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A peine deux lunes – le témoignage de Minka

mardi, juillet 22nd, 2014

Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars (Wikimedia Commons)

Après un long silence, un peu d’activité sur ce blog avec le témoignage de Minka (que vous pouvez retrouver avec plaisir sur Twitter ou sur son blog, où ce texte est également publié).

 Mardi, première écho, à la maternité. J’en suis à 11 semaines de grossesse. La deuxième, on a déjà un enfant de 2 ans et demi. On aurait aimé un peu moins d’écart mais cette grossesse-là s’est un tout petit peu fait attendre.
L’écho commence, je trouve l’embryon bien petit (bien que je n’y connaisse rien), je ne me détends pas. Je me souviens que pour celle de ma grossesse précédente, j’avais souri jusqu’aux oreilles à la seconde où je l’avais vu à l’écran, avant même qu’on nous confirme que tout va bien. Je me raisonne, le gynéco n’a rien dit de négatif, il prend des mesures, 3 cm, il dit « et maintenant on essaie d’écouter le cœur » – je n’aime pas cet « essaie ». Phrase suivante, « Je suis désolé, il n’y a pas 36 façons de vous le dire, vous voyez que c’est une grossesse qui s’est arrêtée, il y a environ deux semaines. »

On retourne dans son bureau, il explique le protocole hospitalier, plutôt lourd : un cachet à prendre, deux autres le surlendemain, puis une opération sous anesthésie générale quelques heures plus tard. Il est très humain, souligne la banalité médicale de ce qui nous arrive et de l’opération, mais dit aussi qu’il sait que dans nos cœurs et dans nos têtes, c’était déjà un bébé et qu’il sait bien que c’est difficile. Je demande si on peut prendre un peu de temps, il me répond que bien sûr, qu’il n’y a aucune urgence médicale, que là il vient de nous assommer, qu’il nous balance encore plein d’informations et qu’il nous faut le temps de digérer tout cela … Mais que comme justement ce n’est pas une urgence médicale, il n’est pas dit qu’une fois que je serai prête ils pourront s’occuper de moi tout de suite, donc il m’enjoint à rappeler dans deux jours.

On rentre. Le portable sonne, les quelques copains au courant veulent des nouvelles. Je leur réponds, des larmes dans la gorge. Je suis sidérée, N. aussi. Le médecin nous a bien expliqué que c’était courant, et que la plupart des grossesses arrêtées dont on avait conscience (selon lui, une grossesse sur deux se finit ainsi, mais la plupart tellement rapidement qu’on ne le sait pas, on croit que les règles ont quelques jours de retard) se découvrent à ce moment-là, avant que l’organisme commence à évacuer l’embryon.
On récupère notre petite chez des amis, on coupe en deux mots leur grand sourire et « Alors tout va bien ? ». On rentre chez nous, on explique ce qui se passe à notre enfant, aussi simplement que possible. « Mais il est parti où ? » « Il est mort, ma chérie. C’était pas encore un bébé, tu sais, c’était comme un pépin de bébé, il aurait pu devenir grand, mais il n’a pas réussi » « Ah mais pourquoi ? » « On ne sait pas pourquoi, ça arrive parfois … »On avait prévu une soirée chez d’autres amis pour leur annoncer la nouvelle, N. y va avec Z., j’ai besoin d’être seule, d’appeler des gens et de considérer mes options. J’appelle d’abord une amie qui a vécu la même chose il y a quelques années, elle m’explique comment ça s’est passé pour elle, une séance d’acupuncture pour débloquer les choses, cinq jours d’attente, une évacuation naturelle et complète mais très douloureuse qui se finit aux urgences. J’appelle ensuite ma sage-femme, je dois la voir le surlendemain, on maintient le rendez-vous. Je ne sais plus ce qu’on se dit, à part que je n’ai pas d’arrêt de travail et qu’il faudrait que j’en obtienne un. Je reste dans le jardin, je regarde les papillons, le chaton, les jeunes pousses. Je ne vais pas sur Internet, je ne me renseigne pas davantage. Je laisse passer.

Les miens reviennent, un peu tard, on va vite se coucher, je pleure un peu dans les bras de N. Je m’endors, je me réveille en pleurs vers 4h du matin. Ma décision est prise, je vais suivre le protocole de l’hôpital, même s’il me paraît lourd, même si l’anesthésie générale me fait peur. Je n’ai pas envie de me battre, d’imposer ma façon de faire, de chercher un autre hôpital. Celui-là n’est pas parfait, avec son absence d’options et donc de consentement éclairé, mais je peux faire avec le protocole imposé, je sais que les gens y sont très humains (même si enfermés dans leur façon de faire), j’ai une grande confiance dans le gynéco et c’est ce qui m’importe le plus.

J’appelle mon généraliste, il me donne deux jours d’arrêt de travail, puis l’hôpital, la secrétaire est charmante, elle attendait mon coup de fil car le gynéco lui avait laissé un mot, elle se débrouille pour avoir des consultations rapidement, je peux revenir le jour même pour le premier cachet, puis un rendez-vous avec l’anesthésiste. On reconfie la môme à des amis – je nous découvre plus et mieux entourés que je croyais, N. m’accompagne à la maternité. Au secrétariat, je crois m’adresser à la personne que j’ai eue plusieurs fois au téléphone le matin même, elle ne me remet pas, j’ai un blanc au moment de lui expliquer la situation, et je dis « J’ai un bébé dans le ventre, il n’est pas vivant ». Je suis plus secouée que je croyais … L’autre secrétaire prend le relais, c’est elle à qui j’ai parlé. Le même gynéco nous reçoit, c’est pourtant son jour de congé, je prends devant lui le médoc qui va arrêter l’imprégnation, puis il me donne deux Cytotec, à prendre le lendemain le plus tard possible dans la nuit (voir le matin du surlendemain, vers 2h), l’un à avaler, l’autre à mettre au fond du vagin. Puis on voit l’anesthésiste. Entre les deux, on va déjeuner, on arrive à parler de plein de choses, aussi des pas tristes, des projets, à créer des moments de gaieté au milieu de tout ça. Je suis fière de nous.

