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A peine deux lunes – le témoignage de Minka

mardi, juillet 22nd, 2014

Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars (Wikimedia Commons)

Après un long silence, un peu d’activité sur ce blog avec le témoignage de Minka (que vous pouvez retrouver avec plaisir sur Twitter ou sur son blog, où ce texte est également publié).

 Mardi, première écho, à la maternité. J’en suis à 11 semaines de grossesse. La deuxième, on a déjà un enfant de 2 ans et demi. On aurait aimé un peu moins d’écart mais cette grossesse-là s’est un tout petit peu fait attendre.
L’écho commence, je trouve l’embryon bien petit (bien que je n’y connaisse rien), je ne me détends pas. Je me souviens que pour celle de ma grossesse précédente, j’avais souri jusqu’aux oreilles à la seconde où je l’avais vu à l’écran, avant même qu’on nous confirme que tout va bien. Je me raisonne, le gynéco n’a rien dit de négatif, il prend des mesures, 3 cm, il dit « et maintenant on essaie d’écouter le cœur » – je n’aime pas cet « essaie ». Phrase suivante, « Je suis désolé, il n’y a pas 36 façons de vous le dire, vous voyez que c’est une grossesse qui s’est arrêtée, il y a environ deux semaines. »

On retourne dans son bureau, il explique le protocole hospitalier, plutôt lourd : un cachet à prendre, deux autres le surlendemain, puis une opération sous anesthésie générale quelques heures plus tard. Il est très humain, souligne la banalité médicale de ce qui nous arrive et de l’opération, mais dit aussi qu’il sait que dans nos cœurs et dans nos têtes, c’était déjà un bébé et qu’il sait bien que c’est difficile. Je demande si on peut prendre un peu de temps, il me répond que bien sûr, qu’il n’y a aucune urgence médicale, que là il vient de nous assommer, qu’il nous balance encore plein d’informations et qu’il nous faut le temps de digérer tout cela … Mais que comme justement ce n’est pas une urgence médicale, il n’est pas dit qu’une fois que je serai prête ils pourront s’occuper de moi tout de suite, donc il m’enjoint à rappeler dans deux jours.

On rentre. Le portable sonne, les quelques copains au courant veulent des nouvelles. Je leur réponds, des larmes dans la gorge. Je suis sidérée, N. aussi. Le médecin nous a bien expliqué que c’était courant, et que la plupart des grossesses arrêtées dont on avait conscience (selon lui, une grossesse sur deux se finit ainsi, mais la plupart tellement rapidement qu’on ne le sait pas, on croit que les règles ont quelques jours de retard) se découvrent à ce moment-là, avant que l’organisme commence à évacuer l’embryon.
On récupère notre petite chez des amis, on coupe en deux mots leur grand sourire et « Alors tout va bien ? ». On rentre chez nous, on explique ce qui se passe à notre enfant, aussi simplement que possible. « Mais il est parti où ? » « Il est mort, ma chérie. C’était pas encore un bébé, tu sais, c’était comme un pépin de bébé, il aurait pu devenir grand, mais il n’a pas réussi » « Ah mais pourquoi ? » « On ne sait pas pourquoi, ça arrive parfois … »On avait prévu une soirée chez d’autres amis pour leur annoncer la nouvelle, N. y va avec Z., j’ai besoin d’être seule, d’appeler des gens et de considérer mes options. J’appelle d’abord une amie qui a vécu la même chose il y a quelques années, elle m’explique comment ça s’est passé pour elle, une séance d’acupuncture pour débloquer les choses, cinq jours d’attente, une évacuation naturelle et complète mais très douloureuse qui se finit aux urgences. J’appelle ensuite ma sage-femme, je dois la voir le surlendemain, on maintient le rendez-vous. Je ne sais plus ce qu’on se dit, à part que je n’ai pas d’arrêt de travail et qu’il faudrait que j’en obtienne un. Je reste dans le jardin, je regarde les papillons, le chaton, les jeunes pousses. Je ne vais pas sur Internet, je ne me renseigne pas davantage. Je laisse passer.

