme la femme réagit en premier, c’est toujours elle qui s’occupe de l’enfant et finalement les capacités de parentage masculine restent latentes dans la plupart des cas (mais rien d’irréversible, qu’on se rassure). Donc Mesdames, bouchez-vous les oreilles et laissez Monsieur se lever.

Pour en revenir à l’attachement et au lien si particulier qu’il entraîne, notamment entre la mère et son enfant, comment expliquer l’infanticide maternel malgré ce lien ? Il faut donc savoir que le lien n’est pas automatique à la naissance, mais se construit au fur et à mesure. L’infanticide, quand il a lieu, se produit donc généralement dans les heures suivant la naissance, et plus la mère passe de temps avec l’enfant et plus la probabilité qu’elle l’abandonne diminue. Ceci dit, l’auteur insiste pour qu’on évite la confusion entre l’attachement, dont la construction chez l’humain est subtile et progressive, et l’empreinte, qui caractérise plutôt les oisons de Konrad Lorenz qui considèrent comme leur mère la première chose qu’ils voient en sortant de l’oeuf. Par exemple, le peau à peau mère-enfant juste après la naissance est reconnu pour favoriser grandement l’établissement de ce lien (et l’allaitement) mais ce n’est une condition ni nécessaire, ni suffisante, pour l’un comme pour l’autre.

Bref, il y aurait encore bien des choses passionnantes à vous raconter, mais après avoir renouvelé mon emprunt à la bibliothèque, je crois que je vais l’acheter…

Maternage, écologie et féminisme

mardi, décembre 2nd, 2008

L’article de Marianne a jeté un pavé dans la mare : et si le maternage et l’écologie étaient anti-féministes ? La question est intéressante, mais hélas tellement mal traitée qu’on ne peut pas en ressortir grand chose. Caricatural, l’article est entièrement à charge et aligne les contre-vérités et les approximations, sans nuance ni conscience de la complexité de la situation. J’ai beaucoup de respect pour Elisabeth Badinter, mais là elle est franchement à côté de la plaque. Au-delà de la méthode déplorable (dans la flopée de commentaires sur le site du magazine, une des femmes interviewées se plaint que la « journaliste » ait déformé ses propos), le problème sous-jacent à mon avis est d‘opposer a priori le bien-être de l’enfant à celui de la mère. Ou la femme se sacrifie pour sa progéniture, ou au contraire elle la sacrifie à l’autel de son égoïsme. Et selon les époques, le balancier passe de l’un à l’autre, mais c’est toujours plus ou moins l’un OU l’autre. Eh bien moi je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas optimiser les deux à la fois. Ne dit-on pas que l’enfant a besoin d’une mère épanouie pour s’épanouir ? Et à l’inverse, croit-on vraiment qu’une mère sera heureuse si ses enfants sont malheureux ?

Regardons un peu plus au Nord : les pays scandinaves sont réputés à la fois pour leur avancée en matière de droits des femmes (les Parlements les plus féminisés du monde en 1999 sont ceux de la Suède avec 42% de femmes, du Danemark, de la Finlande et de la Norvège, la France n’étant que 52ème avec 10,9 %) et des droits de l’enfant (pionniers dans les lois d’abolition de la fessée, plus de 90% d’allaitement maternel). Et en plus ils sont écolos. Si vous ajoutez à cela que les gens y seraient heureux (alors que l’hiver là-bas doit être encore plus déprimant qu’ici), que leur modèle socio-économique fait baver le reste de la planète, et qu’ils ont inventé Ikea, on finit par se dire qu’il faudrait peut-être tenter de s’en inspirer, non ? Alors certes tout n’est pas directement transposable chez nous, notamment pour l’écologie et le modèle socio-économique, mais concernant la périnatalité ? Les taux de natalité par exemple sont comparables, aux alentours de 2 enfants par femme si on en croit cette carte (même si moins élevés qu’en France qui est vice championne d’Europe). Et cette étude nous indique que la France comme les pays scandinaves est un des rares endroits d’Europe où les femmes sont à la fois très présentes dans le monde du travail et (relativement) très fécondes.

Une autre hypothèse sous-jacente qui me pose problème, c’est qu’on suppose que les clés du bonheur sont universelles. Il y a évidemment un socle commun (genre mieux vaut être riche et en bonne santé que pauvre et malade…), mais le paradis des uns peut tout à fait être l’enfer des autres. A toute mère (ou future mère) qui se pose la question de travailler ou de se consacrer à ses enfants, je suggère de lire cet article publié sur le blog des (Z)imparfaites. C’est une histoire de tripes : on le sent ou on le sent pas. Dans les deux cas, il ne faut pas se forcer. Le problème étant que même si nous vivons dans un pays où notre liberté individuelle est à peu près garantie, le choix n’est pas toujours vraiment possible. Comment retourner au travail si vous ne trouvez pas de façon satisfaisante de faire garder vos enfants ? Et comment s’y consacrer exclusivement si ça implique des fins de mois difficiles ?