Jeudi matin, je me lève, en sanglots encore, je vais dans le jardin. Aujourd’hui, à part ma sage-femme que je vois une heure et qui me conseille de demander deux semaines d’arrêt, je reste à la maison. Je lis les témoignages de fausses couches sur le blog de poulepondeuse. C’est donc bien ça, ce que je vis : une fausse couche, même si je n’ai pas encore vu une goutte de sang. Casse-tête pour faire garder la môme pour le lendemain. Je dois donc prendre les Cytotec, qui vont déclencher les saignements, dans la nuit de jeudi à vendredi, et je suis attendue à 6h45 à la maternité – je pars à 6h de chez moi. Est-ce que je serai en état de conduire ? Est-ce qu’on demande à un ami de dormir la veille à la maison pour que N. m’emmène ? Mais j’ai besoin d’être seule chez moi cette nuit-là … Et on ne va pas emmener Z. là-bas évidemment … La faire passer la nuit ailleurs ? Ca n’a encore jamais été le cas, et nos amis proches du coin ont des nouveaux-nés … Finalement, on décide que j’irai seule au rendez-vous, et que N. me rejoindra dès que Z. sera réveillée : une amie viendra tôt la garder à la maison, histoire qu’elle garde ses repères. Et je prendrai le Cytotec, en accord avec ma sage-femme, plus tard afin de ne pas être gênée pendant la route : à 4 ou 5h du matin, l’heure à laquelle je me réveille depuis quelques jours.

Jeudi soir, douche et shampoing à la Bétadine. Je coupe aussi ma toison pubienne, court, en espérant ça évitera qu’on la rase. Vendredi matin, je me réveille, pas en pleurant cette fois. Je prends les cachets, une seconde douche à la Bétadine. Je fais la route, j’écoute Noir Désir, il y a une lune énorme accrochée à l’aube. J’arrive à la maternité, les sages-femmes et les infirmières puéricultrices prennent leur petit déjeuner. C’est par ce couloir que je suis arrivée pour accoucher il y a presque trois ans. Ca pourrait me serrer le coeur, ça l’apaise plutôt : cette épreuve, car c’en est une pour moi, je l’inclus dans ma maternité. J’entends des vagissements de nouveaux-nés et ça me va (mais les femmes enceintes me collent les larmes aux yeux). Je préviens la sage-femme du « retard » avec lequel j’ai pris le Cytotec, elle me dit qu’il n’y a aucun souci. Elle semble inquiète pour moi, me propose de rester, mais pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de parler. Elle repasse 15 minutes plus tard : ils ont le planning des opérations, ce sera en fin de matinée. Je commence à saigner vers 8h, ça ressemble beaucoup à des règles, la douleur est moins forte (cela dit j’ai des règles habituellement très douloureuses, et quand j’ai accouché je n’ai pas eu vraiment mal). Je pourrais m’énerver d’être coincée ici si tôt, déjà en tenue réglementaire, alors que je ne serai opérée que dans plusieurs heures, mais j’aime autant que ça se passe ici. Je ne peux pas lire, je pleure un peu, je griffonne dans un carnet.

Tu as vécu
Dans mon ventre
Deux lunes
Je t’appelais Ö
Ni fille ni garçon
Homoncule
Tom Pouce
Petite Poucette
Une ébauche
Et le docteur a dit
La grossesse est arrêtée
Ni vivant ni mort
Comme l’autre poème
Tu as oscillé entre le pas encore et le déjà plus
Et nous t’avons aimé
Et nous te pleurons
Mon corps alourdi par la grossesse et le deuil
Il me reste encore
Quatre heures
Avec toi
Qui n’est pas là
J’essaie de te dire au revoir

Je dis adieu à cette promesse de bébé. Mon mari arrive, je continue mes allers-retours aux toilettes. Au bout de deux heures, je sens quelque chose glisser en plus du sang, ça ressemble beaucoup à la sensation du placenta (pour lequel la délivrance a été naturelle). A partir de là je ne saigne presque plus, je lis, je n’ai plus besoin de me focaliser sur mon ventre.

Une grosse demi-heure plus tard sans saignement, on appelle une sage-femme et on demande une échographie. Je suis persuadée que tout est parti. Alors qu’elle va se renseigner, le brancardier arrive. Adorable lui aussi « Madame, enchanté, enfin je suis désolée de vous dire enchanté dans ces circonstances ». La SF revient, l’opération a lieu quand même, par sécurité me dit-on. Je pourrais obtenir gain de cause en tempêtant, je choisis de m’économiser. Ensuite, les infirmières de la salle d’opé me piquent et me posent quelques questions, dont pourquoi je suis là. Gentilles elles aussi « N’ayez pas peur Madame … – Je n’ai pas peur, je suis triste – Oh oui je comprends bien que vous êtes triste … ». Puis la salle d’op, très blanche, les anesthésistes qui discutent entre eux, le seul moment où je me sens vraiment seule et misérable. « Vous allez dormir », dit le plus vieux des deux, d’une voix joviale. Ducon.

Je me réveille, dans une sorte de salle d’attente avec des lits. Mes jambes sont sous le drap, comme quand je me suis endormie. Je regarde sous ma culotte d’hôpital, on ne m’a pas rasée. Une infirmière vient me voir, je lui pose des questions, est-ce que tout s’est bien passé (oui), est-ce que je peux boire (non), est-ce que je suis en train de lui poser toutes les questions deux fois (oui).
C’est fini. Je me suis réveillée, l’AG ne m’a pas tuée (oui, j’avais peur). Je veux remonter voir mon mari, je veux quitter l’hôpital. On me ramène dans ma chambre, il n’est pas encore là, je me rhabille « en civil », je me rince la bouche. N. revient, je suis quasi euphorique, c’est fini ! On va rentrer ! La sage-femme passe, me voit habillée, sourit, « j’allais vous dire de m’appeler pour le premier lever » … C’est la seule à prononcer le mot « fausse couche ». Je veux sortir, je fais tout pour qu’on voit que je suis bien réveillée. Je bous pendant ces deux heures d’observation. On me propose des antidouleurs, on insiste même un peu, mais je n’ai pas mal. Finalement on me libère, avec un arrêt de travail d’une journée (et encore, parce que je l’ai demandé).

Cela fait dix jours. J’ai le sentiment d’avoir été bien traitée, bien accueillie par l’équipe hospitalière, même si j’aurais aimé avoir l’occasion d’exprimer des choix. Parce que je connais d’autres interlocuteurs, j’ai pu avoir les réponses que j’attendais et découvrir des possibilités, choisir celle-ci en connaissance de cause, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais tout le monde a été chaleureux, humain.