Les miens reviennent, un peu tard, on va vite se coucher, je pleure un peu dans les bras de N. Je m’endors, je me réveille en pleurs vers 4h du matin. Ma décision est prise, je vais suivre le protocole de l’hôpital, même s’il me paraît lourd, même si l’anesthésie générale me fait peur. Je n’ai pas envie de me battre, d’imposer ma façon de faire, de chercher un autre hôpital. Celui-là n’est pas parfait, avec son absence d’options et donc de consentement éclairé, mais je peux faire avec le protocole imposé, je sais que les gens y sont très humains (même si enfermés dans leur façon de faire), j’ai une grande confiance dans le gynéco et c’est ce qui m’importe le plus.

J’appelle mon généraliste, il me donne deux jours d’arrêt de travail, puis l’hôpital, la secrétaire est charmante, elle attendait mon coup de fil car le gynéco lui avait laissé un mot, elle se débrouille pour avoir des consultations rapidement, je peux revenir le jour même pour le premier cachet, puis un rendez-vous avec l’anesthésiste. On reconfie la môme à des amis – je nous découvre plus et mieux entourés que je croyais, N. m’accompagne à la maternité. Au secrétariat, je crois m’adresser à la personne que j’ai eue plusieurs fois au téléphone le matin même, elle ne me remet pas, j’ai un blanc au moment de lui expliquer la situation, et je dis « J’ai un bébé dans le ventre, il n’est pas vivant ». Je suis plus secouée que je croyais … L’autre secrétaire prend le relais, c’est elle à qui j’ai parlé. Le même gynéco nous reçoit, c’est pourtant son jour de congé, je prends devant lui le médoc qui va arrêter l’imprégnation, puis il me donne deux Cytotec, à prendre le lendemain le plus tard possible dans la nuit (voir le matin du surlendemain, vers 2h), l’un à avaler, l’autre à mettre au fond du vagin. Puis on voit l’anesthésiste. Entre les deux, on va déjeuner, on arrive à parler de plein de choses, aussi des pas tristes, des projets, à créer des moments de gaieté au milieu de tout ça. Je suis fière de nous.

Jeudi matin, je me lève, en sanglots encore, je vais dans le jardin. Aujourd’hui, à part ma sage-femme que je vois une heure et qui me conseille de demander deux semaines d’arrêt, je reste à la maison. Je lis les témoignages de fausses couches sur le blog de poulepondeuse. C’est donc bien ça, ce que je vis : une fausse couche, même si je n’ai pas encore vu une goutte de sang. Casse-tête pour faire garder la môme pour le lendemain. Je dois donc prendre les Cytotec, qui vont déclencher les saignements, dans la nuit de jeudi à vendredi, et je suis attendue à 6h45 à la maternité – je pars à 6h de chez moi. Est-ce que je serai en état de conduire ? Est-ce qu’on demande à un ami de dormir la veille à la maison pour que N. m’emmène ? Mais j’ai besoin d’être seule chez moi cette nuit-là … Et on ne va pas emmener Z. là-bas évidemment … La faire passer la nuit ailleurs ? Ca n’a encore jamais été le cas, et nos amis proches du coin ont des nouveaux-nés … Finalement, on décide que j’irai seule au rendez-vous, et que N. me rejoindra dès que Z. sera réveillée : une amie viendra tôt la garder à la maison, histoire qu’elle garde ses repères. Et je prendrai le Cytotec, en accord avec ma sage-femme, plus tard afin de ne pas être gênée pendant la route : à 4 ou 5h du matin, l’heure à laquelle je me réveille depuis quelques jours.

Jeudi soir, douche et shampoing à la Bétadine. Je coupe aussi ma toison pubienne, court, en espérant ça évitera qu’on la rase. Vendredi matin, je me réveille, pas en pleurant cette fois. Je prends les cachets, une seconde douche à la Bétadine. Je fais la route, j’écoute Noir Désir, il y a une lune énorme accrochée à l’aube. J’arrive à la maternité, les sages-femmes et les infirmières puéricultrices prennent leur petit déjeuner. C’est par ce couloir que je suis arrivée pour accoucher il y a presque trois ans. Ca pourrait me serrer le coeur, ça l’apaise plutôt : cette épreuve, car c’en est une pour moi, je l’inclus dans ma maternité. J’entends des vagissements de nouveaux-nés et ça me va (mais les femmes enceintes me collent les larmes aux yeux). Je préviens la sage-femme du « retard » avec lequel j’ai pris le Cytotec, elle me dit qu’il n’y a aucun souci. Elle semble inquiète pour moi, me propose de rester, mais pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de parler. Elle repasse 15 minutes plus tard : ils ont le planning des opérations, ce sera en fin de matinée. Je commence à saigner vers 8h, ça ressemble beaucoup à des règles, la douleur est moins forte (cela dit j’ai des règles habituellement très douloureuses, et quand j’ai accouché je n’ai pas eu vraiment mal). Je pourrais m’énerver d’être coincée ici si tôt, déjà en tenue réglementaire, alors que je ne serai opérée que dans plusieurs heures, mais j’aime autant que ça se passe ici. Je ne peux pas lire, je pleure un peu, je griffonne dans un carnet.

