La poule pondeuse a lu pour vous : Dolto en héritage, d’Edwige Moitié Antier, tomes 1 (Tout comprendre, pas tout permettre) et 2 (Fille ou garçon : la naissance de l’identité sexuelle).
Constatant une mauvaise interprétation des paroles et écrits de Françoise Dolto, la pédiatre médiatique (même si elle se serait volontiers passée d’une certaine publicité…) a animé une série d’émissions sur France inter pour réhabiliter les théories mises à mal de la célèbre psychanalyste (et mère de Carlos, hi hi hi). Les deux livres dont je vous parle ici sont une compilation de ces chroniques, avec force témoignages d’auditeurs et d’enfants, ainsi que des citations exhaustives de Dolto. La lecture en est donc plutôt agréable : pas de longues digressions, beaucoup de cas concrets.
Pour le contenu, autant vous le dire tout de suite, j’ai plutôt accroché. A part le côté très psychanalyse qui ramène tout au zizi (genre « les mamelles péniennes de la femme »), ce qui me gonfle un peu. Et -comme souvent avec ce genre de bouquin- on se sent un peu coincé après la lecture, craignant que chaque mot ou chaque silence ne déclenche une psychose majeure chez son poussin. Mais je trouve plutôt rassurant de ne pas tout trouver génial et parfaitement approprié, ça prouve que mon esprit critique fonctionne encore.
Qu’est-ce qui m’a plu ? Edwige Antier se place du côté des enfants, et développe son discours en visant en priorité le bien-être de ceux-ci. C’est dans la droite ligne de Dolto, qui a été une des premières à faire comprendre à tout un chacun que le bébé est une personne. Et elle est aussi résolument du côté des mères, essentielles au bon développement du tout petit. Elle trouve même moyen de critiquer au passage notre ami Aldo (qui lui a par contre engendré le chanteur mythique Laurent Naouri, comme quoi… pendant que j’y suis dans la catégorie Voici saviez-vous que Georges Pernoud est le neveu de Laurence ?).
Le premier tome est celui qui intéressera le plus de monde, le deuxième étant plus dédié aux familles « atypiques », c’est-à-dire recomposées, homoparentales, adoptantes, bref toutes celles où on n’a pas « papa + maman = bébé » à l’ancienne. Je vais d’ailleurs surtout vous parler du premier, car me sentant moins concernée par le second je n’ai pas forcément l’esprit critique aussi affûté.
Alors que nous dit Edwige ? Voici un peu en vrac quelques uns des messages du livre :
- Il ne faut pas tout dire à l’enfant, mais seulement ce qui concerne sa vérité (inutile d’aller jusqu’à mentionner s’il a été conçu en missionnaire ou en levrette -par ici les bonnes recherches google !). Pas la peine de se croire obligé de détailler minutieusement avec force justifications chaque étape du quotidien.
- Comment restaurer l’autorité paternelle ? Il ne faut pas faire du père un croque-mitaine qu’on invoque à grands coups de « tu verras quand ton père rentrera » ; c’est en étant complice avec ses enfants que le papa assiéra naturellement son autorité. Par ailleurs, la meilleure façon pour le père de faire respecter la mère de ses enfants est de la respecter lui-même et de bien montrer à Junior à quel point il tient à sa femme. Donc Messieurs, au lieu de gronder et de claquer vos petits monstres, offrez plutôt des fleurs à Madame (autant vous dire que j’ai adoré cette partie-là).
- A propos d’autorité, Edwige Antier insiste bien sur le fait qu’on ne peut pas tout permettre (ben oui c’est dans le titre), et privilégie les « time-out » (un peu comme dans Super Nanny quand les enfants doivent rester 5 minutes assis sur une marche) aux cris et fessées qu’elle désapprouve. Elle nous cite même une étude américaine montrant la nocivité des châtiments corporels sur le développement des enfants (qui deviendraient sournois, menteurs, violents et en échec scolaire). Malheureusement, elle n’en donne pas la référence et la résume en quelques lignes.