Je suis encore triste. J’ai de la chance : cette grossesse s’est arrêtée tôt, je ne me sens pas trahie par mon corps, j’ai plutôt l’impression qu’il a fait ce qu’il fallait,et je ne considèrais pas l’embryon comme un enfant, plutôt comme une promesse. J’ai du chagrin, envie d’être encore enceinte, ou de l’être à nouveau, des larmes aux yeux de temps en temps. Mon mari est passé à autre chose, il est un peu inquiet pour moi. Et notre petite fille encaisse, a du mal à s’endormir, a peur (pour moi, je crois) et se pot-de-collise.  Mais cela aussi passera.

Fausse-couche : le témoignage de Vany

lundi, avril 8th, 2013

Voici le témoignage de Vany : l’histoire de sa première fausse-couche, mais aussi de son histoire pas banale de grossesses et de contraception. Comme quoi tout ne se passe pas toujours comme dans les livres… Merci à elle d’être venue partager cela ici ! Si vous souhaitez des informations et/ou échanger autour des fausses-couches précoces de façon plus générale, voir ce billet.

 On n’oublie jamais.

Il y a douze ans, j’ai rencontré mon mari. J’étais sous pilule, c’était le premier homme avec qui je faisais l’amour, on a utilisé des préservatifs.
Pourtant, des nausées, un retard de quelques jours et un test sanguin positif nous mettent dans une ambiance merdique.

Ca fait à peine six mois qu’on est ensemble, on vit dans un foyer de jeunes travailleurs, et si lui ne veut pas d’enfants (du moins, pas tout de suite), moi, je suis dans l’ambivalence.
Oui, c’est tôt, pas top côté matériel. Mais il y a tant de soucis de fertilité dans ma famille!
Si j’avorte et qu’après, j’ai des soucis pour tomber enceinte, vais-je réussir à ne pas m’en vouloir et surtout, à ne pas lui en vouloir, à lui?
Non. Le constat est net. Je chercherais un coupable et je lui en voudrais de m’obliger à subir un avortement que je n’arrive pas à désirer.

Deux semaines difficiles passent, pendant lesquelles nous nous évitons. Je lui laisse le choix d’accepter ma grossesse ou non. Je lui dis que je ne lui en voudrai pas s’il ne veut plus entendre parler de moi. Il comprend. Et finalement, après une longue conversation, on se décide : ce bébé, on le garde.

Je fais une écho de datation, entend les battements de coeur d’un petit haricot… Moment de doute et d’émerveillement.

Arrive la veille de la première écho, quelques gouttes de sang quand je vais aux toilettes. Un moment de panique silencieuse.  Je file aux urgences maternité de la ville la plus proche avec une amie infirmière.

Là, j’attends pendant deux heures dans une salle d’attente pleine de gros ventres qu’un gynéco daigne me recevoir. Il m’examine enfin, me dit que tout va bien. On fait une écho pour se rassurer. Sur l’écran, 6 ronds. Un corps, une tête, quatre membres. Une ébauche de ce futur petit que mon corps abrite. Je suis émerveillée, le haricot d’il y a six semaines est un vrai bébé maintenant.
Puis la phrase : « Mais le coeur ne bat pas. » Moi, dans mon rêve : « Ben si » « Non, Madame. Vous êtes enceinte de 12 semaines et ce foetus a arrêté son évolution à 8 semaines. Il faut vous opérer d’urgence pour évacuer tout ça, ou vous risquez votre fertilité. »
Je suis sous le choc. Incapable de pleurer, on me demande de voir un anesthésiste pour une intervention le lendemain matin, mais je suis incapable de me rappeler mon adresse, ma date de naissance. Heureusement, mon amie est là et parle pour moi.

Dans le bus qui me ramène chez moi, j’envoie un texto à ma mère « Je fais une fc, intervention demain. ne m’appelle pas » Bien sur, elle n’obéit pas, me rappelle de suite, me voilà à pleurer dans ce putain de bus et je lui raccroche au nez.

Rentrée dans notre chambre, je pleure, pleure, toutes les larmes de mon corps.
Je m’endors, me réveille, pleure, puis me rendors.

J’ai tant pleuré que je suis incapable de rester éveillée quand mon zhom arrive pour entamer une conversation sur ce qui va se passer le lendemain.

Ce lendemain tant détesté, j’arrive à la maternité.
On m’installe dans une chambre, sans rien me dire d’autre que de prendre deux cachets que me tend une infirmière.
Dix minutes après la prise, des contractions (à l’époque, je ne sais pas de quoi il s’agit) me tordent le ventre et j’insiste pour que zhom parte et ne revienne que lorsque tout sera fini.

Trente minutes plus tard, un brancardier arrive, et m’engueule de ne pas être en tenue de bloc. Je veux bien, moi, mais encore faudrait il m’en donner une!
« Elle est dans l’armoire Madame, voyons! »
Je me sens infantilisée et humiliée, en plus de l’état de choc dans lequel je suis depuis la veille.

Arrivée dans le bloc, deux infirmières sont là, en plein préparatifs. J’ai la gorge nouée, impossible de répondre à leurs questions.
Jusqu’à ce que l’une d’elle qui me demande pourquoi je suis là aujourd’hui, sans réponse de ma part, regarde le dossier, puis regarde sa collègue après m’avoir jeté un regard froid « Ha, un curetage…. »
Plus de conversations, ni de sourires. Je suis coupable de quelque chose que je ne comprends pas, que je n’ai pas désiré !

Heureusement, le gynéco vu la veille arrive. Une caresse sur la joue en me demandant comment je vais. Une larme qui coule.
Une grande compassion, je ne l’oublierai jamais.
Comme je n’oublierai jamais le changement de comportement des deux infirmières quand il a expliqué pourquoi je subis cette intervention.
Car d’un coup, les sourires reviennent. Mais pour moi, elles sont désormais fausses, des ennemies que je dois supporter.

Je me réveille un peu plus tard, je ne sens rien. Un coup de panique : aurait-il oublié de m’opérer?
On me ramène dans ma chambre et le brancardier me demande de descendre du brancard pour aller dans mon lit. Sans son aide. Il sait et me méprise, il me l’a fait comprendre. Une mare de sang. J’ai envie de pleurer, de crier, de frapper.
Je me couche, mais ces gouttes de sang sur le sol m’obsèdent, elles me désignent coupable, j’ai l’impression.