Tu as vécu
Dans mon ventre
Deux lunes
Je t’appelais Ö
Ni fille ni garçon
Homoncule
Tom Pouce
Petite Poucette
Une ébauche
Et le docteur a dit
La grossesse est arrêtée
Ni vivant ni mort
Comme l’autre poème
Tu as oscillé entre le pas encore et le déjà plus
Et nous t’avons aimé
Et nous te pleurons
Mon corps alourdi par la grossesse et le deuil
Il me reste encore
Quatre heures
Avec toi
Qui n’est pas là
J’essaie de te dire au revoir

Je dis adieu à cette promesse de bébé. Mon mari arrive, je continue mes allers-retours aux toilettes. Au bout de deux heures, je sens quelque chose glisser en plus du sang, ça ressemble beaucoup à la sensation du placenta (pour lequel la délivrance a été naturelle). A partir de là je ne saigne presque plus, je lis, je n’ai plus besoin de me focaliser sur mon ventre.

Une grosse demi-heure plus tard sans saignement, on appelle une sage-femme et on demande une échographie. Je suis persuadée que tout est parti. Alors qu’elle va se renseigner, le brancardier arrive. Adorable lui aussi « Madame, enchanté, enfin je suis désolée de vous dire enchanté dans ces circonstances ». La SF revient, l’opération a lieu quand même, par sécurité me dit-on. Je pourrais obtenir gain de cause en tempêtant, je choisis de m’économiser. Ensuite, les infirmières de la salle d’opé me piquent et me posent quelques questions, dont pourquoi je suis là. Gentilles elles aussi « N’ayez pas peur Madame … – Je n’ai pas peur, je suis triste – Oh oui je comprends bien que vous êtes triste … ». Puis la salle d’op, très blanche, les anesthésistes qui discutent entre eux, le seul moment où je me sens vraiment seule et misérable. « Vous allez dormir », dit le plus vieux des deux, d’une voix joviale. Ducon.

Je me réveille, dans une sorte de salle d’attente avec des lits. Mes jambes sont sous le drap, comme quand je me suis endormie. Je regarde sous ma culotte d’hôpital, on ne m’a pas rasée. Une infirmière vient me voir, je lui pose des questions, est-ce que tout s’est bien passé (oui), est-ce que je peux boire (non), est-ce que je suis en train de lui poser toutes les questions deux fois (oui).
C’est fini. Je me suis réveillée, l’AG ne m’a pas tuée (oui, j’avais peur). Je veux remonter voir mon mari, je veux quitter l’hôpital. On me ramène dans ma chambre, il n’est pas encore là, je me rhabille « en civil », je me rince la bouche. N. revient, je suis quasi euphorique, c’est fini ! On va rentrer ! La sage-femme passe, me voit habillée, sourit, « j’allais vous dire de m’appeler pour le premier lever » … C’est la seule à prononcer le mot « fausse couche ». Je veux sortir, je fais tout pour qu’on voit que je suis bien réveillée. Je bous pendant ces deux heures d’observation. On me propose des antidouleurs, on insiste même un peu, mais je n’ai pas mal. Finalement on me libère, avec un arrêt de travail d’une journée (et encore, parce que je l’ai demandé).

Cela fait dix jours. J’ai le sentiment d’avoir été bien traitée, bien accueillie par l’équipe hospitalière, même si j’aurais aimé avoir l’occasion d’exprimer des choix. Parce que je connais d’autres interlocuteurs, j’ai pu avoir les réponses que j’attendais et découvrir des possibilités, choisir celle-ci en connaissance de cause, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais tout le monde a été chaleureux, humain.

