Archive for the ‘Surmonter’ Category

A peine deux lunes – le témoignage de Minka

mardi, juillet 22nd, 2014

Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars (Wikimedia Commons)

Après un long silence, un peu d’activité sur ce blog avec le témoignage de Minka (que vous pouvez retrouver avec plaisir sur Twitter ou sur son blog, où ce texte est également publié).

 Mardi, première écho, à la maternité. J’en suis à 11 semaines de grossesse. La deuxième, on a déjà un enfant de 2 ans et demi. On aurait aimé un peu moins d’écart mais cette grossesse-là s’est un tout petit peu fait attendre.
L’écho commence, je trouve l’embryon bien petit (bien que je n’y connaisse rien), je ne me détends pas. Je me souviens que pour celle de ma grossesse précédente, j’avais souri jusqu’aux oreilles à la seconde où je l’avais vu à l’écran, avant même qu’on nous confirme que tout va bien. Je me raisonne, le gynéco n’a rien dit de négatif, il prend des mesures, 3 cm, il dit « et maintenant on essaie d’écouter le cœur » – je n’aime pas cet « essaie ». Phrase suivante, « Je suis désolé, il n’y a pas 36 façons de vous le dire, vous voyez que c’est une grossesse qui s’est arrêtée, il y a environ deux semaines. »

On retourne dans son bureau, il explique le protocole hospitalier, plutôt lourd : un cachet à prendre, deux autres le surlendemain, puis une opération sous anesthésie générale quelques heures plus tard. Il est très humain, souligne la banalité médicale de ce qui nous arrive et de l’opération, mais dit aussi qu’il sait que dans nos cœurs et dans nos têtes, c’était déjà un bébé et qu’il sait bien que c’est difficile. Je demande si on peut prendre un peu de temps, il me répond que bien sûr, qu’il n’y a aucune urgence médicale, que là il vient de nous assommer, qu’il nous balance encore plein d’informations et qu’il nous faut le temps de digérer tout cela … Mais que comme justement ce n’est pas une urgence médicale, il n’est pas dit qu’une fois que je serai prête ils pourront s’occuper de moi tout de suite, donc il m’enjoint à rappeler dans deux jours.

On rentre. Le portable sonne, les quelques copains au courant veulent des nouvelles. Je leur réponds, des larmes dans la gorge. Je suis sidérée, N. aussi. Le médecin nous a bien expliqué que c’était courant, et que la plupart des grossesses arrêtées dont on avait conscience (selon lui, une grossesse sur deux se finit ainsi, mais la plupart tellement rapidement qu’on ne le sait pas, on croit que les règles ont quelques jours de retard) se découvrent à ce moment-là, avant que l’organisme commence à évacuer l’embryon.
On récupère notre petite chez des amis, on coupe en deux mots leur grand sourire et « Alors tout va bien ? ». On rentre chez nous, on explique ce qui se passe à notre enfant, aussi simplement que possible. « Mais il est parti où ? » « Il est mort, ma chérie. C’était pas encore un bébé, tu sais, c’était comme un pépin de bébé, il aurait pu devenir grand, mais il n’a pas réussi » « Ah mais pourquoi ? » « On ne sait pas pourquoi, ça arrive parfois … »On avait prévu une soirée chez d’autres amis pour leur annoncer la nouvelle, N. y va avec Z., j’ai besoin d’être seule, d’appeler des gens et de considérer mes options. J’appelle d’abord une amie qui a vécu la même chose il y a quelques années, elle m’explique comment ça s’est passé pour elle, une séance d’acupuncture pour débloquer les choses, cinq jours d’attente, une évacuation naturelle et complète mais très douloureuse qui se finit aux urgences. J’appelle ensuite ma sage-femme, je dois la voir le surlendemain, on maintient le rendez-vous. Je ne sais plus ce qu’on se dit, à part que je n’ai pas d’arrêt de travail et qu’il faudrait que j’en obtienne un. Je reste dans le jardin, je regarde les papillons, le chaton, les jeunes pousses. Je ne vais pas sur Internet, je ne me renseigne pas davantage. Je laisse passer.

Les miens reviennent, un peu tard, on va vite se coucher, je pleure un peu dans les bras de N. Je m’endors, je me réveille en pleurs vers 4h du matin. Ma décision est prise, je vais suivre le protocole de l’hôpital, même s’il me paraît lourd, même si l’anesthésie générale me fait peur. Je n’ai pas envie de me battre, d’imposer ma façon de faire, de chercher un autre hôpital. Celui-là n’est pas parfait, avec son absence d’options et donc de consentement éclairé, mais je peux faire avec le protocole imposé, je sais que les gens y sont très humains (même si enfermés dans leur façon de faire), j’ai une grande confiance dans le gynéco et c’est ce qui m’importe le plus.

J’appelle mon généraliste, il me donne deux jours d’arrêt de travail, puis l’hôpital, la secrétaire est charmante, elle attendait mon coup de fil car le gynéco lui avait laissé un mot, elle se débrouille pour avoir des consultations rapidement, je peux revenir le jour même pour le premier cachet, puis un rendez-vous avec l’anesthésiste. On reconfie la môme à des amis – je nous découvre plus et mieux entourés que je croyais, N. m’accompagne à la maternité. Au secrétariat, je crois m’adresser à la personne que j’ai eue plusieurs fois au téléphone le matin même, elle ne me remet pas, j’ai un blanc au moment de lui expliquer la situation, et je dis « J’ai un bébé dans le ventre, il n’est pas vivant ». Je suis plus secouée que je croyais … L’autre secrétaire prend le relais, c’est elle à qui j’ai parlé. Le même gynéco nous reçoit, c’est pourtant son jour de congé, je prends devant lui le médoc qui va arrêter l’imprégnation, puis il me donne deux Cytotec, à prendre le lendemain le plus tard possible dans la nuit (voir le matin du surlendemain, vers 2h), l’un à avaler, l’autre à mettre au fond du vagin. Puis on voit l’anesthésiste. Entre les deux, on va déjeuner, on arrive à parler de plein de choses, aussi des pas tristes, des projets, à créer des moments de gaieté au milieu de tout ça. Je suis fière de nous.

Jeudi matin, je me lève, en sanglots encore, je vais dans le jardin. Aujourd’hui, à part ma sage-femme que je vois une heure et qui me conseille de demander deux semaines d’arrêt, je reste à la maison. Je lis les témoignages de fausses couches sur le blog de poulepondeuse. C’est donc bien ça, ce que je vis : une fausse couche, même si je n’ai pas encore vu une goutte de sang. Casse-tête pour faire garder la môme pour le lendemain. Je dois donc prendre les Cytotec, qui vont déclencher les saignements, dans la nuit de jeudi à vendredi, et je suis attendue à 6h45 à la maternité – je pars à 6h de chez moi. Est-ce que je serai en état de conduire ? Est-ce qu’on demande à un ami de dormir la veille à la maison pour que N. m’emmène ? Mais j’ai besoin d’être seule chez moi cette nuit-là … Et on ne va pas emmener Z. là-bas évidemment … La faire passer la nuit ailleurs ? Ca n’a encore jamais été le cas, et nos amis proches du coin ont des nouveaux-nés … Finalement, on décide que j’irai seule au rendez-vous, et que N. me rejoindra dès que Z. sera réveillée : une amie viendra tôt la garder à la maison, histoire qu’elle garde ses repères. Et je prendrai le Cytotec, en accord avec ma sage-femme, plus tard afin de ne pas être gênée pendant la route : à 4 ou 5h du matin, l’heure à laquelle je me réveille depuis quelques jours.

Jeudi soir, douche et shampoing à la Bétadine. Je coupe aussi ma toison pubienne, court, en espérant ça évitera qu’on la rase. Vendredi matin, je me réveille, pas en pleurant cette fois. Je prends les cachets, une seconde douche à la Bétadine. Je fais la route, j’écoute Noir Désir, il y a une lune énorme accrochée à l’aube. J’arrive à la maternité, les sages-femmes et les infirmières puéricultrices prennent leur petit déjeuner. C’est par ce couloir que je suis arrivée pour accoucher il y a presque trois ans. Ca pourrait me serrer le coeur, ça l’apaise plutôt : cette épreuve, car c’en est une pour moi, je l’inclus dans ma maternité. J’entends des vagissements de nouveaux-nés et ça me va (mais les femmes enceintes me collent les larmes aux yeux). Je préviens la sage-femme du « retard » avec lequel j’ai pris le Cytotec, elle me dit qu’il n’y a aucun souci. Elle semble inquiète pour moi, me propose de rester, mais pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de parler. Elle repasse 15 minutes plus tard : ils ont le planning des opérations, ce sera en fin de matinée. Je commence à saigner vers 8h, ça ressemble beaucoup à des règles, la douleur est moins forte (cela dit j’ai des règles habituellement très douloureuses, et quand j’ai accouché je n’ai pas eu vraiment mal). Je pourrais m’énerver d’être coincée ici si tôt, déjà en tenue réglementaire, alors que je ne serai opérée que dans plusieurs heures, mais j’aime autant que ça se passe ici. Je ne peux pas lire, je pleure un peu, je griffonne dans un carnet.

Tu as vécu
Dans mon ventre
Deux lunes
Je t’appelais Ö
Ni fille ni garçon
Homoncule
Tom Pouce
Petite Poucette
Une ébauche
Et le docteur a dit
La grossesse est arrêtée
Ni vivant ni mort
Comme l’autre poème
Tu as oscillé entre le pas encore et le déjà plus
Et nous t’avons aimé
Et nous te pleurons
Mon corps alourdi par la grossesse et le deuil
Il me reste encore
Quatre heures
Avec toi
Qui n’est pas là
J’essaie de te dire au revoir

Je dis adieu à cette promesse de bébé. Mon mari arrive, je continue mes allers-retours aux toilettes. Au bout de deux heures, je sens quelque chose glisser en plus du sang, ça ressemble beaucoup à la sensation du placenta (pour lequel la délivrance a été naturelle). A partir de là je ne saigne presque plus, je lis, je n’ai plus besoin de me focaliser sur mon ventre.

Une grosse demi-heure plus tard sans saignement, on appelle une sage-femme et on demande une échographie. Je suis persuadée que tout est parti. Alors qu’elle va se renseigner, le brancardier arrive. Adorable lui aussi « Madame, enchanté, enfin je suis désolée de vous dire enchanté dans ces circonstances ». La SF revient, l’opération a lieu quand même, par sécurité me dit-on. Je pourrais obtenir gain de cause en tempêtant, je choisis de m’économiser. Ensuite, les infirmières de la salle d’opé me piquent et me posent quelques questions, dont pourquoi je suis là. Gentilles elles aussi « N’ayez pas peur Madame … – Je n’ai pas peur, je suis triste – Oh oui je comprends bien que vous êtes triste … ». Puis la salle d’op, très blanche, les anesthésistes qui discutent entre eux, le seul moment où je me sens vraiment seule et misérable. « Vous allez dormir », dit le plus vieux des deux, d’une voix joviale. Ducon.

Je me réveille, dans une sorte de salle d’attente avec des lits. Mes jambes sont sous le drap, comme quand je me suis endormie. Je regarde sous ma culotte d’hôpital, on ne m’a pas rasée. Une infirmière vient me voir, je lui pose des questions, est-ce que tout s’est bien passé (oui), est-ce que je peux boire (non), est-ce que je suis en train de lui poser toutes les questions deux fois (oui).
C’est fini. Je me suis réveillée, l’AG ne m’a pas tuée (oui, j’avais peur). Je veux remonter voir mon mari, je veux quitter l’hôpital. On me ramène dans ma chambre, il n’est pas encore là, je me rhabille « en civil », je me rince la bouche. N. revient, je suis quasi euphorique, c’est fini ! On va rentrer ! La sage-femme passe, me voit habillée, sourit, « j’allais vous dire de m’appeler pour le premier lever » … C’est la seule à prononcer le mot « fausse couche ». Je veux sortir, je fais tout pour qu’on voit que je suis bien réveillée. Je bous pendant ces deux heures d’observation. On me propose des antidouleurs, on insiste même un peu, mais je n’ai pas mal. Finalement on me libère, avec un arrêt de travail d’une journée (et encore, parce que je l’ai demandé).

Cela fait dix jours. J’ai le sentiment d’avoir été bien traitée, bien accueillie par l’équipe hospitalière, même si j’aurais aimé avoir l’occasion d’exprimer des choix. Parce que je connais d’autres interlocuteurs, j’ai pu avoir les réponses que j’attendais et découvrir des possibilités, choisir celle-ci en connaissance de cause, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais tout le monde a été chaleureux, humain.