Me voilà donc à quatre pattes, avec du papier toilette, à me hâter de nettoyer avant que quelqu’un n’arrive et ne me juge encore.
Je prend d’ailleurs une douche froide (il n’y a pas d’eau chaude car les douches ne sont pas censées être utilisées dans ce service) pour effacer toute trace « de ma honte »

Deux heures plus tard, on me demande d’ailleurs de libérer ma chambre. Une heure avant celle prévue. Mais pour eux, peu importe, je gêne.
On m’emmène dans une salle d’attente, je suis toujours en état de choc. On me demande d’attendre, je n’ai pas le droit de partir seule.

Puis on me laisse. Et je découvre l’horreur : la salle d’attente est celle d’obstétrique. Je suis entourée de futures mamans radieuses aux bidons ronds, de jeunes mamans.

J’ai l’impression d’un puits sans fond, que je vais me disloquer si je ne quitte pas ce lieu sur l’instant!

Bien qu’on m’ait interdit de partir seule, aucune des infirmières qui me verra partir ne me retiendra.
Je sors de l’hôpital et je m’assois sur un truc en béton qui maintient un panneau. Je ne vois rien, ne sens rien, je suis anesthésiée. A tel point qu’il faudra bien dix minutes à mon zhom pour que je remarque enfin sa présence.

Trois semaines plus tard, j’ai revu ma gynéco habituelle, outrée de la façon dont s’était passé cette procédure. Outrée qu’on ne m’ait donné aucun médicament pour ne pas souffrir des contractions que j’ai eues pendant quatre jours. Outrée qu’on ne m’ait proposé aucun suivi, ni aucune contraception.
C’est elle qui m’a appris que j’aurais du reprendre la pilule le soir même. Qu’ils auraient du me prescrire un antidouleur et un antibio. Que j’aurais du refaire une écho de controle pour être sûre que tout est bien parti.

J’ai été traitée comme une coupable, alors même que cet avortement n’était pas désiré. Ils ont réussi à me faire sentir coupable. Coupable d’une chose que je ne pouvais éviter. C’est monstrueux. Et je n’imagine même pas la souffrance que cela peut causer à celles qui subissent cette procédure pour une IVG.

Douze ans plus tard, quand j’y repense, c’est toujours comme un cauchemar pour moi. Et j’en pleure encore de colère, de désillusion.

Heureusement, je suis une éternelle optimiste. Dès le lendemain, je n’ai plus versé une larme pour ça. J’ai été de l’avant.
J’ai écouté, stoïque, les phrases assassines qui, au mieux, nient cette vie que j’ai portée et la douleur de cette perte : « Bah, c’est mieux comme ça, tu en auras d’autres » et qui, au pire, me rendent coupable de ce malheur : « C’est mieux comme ça, tu n’étais pas prête, tu ne l’as
peut être pas assez voulu »….

Alors, j’admire. J’admire celles qui font ce choix et qui le vivent « bien » car pour moi, au fond, ça reste un choix « par défaut » et que, quoi qu’on dise, on ne l’oublie pas. Je crois que c’est aussi une souffrance pour beaucoup. Plus ou moins, certes. Mais quand même….

Voilà, je sais que ce n’est pas l’histoire d’un avortement à proprement parler. Mais ça démontre bien que si l’avortement est un droit, il est encore souvent mal vu par le corps médical qui peut vous donner l’impression d’être une meurtrière.

Je n’en ai jamais parlé. Les gens savent mais ne connaissent pas les détails. Mais moi, je n’oublie pas. Ni ce que j’ai vécu, ni ce bébé que j’ai perdu et qui vit toujours quelque part dans mon cœur.
Et ça me fait du bien, de raconter. Parce que ça me donner l’impression de ne pas l’oublier…

Après ça, j’ai fait deux autres fausses couches précoces « classiques ». Pendant plus de trois ans, j’ai essayé sans succès de tomber enceinte.
J’ai fait des examens à n’en plus finir, puis j’ai fini par me résigner à passer par une PMA. J’ai repris la pilule parce que j’ai trouvé un nouveau boulot.
Deux mois plus tard, j’étais enceinte.
Neuf mois plus tard, un pluvieux samedi de mars, un merveilleux petit homme est venu faire de nous une famille!
Puis j’ai eu deux autres enfants.

Je suis comblée mais toujours pas reconnue dans la douleur de ce que j’ai vécue.
On me traite d’irresponsable car je suis tombée enceinte quatre fois sous pilule. C’est impossible, me dit-on.
Jusqu’à ce que je tombe enceinte de mon dernier… sous stérilet!

Hyperfertilité. Manque de réactions aux progestatifs. Il aura fallu cette dernière grossesse pour qu’enfin, on me reconnaisse comme une victime des circonstances.
Mais néanmoins, personne ne comprend ma peine pour ces trois anges que je ne serrerai jamais dans mes bras.

On ne devrait pas avoir à se justifier quand on souhaite avorter. On ne devrait subir ni jugement, ni morale. Et on ne devrait pas nier la douleur des femmes qui subissent un curetage ou une aspiration, que ce soit pour une fausse couche ou une IVG.

Photo : l’issue heureuse d’une des grossesses de Vany

FCS : le témoignage d’Ella

lundi, février 25th, 2013

 Initialement, j’avais lancé un appel à témoignages d’IVG, parce qu’il me semblait qu’on manquait cruellement de parole sur ce sujet, de témoignages de femmes qui sont passées par là. Et puis Ella (une chouette sage-femme qui tient le blog Ella et Valentin) m’a envoyé son texte, qui ne parle pas d’IVG mais d’un sujet aussi tabou ou presque, la fausse-couche précoce. Quand vous l’aurez lu je pense que vous comprendrez pourquoi il m’a alors paru inévitable d’élargir ma proposition initiale de publication de témoignages d’IVG aux fausses-couches. Je suis consciente qu’entre ces témoignages et le fait que je n’écris pas beaucoup, le blog prend une teinte assez sombre, alors n’hésitez pas à naviguer dans les archives si vous trouvez cela trop pesant. Mais place au témoignage d’Ella, que je remercie du fond du coeur pour sa confiance.