- Pour elle, le concept d’autonomie de l’enfant tel que développé par Dolto a été largement dévoyé ces dernières années. Certes, le but de l’éducation est d’emmener l’enfant vers son autonomie, mais à son rythme. Ainsi, la mère doit pouvoir l’allaiter tant qu’elle le sent nécessaire et est encouragée à dormir avec lui. La maternelle à deux ans lui semble aberrante. Par contre il peut être sain de remettre en cause ce type de pratiques fusionnelles si elles conduisent à un gros déséquilibre dans la famille (par exemple une mère qui continue à dormir avec son enfant pour ne pas reprendre de vie sexuelle avec le père, ou un père qui dort avec sa fille pré-adolescente depuis que sa femme est morte). Il n’est effectivement jamais profitable d’instrumentaliser son poussin pour gérer sa vie de couple.
- Le corollaire de cette observation est que la société met les femmes en situation de choisir entre féminisme et maternisme, c’est-à-dire entre avoir son indépendance, notamment par le travail, et pouvoir combler les besoins essentiels de son enfant. Ce qui est dommage, c’est qu’elle ne présente pas vraiment de revendication concrète pour pallier cette lacune. Dans le même sens, la mise en place d’une garde alternée avant les cinq ans de l’enfant n’est pour elle pas saine pour celui-ci : avant cet âge il a avant tout besoin de sa mère. Ainsi, le père facilitera paradoxalement la séparation ultérieure s’il ne brusque pas le rythme de la mère, et celle-ci reconnaissante lui confiera d’autant plus facilement l’enfant.
- Avant huit ans, un enfant ne ment pas. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne prononce jamais de paroles clairement en contradiction avec la réalité, mais plutôt qu’il est toujours sincère, même si c’est plutôt dans ses sentiments que dans la description de faits objectifs. Ainsi, il ne faut pas traiter un petit de menteur (il risquerait fort de vouloir coller à cette étiquette par la suite), mais plutôt essayer de comprendre le message qu’il cherche à faire passer par son histoire. Lorsque l’enfant relate des faits graves (comme une agression pédophile), il ne devrait être entendu qu’une seule fois, et par une personne apte à recueillir sa parole (ce qui ne semble hélas pas être le cas). Quoi qu’il en soit, une grande importance doit être accordée à ce que dit et exprime l’enfant, qui doit pouvoir sentir à tout moment qu’il peut compter sur les adultes pour le comprendre et l’aider. Et pour les cas plus légers, faire gentiment comprendre à l’enfant qu’il y a le « vrai pour de vrai » et le « vrai pour de rire ».
- Il faut respecter la pudeur naturelle des enfants, surtout à partir de trois-quatre ans, tant en les encourageant à se couvrir un minimum (et en évitant de les découvrir à tout propos) qu’en évitant de leur exhiber nos parties intimes en permanence. Elle désapprouve également les baisers sur la bouche. Tout ça me semble plus faire partie du domaine personnel et de l’équilibre d’une famille, mais après tout je ne suis ni pédiatre ni psychanalyste (et je n’ai aucune envie d’embrasser mon fils sur la bouche…). Il est cependant important que ce type de message soit bien intégré dans les lieux d’accueil des enfants (écoles, centres aérés, etc).
- Lorsque la fratrie s’agrandit, il faut valoriser l’aîné et ses capacités de « grand » et surtout ne pas lui demander d’aimer le nouveau venu. Expliquer au grand qu’on s’occupe du petit pour qu’il puisse apprendre à faire autant de choses que lui, de la même façon qu’on s’est occupé de lui quand il était petit.
Si vous voulez vous faire une petite idée par vous-même à moindre prix, on peut trouver ici une interview d’Edwige Antier à propos du bouquin. J’en profite aussi pour vous mettre un lien vers un vieil article de l’Express sur les nouveaux Dolto (merci à Gaëlle).