Je suis encore triste. J’ai de la chance : cette grossesse s’est arrêtée tôt, je ne me sens pas trahie par mon corps, j’ai plutôt l’impression qu’il a fait ce qu’il fallait,et je ne considèrais pas l’embryon comme un enfant, plutôt comme une promesse. J’ai du chagrin, envie d’être encore enceinte, ou de l’être à nouveau, des larmes aux yeux de temps en temps. Mon mari est passé à autre chose, il est un peu inquiet pour moi. Et notre petite fille encaisse, a du mal à s’endormir, a peur (pour moi, je crois) et se pot-de-collise.  Mais cela aussi passera.

Fausse-couche : le témoignage de Vany

lundi, avril 8th, 2013

Voici le témoignage de Vany : l’histoire de sa première fausse-couche, mais aussi de son histoire pas banale de grossesses et de contraception. Comme quoi tout ne se passe pas toujours comme dans les livres… Merci à elle d’être venue partager cela ici ! Si vous souhaitez des informations et/ou échanger autour des fausses-couches précoces de façon plus générale, voir ce billet.

 On n’oublie jamais.

Il y a douze ans, j’ai rencontré mon mari. J’étais sous pilule, c’était le premier homme avec qui je faisais l’amour, on a utilisé des préservatifs.
Pourtant, des nausées, un retard de quelques jours et un test sanguin positif nous mettent dans une ambiance merdique.

Ca fait à peine six mois qu’on est ensemble, on vit dans un foyer de jeunes travailleurs, et si lui ne veut pas d’enfants (du moins, pas tout de suite), moi, je suis dans l’ambivalence.
Oui, c’est tôt, pas top côté matériel. Mais il y a tant de soucis de fertilité dans ma famille!
Si j’avorte et qu’après, j’ai des soucis pour tomber enceinte, vais-je réussir à ne pas m’en vouloir et surtout, à ne pas lui en vouloir, à lui?
Non. Le constat est net. Je chercherais un coupable et je lui en voudrais de m’obliger à subir un avortement que je n’arrive pas à désirer.

Deux semaines difficiles passent, pendant lesquelles nous nous évitons. Je lui laisse le choix d’accepter ma grossesse ou non. Je lui dis que je ne lui en voudrai pas s’il ne veut plus entendre parler de moi. Il comprend. Et finalement, après une longue conversation, on se décide : ce bébé, on le garde.

Je fais une écho de datation, entend les battements de coeur d’un petit haricot… Moment de doute et d’émerveillement.

Arrive la veille de la première écho, quelques gouttes de sang quand je vais aux toilettes. Un moment de panique silencieuse.  Je file aux urgences maternité de la ville la plus proche avec une amie infirmière.

Là, j’attends pendant deux heures dans une salle d’attente pleine de gros ventres qu’un gynéco daigne me recevoir. Il m’examine enfin, me dit que tout va bien. On fait une écho pour se rassurer. Sur l’écran, 6 ronds. Un corps, une tête, quatre membres. Une ébauche de ce futur petit que mon corps abrite. Je suis émerveillée, le haricot d’il y a six semaines est un vrai bébé maintenant.
Puis la phrase : « Mais le coeur ne bat pas. » Moi, dans mon rêve : « Ben si » « Non, Madame. Vous êtes enceinte de 12 semaines et ce foetus a arrêté son évolution à 8 semaines. Il faut vous opérer d’urgence pour évacuer tout ça, ou vous risquez votre fertilité. »
Je suis sous le choc. Incapable de pleurer, on me demande de voir un anesthésiste pour une intervention le lendemain matin, mais je suis incapable de me rappeler mon adresse, ma date de naissance. Heureusement, mon amie est là et parle pour moi.

Dans le bus qui me ramène chez moi, j’envoie un texto à ma mère « Je fais une fc, intervention demain. ne m’appelle pas » Bien sur, elle n’obéit pas, me rappelle de suite, me voilà à pleurer dans ce putain de bus et je lui raccroche au nez.

Rentrée dans notre chambre, je pleure, pleure, toutes les larmes de mon corps.
Je m’endors, me réveille, pleure, puis me rendors.

J’ai tant pleuré que je suis incapable de rester éveillée quand mon zhom arrive pour entamer une conversation sur ce qui va se passer le lendemain.

Ce lendemain tant détesté, j’arrive à la maternité.
On m’installe dans une chambre, sans rien me dire d’autre que de prendre deux cachets que me tend une infirmière.
Dix minutes après la prise, des contractions (à l’époque, je ne sais pas de quoi il s’agit) me tordent le ventre et j’insiste pour que zhom parte et ne revienne que lorsque tout sera fini.

Trente minutes plus tard, un brancardier arrive, et m’engueule de ne pas être en tenue de bloc. Je veux bien, moi, mais encore faudrait il m’en donner une!
« Elle est dans l’armoire Madame, voyons! »
Je me sens infantilisée et humiliée, en plus de l’état de choc dans lequel je suis depuis la veille.

Arrivée dans le bloc, deux infirmières sont là, en plein préparatifs. J’ai la gorge nouée, impossible de répondre à leurs questions.
Jusqu’à ce que l’une d’elle qui me demande pourquoi je suis là aujourd’hui, sans réponse de ma part, regarde le dossier, puis regarde sa collègue après m’avoir jeté un regard froid « Ha, un curetage…. »
Plus de conversations, ni de sourires. Je suis coupable de quelque chose que je ne comprends pas, que je n’ai pas désiré !

Heureusement, le gynéco vu la veille arrive. Une caresse sur la joue en me demandant comment je vais. Une larme qui coule.
Une grande compassion, je ne l’oublierai jamais.
Comme je n’oublierai jamais le changement de comportement des deux infirmières quand il a expliqué pourquoi je subis cette intervention.
Car d’un coup, les sourires reviennent. Mais pour moi, elles sont désormais fausses, des ennemies que je dois supporter.

Je me réveille un peu plus tard, je ne sens rien. Un coup de panique : aurait-il oublié de m’opérer?
On me ramène dans ma chambre et le brancardier me demande de descendre du brancard pour aller dans mon lit. Sans son aide. Il sait et me méprise, il me l’a fait comprendre. Une mare de sang. J’ai envie de pleurer, de crier, de frapper.
Je me couche, mais ces gouttes de sang sur le sol m’obsèdent, elles me désignent coupable, j’ai l’impression.

Me voilà donc à quatre pattes, avec du papier toilette, à me hâter de nettoyer avant que quelqu’un n’arrive et ne me juge encore.
Je prend d’ailleurs une douche froide (il n’y a pas d’eau chaude car les douches ne sont pas censées être utilisées dans ce service) pour effacer toute trace « de ma honte »

Deux heures plus tard, on me demande d’ailleurs de libérer ma chambre. Une heure avant celle prévue. Mais pour eux, peu importe, je gêne.
On m’emmène dans une salle d’attente, je suis toujours en état de choc. On me demande d’attendre, je n’ai pas le droit de partir seule.

Puis on me laisse. Et je découvre l’horreur : la salle d’attente est celle d’obstétrique. Je suis entourée de futures mamans radieuses aux bidons ronds, de jeunes mamans.

J’ai l’impression d’un puits sans fond, que je vais me disloquer si je ne quitte pas ce lieu sur l’instant!

Bien qu’on m’ait interdit de partir seule, aucune des infirmières qui me verra partir ne me retiendra.
Je sors de l’hôpital et je m’assois sur un truc en béton qui maintient un panneau. Je ne vois rien, ne sens rien, je suis anesthésiée. A tel point qu’il faudra bien dix minutes à mon zhom pour que je remarque enfin sa présence.

Trois semaines plus tard, j’ai revu ma gynéco habituelle, outrée de la façon dont s’était passé cette procédure. Outrée qu’on ne m’ait donné aucun médicament pour ne pas souffrir des contractions que j’ai eues pendant quatre jours. Outrée qu’on ne m’ait proposé aucun suivi, ni aucune contraception.
C’est elle qui m’a appris que j’aurais du reprendre la pilule le soir même. Qu’ils auraient du me prescrire un antidouleur et un antibio. Que j’aurais du refaire une écho de controle pour être sûre que tout est bien parti.

J’ai été traitée comme une coupable, alors même que cet avortement n’était pas désiré. Ils ont réussi à me faire sentir coupable. Coupable d’une chose que je ne pouvais éviter. C’est monstrueux. Et je n’imagine même pas la souffrance que cela peut causer à celles qui subissent cette procédure pour une IVG.

Douze ans plus tard, quand j’y repense, c’est toujours comme un cauchemar pour moi. Et j’en pleure encore de colère, de désillusion.

Heureusement, je suis une éternelle optimiste. Dès le lendemain, je n’ai plus versé une larme pour ça. J’ai été de l’avant.
J’ai écouté, stoïque, les phrases assassines qui, au mieux, nient cette vie que j’ai portée et la douleur de cette perte : « Bah, c’est mieux comme ça, tu en auras d’autres » et qui, au pire, me rendent coupable de ce malheur : « C’est mieux comme ça, tu n’étais pas prête, tu ne l’as
peut être pas assez voulu »….

Alors, j’admire. J’admire celles qui font ce choix et qui le vivent « bien » car pour moi, au fond, ça reste un choix « par défaut » et que, quoi qu’on dise, on ne l’oublie pas. Je crois que c’est aussi une souffrance pour beaucoup. Plus ou moins, certes. Mais quand même….

Voilà, je sais que ce n’est pas l’histoire d’un avortement à proprement parler. Mais ça démontre bien que si l’avortement est un droit, il est encore souvent mal vu par le corps médical qui peut vous donner l’impression d’être une meurtrière.

Je n’en ai jamais parlé. Les gens savent mais ne connaissent pas les détails. Mais moi, je n’oublie pas. Ni ce que j’ai vécu, ni ce bébé que j’ai perdu et qui vit toujours quelque part dans mon cœur.
Et ça me fait du bien, de raconter. Parce que ça me donner l’impression de ne pas l’oublier…

Après ça, j’ai fait deux autres fausses couches précoces « classiques ». Pendant plus de trois ans, j’ai essayé sans succès de tomber enceinte.
J’ai fait des examens à n’en plus finir, puis j’ai fini par me résigner à passer par une PMA. J’ai repris la pilule parce que j’ai trouvé un nouveau boulot.
Deux mois plus tard, j’étais enceinte.
Neuf mois plus tard, un pluvieux samedi de mars, un merveilleux petit homme est venu faire de nous une famille!
Puis j’ai eu deux autres enfants.

Je suis comblée mais toujours pas reconnue dans la douleur de ce que j’ai vécue.
On me traite d’irresponsable car je suis tombée enceinte quatre fois sous pilule. C’est impossible, me dit-on.
Jusqu’à ce que je tombe enceinte de mon dernier… sous stérilet!

Hyperfertilité. Manque de réactions aux progestatifs. Il aura fallu cette dernière grossesse pour qu’enfin, on me reconnaisse comme une victime des circonstances.
Mais néanmoins, personne ne comprend ma peine pour ces trois anges que je ne serrerai jamais dans mes bras.

On ne devrait pas avoir à se justifier quand on souhaite avorter. On ne devrait subir ni jugement, ni morale. Et on ne devrait pas nier la douleur des femmes qui subissent un curetage ou une aspiration, que ce soit pour une fausse couche ou une IVG.

Photo : l’issue heureuse d’une des grossesses de Vany

IVG : la tête ou le coeur – le témoignage de Leila

lundi, mars 4th, 2013

Un nouveau témoignage d’IVG aujourd’hui avec Leila, que je remercie beaucoup de venir partager avec nous. Si vous aussi vous souhaitez raconter votre histoire d’IVG ou de fausse-couche, il suffit de me l’envoyer à lapoulepondeuse at gmail point com. Si vous vous trouvez dans une situation de grossesse non désirée, un billet d’information est disponible ici (c’est aussi sous ce billet que je vous demande de commenter si vous voulez discuter autour de l’IVG, les commentaires du témoignage étant réservés à celui-ci). 

 Bruxelles, janvier 2013. Je me sens mal. Très mal. Je n’arrive plus à dormir. Ma tension est très basse. Je suis épuisée. J’ai mal au ventre, des nausées. Je pleure beaucoup. Je dois m’absenter au travail, le temps de comprendre ce qui se passe dans mon corps. J’imagine le pire. Après quelques jours, maman me propose de faire un test de grossesse. C’est impossible, je suis sous stérilet. Je le fais quand même.

Positif.

Je ne me sens pas enceinte, je n’ai pas pu connecter avec l’embryon. Je suis malade. Je sens que je n’y arriverai pas. J’ai déjà deux enfants, de 4 et 6 ans. J’ai 39 ans, mon mari 44. Maman, notre unique soutien, a 68 ans. Cette fois-ci, ni mon mari ni ma maman n’ont l’énergie nécessaire pour m’entourer. Moi aussi je suis fatiguée : déjà deux amours à gérer, un travail aux horaires fatigants.

