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Quand la grossesse n’est pas désirée : que faire ?

mardi, novembre 27th, 2012
 Après le touchant témoignage de Nanette, je vous propose de faire le point sur la situation des grossesses non désirées et des alternatives disponibles pour les femmes.
Malgré l’arsenal contraceptif disponible pour les couples occidentaux, les grossesses non souhaitées restent une réalité. Mauvaise information sur la contraception et la fertilité, méthode de contraception inadéquate et/ou mal appliquée (comme le dit l’INPES, la meilleure contraception c’est celle qu’on choisit -pas celle que le gynéco a l’habitude de prescrire…), ou tout simplement malchance (aucune contraception n’est fiable à 100%) sont autant de raisons pouvant expliquer la relative stabilité des interruptions volontaires de grossesse (IVG) au cours des années (un peu plus de 200 000 par an en France, à mettre en regard des 800 000 naissances). Bien sûr, toutes les grossesses non plannifiées ne conduisent pas à un avortement ; certaines femmes (en couple ou seules) choisissent de garder l’enfant, d’autres encore mènent la grossesse à terme mais abandonnent l’enfant à la naissance (ainsi l’accouchement sous X concernait 680 femmes en 2009 d’après l’INED).Il peut sembler paradoxal de parler de grossesse non désirée dans un blog pour parents, mais comment passer sous silence un acte qui concernerait jusqu’à 40% des femmes françaises ?

Quelles options ?

Concrètement, différentes options s’offrent aux femmes qui ne souhaitent pas poursuivre une grossesse, en fonction notamment du terme auquel elles se trouvent.
  • Echec avéré ou soupçonné de la contraception : oubli d’un comprimé de pilule quelques jours avant ou après un rapport sexuel, déchirure du préservatif, perte du DIU (dispositif intra utérin, nom officiel du stérilet)… ou tout simplement rapport non protégé. Un simple passage à la pharmacie permet de se procurer la “pilule du lendemain” (appelée “plan B” par les Anglo-saxons) sans ordonnance. Plus elle est prise proche du rapport supposé fécondant, plus elle est efficace : il n’est donc pas idiot d’en avoir une d’avance dans sa trousse à pharmacie. Des explications détaillées sur la contraception d’urgence sont disponibles ici. Une option moins connue est la pose d’un DIU au cuivre, qui est pourtant la méthode la plus efficace, et qui a l’avantage d’être également une des méthodes les plus fiables hors de ce contexte d’urgence. Le DIU peut être posé par un médecin (généraliste ou gynéco) ou une sage-femme (même si elles sont loin d’être toutes formées à cela), y compris chez une jeune fille, une femme n’ayant jamais eu d’enfant ou une mère allaitante n’ayant pas encore eu son retour de couches. Rappelons également qu’hors cette utilisation d’urgence le DIU au cuivre a une action spermicide et qu’il n’est donc pas abortif ; quant à son cousin aux hormones il bloque l’ovulation. Dans tous les cas, que ce soit par l’absence d’ovule ou par l’absence de spermatozoïde, il n’y a généralement pas de fécondation.
  • Quand la grossesse est avérée (soit à partir de 2 semaines de grossesse SG = 4 semaines d’aménorrhée SA) : il faut passer par une IVG. En France, c’est possible jusqu’à 14 SA. Les mineures peuvent être dispensées de l’autorisation parentale si elles sont accompagnées par une personne majeure, qui a la charge de les soutenir pendant toute la procédure. En pratique, la femme doit passer par deux consultations médicales, espacées d’au moins sept jours (délai pouvant être raccourci si on est proche des 14 SA). Entre les deux est proposé un entretien dit psycho-social, qui est obligatoire pour les mineures.

Deux techniques d’IVG sont possibles :

  • la méthode instrumentale dite “chirurgicale” qui doit être pratiquée en milieu hospitalier, sous anesthésie (locale ou générale), et qui s’accompagne généralement d’une courte hospitalisation (moins de 12 heures) : il s’agit d’une aspiration de l’embryon à travers le col de l’utérus.
  • la méthode médicale dite “médicamenteuse”, qui n’est possible que jusqu’à 7 SA mais peut être faite en ville ; concrètement la femme prend des pilules abortives et évite ainsi l’anesthésie et le geste chirurgical. Toutefois cette méthode est légèrement moins efficace et une aspiration peut s’avérer nécessaire dans un second temps en cas d’échec.