Ce qui aliène les femmes, ce n’est pas d’allaiter ou de donner le biberon, ce n’est pas de rester avec leurs enfants ou de faire son trou dans un monde du travail fait par et pour les hommes.  C’est qu’on leur dise d’emblée quoi faire ou ne pas faire, qu’on les prive de faire elles-mêmes des choix mûrement réfléchis (ou du fond de leurs tripes, ça marche aussi), soit parce qu’elles n’ont pas toutes les informations, soit parce que certaines options leur sont en pratique interdites.

Et surtout, surtout : où sont les pères dans ces débats ? Voilà ce qui me gêne dans le terme de maternage : ça n’implique que la mère. Les Anglo-saxons parlent d’attachment parenting, nous devrions plutôt parler de parentage (mais c’est assez moche). OK, ce sont les femmes qui ont les utérus et les seins, mais il n’y a pas que ça ! Qu’une mère allaite n’empêche pas le père de prendre le bébé en peau à peau, de le porter, de dormir avec lui, de le laver, de lui changer ses couches (et de les laver…), de lui faire des purées, de le consoler, de le câliner et encore bien d’autres choses ! Tant qu’ils ne sont pas conflictuels, les liens d’attachement peuvent tout à fait se cumuler : un enfant peut être attaché à sa mère, à son père, à sa nounou, à ses grands-parents… Au risque de passer en mode bisounours : l’amour se multiplie, il ne se divise pas.

Les pères ont une grande responsabilité, car certains aménagements du monde du travail (temps partiel, congé parental, etc) ne deviendront vraiment acceptables et acceptés que quand ils ne seront plus que des histoires de bonnes femmes, mais quand les hommes s’y mettront aussi. Pour cela, il faut aussi que nous (les femmes) leur laissions prendre leur place, qu’on accepte qu’ils ne sont pas nos clones mais que même s’ils font les choses à leur façon, au moins ils les font !

Finalement je vois que je n’ai pas beaucoup parlé d’écologie, mais en fait je ne vois pas bien le rapport. Il est clair que beaucoup de femmes, et de couples, connaissent une vraie prise de conscience à l’arrivée de leur premier enfant, et tant mieux ! Je ne suis pas une militante acharnée, loin de là, mais travaillant pour l’Etat dans le domaine de l’environnement je peux vous confirmer que oui, l’écologie est un vrai problème, et que non, le changement climatique n’est pas un mythe (et qu’on peut encore tenter d’en limiter l’ampleur). Et à mon humble avis, une fois que le coût réel d’un certain nombre de produits sera intégré (c’est-à-dire la compensation pour les dommages causés à l’environnement tout au long du cylce de vie des produits), nous reverrons en profondeur notre façon de faire. On peut se planter la tête dans le sable et attendre de se prendre le changement de plein fouet, ou s’y préparer progressivement, en tentant de modifier en douceur quelques habitudes. Je ne dis pas ça pour vous faire la morale et vous culpabiliser (d’ailleurs moi-même je suis très loin d’être Ste Ecolo), mais parce que c’est inéluctable. Et nous faisons tous les jours l’expérience que ce n’est absolument pas incompatible avec une vie professionnelle.

Demain je vous ferai part de quelques idées pour améliorer la vie des femmes ET des enfants à la fois.

L’amour en plus

lundi, décembre 1st, 2008

N’allez pas croire que je ne lis que des magazines (y compris people). Sur les conseils d’un des rares commentateurs masculins de ce blog (le copain de la poule sage-femme ou CDLPSF pour les intimes), j’ai lu L’amour en plus, d’Elisabeth Badinter. Épouse du plus grand garde des sceaux connu par la France -avec qui elle a eu trois enfants-, elle est philosophe et féministe. Elle a récemment fait couler beaucoup d’encre (virtuelle) suite à des propos tenus dans le magazine Elle, puis dans le fameux article de Marianne, où elle interprète comme un retour en arrière la tendance croissante des femmes à s’investir plus dans la maternité (allaitement prolongé, congé parental, refus de la pilule…). Nous y reviendrons plus tard (probablement demain) et cela ne nous empêche pas de nous intéresser au travail historique réalisé par la philosophe dans L’amour en plus.

L’auteur y brosse l’évolution de l’amour maternel en France, ou plus exactement de la façon dont les femmes se sont occupées de leurs enfants du XVIIème au XXème siècle (le livre date de 1980). Ce travail historique lui permet finalement d’argumenter la thèse selon laquelle l’instinct maternel est une invention de la société patriarcale et misogyne pour enfermer les femmes au foyer, enfouies sous les couches sales. Autant vous prévenir tout de suite, ce livre est assez déprimant : la condition des femmes et des enfants jusqu’à la fin du XXème siècle n’est pas très reluisante.