Je suis de plus en plus mal. Ma tête tourne : que se passera-t-il si je n’ai pas la force physique  de mener cette grossesse à terme ? Pour moi mais
aussi pour le futur bébé ? Que se passera-t-il s’il y a un problème (risques plus élevés à cet âge quand même ; j’avais bu un peu et pris
quelques médicaments, ne me sachant pas enceinte), pour moi ou pour lui ? Que se passera-t-il pour mes deux amours, déjà là et bien réels ?
J’ai peur, très peur. Je panique. Quelle sera notre vie avec trois enfants ? Je n’y arriverai pas. Je ne saurai pas gérer cela. Comment pouvoir leur payer des études, leur accorder assez de temps dans toutes les étapes que la vie réserve ?
J’ai peur, il faut se décider, le délai pour l’IVG approche.

Je me décide, c’est la moins mauvaise solution, je me sens mal, je pleure, je pleure, je pleure beaucoup. Je n’ai pas de réel choix. La veille, j’avais rediscuté avec ma mère et mon mari. Aucun d’eux ne m’a poussée à le garder. Je ne leur en veux pas, ils sont fatigués eux aussi.
Le jour de l’intervention (8 semaines et 5 jours d’aménorrhée), je verse toutes les larmes de mon corps. Je suis prise d’une tristesse infinie.
L’embryon n’a pas souffert. Moi tellement ! Inconsciemment, j’aurais voulu le garder, j’aurais voulu être plus jeune, avoir plus d’entourage, pouvoir assurer à tous mes enfants un avenir digne et leur offrir une mère détendue…

Aujourd’hui, environ un mois après l’intervention, je suis encore infiniment triste quand j’y repense, c’est-à-dire à peu près à chaque
minute. Je ne sais pas quel autre chemin ma vie aurait pu prendre. Mais je sais que l’IVG peut nous arriver à toutes. Que c’est une épreuve extrêmement douloureuse et éprouvante psychologiquement (en tout cas pour moi ce fut le cas).
Et que, parfois, on ne peut parler de réel choix. Car le vie nous rattrape. Accueillir un bébé, ce n’est pas seulement l’aimer ni lui changer ses couches. C’est aussi se sentir assez solide pour pouvoir répondre à tous ses autres besoins, et ce toute sa vie durant.

La tête a parlé.
Pour le cœur, c’est autre chose…

Photo : Doug88888 sur Flickr

FCS : le témoignage d’Ella

lundi, février 25th, 2013

 Initialement, j’avais lancé un appel à témoignages d’IVG, parce qu’il me semblait qu’on manquait cruellement de parole sur ce sujet, de témoignages de femmes qui sont passées par là. Et puis Ella (une chouette sage-femme qui tient le blog Ella et Valentin) m’a envoyé son texte, qui ne parle pas d’IVG mais d’un sujet aussi tabou ou presque, la fausse-couche précoce. Quand vous l’aurez lu je pense que vous comprendrez pourquoi il m’a alors paru inévitable d’élargir ma proposition initiale de publication de témoignages d’IVG aux fausses-couches. Je suis consciente qu’entre ces témoignages et le fait que je n’écris pas beaucoup, le blog prend une teinte assez sombre, alors n’hésitez pas à naviguer dans les archives si vous trouvez cela trop pesant. Mais place au témoignage d’Ella, que je remercie du fond du coeur pour sa confiance.

Été 2010. Il fait beau, on est jeunes, amoureux. Depuis sept mois, on a décidé de faire un bébé. On rentre de vacances, et la prise de sang est positive. Un bébé pour le printemps. On est heureux… Je suis zen, tranquille, je ne fais aucune écho précoce. Tout va bien, pourquoi ? J’ai des nausées, je vomis, mais ça va. Et puis les nausées passent. Je suis bien. Je suis enceinte de 2 mois.

Septembre. Ce matin, mon homme souriait: « dans une semaine, première écho ! » Mais en me levant, je saigne. A l’écho, dans mon ventre, il n’y a plus qu’un œuf vide. Mon bébé s’est envolé il y a 1 mois…

Je prend des comprimés, pour faire partir cet œuf sans vie. J’ai mal, vraiment mal. Physiquement. Psychologiquement. Je rencontre un anesthésiste, au cas où. Cet abruti me parle d’IVG. Je crie, je pleure, je hurle, je fais un scandale jusqu’à ce qu’il efface ces trois lettres de mon dossier. « Mais c’est la même chose », me dit-il. Deux ans après, je le hais encore.

Un dimanche matin, mon corps laisse partir ce petit œuf…

Je n’ai aucun soutien. J’entends que ce n’est pas grave, que je suis jeune, que j’en aurais d’autres. Qu’il vaut mieux ça que d’accoucher d’un avorton. Que ce n’est pas normal que je pleure autant, que je devrais voir un psy.

Moi, j’ai juste besoin qu’on me prenne dans les bras, et qu’on me laisse faire mon deuil.

 

Janvier 2011. La prise de sang est positive, de nouveau. J’ai peur, mais je me dis qu’il n’y a pas de raison que ça recommence. Je fais une écho quand même, à 6SA. Tout va bien.

A 8 SA, une garde chargée, des pertes marrons. A l’écho, le petit cœur clignote. Je respire.

Mais dans la nuit, le sang. Dans mon ventre, il n’y a plus rien. Mon utérus n’est rempli que de sang. Le petit cœur ne clignote plus.

Je m’effondre. Je prend un arrêt de travail, note une date plusieurs semaines plus tard, le fait signer au médecin. Je suis incapable de travailler.

Je pleure. Beaucoup. Je tricote. Énormément. Maille après maille, je construis de mes mains ce que mon ventre ne peut faire. Je me coupe des gens. Je ne veux plus entendre leur non-compassion.

 

Avril 2011. Troisième prise de sang positive. J’ai peur cette fois, très peur. A 6 SA, l’écho révèle un décollement important. Repos strict.

J’ai des nausées, je vomis. Je m’en fiche. Le matin, je ne suis pas tranquille tant qu’une vague ne m’a pas envoyé la tête dans la cuvette.

Pendant quatre mois, je suis morte de trouille chaque jour. Ma collègue finit par me prêter un sonicaid. Tous les jours, j’écoute le cœur de mon bébé. J’ai du mal à m’y attacher. Je lui parle peu. Je suis heureuse d’être enceinte, mais j’ai du mal à créer un lien avec l’enfant que je porte.

 

Aujourd’hui, mon fils va bien. Il vient d’avoir un an. C’est un bébé intense, avec un besoin de contact énorme. Fusionnels ? Oui, on l’est. Je le porte, je l’allaite. Je le laisse le moins possible. Je ne peux pas.

Et mes autres bébés ? J’ai porté trois enfants, mais pour tout le monde, je n’en ai qu’un seul. Les autres, il faudrait que je les oublie. C’est le passé, paraît-il.

Mais ces anges m’ont faites mère, malgré tout. Ils n’ont fait que traverser ma vie mais m’ont apporté beaucoup. Sans eux, serais-je la mère que je suis…? j’en doute.

Souvent , je pense à eux. Qui étaient-ils ? Garçon, fille ? Je suis triste de les avoir perdus. D’un autre côté, sans ces deuils, le petit garçon que je regarde grandir chaque jour ne serait pas là… Ils sont partis pour lui laisser la place.

Non, ils n’étaient pas « rien ». Ils sont mes enfants. Mes petits anges partis si vite, passés dans ma vie comme des étoiles filantes. Mon deuil d’eux n’est pas fait. Je pleure encore en repensant à ces moments. Et déclenche l’incompréhension de mon entourage.

Une fausse-couche, ce n’est pas rien.

D’autres billets sur le même sujet :

Photo : Nuwandalice sur Flickr

Mon IVG en conscience : le témoignage de Koa

mardi, janvier 8th, 2013

 Aujourd’hui, c’est Koa, une fidèle lectrice et commentatrice de la basse-cour qui a souhaité partager le récit de son IVG. Un grand merci à elle pour sa confiance (et sa patience, oups…). Si vous aussi vous souhaitez publier ici votre témoignage (anonymat garanti), je vous propose de me l’envoyer à lapoulepondeuse at gmail point com. Pour plus d’informations sur les grossesses non désirées, voir ce billet.

Mon histoire est différente de celle de Nanette, mais j’ai envie de la raconter pour les mêmes raisons : j’ai envie qu’on parle d’IVG, que celles qui sont en train de prendre cette décision savent qu’elles ne sont pas seules, et faire entendre un autre son de cloche que celui qui est habituellement proposé. A ce moment-là, j’ai une petite fille adorable de 19 mois. Je l’ai maternée et l’accompagne avec tout mon coeur, toute mon énergie, et je suis fatiguée. J’ai adoré ma grossesse et je rêve d’en revivre une. Mais pas là, pas maintenant, alors que je dois reprendre le travail sous peu (et mon salaire fait bouillir la marmite familiale) et que mon corps est encore fatigué de cet accompagnement intense. Alors quand je découvre cette nouvelle grossesse, c’est un immense NON qui jaillit de moi. Non, je ne suis pas prête, non, je ne veux pas. Mon compagnon est sur la même longueur d’onde, pour autant, avant de lâcher, j’ai besoin qu’il accepte cet enfant. J’insiste jusqu’à ce qu’il dise qu’après tout, c’est en moi, c’est à moi de décider, qu’il acceptera même si ce n’est pas son souhait. Au moment où il accepte la possibilité de cet enfant, mon NON est clair et sans failles. NON. Je me dirige vers l’avortement.

Je suis en pleine campagne, à des heures de voiture de la ville. J’appelle une amie médecin qui me fait les papiers nécessaires, attestant qu’on a parlé et que je commence un délai de réflexion. Je prends des tisanes de sauge en espérant vaguement qu’elles aient un effet magique. Je fais une séance d’acupuncture en espérant que ça résolve le problème. Et puis dès mon retour en ville, je contacte l’hôpital. Le jour du rendez-vous, je me transforme en victime pour attendrir les sages-femmes et négocier la présence de mon compagnon avec moi. J’ai besoin de lui, mais les enfants ne sont pas admis dans le service et personne n’a pu garder ma fille en cette période de fête. Mes amies ont rejoint leur famille, je suis loin de la mienne. Tout le monde est beaucoup plus avenant que lorsque je négociais mon projet de naissance dans ce même hôpital… Mon compagnon peut m’accompagner. Je refuse l’examen gynécologique que je trouve inutile en la circonstance. Le médecin qui me reçoit est très compréhensif et n’insiste pas. Il m’apprend que, puisque je suis dans les délais pour une IVG médicamenteuse et que c’est mon souhait, j’aurais pu faire ça en ville, sans être hospitalisée. Pas d’hospitalisation ? Chez moi ? C’est CA que je veux ! Oui, mais une fois la procédure entamée à l’hôpital, elle doit se dérouler à l’hôpital… Je mets toute mon énergie à sortir du parcours hospitalier et ça marche.

Je suis reçue le soir même dans le cabinet de ville de ce même médecin. Ouf ! Je prends les médicaments seule, le soir, devant la flamme d’une bougie, en pensant à ce bébé qui ne naitra pas. Je suis en paix avec ma décision, je suis sereine, je lui envoie de l’amour. Quelque part, j’ai été heureuse d’être enceinte pendant 4 semaines… Ca paraît ambigu, mais en moi, c’est clair : je ne veux pas ce bébé, je fais ce qu’il faut, mais être enceinte a un petit côté magique et même en sachant que je ne poursuivrais pas cette grossesse, je l’ai ressenti et savouré. Deux jours plus tard, je prends les médicaments qui déclenchent les contractions. J’ai installé un grand drap par terre et je dessine en attendant que le processus s’enclenche. Mes dessins sont plein d’étoiles et de couleur. D’un seul coup, une première contraction, une deuxième… Mon corps se souvient qu’il a déjà poussé de toutes ses forces. Je retrouve les sensations de mon accouchement, c’est bizarre. Je prends des douches chaudes à intervalles réguliers pour me soulager. Comme pour mon accouchement, je sens que les sensations pourraient être qualifiées de « douloureuses » mais ce qui me vient, c’est surtout « intense », et « suprenant » car je ne m’attendais pas à une telle force pour expulser un si petit corps… Au bout d’un long moment, tout s’arrête. Sur le drap, du sang, du sang, encore du sang et ce que j’identifie comme l’embryon. Pendant que je suis une dernière fois sous la douche, mon compagnon plie le drap et y dessine un coeur.