Il est regrettable de constater qu’en France les centres d’IVG sont surchargés et les délais pour obtenir une consultation s’allongent, rendant l’avortement de facto impossible dans certains cas (ainsi il peut être extrêmement difficile d’obtenir une IVG au mois d’août).

Après le délai de 14 SA, la seule option est d’obtenir une IVG dans un pays dont les délais sont supérieurs, et notamment l’Espagne (24 SA). Mais si en France l’IVG est remboursée à 80% aux assurées sociales (100% pour les mineures sans consentement parental et pour les femmes dépendant de l’aide médicale d’Etat -AME, et maintenant pour toutes), cela sera souvent plus coûteux à l’étranger.

Et après ?

Une IVG telle qu’elle est pratiquée dans les pays occidentaux par un médecin ne laisse normalement pas de séquelle physique et ne compromet pas la possibilité d’avoir ensuite des enfants (bien sûr comme toute procédure médicale celle-ci a des risques inhérents quoique faibles). Rappelons par contre que les avortements clandestins auxquels les femmes sont contraintes lorsque l’IVG est interdite s’accompagnent eux de risques avérés : infections, stérilité, voire mort de la femme. Si vous lisez l’anglais, je vous recommande ce témoignage d’une gynéco étatsunienne sur ce que peut donner un avortement clandestin dans un pays occidental. Plus généralement, on estime que 47 000 femmes meurent chaque année dans le monde des suites d’un avortement clandestin, et si vous voulez mettre des personnes derrière ce chiffre lisez ce billet de Sophie, sage-femme qui raconte son expérience humanitaire (et puis tout son blog, non mais). Et en France, avant 1975 et la loi Veil, ça se passait comme ça. L’ANAES estime qu’on est passé de 332 décès par an en 1963 à 0 à 2 actuellement. En Irlande, récemment, une jeune femme est morte faute d’avoir pu avorter.

Psychologiquement, il semble difficile de faire des généralités tant les circonstances pouvant conduire à l’avortement sont variées ; certaines font ce choix dans un contexte de pression de l’entourage (futur père, parents de la femme etc), d’autres suite à un événement traumatisant (un viol par exemple) ; et bien sûr pour beaucoup c’est la décision logique. Certaines femmes le font à contre-coeur, d’autres restent ambivalentes et pour d’autres enfin c’est une évidence. L’initiative “IVG : je vais bien, merci” recense ainsi des témoignages en ce sens. Pour autant, si l’IVG ne doit pas être présentée comme un traumatisme obligatoire (“L’institution nous oblige à pleurer”), il ne faut pas non plus en déduire qu’elle ne peut pas en être un (voir aussi cet article de G.M. Zimmermann).

On peut également déplorer un accompagnement parfois déficitaire des femmes par certains soignants, parmi lesquels persiste la vision de l’IVG comme un signe de l’irresponsabilité de la femme (incapable de prendre correctement une contraception, menant une vie à leurs yeux dissolue, privilégiant son propre plaisir à tout le reste…). En Thaïlande, où l’avortement est réservé aux cas extrêmes (viol ou risque pour la santé de la mère), les femmes qui vont consulter suite à une procédure « sauvage » qui tourne mal sont accueillies par un curetage sans anesthésie (extrêmement douloureux), voire une ablation de l’utérus, sans autre motif que de les punir. Cela peut paraître bien loin mais avant la loi Veil de telles pratiques (les curetages à vif) avaient également lieu dans les hôpitaux français, l’absence d’anesthésie n’ayant aucune justification médicale.

Appel à témoignages

Quoi qu’il en soit, les nombreuses réactions que Nanette et moi avons reçues suite à son témoignage m’ont montré que les femmes avaient un fort besoin de parole et d’échange sur ce sujet. Plus de 40 ans après le Manifeste des 343, la honte et la culpabilité sont encore trop présentes et ce n’est pas acceptable. A ma petite échelle, je vous propose donc de publier dans ces colonnes vos témoignages d’IVG. Personnellement, je trouve que ça a toute sa place sur un blog dédié à la parentalité : ce sont simplement différentes facettes d’un même sujet. Si vous souhaitez partager votre histoire, envoyez simplement un mail à lapoulepondeuse chez gmail point com. Je m’engage évidemment à protéger votre anonymat. Et désolée à l’avance pour les inévitables délais de publication dus à mon débordement chronique.