Été 2010. Il fait beau, on est jeunes, amoureux. Depuis sept mois, on a décidé de faire un bébé. On rentre de vacances, et la prise de sang est positive. Un bébé pour le printemps. On est heureux… Je suis zen, tranquille, je ne fais aucune écho précoce. Tout va bien, pourquoi ? J’ai des nausées, je vomis, mais ça va. Et puis les nausées passent. Je suis bien. Je suis enceinte de 2 mois.

Septembre. Ce matin, mon homme souriait: « dans une semaine, première écho ! » Mais en me levant, je saigne. A l’écho, dans mon ventre, il n’y a plus qu’un œuf vide. Mon bébé s’est envolé il y a 1 mois…

Je prend des comprimés, pour faire partir cet œuf sans vie. J’ai mal, vraiment mal. Physiquement. Psychologiquement. Je rencontre un anesthésiste, au cas où. Cet abruti me parle d’IVG. Je crie, je pleure, je hurle, je fais un scandale jusqu’à ce qu’il efface ces trois lettres de mon dossier. « Mais c’est la même chose », me dit-il. Deux ans après, je le hais encore.

Un dimanche matin, mon corps laisse partir ce petit œuf…

Je n’ai aucun soutien. J’entends que ce n’est pas grave, que je suis jeune, que j’en aurais d’autres. Qu’il vaut mieux ça que d’accoucher d’un avorton. Que ce n’est pas normal que je pleure autant, que je devrais voir un psy.

Moi, j’ai juste besoin qu’on me prenne dans les bras, et qu’on me laisse faire mon deuil.

 

Janvier 2011. La prise de sang est positive, de nouveau. J’ai peur, mais je me dis qu’il n’y a pas de raison que ça recommence. Je fais une écho quand même, à 6SA. Tout va bien.

A 8 SA, une garde chargée, des pertes marrons. A l’écho, le petit cœur clignote. Je respire.

Mais dans la nuit, le sang. Dans mon ventre, il n’y a plus rien. Mon utérus n’est rempli que de sang. Le petit cœur ne clignote plus.

Je m’effondre. Je prend un arrêt de travail, note une date plusieurs semaines plus tard, le fait signer au médecin. Je suis incapable de travailler.

Je pleure. Beaucoup. Je tricote. Énormément. Maille après maille, je construis de mes mains ce que mon ventre ne peut faire. Je me coupe des gens. Je ne veux plus entendre leur non-compassion.

 

Avril 2011. Troisième prise de sang positive. J’ai peur cette fois, très peur. A 6 SA, l’écho révèle un décollement important. Repos strict.

J’ai des nausées, je vomis. Je m’en fiche. Le matin, je ne suis pas tranquille tant qu’une vague ne m’a pas envoyé la tête dans la cuvette.

Pendant quatre mois, je suis morte de trouille chaque jour. Ma collègue finit par me prêter un sonicaid. Tous les jours, j’écoute le cœur de mon bébé. J’ai du mal à m’y attacher. Je lui parle peu. Je suis heureuse d’être enceinte, mais j’ai du mal à créer un lien avec l’enfant que je porte.

 

Aujourd’hui, mon fils va bien. Il vient d’avoir un an. C’est un bébé intense, avec un besoin de contact énorme. Fusionnels ? Oui, on l’est. Je le porte, je l’allaite. Je le laisse le moins possible. Je ne peux pas.

Et mes autres bébés ? J’ai porté trois enfants, mais pour tout le monde, je n’en ai qu’un seul. Les autres, il faudrait que je les oublie. C’est le passé, paraît-il.

Mais ces anges m’ont faites mère, malgré tout. Ils n’ont fait que traverser ma vie mais m’ont apporté beaucoup. Sans eux, serais-je la mère que je suis…? j’en doute.

Souvent , je pense à eux. Qui étaient-ils ? Garçon, fille ? Je suis triste de les avoir perdus. D’un autre côté, sans ces deuils, le petit garçon que je regarde grandir chaque jour ne serait pas là… Ils sont partis pour lui laisser la place.

Non, ils n’étaient pas « rien ». Ils sont mes enfants. Mes petits anges partis si vite, passés dans ma vie comme des étoiles filantes. Mon deuil d’eux n’est pas fait. Je pleure encore en repensant à ces moments. Et déclenche l’incompréhension de mon entourage.

Une fausse-couche, ce n’est pas rien.

D’autres billets sur le même sujet :

Photo : Nuwandalice sur Flickr

Les fausses-couches précoces

mardi, septembre 25th, 2012

 Après le touchant témoignage de Ficelle, et suite à vos nombreux commentaires, il me semble utile de faire un petit bilan autour de ce sujet douloureux.

D’abord un point sur la terminologie

– Une fausse-couche est une interruption spontanée de la grossesse avant le seuil de viabilité du foetus, soit 22 SA ; si elle a lieu avant 12 SA elle est dite précoce (cela représente 80% des fausses couches), après tardive
– Après 22 SA on parle de mort foetale in utero

Ici on s’intéressera uniquement au cas des fausses-couches précoces, mais si bien sûr certain-e-s souhaitent témoigner plus largement en commentaire chacun-e est bienvenu-e.

Selon les statistiques considérées, on considère qu’une grossesse a 10 à 20% de “chances” de s’interrompre spontanément. Comme le risque est le plus grand en début de grossesse et diminue progressivement, plus la grossesse est diagnostiquée précocément (ainsi certains tests permettent d’avoir une réponse avant même le retard de règles) et plus on voit de fausses couches. Certains auteurs qui définissent une grossesse dès la fécondation de l’ovocyte (avant même l’implantation de l’oeuf dans l’utérus) arrivent à des taux de 70% d’interruptions spontanées (dont la plus grande partie passe inaperçue chez les femmes).

Les causes des fausses couches

Elles sont multiples, qu’elles soient temporaires ou permanentes. On peut citer :

anomalies chromosomiques ou génétiques de l’oeuf ou de l’embryon compromettant sa viabilité ; cela peut se traduire par un oeuf clair, c’est-à-dire qu’il y a un sac embryonnaire (visible à l’échographie) mais vide : on ne voit pas d’embryon (cela concerne un tiers des fausses couches avant 8 SA). C’est la cause la plus fréquente (une étude de 8000 fausses-couches a trouvé plus de 40% d’embryons atteints de tels défauts ) qui ne compromet en rien la possibilité d’une nouvelle grossesse
– grossesse extra-utérine (au lieu de s’implanter dans l’utérus, l’embryon se développe ailleurs, généralement une des trompes de Fallope)
défaut de l’utérus (par exemple la muqueuse n’est pas favorable à la nidation) ou du col
– problèmes hormonaux (comme une déficience en progestérone pendant la phase lutéale du cycle -après l’ovulation)
infection génitale (par exemple à chlamydia) ou générale (notamment listériose ou salmonellose)

Certaines pathologies peuvent donc entraîner des fausses-couches à répétition (soit trois ou plus successives) et parfois nécessiter un traitement pour obtenir une grossesse évolutive, cependant ce sont les cas les plus rares.