Nous irons l’enterrer en forêt, sous le soleil et la neige, toujours guidés par l’amour pour ce bébé que nous avons choisi de ne pas accueillir. Une quinzaine de jours après, je vais effectuler l’échographie de contrôle. Le médecin me signale des « restes » et explique : « Soit vous l’expulsez avec vos prochaines règles, soit il faudra une petite opération, par les voies naturelles, pour l’enlever ». Je me retiens de crier « QUELLES voies naturelles ? Il y a des voies naturelles pour accoucher, pas pour y introduire un objet médical ! ». A la place, je lui ai demande s’il pense que l’acupuncture pourrait m’aider. Je revois l’air condescendant qui accompagnait son « Non » catégorique. En sortant, je prends quand même rendez-vous chez le praticien en médecine chinoise qui me suivait pour aider mon organisme à drainer les drogues (les restes de médicaments) et à retrouver de l’énergie. Je lui explique la situation. Il m’écoute attentivement, pose quelque aiguilles d’acupuncture… et au moment de me relever, je saigne abondamment. Je n’ai bien sûr rien prévu et je dois filer aux toilettes… La quasi totalité du rouleau de papier finit dans ma culotte mais j’ai un grand sourire. Quelques temps plus tard, l’écho suivante montrera que tout est revenu à la normale. Je suis très soulagée. L’histoire est finie.

Ce qu’il me reste de cette expérience, c’est que je suis heureuse d’avoir pu vivre les choses à ma façon, d’avoir évité, par deux fois, l’hôpital. Je suis heureuse d’avoir pu ressentir l’amour sans me l’interdire parce que « avorter, c’est mal, c’est le contraire de l’amour ». J’ai fait ce qu’il fallait pour ma vie, pour ma famille, à ma façon, en me respectant tout au long du processus. En cela, cette IVG m’aura permis de prendre confiance en moi, de me sentir maitresse de ce qui m’arrive. J’y ai gagné de la force et le souvenir du passage, très court et très particulier, de ce bébé.

Photo : Hembo Pagi sur Flickr

Quand la grossesse n’est pas désirée : que faire ?

mardi, novembre 27th, 2012
 Après le touchant témoignage de Nanette, je vous propose de faire le point sur la situation des grossesses non désirées et des alternatives disponibles pour les femmes.
Malgré l’arsenal contraceptif disponible pour les couples occidentaux, les grossesses non souhaitées restent une réalité. Mauvaise information sur la contraception et la fertilité, méthode de contraception inadéquate et/ou mal appliquée (comme le dit l’INPES, la meilleure contraception c’est celle qu’on choisit -pas celle que le gynéco a l’habitude de prescrire…), ou tout simplement malchance (aucune contraception n’est fiable à 100%) sont autant de raisons pouvant expliquer la relative stabilité des interruptions volontaires de grossesse (IVG) au cours des années (un peu plus de 200 000 par an en France, à mettre en regard des 800 000 naissances). Bien sûr, toutes les grossesses non plannifiées ne conduisent pas à un avortement ; certaines femmes (en couple ou seules) choisissent de garder l’enfant, d’autres encore mènent la grossesse à terme mais abandonnent l’enfant à la naissance (ainsi l’accouchement sous X concernait 680 femmes en 2009 d’après l’INED).Il peut sembler paradoxal de parler de grossesse non désirée dans un blog pour parents, mais comment passer sous silence un acte qui concernerait jusqu’à 40% des femmes françaises ?

Quelles options ?

Concrètement, différentes options s’offrent aux femmes qui ne souhaitent pas poursuivre une grossesse, en fonction notamment du terme auquel elles se trouvent.
  • Echec avéré ou soupçonné de la contraception : oubli d’un comprimé de pilule quelques jours avant ou après un rapport sexuel, déchirure du préservatif, perte du DIU (dispositif intra utérin, nom officiel du stérilet)… ou tout simplement rapport non protégé. Un simple passage à la pharmacie permet de se procurer la “pilule du lendemain” (appelée “plan B” par les Anglo-saxons) sans ordonnance. Plus elle est prise proche du rapport supposé fécondant, plus elle est efficace : il n’est donc pas idiot d’en avoir une d’avance dans sa trousse à pharmacie. Des explications détaillées sur la contraception d’urgence sont disponibles ici. Une option moins connue est la pose d’un DIU au cuivre, qui est pourtant la méthode la plus efficace, et qui a l’avantage d’être également une des méthodes les plus fiables hors de ce contexte d’urgence. Le DIU peut être posé par un médecin (généraliste ou gynéco) ou une sage-femme (même si elles sont loin d’être toutes formées à cela), y compris chez une jeune fille, une femme n’ayant jamais eu d’enfant ou une mère allaitante n’ayant pas encore eu son retour de couches. Rappelons également qu’hors cette utilisation d’urgence le DIU au cuivre a une action spermicide et qu’il n’est donc pas abortif ; quant à son cousin aux hormones il bloque l’ovulation. Dans tous les cas, que ce soit par l’absence d’ovule ou par l’absence de spermatozoïde, il n’y a généralement pas de fécondation.
  • Quand la grossesse est avérée (soit à partir de 2 semaines de grossesse SG = 4 semaines d’aménorrhée SA) : il faut passer par une IVG. En France, c’est possible jusqu’à 14 SA. Les mineures peuvent être dispensées de l’autorisation parentale si elles sont accompagnées par une personne majeure, qui a la charge de les soutenir pendant toute la procédure. En pratique, la femme doit passer par deux consultations médicales, espacées d’au moins sept jours (délai pouvant être raccourci si on est proche des 14 SA). Entre les deux est proposé un entretien dit psycho-social, qui est obligatoire pour les mineures.

Deux techniques d’IVG sont possibles :

  • la méthode instrumentale dite “chirurgicale” qui doit être pratiquée en milieu hospitalier, sous anesthésie (locale ou générale), et qui s’accompagne généralement d’une courte hospitalisation (moins de 12 heures) : il s’agit d’une aspiration de l’embryon à travers le col de l’utérus.
  • la méthode médicale dite “médicamenteuse”, qui n’est possible que jusqu’à 7 SA mais peut être faite en ville ; concrètement la femme prend des pilules abortives et évite ainsi l’anesthésie et le geste chirurgical. Toutefois cette méthode est légèrement moins efficace et une aspiration peut s’avérer nécessaire dans un second temps en cas d’échec.

Il est regrettable de constater qu’en France les centres d’IVG sont surchargés et les délais pour obtenir une consultation s’allongent, rendant l’avortement de facto impossible dans certains cas (ainsi il peut être extrêmement difficile d’obtenir une IVG au mois d’août).

Après le délai de 14 SA, la seule option est d’obtenir une IVG dans un pays dont les délais sont supérieurs, et notamment l’Espagne (24 SA). Mais si en France l’IVG est remboursée à 80% aux assurées sociales (100% pour les mineures sans consentement parental et pour les femmes dépendant de l’aide médicale d’Etat -AME, et maintenant pour toutes), cela sera souvent plus coûteux à l’étranger.

Et après ?

Une IVG telle qu’elle est pratiquée dans les pays occidentaux par un médecin ne laisse normalement pas de séquelle physique et ne compromet pas la possibilité d’avoir ensuite des enfants (bien sûr comme toute procédure médicale celle-ci a des risques inhérents quoique faibles). Rappelons par contre que les avortements clandestins auxquels les femmes sont contraintes lorsque l’IVG est interdite s’accompagnent eux de risques avérés : infections, stérilité, voire mort de la femme. Si vous lisez l’anglais, je vous recommande ce témoignage d’une gynéco étatsunienne sur ce que peut donner un avortement clandestin dans un pays occidental. Plus généralement, on estime que 47 000 femmes meurent chaque année dans le monde des suites d’un avortement clandestin, et si vous voulez mettre des personnes derrière ce chiffre lisez ce billet de Sophie, sage-femme qui raconte son expérience humanitaire (et puis tout son blog, non mais). Et en France, avant 1975 et la loi Veil, ça se passait comme ça. L’ANAES estime qu’on est passé de 332 décès par an en 1963 à 0 à 2 actuellement. En Irlande, récemment, une jeune femme est morte faute d’avoir pu avorter.

Psychologiquement, il semble difficile de faire des généralités tant les circonstances pouvant conduire à l’avortement sont variées ; certaines font ce choix dans un contexte de pression de l’entourage (futur père, parents de la femme etc), d’autres suite à un événement traumatisant (un viol par exemple) ; et bien sûr pour beaucoup c’est la décision logique. Certaines femmes le font à contre-coeur, d’autres restent ambivalentes et pour d’autres enfin c’est une évidence. L’initiative “IVG : je vais bien, merci” recense ainsi des témoignages en ce sens. Pour autant, si l’IVG ne doit pas être présentée comme un traumatisme obligatoire (“L’institution nous oblige à pleurer”), il ne faut pas non plus en déduire qu’elle ne peut pas en être un (voir aussi cet article de G.M. Zimmermann).

On peut également déplorer un accompagnement parfois déficitaire des femmes par certains soignants, parmi lesquels persiste la vision de l’IVG comme un signe de l’irresponsabilité de la femme (incapable de prendre correctement une contraception, menant une vie à leurs yeux dissolue, privilégiant son propre plaisir à tout le reste…). En Thaïlande, où l’avortement est réservé aux cas extrêmes (viol ou risque pour la santé de la mère), les femmes qui vont consulter suite à une procédure « sauvage » qui tourne mal sont accueillies par un curetage sans anesthésie (extrêmement douloureux), voire une ablation de l’utérus, sans autre motif que de les punir. Cela peut paraître bien loin mais avant la loi Veil de telles pratiques (les curetages à vif) avaient également lieu dans les hôpitaux français, l’absence d’anesthésie n’ayant aucune justification médicale.

Appel à témoignages

Quoi qu’il en soit, les nombreuses réactions que Nanette et moi avons reçues suite à son témoignage m’ont montré que les femmes avaient un fort besoin de parole et d’échange sur ce sujet. Plus de 40 ans après le Manifeste des 343, la honte et la culpabilité sont encore trop présentes et ce n’est pas acceptable. A ma petite échelle, je vous propose donc de publier dans ces colonnes vos témoignages d’IVG. Personnellement, je trouve que ça a toute sa place sur un blog dédié à la parentalité : ce sont simplement différentes facettes d’un même sujet. Si vous souhaitez partager votre histoire, envoyez simplement un mail à lapoulepondeuse chez gmail point com. Je m’engage évidemment à protéger votre anonymat. Et désolée à l’avance pour les inévitables délais de publication dus à mon débordement chronique.

 Photo : Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale en 1974. Merci.

Une histoire ordinaire : mon IVG douce-amère

jeudi, novembre 8th, 2012

Aujourd’hui, la basse-cour a l’honneur d’accueillir une invitée : je vous présente Nanette. Si vous ne la connaissez pas déjà vous pouvez suivre ses humeurs ici. Elle a souhaité partager avec nous son expérience sur un sujet à la fois banal, délicat et intime : l’interruption volontaire de grossesse. Reprenant la formule testée avec Ficelle, je vous propose de lire d’abord son témoignage puis dans un second temps de le compléter par un autre billet plus général sur la question. Si vous souhaitez discuter de la question de l’IVG , je vous demande de réserver vos commentaires pour ce second billet et de respecter les choix et les ressentis que Nanette nous expose. Je lui laisse maintenant la parole, en la remerciant très chaleureusement de nous offrir ce témoignage dont la publication me tient à coeur.

 J’ai choisi d’avorter en 2002. Il y a longtemps que j’avais envie d’en parler sur mon blog mais je n’ai jamais trouvé le bon moyen, le bon moment. J’ai toujours su que j’en parlerai un jour pourtant.
D’abord parce que je n’ai jamais caché grand-chose à mes lectrices (sauf sans doute, nos identités véritables à ma famille et à moi) et ensuite parce que selon moi, il FAUT en parler. Le plus possible. Et sans honte.
Et pourtant, moi qui ai souvent raconté le plus intime sur mon blog, je trouve que raconter cet épisode de ma vie est ce qu’il y a de plus difficile.

J’ai accouché de mon premier enfant un mois avant mes 18 ans, en mars 2000. J’étais en classe de terminale et ma grossesse que j’ai très longtemps cachée à mes parents a été assez difficile et évidemment difficilement acceptée par ma famille. J’ai eu la chance d’être beaucoup soutenue par mon père et de pouvoir poursuivre mes études et ma vie – presque – comme toutes les jeunes filles de mon âge. Pendant les deux années qui ont suivi la naissance de mon fils, je suis restée célibataire. Et puis, à la faveur de la fac, des rencontres, des sorties et entre deux allers-retours à la crèche, j’ai fini par rencontrer quelqu’un.