Je suis encore triste. J’ai de la chance : cette grossesse s’est arrêtée tôt, je ne me sens pas trahie par mon corps, j’ai plutôt l’impression qu’il a fait ce qu’il fallait,et je ne considèrais pas l’embryon comme un enfant, plutôt comme une promesse. J’ai du chagrin, envie d’être encore enceinte, ou de l’être à nouveau, des larmes aux yeux de temps en temps. Mon mari est passé à autre chose, il est un peu inquiet pour moi. Et notre petite fille encaisse, a du mal à s’endormir, a peur (pour moi, je crois) et se pot-de-collise.  Mais cela aussi passera.

IVG : la tête ou le coeur – le témoignage de Leila

lundi, mars 4th, 2013

Un nouveau témoignage d’IVG aujourd’hui avec Leila, que je remercie beaucoup de venir partager avec nous. Si vous aussi vous souhaitez raconter votre histoire d’IVG ou de fausse-couche, il suffit de me l’envoyer à lapoulepondeuse at gmail point com. Si vous vous trouvez dans une situation de grossesse non désirée, un billet d’information est disponible ici (c’est aussi sous ce billet que je vous demande de commenter si vous voulez discuter autour de l’IVG, les commentaires du témoignage étant réservés à celui-ci). 

 Bruxelles, janvier 2013. Je me sens mal. Très mal. Je n’arrive plus à dormir. Ma tension est très basse. Je suis épuisée. J’ai mal au ventre, des nausées. Je pleure beaucoup. Je dois m’absenter au travail, le temps de comprendre ce qui se passe dans mon corps. J’imagine le pire. Après quelques jours, maman me propose de faire un test de grossesse. C’est impossible, je suis sous stérilet. Je le fais quand même.

Positif.

Je ne me sens pas enceinte, je n’ai pas pu connecter avec l’embryon. Je suis malade. Je sens que je n’y arriverai pas. J’ai déjà deux enfants, de 4 et 6 ans. J’ai 39 ans, mon mari 44. Maman, notre unique soutien, a 68 ans. Cette fois-ci, ni mon mari ni ma maman n’ont l’énergie nécessaire pour m’entourer. Moi aussi je suis fatiguée : déjà deux amours à gérer, un travail aux horaires fatigants.

Je suis de plus en plus mal. Ma tête tourne : que se passera-t-il si je n’ai pas la force physique  de mener cette grossesse à terme ? Pour moi mais
aussi pour le futur bébé ? Que se passera-t-il s’il y a un problème (risques plus élevés à cet âge quand même ; j’avais bu un peu et pris
quelques médicaments, ne me sachant pas enceinte), pour moi ou pour lui ? Que se passera-t-il pour mes deux amours, déjà là et bien réels ?
J’ai peur, très peur. Je panique. Quelle sera notre vie avec trois enfants ? Je n’y arriverai pas. Je ne saurai pas gérer cela. Comment pouvoir leur payer des études, leur accorder assez de temps dans toutes les étapes que la vie réserve ?
J’ai peur, il faut se décider, le délai pour l’IVG approche.

Je me décide, c’est la moins mauvaise solution, je me sens mal, je pleure, je pleure, je pleure beaucoup. Je n’ai pas de réel choix. La veille, j’avais rediscuté avec ma mère et mon mari. Aucun d’eux ne m’a poussée à le garder. Je ne leur en veux pas, ils sont fatigués eux aussi.
Le jour de l’intervention (8 semaines et 5 jours d’aménorrhée), je verse toutes les larmes de mon corps. Je suis prise d’une tristesse infinie.
L’embryon n’a pas souffert. Moi tellement ! Inconsciemment, j’aurais voulu le garder, j’aurais voulu être plus jeune, avoir plus d’entourage, pouvoir assurer à tous mes enfants un avenir digne et leur offrir une mère détendue…

Aujourd’hui, environ un mois après l’intervention, je suis encore infiniment triste quand j’y repense, c’est-à-dire à peu près à chaque
minute. Je ne sais pas quel autre chemin ma vie aurait pu prendre. Mais je sais que l’IVG peut nous arriver à toutes. Que c’est une épreuve extrêmement douloureuse et éprouvante psychologiquement (en tout cas pour moi ce fut le cas).
Et que, parfois, on ne peut parler de réel choix. Car le vie nous rattrape. Accueillir un bébé, ce n’est pas seulement l’aimer ni lui changer ses couches. C’est aussi se sentir assez solide pour pouvoir répondre à tous ses autres besoins, et ce toute sa vie durant.