 Photo : Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale en 1974. Merci.

Les fausses-couches précoces

mardi, septembre 25th, 2012

 Après le touchant témoignage de Ficelle, et suite à vos nombreux commentaires, il me semble utile de faire un petit bilan autour de ce sujet douloureux.

D’abord un point sur la terminologie

– Une fausse-couche est une interruption spontanée de la grossesse avant le seuil de viabilité du foetus, soit 22 SA ; si elle a lieu avant 12 SA elle est dite précoce (cela représente 80% des fausses couches), après tardive
– Après 22 SA on parle de mort foetale in utero

Ici on s’intéressera uniquement au cas des fausses-couches précoces, mais si bien sûr certain-e-s souhaitent témoigner plus largement en commentaire chacun-e est bienvenu-e.

Selon les statistiques considérées, on considère qu’une grossesse a 10 à 20% de “chances” de s’interrompre spontanément. Comme le risque est le plus grand en début de grossesse et diminue progressivement, plus la grossesse est diagnostiquée précocément (ainsi certains tests permettent d’avoir une réponse avant même le retard de règles) et plus on voit de fausses couches. Certains auteurs qui définissent une grossesse dès la fécondation de l’ovocyte (avant même l’implantation de l’oeuf dans l’utérus) arrivent à des taux de 70% d’interruptions spontanées (dont la plus grande partie passe inaperçue chez les femmes).

Les causes des fausses couches

Elles sont multiples, qu’elles soient temporaires ou permanentes. On peut citer :

anomalies chromosomiques ou génétiques de l’oeuf ou de l’embryon compromettant sa viabilité ; cela peut se traduire par un oeuf clair, c’est-à-dire qu’il y a un sac embryonnaire (visible à l’échographie) mais vide : on ne voit pas d’embryon (cela concerne un tiers des fausses couches avant 8 SA). C’est la cause la plus fréquente (une étude de 8000 fausses-couches a trouvé plus de 40% d’embryons atteints de tels défauts ) qui ne compromet en rien la possibilité d’une nouvelle grossesse
– grossesse extra-utérine (au lieu de s’implanter dans l’utérus, l’embryon se développe ailleurs, généralement une des trompes de Fallope)
défaut de l’utérus (par exemple la muqueuse n’est pas favorable à la nidation) ou du col
– problèmes hormonaux (comme une déficience en progestérone pendant la phase lutéale du cycle -après l’ovulation)
infection génitale (par exemple à chlamydia) ou générale (notamment listériose ou salmonellose)

Certaines pathologies peuvent donc entraîner des fausses-couches à répétition (soit trois ou plus successives) et parfois nécessiter un traitement pour obtenir une grossesse évolutive, cependant ce sont les cas les plus rares.

Quelques facteurs de risque ont été identifiés, comme l’alcool, le tabac ou la caféine (au delà de 200 à 300 mg par jour, soit environ deux tasses de café). On peut également citer l’exposition chronique (c’est-à-dire de faibles doses sur une longue période de temps) à certaines substances toxiques, notamment dans certaines professions, que ce soit pour l’homme ou pour la femme, ou la prise de certains médicaments. Un stress important peut également entraîner une fausse-couche, ainsi que de l’exercice physique intense. Le poids de la mère joue enfin (dans les deux sens), ainsi que son âge. Bien sûr l’exposition à un facteur de risque n’entraîne pas systématiquement de fausse-couche, pas plus qu’on ne peut expliquer toutes les fausses-couches par la présence d’au moins un de ces facteurs. Il s’agit simplement de corrélations statistiques, sans qu’un mécanisme de causalité soit toujours connu.

Quels sont les signes ?