Tout se passait très bien… jusqu’à ce que je tombe enceinte à nouveau malgré la contraception. Je prenais depuis longtemps une pilule inadaptée. Dès que je l’ai su, à la seconde même, il n’a jamais été question que je garde ce bébé. Je me démenais depuis des mois pour pouvoir enfin vivre seule, j’allais encore à la fac et je vivais de ma bourse et des allocations. Et cette histoire, même si elle était très belle, je savais bien qu’elle ne durerait pas. J’ai néanmoins prévenu mon compagnon, qui a jugé comme moi que ce n’était ni le moment, ni les conditions pour avoir un enfant. Je n’ai pas désiré qu’il m’accompagne dans ce parcours et lui non plus. En fait, j’ai souhaité traverser tout ça seule. Je ne peux pas expliquer pourquoi aujourd’hui. Je n’ai pas eu honte, mais je n’ai pas ressenti le besoin d’être soutenue, du moins pas avant ni pendant l’intervention.

Dès lors que ma décision a été prise, je n’ai pas été triste, ni affligée. Ma sœur à qui je m’étais confiée s’est beaucoup étonnée de mon apparente « froideur ». Assez rapidement, j’ai pris rendez-vous dans le service d’orthogénie de l’hôpital Béclère. C’est un petit bâtiment séparé de l’hôpital, composé de plusieurs bureaux et aux murs bardés d’affiches sur la contraception, le droit à l’IVG, le planning familial. J’ai été reçue par une femme admirable qui y exerce encore. Très humainement, elle m’a expliqué que cet entretien était le premier du parcours que nous allions faire ensemble : j’allais devoir rencontrer un psychologue, une sage-femme puis la revoir de nouveau, elle. Elle m’a examinée et a fait une échographie pour dater la grossesse. Elle m’a posé des questions sur les raisons de cette décision et sans insister, s’est bien assurée de ma conviction.

Encore une fois, c’est soulagée que j’ai quitté son cabinet. Je suis revenue à Béclère quelques jours plus tard pour voir la psychologue à qui j’ai dû, à nouveau raconter mon histoire. J’ai moins « accroché » avec elle, donc j’ai trouvé ça assez gênant. J’ai vu la sage-femme peu de temps après. Elle m’a expliqué que vu l’âge de ma grossesse, j’avais encore « le choix » de la méthode utilisée pour procéder à mon IVG : l’avortement médicamenteux par prise de Cytotec ou la chirurgie par aspiration.
J’ai choisi les médicaments.
Malheureusement, l’hôpital n’a pas pu accéder à ma demande. A l’époque (je ne sais si c’est toujours le cas [Note de la PP : maintenant l’IVG médicamenteuse peut être faite en ville et la femme prend le traitement chez elle]), l’avortement médicamenteux se faisait en plusieurs phases : la prise du cytotec sous surveillance quelques heures, puis un nouveau rendez-vous pour vérifier l’expulsion de l’embryon.

Par manque de place disponible (et pour des soucis d’emploi du temps), je n’ai finalement pas eu le choix et nous avons fixé la date de l’intervention. J’ai décidé de ne pas être endormie, j’allaisamèrement le regretter.

Le matin de l’intervention, j’étais à l’hôpital à 8 heures. J’ai eu le droit de boire un verre d’eau. Je me suis déshabillée et j’ai enfilé la blouse de l’hôpital. On m’a donné un comprimé de cytotec destiné à ouvrir le col de l’utérus, à prendre localement donc. L’effet a été très rapide, j’ai commencé à saignotter un peu. J’ai encore attendu deux heures avant d’être emmenée dans une pièce qui n’avait rien d’un bloc opératoire. La lumière était tamisée, un petit chariot à instrument dans un coin, une grosse machine dans l’autre. A cet instant, je ne ressentais toujours rien. Physiquement, je commençais à avoir une douleur comparable à celle du début de mes règles. Moralement, tout allait très bien : je savais ce que je faisais ici et pourquoi j’étais là. J’étais très sûre de moi.

La femme médecin (qui est généraliste et pas gynécologue) que j’avais rencontrée la première fois est venue me parler et m’a expliqué en détails ce qu’elle allait faire. Une infirmière serait là pour me tenir la main. Je crois me souvenir qu’on m’a injectée un petit anesthésiant local au niveau du col. L’intervention a commencé. A l’aide d’un spéculum, le médecin a examiné mon col pour voir s’il était bien ouvert. Puis a commencé une phase assez douloureuse. Elle m’a expliqué que mon col n’était pas « dans l’axe » et qu’elle allait devoir le maintenir avec une pince. Je ne sais pas si l’anesthésique était trop léger mais j’ai eu extrêmement mal. Pendant toute la durée de son geste, elle n’a pas arrêté de me parler, l’infirmière à côté de moi me serrait la main, enfin c’est plutôt moi qui lui broyais les doigts. Je n’ai pas vu de mes yeux tout le matériel qu’elle avait installé (un spéculum donc, et cette fameuse pince), mais nous avons trouvé le moyen d’en rire : à chacun de mes gestes, j’entendais un bruit métallique !

Elle a ensuite allumé la grosse machine à côté d’elle. Avec le long tuyau qui en sortait, elle a aspiré. Là encore, j’ai eu mal. Je me rappelle très bien ce bruit d’aspiration : le bruit de la machine et le bruit de ce qu’elle aspirait. J’ai ressenti le besoin de prier, même si ce que j’étais en train de faire est complètement réprouvé par ma religion. J’ai pleuré un peu, de douleur. Ca a été très rapide. Mes jambes étaient tétanisées, je tremblais un peu et il restait dans mon corps un peu de cette intense douleur que j’ai ressenti durant ces quelques minutes.
Le médecin m’a débarrassée de tout son matériel, m’a longtemps rassurée. L’infirmière à côté de moi ne m’a pas lâché la main une seule minute. La douleur commençait à s’éloigner, c’était terminé, j’étais soulagée.

Elles ont toutes les deux fini par quitter la pièce pour me laisser seule quelques minutes. Je ne peux pas dire aujourd’hui si c’était volontaire. Mais le fait de me retrouver seule a été comme un déclencheur. J’ai regardé cette machine et j’ai réalisé qu’il y avait dedans ce bébé que je n’avais pas gardé. Je me suis sentie bizarre : j’avais toujours mal, j’étais seule dans la pièce avec cette machine. Et pour la première fois depuis des semaines, j’ai pleuré. Je ne regrettais pas ma décision mais j’avais enfin l’impression d’en comprendre l’importance : j’avais perdu quelque chose, même si c’était mon choix. De comprendre qu’on pouvait porter le deuil d’un enfant qu’on ne voulait pas. Le médecin est revenu et m’a réconfortée sans me parler, je n’en avais pas besoin et je crois qu’elle l’a compris.

Je suis allée me rhabiller à peu près calme. En enfilant mon jean, je me suis rendue compte qu’il était tellement serré qu’il me faisait mal au ventre. J’ai pleuré à nouveau. On m’a laissée en salle d’attente, une heure peut-être. Puis le médecin a contrôlé l’expulsion de l’embryon par échographie. Tout allait bien, je pouvais rentrer chez moi, avec une ordonnance d’anti-douleur.

Je n’ai eu aucune complication, mais j’ai mis du temps à m’en remettre psychologiquement. Regarder mon fils, jouer avec lui m’a été assez difficile pendant quelques jours. Quand j’ai revu le médecin, j’ai été heureuse de pouvoir en parler avec elle. Nous avions cette journée en commun, nous l’avions vécue ensemble. J’ai rarement croisé un médecin généraliste aussi… gynécologue. Des années plus tard, je l’ai revue à la télévision. J’ai su qu’elle s’était toujours battue (et se bat toujours) pour que l’IVG ne disparaisse pas de l’hôpital public. C’est une spécialité que les médecins
ne souhaitent pas apprendre.

Je ne repense que rarement à cette journée. Quand mon deuxième enfant, ma fille, est née, j’y ai pensé. Sans nostalgie, sans peine, mais j’y ai pensé. Il y a quelques mois, j’ai visité une maternité dite « de pointe ». J’ai tenu à visiter le service d’orthogénie (ridiculement petit par rapport au reste de l’établissement). J’ai été heureuse de constater que des médecins se battaient toujours pour le droit des femmes.

Difficile de conclure un pareil billet… Il est rare de lire ce genre de choses sur les blogs de mamans, alors si j’ai pu libérer, déculpabiliser une personne ou si quelqu’un s’est reconnu dans mes mots –maux), j’en serais heureuse.

En tout cas, à moi ça m’a fait du bien.

P.S : Je remercie la Poule Pondeuse de m’avoir prêté un petit bout de son canapé pour que je puisse m’y épancher. Chez moi, je ne me sentais pas très à l’aise. Merci à toi.

Image : difficile d’illustrer un tel billet alors j’ai choisi cette fleur, la douce-amère (source Flickr). 

Les fausses-couches précoces

mardi, septembre 25th, 2012

 Après le touchant témoignage de Ficelle, et suite à vos nombreux commentaires, il me semble utile de faire un petit bilan autour de ce sujet douloureux.

D’abord un point sur la terminologie

– Une fausse-couche est une interruption spontanée de la grossesse avant le seuil de viabilité du foetus, soit 22 SA ; si elle a lieu avant 12 SA elle est dite précoce (cela représente 80% des fausses couches), après tardive
– Après 22 SA on parle de mort foetale in utero

Ici on s’intéressera uniquement au cas des fausses-couches précoces, mais si bien sûr certain-e-s souhaitent témoigner plus largement en commentaire chacun-e est bienvenu-e.

Selon les statistiques considérées, on considère qu’une grossesse a 10 à 20% de “chances” de s’interrompre spontanément. Comme le risque est le plus grand en début de grossesse et diminue progressivement, plus la grossesse est diagnostiquée précocément (ainsi certains tests permettent d’avoir une réponse avant même le retard de règles) et plus on voit de fausses couches. Certains auteurs qui définissent une grossesse dès la fécondation de l’ovocyte (avant même l’implantation de l’oeuf dans l’utérus) arrivent à des taux de 70% d’interruptions spontanées (dont la plus grande partie passe inaperçue chez les femmes).

Les causes des fausses couches

Elles sont multiples, qu’elles soient temporaires ou permanentes. On peut citer :

anomalies chromosomiques ou génétiques de l’oeuf ou de l’embryon compromettant sa viabilité ; cela peut se traduire par un oeuf clair, c’est-à-dire qu’il y a un sac embryonnaire (visible à l’échographie) mais vide : on ne voit pas d’embryon (cela concerne un tiers des fausses couches avant 8 SA). C’est la cause la plus fréquente (une étude de 8000 fausses-couches a trouvé plus de 40% d’embryons atteints de tels défauts ) qui ne compromet en rien la possibilité d’une nouvelle grossesse
– grossesse extra-utérine (au lieu de s’implanter dans l’utérus, l’embryon se développe ailleurs, généralement une des trompes de Fallope)
défaut de l’utérus (par exemple la muqueuse n’est pas favorable à la nidation) ou du col
– problèmes hormonaux (comme une déficience en progestérone pendant la phase lutéale du cycle -après l’ovulation)
infection génitale (par exemple à chlamydia) ou générale (notamment listériose ou salmonellose)

Certaines pathologies peuvent donc entraîner des fausses-couches à répétition (soit trois ou plus successives) et parfois nécessiter un traitement pour obtenir une grossesse évolutive, cependant ce sont les cas les plus rares.

Quelques facteurs de risque ont été identifiés, comme l’alcool, le tabac ou la caféine (au delà de 200 à 300 mg par jour, soit environ deux tasses de café). On peut également citer l’exposition chronique (c’est-à-dire de faibles doses sur une longue période de temps) à certaines substances toxiques, notamment dans certaines professions, que ce soit pour l’homme ou pour la femme, ou la prise de certains médicaments. Un stress important peut également entraîner une fausse-couche, ainsi que de l’exercice physique intense. Le poids de la mère joue enfin (dans les deux sens), ainsi que son âge. Bien sûr l’exposition à un facteur de risque n’entraîne pas systématiquement de fausse-couche, pas plus qu’on ne peut expliquer toutes les fausses-couches par la présence d’au moins un de ces facteurs. Il s’agit simplement de corrélations statistiques, sans qu’un mécanisme de causalité soit toujours connu.

Quels sont les signes ?