La tête a parlé.
Pour le cœur, c’est autre chose…

Photo : Doug88888 sur Flickr

FCS : le témoignage d’Ella

lundi, février 25th, 2013

 Initialement, j’avais lancé un appel à témoignages d’IVG, parce qu’il me semblait qu’on manquait cruellement de parole sur ce sujet, de témoignages de femmes qui sont passées par là. Et puis Ella (une chouette sage-femme qui tient le blog Ella et Valentin) m’a envoyé son texte, qui ne parle pas d’IVG mais d’un sujet aussi tabou ou presque, la fausse-couche précoce. Quand vous l’aurez lu je pense que vous comprendrez pourquoi il m’a alors paru inévitable d’élargir ma proposition initiale de publication de témoignages d’IVG aux fausses-couches. Je suis consciente qu’entre ces témoignages et le fait que je n’écris pas beaucoup, le blog prend une teinte assez sombre, alors n’hésitez pas à naviguer dans les archives si vous trouvez cela trop pesant. Mais place au témoignage d’Ella, que je remercie du fond du coeur pour sa confiance.

Été 2010. Il fait beau, on est jeunes, amoureux. Depuis sept mois, on a décidé de faire un bébé. On rentre de vacances, et la prise de sang est positive. Un bébé pour le printemps. On est heureux… Je suis zen, tranquille, je ne fais aucune écho précoce. Tout va bien, pourquoi ? J’ai des nausées, je vomis, mais ça va. Et puis les nausées passent. Je suis bien. Je suis enceinte de 2 mois.

Septembre. Ce matin, mon homme souriait: « dans une semaine, première écho ! » Mais en me levant, je saigne. A l’écho, dans mon ventre, il n’y a plus qu’un œuf vide. Mon bébé s’est envolé il y a 1 mois…

Je prend des comprimés, pour faire partir cet œuf sans vie. J’ai mal, vraiment mal. Physiquement. Psychologiquement. Je rencontre un anesthésiste, au cas où. Cet abruti me parle d’IVG. Je crie, je pleure, je hurle, je fais un scandale jusqu’à ce qu’il efface ces trois lettres de mon dossier. « Mais c’est la même chose », me dit-il. Deux ans après, je le hais encore.

Un dimanche matin, mon corps laisse partir ce petit œuf…

Je n’ai aucun soutien. J’entends que ce n’est pas grave, que je suis jeune, que j’en aurais d’autres. Qu’il vaut mieux ça que d’accoucher d’un avorton. Que ce n’est pas normal que je pleure autant, que je devrais voir un psy.

Moi, j’ai juste besoin qu’on me prenne dans les bras, et qu’on me laisse faire mon deuil.

 

Janvier 2011. La prise de sang est positive, de nouveau. J’ai peur, mais je me dis qu’il n’y a pas de raison que ça recommence. Je fais une écho quand même, à 6SA. Tout va bien.

A 8 SA, une garde chargée, des pertes marrons. A l’écho, le petit cœur clignote. Je respire.

Mais dans la nuit, le sang. Dans mon ventre, il n’y a plus rien. Mon utérus n’est rempli que de sang. Le petit cœur ne clignote plus.

Je m’effondre. Je prend un arrêt de travail, note une date plusieurs semaines plus tard, le fait signer au médecin. Je suis incapable de travailler.

Je pleure. Beaucoup. Je tricote. Énormément. Maille après maille, je construis de mes mains ce que mon ventre ne peut faire. Je me coupe des gens. Je ne veux plus entendre leur non-compassion.

 

Avril 2011. Troisième prise de sang positive. J’ai peur cette fois, très peur. A 6 SA, l’écho révèle un décollement important. Repos strict.

J’ai des nausées, je vomis. Je m’en fiche. Le matin, je ne suis pas tranquille tant qu’une vague ne m’a pas envoyé la tête dans la cuvette.

Pendant quatre mois, je suis morte de trouille chaque jour. Ma collègue finit par me prêter un sonicaid. Tous les jours, j’écoute le cœur de mon bébé. J’ai du mal à m’y attacher. Je lui parle peu. Je suis heureuse d’être enceinte, mais j’ai du mal à créer un lien avec l’enfant que je porte.

 

Aujourd’hui, mon fils va bien. Il vient d’avoir un an. C’est un bébé intense, avec un besoin de contact énorme. Fusionnels ? Oui, on l’est. Je le porte, je l’allaite. Je le laisse le moins possible. Je ne peux pas.