Les symptômes les plus courants sont des saignements vaginaux et des douleurs au ventre (comme des règles, quoique souvent plus intenses). Certaines femmes voient aussi l’arrêt de leurs maux de grossesse (notamment les nausées) ; d’autres ont simplement un pressentiment que quelque chose ne va pas.
Cela doit inviter la femme à consulter afin de confirmer le diagnostic et le cas échéant d’envisager un traitement. Différents examens permettent d’affiner le diagnostic :
prise de sang : alors que l’hormone beta HCG doit voir son taux augmenter rapidement dans le cas d’une grossesse évolutive, on observe une croissance faible voire une décroissance entre deux prélèvements, ou un taux très inférieur à ce qui est habituellement observé à un terme de grossesse donné.
l’échographie : en tout début de grossesse, elle est souvent faite par voie endovaginale, c’est-à-dire que la sonde est introduite dans le vagin. Elle permet notamment de diagnostiquer un oeuf clair ou une grossesse extra-utérine ; après 6 SA l’absence de battement cardiaque est un signe quasi-certain d’arrêt de la grossesse.

Quel traitement ?

Cela doit évidemment faire l’objet d’une discussion avec la personne qui pose le diagnostic (médecin ou sage-femme), afin de déterminer la meilleure façon de faire pour chaque cas. Il est de toute façon nécessaire de consulter afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’une fausse-couche et le cas échéant de vérifier que tous les produits de grossesse ont bien été évacués. Voici les grandes alternatives :

observation : la majorité des fausses-couches précoces s’inscrit dans un processus physiologique d’élimination des embryons non viables qui sont donc expulsés naturellement par le corps de la femme. Cependant cela peut prendre jusqu’à six semaines après le diagnostic, et certaines femmes souhaitent hâter le processus (pour pouvoir retomber plus vite enceinte, parce qu’elles subissent encore des effets “secondaires” désagréables comme les nausées, pour maîtriser le moment de l’évacuation qui peut être difficile et douloureux -en vue d’un voyage ou d’une obligation professionnelle par exemple…). Il existe également un risque d’infection. Dans d’autres cas, l’embryon aura déjà été évacué au moment de la consultation.

traitement médical : des médicaments abortifs sont pris par la femme (par voie orale ou vaginale). Ils provoquent des contractions (souvent douloureuses) et in fine l’expulsion de l’embryon. Ce traitement peut être conduit intégralement en ville (sans passer par l’hôpital) et la femme le prend chez elle, généralement sur deux jours. Il peut y avoir des échecs, qui conduisent à la dernière option.

traitement chirurgical : il ne peut être fait qu’en milieu hospitalier, au bloc opératoire, généralement sous anesthésie générale. On procède à une dilatation du col de l’utérus puis à une aspiration qui permet de “vider” intégralement l’utérus (on parle souvent abusivement de curetage mais cette procédure est globalement délaissée au profit de l’aspiration, moins traumatique). Il est notamment indiqué dans les cas où la fausse-couche entraîne des saignements importants à la femme qui compromettent sa santé. La chirurgie est également la principale option en cas de grossesse extra-utérine (mais avec une procédure différente, puisque justement l’embryon n’est pas dans l’utérus).

Très concrètement, cela peut nécessiter de réaménager son emploi du temps des semaines à venir en fonction de l’alternative choisie, avec souvent plusieurs consultations médicales et examens (analyses sanguines, échographies…) à prévoir, ainsi que la possibilité d’un arrêt de travail.

Et après ?

Chaque femme vit l’événement à sa façon : certaines sont plus ou moins affectées, l’une souhaitera retomber enceinte au plus vite alors qu’une autre préfèrera prendre le temps de faire le deuil de cette grossesse. Evidemment le terme auquel la fausse-couche est découverte, la situation personnelle de la femme (parcours d’aide médicale à la procréation, âge, première grossesse ou pas, etc), le fait que la grossesse ait été plannifiée ou pas, et tout simplement sa vision de l’embryon (pour certaines c’est déjà leur bébé, pour d’autres cela ne reste qu’une possibilité d’enfant) sont autant de facteurs qui vont influencer le vécu de l’événement. On ne peut que souhaiter à chaque femme de pouvoir exprimer les émotions que la fausse-couche provoque, sans que sa souffrance ne soit niée (“ce n’était qu’un tas de cellules”) ou qu’au contraire elle ne soit culpabilisée de ne pas manifester un chagrin jugé adéquat par son interlocuteur. Cela peut être fait dans un cadre médical ou de suivi psychologique, mais aussi simplement avec des proches bienveillants (réels ou “virtuels” : certaines communautés en ligne peuvent apporter un soutien plus que chaleureux). La place du père ou du partenaire de la femme qui fait une fausse couche est délicate : pour beaucoup à ce stade la grossesse est encore peu concrète, même si certains peuvent l’avoir déjà investie. Le point commun reste généralement la souffrance de leur femme (psychologique comme physique).