Les symptômes les plus courants sont des saignements vaginaux et des douleurs au ventre (comme des règles, quoique souvent plus intenses). Certaines femmes voient aussi l’arrêt de leurs maux de grossesse (notamment les nausées) ; d’autres ont simplement un pressentiment que quelque chose ne va pas.
Cela doit inviter la femme à consulter afin de confirmer le diagnostic et le cas échéant d’envisager un traitement. Différents examens permettent d’affiner le diagnostic :
prise de sang : alors que l’hormone beta HCG doit voir son taux augmenter rapidement dans le cas d’une grossesse évolutive, on observe une croissance faible voire une décroissance entre deux prélèvements, ou un taux très inférieur à ce qui est habituellement observé à un terme de grossesse donné.
l’échographie : en tout début de grossesse, elle est souvent faite par voie endovaginale, c’est-à-dire que la sonde est introduite dans le vagin. Elle permet notamment de diagnostiquer un oeuf clair ou une grossesse extra-utérine ; après 6 SA l’absence de battement cardiaque est un signe quasi-certain d’arrêt de la grossesse.

Quel traitement ?

Cela doit évidemment faire l’objet d’une discussion avec la personne qui pose le diagnostic (médecin ou sage-femme), afin de déterminer la meilleure façon de faire pour chaque cas. Il est de toute façon nécessaire de consulter afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’une fausse-couche et le cas échéant de vérifier que tous les produits de grossesse ont bien été évacués. Voici les grandes alternatives :

observation : la majorité des fausses-couches précoces s’inscrit dans un processus physiologique d’élimination des embryons non viables qui sont donc expulsés naturellement par le corps de la femme. Cependant cela peut prendre jusqu’à six semaines après le diagnostic, et certaines femmes souhaitent hâter le processus (pour pouvoir retomber plus vite enceinte, parce qu’elles subissent encore des effets “secondaires” désagréables comme les nausées, pour maîtriser le moment de l’évacuation qui peut être difficile et douloureux -en vue d’un voyage ou d’une obligation professionnelle par exemple…). Il existe également un risque d’infection. Dans d’autres cas, l’embryon aura déjà été évacué au moment de la consultation.

traitement médical : des médicaments abortifs sont pris par la femme (par voie orale ou vaginale). Ils provoquent des contractions (souvent douloureuses) et in fine l’expulsion de l’embryon. Ce traitement peut être conduit intégralement en ville (sans passer par l’hôpital) et la femme le prend chez elle, généralement sur deux jours. Il peut y avoir des échecs, qui conduisent à la dernière option.

traitement chirurgical : il ne peut être fait qu’en milieu hospitalier, au bloc opératoire, généralement sous anesthésie générale. On procède à une dilatation du col de l’utérus puis à une aspiration qui permet de “vider” intégralement l’utérus (on parle souvent abusivement de curetage mais cette procédure est globalement délaissée au profit de l’aspiration, moins traumatique). Il est notamment indiqué dans les cas où la fausse-couche entraîne des saignements importants à la femme qui compromettent sa santé. La chirurgie est également la principale option en cas de grossesse extra-utérine (mais avec une procédure différente, puisque justement l’embryon n’est pas dans l’utérus).

Très concrètement, cela peut nécessiter de réaménager son emploi du temps des semaines à venir en fonction de l’alternative choisie, avec souvent plusieurs consultations médicales et examens (analyses sanguines, échographies…) à prévoir, ainsi que la possibilité d’un arrêt de travail.

Et après ?

Chaque femme vit l’événement à sa façon : certaines sont plus ou moins affectées, l’une souhaitera retomber enceinte au plus vite alors qu’une autre préfèrera prendre le temps de faire le deuil de cette grossesse. Evidemment le terme auquel la fausse-couche est découverte, la situation personnelle de la femme (parcours d’aide médicale à la procréation, âge, première grossesse ou pas, etc), le fait que la grossesse ait été plannifiée ou pas, et tout simplement sa vision de l’embryon (pour certaines c’est déjà leur bébé, pour d’autres cela ne reste qu’une possibilité d’enfant) sont autant de facteurs qui vont influencer le vécu de l’événement. On ne peut que souhaiter à chaque femme de pouvoir exprimer les émotions que la fausse-couche provoque, sans que sa souffrance ne soit niée (“ce n’était qu’un tas de cellules”) ou qu’au contraire elle ne soit culpabilisée de ne pas manifester un chagrin jugé adéquat par son interlocuteur. Cela peut être fait dans un cadre médical ou de suivi psychologique, mais aussi simplement avec des proches bienveillants (réels ou “virtuels” : certaines communautés en ligne peuvent apporter un soutien plus que chaleureux). La place du père ou du partenaire de la femme qui fait une fausse couche est délicate : pour beaucoup à ce stade la grossesse est encore peu concrète, même si certains peuvent l’avoir déjà investie. Le point commun reste généralement la souffrance de leur femme (psychologique comme physique).

Quoi qu’en disent certains mythes urbains, hors certaines pathologies la prévention des fausses couches précoces reste rudimentaire pour ne pas dire impossible (et si c’est pour finir avec du distilbène…). Même si la tentation de refaire le film à grands coups de “et si” est forte, la culpabilisation n’apportera pas grand chose de constructif.

Enfin il n’y a pas de délai particulier à respecter si on souhaite rapidement une nouvelle grossesse, sauf avis médical contraire. Une contraception peut également être mise en place dans la foulée. La fausse-couche peut aussi avoir des répercussions lors d’une grossesse ultérieure, avec pour certaines une anxiété accrue quant à son bon déroulement. Il ne faut pas hésiter à évoquer ces angoisses avec la personne qui assure le suivi : parfois le seul fait de les exprimer suffit à les calmer, si nécessaire un suivi plus rapproché (échographies plus fréquentes par exemple) peut être envisagé pour rassurer la femme.

Des liens

Beaucoup déplorent le silence qui entoure cet événement pourtant courant ; voici donc quelques témoignages glanés sur le net :

Un site très complet et informatif en anglais (pourquoi on n’a pas de site médical pro de ce niveau en France ?)

Image : ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de beau gosse par ici (dont la présence sur ce blog est je le rappelle réglementaire pour les billets médicaux à caractère anxiogène) et pour changer un peu des médecins je vous propose Rabbi Dave (de Weeds), une épaule sur laquelle pleurer… et si vous n’aimez pas Rabbi Dave faites votre choix sur pfffouuu! (cliquez à vos risques et périls)

Ma fausse-couche : la physiologie oubliée ?

lundi, septembre 17th, 2012

Un thème pas très joyeux et pourtant plus banal qu’on ne le pense pour tenter de redonner un semblant d’activité à ce pauvre blog délaissé… J’accueille aujourd’hui en rédactrice invitée mon amie Ficelle qui m’a fait l’honneur de confier à cet espace l’histoire de sa fausse-couche. C’est un sujet sensible pour beaucoup d’entre nous, et contrairement à beaucoup des billets de ce blog, il s’agit simplement de son vécu, intrinsèquement subjectif. Comme tout ressenti, il n’a pas vocation à être généralisé à tout le monde, ni à prescrire une voie d’action ou à en condamner d’autres. Je compte particulièrement sur la délicatesse habituelle des commentateurs pour que le débat reste respectueux. Et avant que vous ne m’accusiez -à raison- de flemmingite aigüe je vous annonce pour demain un billet écrit par moi pour faire le point sur le sujet sous un angle complémentaire, plus général. Mais assez de blabla, je laisse la parole à Ficelle.

 Une amie qui a vécu plusieurs événements très difficiles me disait récemment à peu près cela : « Ce qui est très compliqué quand on raconte son histoire par écrit, c’est le côté figé. Cette histoire douloureuse, quand on en parle autour de soit, on la réécrit chaque jour… Les mots qu’on trouvait justes hier ne le sont plus forcément aujourd’hui ». Alors que mon amie la divine Poule pondeuse me propose de raconter ma fausse couche, les mots de cette amie résonnent exceptionnellement justes. Il se trouve que j’ai couché sur le papier certains éléments de « l’histoire » au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Je décide donc de ne rien changer à ces impressions du moment et de conclure avec ma vision « du jour ».

25 août 2012

Depuis quelques semaines, je porte un embryon qui a arrêté son développement. En langage courant, c’est une fausse couche. Contrairement aux idées reçues, les embryons défectueux ne lancent pas illico leur processus d’auto-destruction. Le dit processus prend plusieurs semaines, ce qui fait qu’on détecte l’arrêt de la grossesse avant d’avoir évacué l’œuf. Et ce, depuis que les échographies de contrôle sont généralisées aux alentours des huit semaines d’aménorrhée. Or, ce nouvel état de fait entraine au moins une conséquence fâcheuse : la possibilité de se débarrasser du bidule avant que notre corps ne finisse par faire le boulot lui-même. Ce qui peut prendre en l’espèce de trois à six semaines… Une éternité pour certaines femmes qui attendent impatiemment de retomber enceinte, ou pour celles qui ressentent encore de nombreux effets indésirables des hormones de grossesse, qui continuent un temps à être sécrétées.

Une fois que l’arrêt de la grossesse a été détecté dans mon cas, « ma » gynécologue, celle chez qui je vais chaque année – et bien plus en période de grossesse justement, déjà deux à mon actif – depuis près de 10 ans, m’a indiqué que j’avais alors deux options : le protocole d’expulsion médicamenteux (Cytotec) ou le « curetage » (aspiration de l’embryon –NB : on utilise encore souvent le mot curetage même si la procédure de routine est une aspiration, voir par exemple wikipedia pour la nuance). Joie, bonheur… panique. En plus d’être attristée par l’échec de ce début de grossesse et la remise au placard, provisoirement du moins, de notre projet de troisième bébé, je me sens piégée entre deux alternatives qui m’effraient. Influencée par le raisonnement reposant uniquement sur le paramètre d’efficacité de mon médecin, je me décide d’abord pour le curetage. Le « vite fait, bien fait » de cette procédure, pourtant chirurgicale, qui impose une anesthésie générale (même légère, elle n’est jamais anodine !), me tente de prime abord. Je me dis : deux rendez-vous, une matinée d’hospitalisation et cet épisode désagréable est derrière moi. Et puis, en face de la secrétaire de l’obstétricien indiqué par ma gynécologue « de ville », je flanche. Larmes, indécision, tour aux toilettes du cabinet flambant neuf, colère, renoncement. Je prends un rendez-vous pour le lendemain, à contre-cœur. Et puis deux coups de fil à deux amies sage-femme et généraliste me remettent sur pieds.

Une troisième voie s’ouvre. Celle de… ne rien faire. Et ma tristesse se transforme en colère. Comment cette professionnelle, avec qui pourtant j’ai souvent discuté, a-t-elle pu passer à côté du fait que l’option la plus « naturelle » puisse me convenir ? Celle d’attendre, de laisser faire la nature. Même 15 jours, même trois semaines. Une attente longue pour certaines, qui le sera aussi pour moi, mais qui reste une option, et pas des moindres. C’est celle qui permet de ne pas alimenter le trou de la sécu. Une échographie suffit en fin de processus pour vérifier que tout a été évacué. Attendre ou prendre des médicaments engendrent un léger risque d’hémorragie et peuvent « se terminer » en curetage. Mais le pourcentage n’est pas très élevé (impossible d’avoir un chiffre…). Alors que le curetage en première intention n’est pas l’option la plus économique. C’est une consultation de spécialiste en plus des deux précédentes chez le gynécologue de ville permettant d’établir le diagnostic (plus les deux prises de sang pour constater la baisse du Bêta HCG, l’hormone de grossesse dans le sang), une rencontre avec un anesthésiste en clinique, une anesthésie et un acte chirurgical – on écarte le col de l’utérus, on passe une sorte de paille large comme un stylo (aïe) et on aspire le sac embryonnaire.

Si cette éventualité de l’attente est d’emblée écartée par cette gynécologue, ce n’est pas par malice mais peut-être consécutif à une demande répétée des femmes. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. L’explication peut aussi venir d’un conditionnement interventionniste de la profession. « Couvrons-nous », « Maîtrisons le processus ». Mais sur le plan politico-sociétal ? Et bien, ces Cytotec-curetage, s’ils sont indispensables aux femmes dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse, sont dans le cas de fausses couches les instruments de contrôle de ces mêmes femmes. Comment reprendre confiance en soi et en son corps, si même ce processus physiologique, qui intervient pour d’excellentes raisons – éviter la mise au monde d’un bébé avec une anomalie génétique par exemple – n’est pas même reconnu comme une « option » à envisager pour la femme ? Pour moi, la capacité de la machine humaine à traiter seule ce genre de situations « normales » est niée par le système médical actuel, ou en tout cas un certain système médical. Et cette prise de conscience participe de mon engagement militant. Reste plus qu’à évacuer ma balle de ping-pong…

Lundi 3 septembre

La balle de ping-pong est toujours là. Aucun signe annonçant un décollement prochain. L’aspiration est programmée pour demain mardi. Ce qui me reste en travers de la gorge : le sentiment que plus personne ne sait vraiment comment vont se passer les choses sans intervention médicale. Il est quasiment impossible pour moi de prendre cette décision d’intervention de façon véritablement éclairée. La médecine n’est pas une science exacte certes. La connaissance des mécanismes physiologiques a été perdue, c’est en tout cas mon impression. Ma frustration est plus grande que ma déception (de ne pas être enceinte, de ne pas avoir expulsé l’œuf malgré les deux semaines d’attente éprouvantes, les quatre semaines depuis que la grossesse est vraisemblablement arrêtée). J’ai la sensation d’être entrainée, à moitié consentante, dans une spirale interventionniste. Je suis déchirée. Pas bien dans mes baskets. Je pleure beaucoup… Mon mari ne sait pas trop quoi me dire. Il pense à cette attente qu’il juge maintenant trop longue et douloureuse, moi je pleure (enfin ?) ce bébé qui ne viendra pas.