Quelques facteurs de risque ont été identifiés, comme l’alcool, le tabac ou la caféine (au delà de 200 à 300 mg par jour, soit environ deux tasses de café). On peut également citer l’exposition chronique (c’est-à-dire de faibles doses sur une longue période de temps) à certaines substances toxiques, notamment dans certaines professions, que ce soit pour l’homme ou pour la femme, ou la prise de certains médicaments. Un stress important peut également entraîner une fausse-couche, ainsi que de l’exercice physique intense. Le poids de la mère joue enfin (dans les deux sens), ainsi que son âge. Bien sûr l’exposition à un facteur de risque n’entraîne pas systématiquement de fausse-couche, pas plus qu’on ne peut expliquer toutes les fausses-couches par la présence d’au moins un de ces facteurs. Il s’agit simplement de corrélations statistiques, sans qu’un mécanisme de causalité soit toujours connu.

Quels sont les signes ?

Les symptômes les plus courants sont des saignements vaginaux et des douleurs au ventre (comme des règles, quoique souvent plus intenses). Certaines femmes voient aussi l’arrêt de leurs maux de grossesse (notamment les nausées) ; d’autres ont simplement un pressentiment que quelque chose ne va pas.
Cela doit inviter la femme à consulter afin de confirmer le diagnostic et le cas échéant d’envisager un traitement. Différents examens permettent d’affiner le diagnostic :
prise de sang : alors que l’hormone beta HCG doit voir son taux augmenter rapidement dans le cas d’une grossesse évolutive, on observe une croissance faible voire une décroissance entre deux prélèvements, ou un taux très inférieur à ce qui est habituellement observé à un terme de grossesse donné.
l’échographie : en tout début de grossesse, elle est souvent faite par voie endovaginale, c’est-à-dire que la sonde est introduite dans le vagin. Elle permet notamment de diagnostiquer un oeuf clair ou une grossesse extra-utérine ; après 6 SA l’absence de battement cardiaque est un signe quasi-certain d’arrêt de la grossesse.

Quel traitement ?

Cela doit évidemment faire l’objet d’une discussion avec la personne qui pose le diagnostic (médecin ou sage-femme), afin de déterminer la meilleure façon de faire pour chaque cas. Il est de toute façon nécessaire de consulter afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’une fausse-couche et le cas échéant de vérifier que tous les produits de grossesse ont bien été évacués. Voici les grandes alternatives :

observation : la majorité des fausses-couches précoces s’inscrit dans un processus physiologique d’élimination des embryons non viables qui sont donc expulsés naturellement par le corps de la femme. Cependant cela peut prendre jusqu’à six semaines après le diagnostic, et certaines femmes souhaitent hâter le processus (pour pouvoir retomber plus vite enceinte, parce qu’elles subissent encore des effets “secondaires” désagréables comme les nausées, pour maîtriser le moment de l’évacuation qui peut être difficile et douloureux -en vue d’un voyage ou d’une obligation professionnelle par exemple…). Il existe également un risque d’infection. Dans d’autres cas, l’embryon aura déjà été évacué au moment de la consultation.

traitement médical : des médicaments abortifs sont pris par la femme (par voie orale ou vaginale). Ils provoquent des contractions (souvent douloureuses) et in fine l’expulsion de l’embryon. Ce traitement peut être conduit intégralement en ville (sans passer par l’hôpital) et la femme le prend chez elle, généralement sur deux jours. Il peut y avoir des échecs, qui conduisent à la dernière option.

traitement chirurgical : il ne peut être fait qu’en milieu hospitalier, au bloc opératoire, généralement sous anesthésie générale. On procède à une dilatation du col de l’utérus puis à une aspiration qui permet de “vider” intégralement l’utérus (on parle souvent abusivement de curetage mais cette procédure est globalement délaissée au profit de l’aspiration, moins traumatique). Il est notamment indiqué dans les cas où la fausse-couche entraîne des saignements importants à la femme qui compromettent sa santé. La chirurgie est également la principale option en cas de grossesse extra-utérine (mais avec une procédure différente, puisque justement l’embryon n’est pas dans l’utérus).

Très concrètement, cela peut nécessiter de réaménager son emploi du temps des semaines à venir en fonction de l’alternative choisie, avec souvent plusieurs consultations médicales et examens (analyses sanguines, échographies…) à prévoir, ainsi que la possibilité d’un arrêt de travail.

Et après ?

Chaque femme vit l’événement à sa façon : certaines sont plus ou moins affectées, l’une souhaitera retomber enceinte au plus vite alors qu’une autre préfèrera prendre le temps de faire le deuil de cette grossesse. Evidemment le terme auquel la fausse-couche est découverte, la situation personnelle de la femme (parcours d’aide médicale à la procréation, âge, première grossesse ou pas, etc), le fait que la grossesse ait été plannifiée ou pas, et tout simplement sa vision de l’embryon (pour certaines c’est déjà leur bébé, pour d’autres cela ne reste qu’une possibilité d’enfant) sont autant de facteurs qui vont influencer le vécu de l’événement. On ne peut que souhaiter à chaque femme de pouvoir exprimer les émotions que la fausse-couche provoque, sans que sa souffrance ne soit niée (“ce n’était qu’un tas de cellules”) ou qu’au contraire elle ne soit culpabilisée de ne pas manifester un chagrin jugé adéquat par son interlocuteur. Cela peut être fait dans un cadre médical ou de suivi psychologique, mais aussi simplement avec des proches bienveillants (réels ou “virtuels” : certaines communautés en ligne peuvent apporter un soutien plus que chaleureux). La place du père ou du partenaire de la femme qui fait une fausse couche est délicate : pour beaucoup à ce stade la grossesse est encore peu concrète, même si certains peuvent l’avoir déjà investie. Le point commun reste généralement la souffrance de leur femme (psychologique comme physique).