Quoi qu’en disent certains mythes urbains, hors certaines pathologies la prévention des fausses couches précoces reste rudimentaire pour ne pas dire impossible (et si c’est pour finir avec du distilbène…). Même si la tentation de refaire le film à grands coups de “et si” est forte, la culpabilisation n’apportera pas grand chose de constructif.

Enfin il n’y a pas de délai particulier à respecter si on souhaite rapidement une nouvelle grossesse, sauf avis médical contraire. Une contraception peut également être mise en place dans la foulée. La fausse-couche peut aussi avoir des répercussions lors d’une grossesse ultérieure, avec pour certaines une anxiété accrue quant à son bon déroulement. Il ne faut pas hésiter à évoquer ces angoisses avec la personne qui assure le suivi : parfois le seul fait de les exprimer suffit à les calmer, si nécessaire un suivi plus rapproché (échographies plus fréquentes par exemple) peut être envisagé pour rassurer la femme.

Des liens

Beaucoup déplorent le silence qui entoure cet événement pourtant courant ; voici donc quelques témoignages glanés sur le net :

Un site très complet et informatif en anglais (pourquoi on n’a pas de site médical pro de ce niveau en France ?)

Image : ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de beau gosse par ici (dont la présence sur ce blog est je le rappelle réglementaire pour les billets médicaux à caractère anxiogène) et pour changer un peu des médecins je vous propose Rabbi Dave (de Weeds), une épaule sur laquelle pleurer… et si vous n’aimez pas Rabbi Dave faites votre choix sur pfffouuu! (cliquez à vos risques et périls)

Ma fausse-couche : la physiologie oubliée ?

lundi, septembre 17th, 2012

Un thème pas très joyeux et pourtant plus banal qu’on ne le pense pour tenter de redonner un semblant d’activité à ce pauvre blog délaissé… J’accueille aujourd’hui en rédactrice invitée mon amie Ficelle qui m’a fait l’honneur de confier à cet espace l’histoire de sa fausse-couche. C’est un sujet sensible pour beaucoup d’entre nous, et contrairement à beaucoup des billets de ce blog, il s’agit simplement de son vécu, intrinsèquement subjectif. Comme tout ressenti, il n’a pas vocation à être généralisé à tout le monde, ni à prescrire une voie d’action ou à en condamner d’autres. Je compte particulièrement sur la délicatesse habituelle des commentateurs pour que le débat reste respectueux. Et avant que vous ne m’accusiez -à raison- de flemmingite aigüe je vous annonce pour demain un billet écrit par moi pour faire le point sur le sujet sous un angle complémentaire, plus général. Mais assez de blabla, je laisse la parole à Ficelle.

 Une amie qui a vécu plusieurs événements très difficiles me disait récemment à peu près cela : « Ce qui est très compliqué quand on raconte son histoire par écrit, c’est le côté figé. Cette histoire douloureuse, quand on en parle autour de soit, on la réécrit chaque jour… Les mots qu’on trouvait justes hier ne le sont plus forcément aujourd’hui ». Alors que mon amie la divine Poule pondeuse me propose de raconter ma fausse couche, les mots de cette amie résonnent exceptionnellement justes. Il se trouve que j’ai couché sur le papier certains éléments de « l’histoire » au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Je décide donc de ne rien changer à ces impressions du moment et de conclure avec ma vision « du jour ».

25 août 2012

Depuis quelques semaines, je porte un embryon qui a arrêté son développement. En langage courant, c’est une fausse couche. Contrairement aux idées reçues, les embryons défectueux ne lancent pas illico leur processus d’auto-destruction. Le dit processus prend plusieurs semaines, ce qui fait qu’on détecte l’arrêt de la grossesse avant d’avoir évacué l’œuf. Et ce, depuis que les échographies de contrôle sont généralisées aux alentours des huit semaines d’aménorrhée. Or, ce nouvel état de fait entraine au moins une conséquence fâcheuse : la possibilité de se débarrasser du bidule avant que notre corps ne finisse par faire le boulot lui-même. Ce qui peut prendre en l’espèce de trois à six semaines… Une éternité pour certaines femmes qui attendent impatiemment de retomber enceinte, ou pour celles qui ressentent encore de nombreux effets indésirables des hormones de grossesse, qui continuent un temps à être sécrétées.