Et mes autres bébés ? J’ai porté trois enfants, mais pour tout le monde, je n’en ai qu’un seul. Les autres, il faudrait que je les oublie. C’est le passé, paraît-il.

Mais ces anges m’ont faites mère, malgré tout. Ils n’ont fait que traverser ma vie mais m’ont apporté beaucoup. Sans eux, serais-je la mère que je suis…? j’en doute.

Souvent , je pense à eux. Qui étaient-ils ? Garçon, fille ? Je suis triste de les avoir perdus. D’un autre côté, sans ces deuils, le petit garçon que je regarde grandir chaque jour ne serait pas là… Ils sont partis pour lui laisser la place.

Non, ils n’étaient pas « rien ». Ils sont mes enfants. Mes petits anges partis si vite, passés dans ma vie comme des étoiles filantes. Mon deuil d’eux n’est pas fait. Je pleure encore en repensant à ces moments. Et déclenche l’incompréhension de mon entourage.

Une fausse-couche, ce n’est pas rien.

D’autres billets sur le même sujet :

Photo : Nuwandalice sur Flickr

Parents, pensons la réforme des rythmes scolaires ensemble

mercredi, janvier 23rd, 2013

Aujourd’hui je relaie avec intérêt l’initiative lancée par quatre blogueurs pour remettre à plat la réforme des rythmes scolaires, sous la forme d’une tribune commune (à la rédaction de laquelle je n’ai malheureusement pas eu le temps de participer). Personnellement je suis un peu perplexe de constater que d’un côté les détails de la réforme restent flous et que de l’autre on nous annonce d’ores et déjà sa mise en oeuvre à la rentrée 2013, au moins à Paris. Merci donc à Nipette, Doudette, Libelul et Mauvais Père pour cette belle initiative. Vous pouvez aussi suivre toutes les infos en direct sur le site Parents ensemble ainsi que sur la page Facebook du collectif (je crains de manquer de temps pour tout relayer).

Nous sommes parents.

Nous sommes inquiets.

En maternelle et en élémentaire, le passage à la semaine à 4,5 jours doit être mis en œuvre dès la rentrée 2013, soit dans 9 mois. A ce jour, l’information dont nous disposons est parcellaire et contradictoire. Le projet tel qu’envisagé ne nous semble pas à la hauteur des enjeux.

Nous croyons cette réforme nécessaire et en partageons les objectifs, à savoir mieux apprendre et favoriser la réussite scolaire de tous. Depuis 2008, les écoliers français ont le nombre de jours d’école le plus faible des 34 pays de l’OCDE et de fait des journées plus longues et plus chargées que la plupart des autres élèves dans le monde. Cette situation est préjudiciable et doit être revue.

Cependant, le projet de réforme qui nous est présenté ne nous semble pas répondre à ces objectifs. Le choix de l’organisation sera à la discrétion des municipalités. On risque de se retrouver avec des communes où les enfants auront cours le samedi, d’autres le mercredi, d’autres encore auront une pause de midi allongée, d’autres finiront plus tôt et auront une période d’études/garderie plus longue, etc. Les moyens mis en œuvre dépendront essentiellement du budget des communes. Impossible, dans ces conditions, d’imaginer que cette réforme soit facteur d’égalité entre tous les enfants de France, quel que soit leur lieu de résidence et leur établissement scolaire. Il appartiendra aux municipalités de faire un choix et d’en répondre devant les électeurs en 2014.

Nous espérions qu’à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires, la place des arts, de la culture, des langues et du sport, etc. serait au cœur des préoccupations. Or, l’opacité des moyens à mettre en œuvre, l’augmentation du nombre d’enfants par animateur dans le temps périscolaire ainsi que la place choisie par les mairies pour ce temps (notamment à l’heure du déjeuner) vont diluer ces espoirs de diversification et de renforcement de ces enseignements.

Nous espérions également que cette réforme porterait sur l’intégralité du rythme scolaire, y compris le découpage entre vacances et classe et notamment la durée des grandes vacances. Force est de constater qu’il n’en est rien.

Nous sommes déçus et inquiets et rejoignons ainsi bien des enseignants. Nous craignons que l’augmentation du temps périscolaire sans réflexion quant à son contenu ni quant aux moyens de mise en œuvre fasse de ce temps un temps de désœuvrement organisé… Cela irait encore une fois à l’encontre de l’objectif de la réforme.