Quoi qu’en disent certains mythes urbains, hors certaines pathologies la prévention des fausses couches précoces reste rudimentaire pour ne pas dire impossible (et si c’est pour finir avec du distilbène…). Même si la tentation de refaire le film à grands coups de “et si” est forte, la culpabilisation n’apportera pas grand chose de constructif.

Enfin il n’y a pas de délai particulier à respecter si on souhaite rapidement une nouvelle grossesse, sauf avis médical contraire. Une contraception peut également être mise en place dans la foulée. La fausse-couche peut aussi avoir des répercussions lors d’une grossesse ultérieure, avec pour certaines une anxiété accrue quant à son bon déroulement. Il ne faut pas hésiter à évoquer ces angoisses avec la personne qui assure le suivi : parfois le seul fait de les exprimer suffit à les calmer, si nécessaire un suivi plus rapproché (échographies plus fréquentes par exemple) peut être envisagé pour rassurer la femme.

Des liens

Beaucoup déplorent le silence qui entoure cet événement pourtant courant ; voici donc quelques témoignages glanés sur le net :

Un site très complet et informatif en anglais (pourquoi on n’a pas de site médical pro de ce niveau en France ?)

Image : ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de beau gosse par ici (dont la présence sur ce blog est je le rappelle réglementaire pour les billets médicaux à caractère anxiogène) et pour changer un peu des médecins je vous propose Rabbi Dave (de Weeds), une épaule sur laquelle pleurer… et si vous n’aimez pas Rabbi Dave faites votre choix sur pfffouuu! (cliquez à vos risques et périls)

Ma fausse-couche : la physiologie oubliée ?

lundi, septembre 17th, 2012

Un thème pas très joyeux et pourtant plus banal qu’on ne le pense pour tenter de redonner un semblant d’activité à ce pauvre blog délaissé… J’accueille aujourd’hui en rédactrice invitée mon amie Ficelle qui m’a fait l’honneur de confier à cet espace l’histoire de sa fausse-couche. C’est un sujet sensible pour beaucoup d’entre nous, et contrairement à beaucoup des billets de ce blog, il s’agit simplement de son vécu, intrinsèquement subjectif. Comme tout ressenti, il n’a pas vocation à être généralisé à tout le monde, ni à prescrire une voie d’action ou à en condamner d’autres. Je compte particulièrement sur la délicatesse habituelle des commentateurs pour que le débat reste respectueux. Et avant que vous ne m’accusiez -à raison- de flemmingite aigüe je vous annonce pour demain un billet écrit par moi pour faire le point sur le sujet sous un angle complémentaire, plus général. Mais assez de blabla, je laisse la parole à Ficelle.

 Une amie qui a vécu plusieurs événements très difficiles me disait récemment à peu près cela : « Ce qui est très compliqué quand on raconte son histoire par écrit, c’est le côté figé. Cette histoire douloureuse, quand on en parle autour de soit, on la réécrit chaque jour… Les mots qu’on trouvait justes hier ne le sont plus forcément aujourd’hui ». Alors que mon amie la divine Poule pondeuse me propose de raconter ma fausse couche, les mots de cette amie résonnent exceptionnellement justes. Il se trouve que j’ai couché sur le papier certains éléments de « l’histoire » au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Je décide donc de ne rien changer à ces impressions du moment et de conclure avec ma vision « du jour ».

25 août 2012

Depuis quelques semaines, je porte un embryon qui a arrêté son développement. En langage courant, c’est une fausse couche. Contrairement aux idées reçues, les embryons défectueux ne lancent pas illico leur processus d’auto-destruction. Le dit processus prend plusieurs semaines, ce qui fait qu’on détecte l’arrêt de la grossesse avant d’avoir évacué l’œuf. Et ce, depuis que les échographies de contrôle sont généralisées aux alentours des huit semaines d’aménorrhée. Or, ce nouvel état de fait entraine au moins une conséquence fâcheuse : la possibilité de se débarrasser du bidule avant que notre corps ne finisse par faire le boulot lui-même. Ce qui peut prendre en l’espèce de trois à six semaines… Une éternité pour certaines femmes qui attendent impatiemment de retomber enceinte, ou pour celles qui ressentent encore de nombreux effets indésirables des hormones de grossesse, qui continuent un temps à être sécrétées.

Une fois que l’arrêt de la grossesse a été détecté dans mon cas, « ma » gynécologue, celle chez qui je vais chaque année – et bien plus en période de grossesse justement, déjà deux à mon actif – depuis près de 10 ans, m’a indiqué que j’avais alors deux options : le protocole d’expulsion médicamenteux (Cytotec) ou le « curetage » (aspiration de l’embryon –NB : on utilise encore souvent le mot curetage même si la procédure de routine est une aspiration, voir par exemple wikipedia pour la nuance). Joie, bonheur… panique. En plus d’être attristée par l’échec de ce début de grossesse et la remise au placard, provisoirement du moins, de notre projet de troisième bébé, je me sens piégée entre deux alternatives qui m’effraient. Influencée par le raisonnement reposant uniquement sur le paramètre d’efficacité de mon médecin, je me décide d’abord pour le curetage. Le « vite fait, bien fait » de cette procédure, pourtant chirurgicale, qui impose une anesthésie générale (même légère, elle n’est jamais anodine !), me tente de prime abord. Je me dis : deux rendez-vous, une matinée d’hospitalisation et cet épisode désagréable est derrière moi. Et puis, en face de la secrétaire de l’obstétricien indiqué par ma gynécologue « de ville », je flanche. Larmes, indécision, tour aux toilettes du cabinet flambant neuf, colère, renoncement. Je prends un rendez-vous pour le lendemain, à contre-cœur. Et puis deux coups de fil à deux amies sage-femme et généraliste me remettent sur pieds.