Une fois que l’arrêt de la grossesse a été détecté dans mon cas, « ma » gynécologue, celle chez qui je vais chaque année – et bien plus en période de grossesse justement, déjà deux à mon actif – depuis près de 10 ans, m’a indiqué que j’avais alors deux options : le protocole d’expulsion médicamenteux (Cytotec) ou le « curetage » (aspiration de l’embryon –NB : on utilise encore souvent le mot curetage même si la procédure de routine est une aspiration, voir par exemple wikipedia pour la nuance). Joie, bonheur… panique. En plus d’être attristée par l’échec de ce début de grossesse et la remise au placard, provisoirement du moins, de notre projet de troisième bébé, je me sens piégée entre deux alternatives qui m’effraient. Influencée par le raisonnement reposant uniquement sur le paramètre d’efficacité de mon médecin, je me décide d’abord pour le curetage. Le « vite fait, bien fait » de cette procédure, pourtant chirurgicale, qui impose une anesthésie générale (même légère, elle n’est jamais anodine !), me tente de prime abord. Je me dis : deux rendez-vous, une matinée d’hospitalisation et cet épisode désagréable est derrière moi. Et puis, en face de la secrétaire de l’obstétricien indiqué par ma gynécologue « de ville », je flanche. Larmes, indécision, tour aux toilettes du cabinet flambant neuf, colère, renoncement. Je prends un rendez-vous pour le lendemain, à contre-cœur. Et puis deux coups de fil à deux amies sage-femme et généraliste me remettent sur pieds.

Une troisième voie s’ouvre. Celle de… ne rien faire. Et ma tristesse se transforme en colère. Comment cette professionnelle, avec qui pourtant j’ai souvent discuté, a-t-elle pu passer à côté du fait que l’option la plus « naturelle » puisse me convenir ? Celle d’attendre, de laisser faire la nature. Même 15 jours, même trois semaines. Une attente longue pour certaines, qui le sera aussi pour moi, mais qui reste une option, et pas des moindres. C’est celle qui permet de ne pas alimenter le trou de la sécu. Une échographie suffit en fin de processus pour vérifier que tout a été évacué. Attendre ou prendre des médicaments engendrent un léger risque d’hémorragie et peuvent « se terminer » en curetage. Mais le pourcentage n’est pas très élevé (impossible d’avoir un chiffre…). Alors que le curetage en première intention n’est pas l’option la plus économique. C’est une consultation de spécialiste en plus des deux précédentes chez le gynécologue de ville permettant d’établir le diagnostic (plus les deux prises de sang pour constater la baisse du Bêta HCG, l’hormone de grossesse dans le sang), une rencontre avec un anesthésiste en clinique, une anesthésie et un acte chirurgical – on écarte le col de l’utérus, on passe une sorte de paille large comme un stylo (aïe) et on aspire le sac embryonnaire.

Si cette éventualité de l’attente est d’emblée écartée par cette gynécologue, ce n’est pas par malice mais peut-être consécutif à une demande répétée des femmes. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. L’explication peut aussi venir d’un conditionnement interventionniste de la profession. « Couvrons-nous », « Maîtrisons le processus ». Mais sur le plan politico-sociétal ? Et bien, ces Cytotec-curetage, s’ils sont indispensables aux femmes dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse, sont dans le cas de fausses couches les instruments de contrôle de ces mêmes femmes. Comment reprendre confiance en soi et en son corps, si même ce processus physiologique, qui intervient pour d’excellentes raisons – éviter la mise au monde d’un bébé avec une anomalie génétique par exemple – n’est pas même reconnu comme une « option » à envisager pour la femme ? Pour moi, la capacité de la machine humaine à traiter seule ce genre de situations « normales » est niée par le système médical actuel, ou en tout cas un certain système médical. Et cette prise de conscience participe de mon engagement militant. Reste plus qu’à évacuer ma balle de ping-pong…