La description des pratiques de mise en nourrice fait froid dans le dos. Le nouveau-né de quelques jours était envoyé à la campagne rejoindre la première nourrice qu’on trouvait (et apparemment on mettait plus d’application à choisir son palefrenier ou sa cuisinière), puis on ne voulait plus en entendre parler jusqu’au sevrage. La nourrice elle abandonnait ou délaissait souvent son propre nouveau-né pour privilégier les soins de son petit pensionnaire. Ce dernier, lorsqu’il repartait sans transition vers sa famille « de sang » qu’il n’avait jamais connue, se voyait alors rapidement renvoyé en pension. Ces pratiques n’étaient pas l’apanage des riches indolentes mais étaient également répandues dans les classes populaires où les femmes ne pouvaient pas travailler avec leurs enfants. En plus, à l’époque, l’enfant était considéré au mieux comme quantité négligeable et méprisable, au pire comme le porteur du pêché originel, un être vicieux à réformer d’urgence (d’après saint (??) Augustin : « Si on lui laissait faire ce qui lui plaît, il n’est pas de crime où on ne le verrait se précipiter. » Finalement Naouri est assez soft non ?).

En 1762, Rousseau (vous savez, celui qui a abandonné tous ses enfants…) publie Emile, ou de l’éducation, qui marque un changement de paradigme et une évolution des moeurs : les créations de la Nature sont pures, c’est la société qui les dévoie. Comme il le dit dans l’Emile : « Posons pour maxime que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain. Il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il est entré. »

On déterre alors le concept d’amour maternel, qui avait été largement nié jusque là, pour faire pendant à l’autorité paternelle. Cette dernière avait été valorisée pour produire des sujets dociles au Roi (puisque dociles à leur père, représentant du Roi dans le foyer). Cependant le désintérêt pour le devenir des enfants avait entraîné des records de mortalité infantile, et face à la catastrophe démographique le salut passera par le réinvestissement des mères dans la survie de leur progéniture. Les penseurs (toujours des hommes bien sûr) décidèrent que les femmes du XVIIIème siècle étaient des anormales qui avaient tourné le dos à la nature, au lieu de prendre exemple sur les femelles animales qui elles s’occupent bien de leurs petits (et je rejoins Elisabeth Badinter sur ce point : ce n’est pas parce qu’on est des mammifères qu’on doit nous comparer à des chattes ou à des chiennes).

L’allaitement maternel devient alors un enjeu crucial (notez qu’à l’époque il était opposé à l’allaitement par la nourrice, pas aux laits infantiles qui n’existaient pas -même si on trouvait déjà l’ancêtre du biberon qui faisait des ravages sanitaires). On promet aux mères qui le pratiquent qu’elles seront belles, aimées de leur mari, heureuses, qu’elles feront des économies et seront montrées en exemples de vertu. Qu’elles refusent et gare à elles : la rétention du lait maternel les rendra malades (voire les tuera) et Dieu les rejettera.

Évidemment tout ceci est plutôt positif pour les enfants, dont la position sociale a connu un bouleversement complet. Mais était-il pour autant nécessaire d’en charger entièrement et uniquement la mère (celle-ci étant même responsable du comportement du père : si celui-ci ne tient pas bien son rôle, c’est qu’elle-même n’assure pas bien le sien) ? La femme qui veut travailler ou même s’instruire intellectuellement est d’ailleurs très mal vue à l’époque. Ce n’est pas le fait que la mère s’occupe de ses enfants qui est choquant, mais bel et bien qu’elle n’ait pas d’autre issue. Sans compter la conception de la femme comme un être inférieur (largement illustrée par des citations à dresser les cheveux sur la tête) sous-jacente à cette morale.

Je pense qu’il est vraiment intéressant, voire crucial, d’avoir connaissance de ce (lourd) passé, qui n’est à ma connaissance pas enseigné dans les écoles. Il me semble aussi que cela permet de mieux comprendre les dernières interventions d’Elisabeth Badinter, sans pour autant adhérer à tous ses propos. Enfin le livre défend la thèse selon laquelle l’amour (ou plutôt l’instinct ?) maternel n’existe pas. A mon humble avis, ce concept d’amour maternel est en fait celui d’attachement (dont nous avons déjà parlé en ces lieux). Or nous savons maintenant que l’établissement de ce lien entre la mère et l’enfant est le fruit d’interactions complexes, tant hormonales (voir par exemple le rôle de l’ocytocine) que psychiques. Un contact quasi-permanent avec le nouveau-né juste après la naissance est notamment un facteur important : si l’enfant est séparé de sa mère à peine sorti du ventre pour être envoyé en nourrice à la campagne et qu’elle n’en entend pour ainsi dire plus parler pendant deux ou trois ans, il est certain que ça ne favorise pas vraiment l’établissement d’un vrai lien d’attachement.

En farfouillant sur le net, j’ai trouvé cet article sur le sujet (que je vous invite à lire), qui s’appuie sur les thèses développées par Sarah Blaffer Hrdy dans Les instincts maternels. Primatologue, et anthropologue, mais aussi féministe, celle-ci revisite la question en s’appuyant sur des données scientifiques plutôt qu’historiques. Autant vous le dire tout de suite, ce livre est bien placé dans ma liste « à lire », et en plus il est à la bibliothèque. Promis, je vous raconterai.