Une troisième voie s’ouvre. Celle de… ne rien faire. Et ma tristesse se transforme en colère. Comment cette professionnelle, avec qui pourtant j’ai souvent discuté, a-t-elle pu passer à côté du fait que l’option la plus « naturelle » puisse me convenir ? Celle d’attendre, de laisser faire la nature. Même 15 jours, même trois semaines. Une attente longue pour certaines, qui le sera aussi pour moi, mais qui reste une option, et pas des moindres. C’est celle qui permet de ne pas alimenter le trou de la sécu. Une échographie suffit en fin de processus pour vérifier que tout a été évacué. Attendre ou prendre des médicaments engendrent un léger risque d’hémorragie et peuvent « se terminer » en curetage. Mais le pourcentage n’est pas très élevé (impossible d’avoir un chiffre…). Alors que le curetage en première intention n’est pas l’option la plus économique. C’est une consultation de spécialiste en plus des deux précédentes chez le gynécologue de ville permettant d’établir le diagnostic (plus les deux prises de sang pour constater la baisse du Bêta HCG, l’hormone de grossesse dans le sang), une rencontre avec un anesthésiste en clinique, une anesthésie et un acte chirurgical – on écarte le col de l’utérus, on passe une sorte de paille large comme un stylo (aïe) et on aspire le sac embryonnaire.

Si cette éventualité de l’attente est d’emblée écartée par cette gynécologue, ce n’est pas par malice mais peut-être consécutif à une demande répétée des femmes. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. L’explication peut aussi venir d’un conditionnement interventionniste de la profession. « Couvrons-nous », « Maîtrisons le processus ». Mais sur le plan politico-sociétal ? Et bien, ces Cytotec-curetage, s’ils sont indispensables aux femmes dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse, sont dans le cas de fausses couches les instruments de contrôle de ces mêmes femmes. Comment reprendre confiance en soi et en son corps, si même ce processus physiologique, qui intervient pour d’excellentes raisons – éviter la mise au monde d’un bébé avec une anomalie génétique par exemple – n’est pas même reconnu comme une « option » à envisager pour la femme ? Pour moi, la capacité de la machine humaine à traiter seule ce genre de situations « normales » est niée par le système médical actuel, ou en tout cas un certain système médical. Et cette prise de conscience participe de mon engagement militant. Reste plus qu’à évacuer ma balle de ping-pong…

Lundi 3 septembre

La balle de ping-pong est toujours là. Aucun signe annonçant un décollement prochain. L’aspiration est programmée pour demain mardi. Ce qui me reste en travers de la gorge : le sentiment que plus personne ne sait vraiment comment vont se passer les choses sans intervention médicale. Il est quasiment impossible pour moi de prendre cette décision d’intervention de façon véritablement éclairée. La médecine n’est pas une science exacte certes. La connaissance des mécanismes physiologiques a été perdue, c’est en tout cas mon impression. Ma frustration est plus grande que ma déception (de ne pas être enceinte, de ne pas avoir expulsé l’œuf malgré les deux semaines d’attente éprouvantes, les quatre semaines depuis que la grossesse est vraisemblablement arrêtée). J’ai la sensation d’être entrainée, à moitié consentante, dans une spirale interventionniste. Je suis déchirée. Pas bien dans mes baskets. Je pleure beaucoup… Mon mari ne sait pas trop quoi me dire. Il pense à cette attente qu’il juge maintenant trop longue et douloureuse, moi je pleure (enfin ?) ce bébé qui ne viendra pas.

Dimanche 16 septembre

Deux heures, peut-être trois après que j’ai écrit ces derniers mots, je me promène dans les magasins. Désabusée, mal physiquement et moralement. Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter des serviettes hygiéniques pour incontinents, je saigne plus qu’à l’accoutumée. Je prends également deux Ibuprofène pour atténuer de petites crampes à l’utérus. Envie de changer ma serviette, je m’arrête dans un bar. Sur les toilettes, je sens que le sang s’écoule, assez abondant… et que glisse un caillot largement plus gros que les autres. Je jubile. Et le mot est faible. Je nettoie tout ça, sors en vitesse du bar, compose le numéro direct de ma gynécologue, souffle sur un ton de fausset : « C’est… sorti ! » Elle est contente pour moi, me confirme qu’elle annule l’intervention. On prend rendez-vous pour le vendredi suivant, histoire de vérifier que tout va bien [l’écho montrera un utérus complètement vide le vendredi en question]. Je bois un verre dans ce bar avec une amie. Je repasse aux toilettes une heure plus tard et sens à nouveau, sans éprouver aucune douleur, du « matériel » glisser. On dirait un peu un morceau de foie de veau. C’est bien le sac embryonnaire – avec l’embryon dedans mais invisible au stade où il a arrêté son développement, surtout au fond d’une cuvette. Je sais que tout est fini. Je suis sur mon petit nuage, soulagée.

 

Je n’ai qu’un tout petit recul aujourd’hui sur cet événement. Quinze jours à peine. Mais déjà je m’interroge : qui, du calendrier « programmé », physiologique, de cette fausse couche ou du rejet viscéral de l’intervention, tellement fort psychologiquement, est à l’origine de cette expulsion in extremis ? Trois amies, sage-femme, médecin et femme ayant vécu deux fausses couches, ont eu la même réaction : « Tu devais pleurer ce bébé », « tu n’étais pas prête à le laisser partir avant ». Je ne suis pas complètement satisfaite par cette explication, mais soit. Cette amie sage-femme m’a aussi textoté : « Belle leçon de patience pour l’obstétrique. Les femmes sentent toujours ce qui est bon pour elles, nous sommes trop précautionneux et interventionnistes ». Ces mots m’ont beaucoup touchés. Je ne jette pas la pierre aux personnels de l’hôpital que j’ai rencontré lors de cette épreuve – malgré tout ce que j’ai pu laisser paraître, c’en était une… – qui ont été prévenants et à l’écoute. Malgré tout, je regrette le parti pris du système médical, qui vise à prévenir un risque (celui d’une éventuelle infection, « très peu probable dans votre cas, mais quand même, ce serait tellement dommage… ») sans prendre forcément la mesure des vents contraires. L’effet boomerang de s’infliger un acte (médical ou chirurgical) que l’on ne veut pas et qui, si j’en crois mon aventure, n’est pas nécessaire et encore moins vital, loin s’en faut. Je sais que ce dernier point fera l’objet de discussions ici ou ailleurs. Je tiens donc à préciser que ce que j’ai défendu (et que je défends aujourd’hui en racontant cette histoire), c’est de pouvoir rester maître des décisions qui concernent notre corps, dans un cas comme celui-là qui est tout sauf grave. Presque banal diront certain(e)s, même si le mot me semble dur, dans un contexte où nos grossesses, le plus souvent désirées, sont souvent très vite investies.