Lundi 3 septembre

La balle de ping-pong est toujours là. Aucun signe annonçant un décollement prochain. L’aspiration est programmée pour demain mardi. Ce qui me reste en travers de la gorge : le sentiment que plus personne ne sait vraiment comment vont se passer les choses sans intervention médicale. Il est quasiment impossible pour moi de prendre cette décision d’intervention de façon véritablement éclairée. La médecine n’est pas une science exacte certes. La connaissance des mécanismes physiologiques a été perdue, c’est en tout cas mon impression. Ma frustration est plus grande que ma déception (de ne pas être enceinte, de ne pas avoir expulsé l’œuf malgré les deux semaines d’attente éprouvantes, les quatre semaines depuis que la grossesse est vraisemblablement arrêtée). J’ai la sensation d’être entrainée, à moitié consentante, dans une spirale interventionniste. Je suis déchirée. Pas bien dans mes baskets. Je pleure beaucoup… Mon mari ne sait pas trop quoi me dire. Il pense à cette attente qu’il juge maintenant trop longue et douloureuse, moi je pleure (enfin ?) ce bébé qui ne viendra pas.

Dimanche 16 septembre

Deux heures, peut-être trois après que j’ai écrit ces derniers mots, je me promène dans les magasins. Désabusée, mal physiquement et moralement. Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter des serviettes hygiéniques pour incontinents, je saigne plus qu’à l’accoutumée. Je prends également deux Ibuprofène pour atténuer de petites crampes à l’utérus. Envie de changer ma serviette, je m’arrête dans un bar. Sur les toilettes, je sens que le sang s’écoule, assez abondant… et que glisse un caillot largement plus gros que les autres. Je jubile. Et le mot est faible. Je nettoie tout ça, sors en vitesse du bar, compose le numéro direct de ma gynécologue, souffle sur un ton de fausset : « C’est… sorti ! » Elle est contente pour moi, me confirme qu’elle annule l’intervention. On prend rendez-vous pour le vendredi suivant, histoire de vérifier que tout va bien [l’écho montrera un utérus complètement vide le vendredi en question]. Je bois un verre dans ce bar avec une amie. Je repasse aux toilettes une heure plus tard et sens à nouveau, sans éprouver aucune douleur, du « matériel » glisser. On dirait un peu un morceau de foie de veau. C’est bien le sac embryonnaire – avec l’embryon dedans mais invisible au stade où il a arrêté son développement, surtout au fond d’une cuvette. Je sais que tout est fini. Je suis sur mon petit nuage, soulagée.

 

Je n’ai qu’un tout petit recul aujourd’hui sur cet événement. Quinze jours à peine. Mais déjà je m’interroge : qui, du calendrier « programmé », physiologique, de cette fausse couche ou du rejet viscéral de l’intervention, tellement fort psychologiquement, est à l’origine de cette expulsion in extremis ? Trois amies, sage-femme, médecin et femme ayant vécu deux fausses couches, ont eu la même réaction : « Tu devais pleurer ce bébé », « tu n’étais pas prête à le laisser partir avant ». Je ne suis pas complètement satisfaite par cette explication, mais soit. Cette amie sage-femme m’a aussi textoté : « Belle leçon de patience pour l’obstétrique. Les femmes sentent toujours ce qui est bon pour elles, nous sommes trop précautionneux et interventionnistes ». Ces mots m’ont beaucoup touchés. Je ne jette pas la pierre aux personnels de l’hôpital que j’ai rencontré lors de cette épreuve – malgré tout ce que j’ai pu laisser paraître, c’en était une… – qui ont été prévenants et à l’écoute. Malgré tout, je regrette le parti pris du système médical, qui vise à prévenir un risque (celui d’une éventuelle infection, « très peu probable dans votre cas, mais quand même, ce serait tellement dommage… ») sans prendre forcément la mesure des vents contraires. L’effet boomerang de s’infliger un acte (médical ou chirurgical) que l’on ne veut pas et qui, si j’en crois mon aventure, n’est pas nécessaire et encore moins vital, loin s’en faut. Je sais que ce dernier point fera l’objet de discussions ici ou ailleurs. Je tiens donc à préciser que ce que j’ai défendu (et que je défends aujourd’hui en racontant cette histoire), c’est de pouvoir rester maître des décisions qui concernent notre corps, dans un cas comme celui-là qui est tout sauf grave. Presque banal diront certain(e)s, même si le mot me semble dur, dans un contexte où nos grossesses, le plus souvent désirées, sont souvent très vite investies.