Dimanche 16 septembre

Deux heures, peut-être trois après que j’ai écrit ces derniers mots, je me promène dans les magasins. Désabusée, mal physiquement et moralement. Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter des serviettes hygiéniques pour incontinents, je saigne plus qu’à l’accoutumée. Je prends également deux Ibuprofène pour atténuer de petites crampes à l’utérus. Envie de changer ma serviette, je m’arrête dans un bar. Sur les toilettes, je sens que le sang s’écoule, assez abondant… et que glisse un caillot largement plus gros que les autres. Je jubile. Et le mot est faible. Je nettoie tout ça, sors en vitesse du bar, compose le numéro direct de ma gynécologue, souffle sur un ton de fausset : « C’est… sorti ! » Elle est contente pour moi, me confirme qu’elle annule l’intervention. On prend rendez-vous pour le vendredi suivant, histoire de vérifier que tout va bien [l’écho montrera un utérus complètement vide le vendredi en question]. Je bois un verre dans ce bar avec une amie. Je repasse aux toilettes une heure plus tard et sens à nouveau, sans éprouver aucune douleur, du « matériel » glisser. On dirait un peu un morceau de foie de veau. C’est bien le sac embryonnaire – avec l’embryon dedans mais invisible au stade où il a arrêté son développement, surtout au fond d’une cuvette. Je sais que tout est fini. Je suis sur mon petit nuage, soulagée.

 

Je n’ai qu’un tout petit recul aujourd’hui sur cet événement. Quinze jours à peine. Mais déjà je m’interroge : qui, du calendrier « programmé », physiologique, de cette fausse couche ou du rejet viscéral de l’intervention, tellement fort psychologiquement, est à l’origine de cette expulsion in extremis ? Trois amies, sage-femme, médecin et femme ayant vécu deux fausses couches, ont eu la même réaction : « Tu devais pleurer ce bébé », « tu n’étais pas prête à le laisser partir avant ». Je ne suis pas complètement satisfaite par cette explication, mais soit. Cette amie sage-femme m’a aussi textoté : « Belle leçon de patience pour l’obstétrique. Les femmes sentent toujours ce qui est bon pour elles, nous sommes trop précautionneux et interventionnistes ». Ces mots m’ont beaucoup touchés. Je ne jette pas la pierre aux personnels de l’hôpital que j’ai rencontré lors de cette épreuve – malgré tout ce que j’ai pu laisser paraître, c’en était une… – qui ont été prévenants et à l’écoute. Malgré tout, je regrette le parti pris du système médical, qui vise à prévenir un risque (celui d’une éventuelle infection, « très peu probable dans votre cas, mais quand même, ce serait tellement dommage… ») sans prendre forcément la mesure des vents contraires. L’effet boomerang de s’infliger un acte (médical ou chirurgical) que l’on ne veut pas et qui, si j’en crois mon aventure, n’est pas nécessaire et encore moins vital, loin s’en faut. Je sais que ce dernier point fera l’objet de discussions ici ou ailleurs. Je tiens donc à préciser que ce que j’ai défendu (et que je défends aujourd’hui en racontant cette histoire), c’est de pouvoir rester maître des décisions qui concernent notre corps, dans un cas comme celui-là qui est tout sauf grave. Presque banal diront certain(e)s, même si le mot me semble dur, dans un contexte où nos grossesses, le plus souvent désirées, sont souvent très vite investies.

Un zèbre à la maison (2)

mardi, mai 11th, 2010

quino La suite des aventures de nos petits zèbres et de leurs familles

Du diagnostic aux solutions

Bon OK, et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Eh bien, on lit, on cherche, on se renseigne… on apprend plein de choses et on commence à sentir que les choses vont être très compliquées, mais qu’il faut faire quelque chose pour lui.

La psychologue préconise le saut de classe, les enseignants ne veulent pas, le Zèbre non plus. Nous ne sommes pas très chauds : il est petit physiquement, de la fin de l’année et gauche et maladroit sur le plan moteur (un intello quoi !). On ne peut pas dire qu’il soit super à l’aise dans ses baskets, surtout avec les autres enfants de son âge. Il passe donc en double niveau l’année suivante avec l’idée qu’il ferait deux années en une. Ca ne marche pas : trop de lenteur et de problèmes à l’écrit. Le Zèbre n’arrive plus à s’endormir le soir : il est malheureux et angoissé. En plus le Zèbre n’aime pas l’école. Sa phrase favorite : « l’école c’est mon pire ennemi » (Une semaine après son entrée en CP, le Zèbre nous a gratifié d’un : « Pfff, ça dure longtemps le CP… ») ! Hum, que du bonheur… Sauf que l’école on est un petit peu obligé d’y aller. En fait non, on n’est pas obligé. Ce qui est obligatoire c’est l’enseignement scolaire. Il y a un certain nombre de zèbres en souffrance qui sont déscolarisés. Nous ne voulions pas aller jusque –là, parce que en plus d’être déscolarisé, il risque aussi d’être désociabilisé. Il existe aussi des écoles spécialisées ou des écoles où des classes spéciales EIP (enfants intellectuellement précoces) ont été mises en place. Mais ces écoles sont rares et souvent payantes car privées. Bref, nous nous voulons qu’il aille à l’école et si possible dans celle de notre quartier. C’est plus pratique et c’est plus sympa pour les copains.

On consulte une autre psy dans un centre spécialisé (Cogitoz) : diagnostic de dysgraphie. Dysquoi ?? Dysgraphie ou problème lié à l’écriture. Il faut savoir que les zèbres sont les spécialistes des problèmes en « dys » : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie… Les troubles de l’écriture (crispation graphique, lenteur d’exécution, etc.) sont très fréquents chez les enfants surdoués et notamment chez les garçons. Cela s’explique, entre autres, par le fait que leurs pensées vont beaucoup plus vite que leur main et ils finissent par perdre le fil de ce qu’ils voulaient écrire et renoncent ainsi à s’exprimer par écrit à cause de la frustration engendrée. Ce blocage est souvent la cause d’un refus de saut de classe par l’école. Les zèbres n’aiment pas perdre leur temps et ne comprennent pas qu’on leur demande certaines choses qui leur semblent inutiles. En plus d’un problème de crispation scriptuelle, le Zèbre faisait un blocage sur l’écriture. Nous avons tenté de convaincre le Zèbre de l’utilité de l’écriture : « Bah, ça ne sert à rien d’écrire, il y a des ordinateurs ! ». Un jour que je faisais un chèque, je lui fais remarquer qu’il faut écrire pour rédiger un chèque : « C’est pas grave, je paierai toujours avec ma carte ! » Les zèbres ont toujours des arguments pour défendre leurs points de vue. Cependant, nous connaissons l’origine de ce blocage. En grande section de maternelle, le Zèbre n’arrivait pas à terminer ses pages d’écriture (problème dû à ses difficultés psychomotrices ; en plus le Zèbre, comme beaucoup de précoces, est gaucher). La maîtresse en a déduit qu’il était fainéant et faisait preuve de mauvaise volonté. Elle le punissait : elle l’envoyait dans les classes de Petite section parce que « c’était un bébé », elle le privait de récréation. Le comble c’est que le matin à l’arrivée en classe, au lieu de jouer, dessiner ou faire des puzzles comme les autres enfants, le Zèbre devait s’assoir tout seul à sa table et terminer sa page d’écriture de la veille. Ensuite, il embrayait sur la page d’écriture du jour… Un cauchemar pour un enfant qui n’y arrive pas ! Du coup, parfois, il restait un ¼ d’heure devant sa page sans même commencer à écrire. Pour lui écrire une page représentait la même chose que pour vous si je vous demandais de gravir l’Everest ; vous n’allez même vous y lancer, vous savez d’avance que vous n’y arriverez pas. Le Zèbre a alors décidé qu’il n’écrirait jamais. Donc, après le diagnostic de dysgraphie, à l’école du Zèbre un PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) est mis en place : le Zèbre aura moins à écrire. On lui proposera des exercices à trous, l’enseignante écrira la consigne, la date, etc. Il pourra n’écrire que les 3 premières phrases de l’exercice. Un autre enfant sera nommé « secrétaire » pour lui écrire ses devoirs dans son cahier de textes. L’enseignante et les autres élèves jouent le jeu jusqu’à la fin du CE1.  On entame la rééducation de l’écriture avec une psychomotricienne. 25 séances de rééducation et 5 séances de psychologue plus tard (et beaucoup d’argent en moins parce que rien de tout cela n’est remboursé), le Zèbre, entré en CE2, commence enfin à écrire correctement et il doit encore acquérir toute l’expérience de l’écriture qu’il n’a pas eue jusqu’ici. Il va enfin bien. Il a abandonné l’idée d’avoir des copains garçons bagarreurs et joue avec les filles. Sa nouvelle maîtresse le comprend très bien et est très sécurisante pour lui. Ses résultats sont enfin brillants. Mais nous savons que tout cela reste fragile et qu’il suffira d’un nouvel enseignant peu compréhensif pour que des problèmes resurgissent.

Bilan détaillé et chiffré en mains, face à la souffrance de notre fille, nous demandons un saut de classe. L’instit qui jusque là nous avait assuré qu’en effet Puce1 avait de très grandes facilités d’apprentissage (haut potentiel) et un vocabulaire extrêmement riche (son niveau de langage est en effet alors évalué à deux à trois ans de plus que son âge civil !) fait volte face et assure à présent que « Puce1 travaille bien, mais il y en a d’autres qui travaillent aussi bien ». Mais peu nous importe : notre fille souffre, et est insatisfaite. Armés des documents officiels, et prêts à demander un PPRE en plus du PAI (projet d’accueil individualisé que Puce1 a déjà pour ses allergies), nous sollicitons une réunion d’équipe éducative et demandons un glissement immédiat en grande section. Puce1 est alors évaluée (et c’est ainsi que l’on découvre qu’elle fait des soustractions, évidemment, on ne risquait pas de le voir en lui demandant de faire du découpage dans sa classe de MS…) et une psychologue passe l’observer en classe. Son constat est édifiant : Puce1 est en dépression, il est urgent de la mettre aux contacts d’enfants plus âgés susceptibles de partager ses centres d’intérêts !  Puce1 passe en grande section en décembre et là… on souffle ! Notre fille s’épanouit, brille en classe sans difficulté, et surtout : est heureuse ! Sa différence est reconnue ! Puce1 apprend à lire en CP et dévore, ingurgite, mémorise.

Mais cet état de grâce ne dure qu’un an : en fin de CP, retour de l’ennui. Nous continuons de proposer à Puce1 de la nourriture intellectuelle à la maison et tâchons de trouver des solutions avec son instit de CP puis de CE1. L’expatriation et les allergies compliquent les choses. Ceci participe d’ailleurs à notre ferme décision de rentrer en France. Pour cerner mieux le profil de Puce1, et comme cela est souvent nécessaire lorsque les enfants sont testés jeunes, nous faisons retester Puce1 en décembre 2009, avec un WISC-IV cette fois. Résultat encore plus net : profil homogène, QI très élevé. Puce1 souffre particulièrement de difficultés relationnelles : à l’âge des chichis entre filles, elle est très frustrée que ses copines la rabrouent lorsqu’elle entreprend de leur parler de la naissance des supernovas ou des modes de vie de la moufette et de l’ocelot. Le bilan nous permet de prendre des décisions pour la suite : nous mettons en place un soutien psychologique (effectué à 200km de chez nous, par une psychologue spécialiste des EIP) qui doit lui permettre de mieux surmonter cette frustration et de connaître et comprendre ses modes de fonctionnement. Le choix d’une école qui l’accueillera avec ses différences, les reconnaîtra et qui regorge d’enfants précoces détermine également notre futur lieu de vie. Il est décidé qu’elle ira l’an prochain en CE2-CM1, quitte  à faire les deux années en une si nécessaire. Nous savons d’ores et déjà que c’est une hypothèse très vraisemblable. Puce1 a 7 ans, son QI correspond, selon les tests, à celui d’un enfant moyen de 9 à… 14 ans et demi. En outre, Puce1 présente également une certaine avance en terme de graphisme et motricité, ce qui est peu commun chez les précoces et rend ces sauts de classes plus faciles. Nous nous attacherons également à lui offrir la possibilité de rencontrer davantage d’enfants comme elle, de sorte qu’elle prenne conscience qu’elle n’est pas seule.

Ce résumé me semble à la fois très long et très court, parce que le Zèbre c’est aussi des questions incessantes sur la mort, l’abandon, la guerre… Des angoisses qui donnent de l’eczéma et des insomnies. Le Zèbre a un rapport difficile à la nourriture : très tôt certains de ces enfants se posent la question de ce qui est bon ou pas pour la santé et refusent certains aliments. Et comme beaucoup sont hypersensibles et donc hypergueusiques (perception des goûts exacerbée), ils rejettent un certain nombre d’aliments trop goûteux. En revanche, un grand nombre devient de fins gourmets.

La vie, la mort, questions incessantes… le cerveau qui ne s’arrête jamais… Puce1 est toujours une enfant angoissée, mais elle et nous avons désormais plus de clés pour l’apaiser. Perfectionniste (c’est est presque pathologique), Puce1 tend à développer des obsessions. Il nous faut désormais veiller à endiguer des troubles du comportement alimentaire qui résultent vraisemblablement de ses allergies, mais aussi d’une hypergueusie et du mal être engendré par les difficultés d’adaptation à son environnement.

J’appelle aussi le Zèbre l’Hyper, car il est hyper intelligent, mais aussi hyper sensible (dans tous les sens du terme, y compris en ce qui concerne les 5 sens, ils voient et entendent mieux !), hyper perceptif, hyper réceptif, hyper angoissé, hyper émotif, hyper lucide… Un zèbre peut être comparé à une maison avec, non pas une mais 15 antennes paraboliques sur le toit ! Il voit le monde à travers un microscope électronique à balayage. Il est capable de comprendre des choses qu’il ne peut pas gérer affectivement, parce qu’il n’est encore qu’un enfant, ce qui génère beaucoup d’angoisse. Ce sont aussi des enfants avec un sens aigu de la justice et l’injustice, une grande empathie et une grande lucidité sur le monde et les autres. Les adolescents peuvent en être fragilisés, jusqu’à devenir suicidaires. Il faut sans cesse argumenter, tout expliquer et justifier pour les rassurer. Ils ont un grand besoin de limites, encore plus que les autres enfants, parce qu’ils ont des capacités intellectuelles proches de celles des adultes qui peuvent leur donner une illusion de toute puissance, mais ce ne sont encore que des enfants. Les limites sont aussi indispensables parce que rassurantes et elles permettent à l’enfant de grandir et de franchir doucement les étapes de la maturité (mais, ça c’est vrai pour tous les enfants !). Les zèbres souffrent souvent du « syndrome de dyssynchronie » mis en avant par Jean-Charles Terrassier, spécialiste des surdoués. Pour résumer, la dyssynchronie c’est le décalage permanent que vit le surdoué avec son environnement : entre les attentes de l’école et ses capacités ; entre le comportement des enfants de son âge et le sien ; entre ce qu’il est capable de comprendre et ce qu’il peut gérer émotionnellement… Pour expliquer la souffrance engendrée par la dyssynchronie, J-C. Terrassier utilise l’image d’une F1 qu’on obligerait à toujours rouler comme une 2CV.

Bref, pour lui comme pour nous, beaucoup de défis à relever pour qu’il soit juste heureux et que son potentiel ne soit pas réduit à néant. J’ajouterai que tant que le Zèbre n’a pas eu à aller à l’école, la vie était plutôt facile avec lui. Il était très intéressant et intéressé, curieux de tout. Il apprenait très vite, comprenait ce que l’on attendait de lui et obéissait facilement. C’était (et c’est toujours) un enfant très attachant.

J’aurais pu écrire ceci de Puce1, mot pour mot. Vivre aux côtés d’une enfant qui est curieuse, intéressée et  percute vite est un vrai grand bonheur au quotidien. Je suis pour ma part d’autant plus facilement en empathie avec elle que, comme souvent, le dépistage de Puce1 m’a éclairée sur ma propre enfance… et  mon quotidien !

Ce sont les exigences scolaires qui ont vraiment compliqué les choses. Le Zèbre n’a pas compris ce que l’on attendait de lui et nous n’avons pas compris pourquoi, alors que nous le savions brillant à la maison, qu’autant de problèmes se soient soulevés en classe. Les enseignants sont mal formés à ce type de problématique et bien souvent, ils ne pensent pas que derrière les difficultés, il peut y avoir un enfant qui s’ennuie. Une fois, le diagnostic établi, il est très difficile aussi de faire reconnaître cette précocité intellectuelle : « Quoi, cet enfant, un génie ! Avec toutes ses difficultés, ce sont encore des parents qui ont la grosse tête et veulent pousser leur enfant à tout prix ». Mais précoce ne veut pas dire génie, précoce veut juste dire différent avec des besoins différents.

Ce qui fait souffrir aussi en tant que parents, ce sont les difficultés du Zèbre à avoir des amis et à oser entrer en relation avec les autres enfants. Quand nous allons chercher le Zèbre aux goûters d’anniversaire, il est toujours tout seul dans un coin, avec un livre souvent. Quand nous allons au parc, les autres enfants se regroupent pour jouer ensemble, lui, il les regarde de loin. Les rares fois, où j’ai pu observer le Zèbre dans la cour de l’école, je l’ai souvent vu seul et le regard perdu au loin. Il fait du judo et n’ose pas participer aux compétitions. Le pire, c’est que ce ne sont pas les autres qui le rejettent : c’est lui qui n’arrive pas à trouver sa place au milieu d‘eux. Bon, ceci dit depuis que le diagnostic a été posé et que des solutions à ses problèmes scolaires ont été trouvées, il va mieux et il a plus d’amis, des filles surtout.

Le zèbre en famille : de l’héritabilité de la précocité ?

Il est aussi très proche de son frère. Leur relation est quasi fusionnelle. Ils pleurent tous les deux à la rentrée parce qu’ils ne sont pas dans la même école (enfin, à la prochaine rentrée le Moyen va faire son entrée en CP et ils seront ensemble pour la première fois). Ils s’entendent très bien. Il faut savoir que la précocité est un trait héritable : ainsi dans une fratrie il est plus probable que tous les enfants soient des zèbres. Je ne parle ici que de l’aîné car c’est le seul dont on soit sûr de la précocité. Le Moyen n’a pas de problèmes scolaires pour l’instant et est beaucoup plus à l’aise dans ses baskets. Nous n’avons donc  pas éprouvé le besoin de le faire tester. De plus, il est préférable de faire passer les tests plutôt à partir de 6 ans pour un diagnostic fiable. Peut-être le ferons-nous l’année prochaine pour anticiper les éventuels futurs problèmes ? Pour la Petite, âgée de 3 ans, c’est trop tôt pour se prononcer. Toujours est-il que c’est une fratrie unie, qui adore regarder ensemble les documentaires sur la préhistoire, visiter les musées et les zoos et dévorer une quantité incroyable de livres…

Puce1 a deux petites sœurs. La seconde, âgée aujourd’hui de 4 ans et demi, a manifesté un certain ennui dès la petite section. Elle a également un niveau de langage exceptionnel et une sensibilité aiguisée. Lorsque les enfants de sa classe observaient le nombre de lapins sur une illustration, elle décrivait avec précision chacune des mimiques, et formulait des hypothèses sur les sentiments qui les habitaient. Lorsque Puce1 a passé un test de QI pour la première fois, elle allait mal, et cela a faussé les tests, biaisant son profil et sous-évaluant son QI d’une dizaine de point (c’est un cas connu et reconnu de mauvaise estimation du QI, toujours à la baisse). Nous avons voulu éviter cette situation d’urgence avec Puce2. Elle a donc été testée à 3 ans et demi. C’est très tôt, les tests sont alors peu précis. Mais cela était important. Selon ce test, Puce2 n’est pas précoce, mais présente une intelligence supérieure (QI>115). Pour tout un tas de raisons, nous savons qu’il sera utile de la refaire tester à 6 ans et ne serions pas nécessairement surpris d’un « changement de catégorie », c’est une lacune connue du WPPSI-R pratiqué chez les très jeunes enfants. La petite dernière marche dans les pas de ses sœurs et sera également testée.

Si vous avez des doutes…

Il n’est pas aisé d’alerter les parents pour détecter la « surdouance ». Les enfants surdoués sont des enfants généralement surprenants dans leurs questions, leurs centres d’intérêts : ils sont très curieux et très tôt s’intéressent à la nature, à l’histoire, la préhistoire, l’astronomie ; ils posent des questions sur le sens de la vie, sur la mort… Souvent, ils présentent des capacités supérieures aux autres enfants de leur âge, ils aiment la compagnie des adultes et des enfants plus âgés. Ils présentent souvent des difficultés de sommeil, de sociabilité, d’alimentation. Certains sont paradoxalement incapables de faire certaines choses (enfin, ils réussiront à le faire, mais plus tard que les autres et avec plus de difficultés) : faire du vélo, se brosser les dents, manger ou s’habiller seuls, apprendre à nager, apprendre les tables de multiplications (argh ! L’horreur les tables de multiplications !). Ils aiment bien faire le bébé et ont du mal à grandir. De manière générale, si votre enfant présente des troubles de comportements, si les enseignants ne font que s’en plaindre, si vous ressentez que quelque chose ne va pas, consultez un psychologue, lui saura si votre enfant doit être testé ou non, s’il est précoce ou s’il présente un autre trouble.

Si votre enfant présente beaucoup de curiosité intellectuelle, ne le laissez pas sans nourriture spirituelle : offrez-lui des livres (surtout des documentaires), des jeux de société stimulants intellectuellement (comme memory, bataille navale, échecs,  puzzles), emmenez-le visiter des musées, des expositions, montrez-lui des documentaires télévisés (sur les animaux, la préhistoire, la géographie, l’astronomie…), répondez à ses questions et si vous ne savez pas répondre, cherchez avec lui dans des encyclopédies ou sur Internet. Ces enfants ont besoin de stimulation intellectuelle pour vivre comme les plantes ont besoin d’eau. Soyez le meilleur allié de votre enfant et n’écoutez pas ceux qui disent que vous le poussez trop ! Vous ne le poussez pas, vous ne faites que le suivre dans ses désirs et ses besoins.

Pour se faire aider, il existe des associations de parents dont l’ANPEIP (association nationale pour les enfants intellectuels précoces) ou l’AFEP (association française pour les enfants précoces). Ces associations ont pour mission d’informer, de former et d’accompagner les enfants dans leur parcours scolaire et personnel. Elles organisent des rencontres entre parents et des activités de loisirs pour permettre aux enfants surdoués de partager des activités. Voir aussi le site Enfants précoces info qui permet information et entraide, ainsi que la liste de discussion sur les enfants intellectuellement précoces.

Quelques lectures :

  • L’enfant surdoué : l’aider à grandir, l’aider à réussir/ Jeanne Siaud-Facchin. – Paris, Odile Jacob, 2008. Ce livre est mon livre de chevet. Il est complet sur le sujet et simple à comprendre et il a l’avantage d’être récent. C’est aussi un « guide pratique » car il offre quelques trucs et pistes pour résoudre les problèmes.
  • Le livre de l’enfant doué/ Arielle Adda. – Paris, Solar, 1999. Je n’ai pas lu ce livre, mais Arielle Adda est une grande spécialiste des enfants précoces et son livre est considéré comme la « bible » sur les surdoués.
  • Les enfants surdoués ou La précocité embarrassante/ Jean-Charles Terrassier. – Paris, ESF, 1998. Celui-ci est assez court, mais il explique bien le fonctionnement intellectuel des surdoués. Jean-Charles Terrassier est notamment celui qui met le plus en avant la dyssynchronie dont souffrent les surdoués
  • Enfants surdoués en difficulté : de l’identification à une prise en charge adaptée/ dir. Sylvie Tordjman. – Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005. Un ouvrage un peu plus pointu que les précédents, mais très intéressant. Sylvie Tordjman est professeur à l’université de Rennes 1 et chef de service hospitalo-universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Rennes (ce service accueille beaucoup d’adolescents surdoués en dépression).

Image : Quino