Afin de préserver le symbole de la demi-journée de cours supplémentaire, Il est essentiel de ne pas sacrifier les apprentissages, de ne pas perdre cette opportunité historique d’accroître l’égalité des chances des enfants face aux activités artistiques et sportives en créant du temps de garderie. Cela n’apporterait rien aux enfants, dévaloriserait un peu plus l’école et la fonction des enseignants et  remettrait en question l’organisation des familles.

Nous devons à nos enfants une réforme ambitieuse.

Citoyens connectés, blogueurs, parents, nous avons reçu de nombreux retours d’autres parents qui partagent nos inquiétudes et ne se sentent pas représentés.

Nous demandons à être entendus.

Prenons le temps de réformer l’école ensemble.

8alamaison , Agathe VANDAME , Aimé BlumenternAllo Maman Dodo , Annabelle , Audrey, Madame Koala ,Aymeric Marlange , Béalapoizon , Bettina Brouard , Buhot Stéphanie , Carole Nipette , Caroline , Ces Doux moments ,  Chiawaze , Ciloubidouille , Claire Hoenen , Colombe , Cranemou , Cynthia , David Beck , Delphine Gagnon , Doudette , Estelle Peralta , Expressions d’enfants , FashionMama , Florence , FlorenceMKoenig , Gaëlle Picut , Gauthier Vranken , Ginie Femmesweetfemme , Harmony Rouanet , Henry le Barde , Isabelle Duvert , Jane Gueneau aka. Libelul , Julesetmoa , Julie B , Julie Dessagne , Julien , Juliette Merris , Karine Un bébé pour mes 30 ans LN moitoutetrien ,Lulu From Montmartre , Lydiane Le Roy , M Delobel , Madame , Madame Parle , Madame Zaza of Mars , Madame Ziadeh , Maman nanou , Mamanwhatelse , Marc Guidoni , Marie-Gwénaëlle Chuit , Marlène Schiappa , Mauvais Père , Mazzhe , Michaëla Avventuriero , Michèle, Maman on bouge , Missblogdel , MissBrownie , Naddie , Nadine A , Nicolas Gilbert @zegilbos Pourquoisecompliquerlavie , Sabine , Samuel Lamotte d’Incamps , Sandra Elle , Sandrine Donzel , Sophie Reynal , Tetedeblog , Till the Cat , Unperfect mum , Voilapapa , Yusaku (Père de 3 enfants)

Une histoire ordinaire : mon IVG douce-amère

jeudi, novembre 8th, 2012

Aujourd’hui, la basse-cour a l’honneur d’accueillir une invitée : je vous présente Nanette. Si vous ne la connaissez pas déjà vous pouvez suivre ses humeurs ici. Elle a souhaité partager avec nous son expérience sur un sujet à la fois banal, délicat et intime : l’interruption volontaire de grossesse. Reprenant la formule testée avec Ficelle, je vous propose de lire d’abord son témoignage puis dans un second temps de le compléter par un autre billet plus général sur la question. Si vous souhaitez discuter de la question de l’IVG , je vous demande de réserver vos commentaires pour ce second billet et de respecter les choix et les ressentis que Nanette nous expose. Je lui laisse maintenant la parole, en la remerciant très chaleureusement de nous offrir ce témoignage dont la publication me tient à coeur.

 J’ai choisi d’avorter en 2002. Il y a longtemps que j’avais envie d’en parler sur mon blog mais je n’ai jamais trouvé le bon moyen, le bon moment. J’ai toujours su que j’en parlerai un jour pourtant.
D’abord parce que je n’ai jamais caché grand-chose à mes lectrices (sauf sans doute, nos identités véritables à ma famille et à moi) et ensuite parce que selon moi, il FAUT en parler. Le plus possible. Et sans honte.
Et pourtant, moi qui ai souvent raconté le plus intime sur mon blog, je trouve que raconter cet épisode de ma vie est ce qu’il y a de plus difficile.

J’ai accouché de mon premier enfant un mois avant mes 18 ans, en mars 2000. J’étais en classe de terminale et ma grossesse que j’ai très longtemps cachée à mes parents a été assez difficile et évidemment difficilement acceptée par ma famille. J’ai eu la chance d’être beaucoup soutenue par mon père et de pouvoir poursuivre mes études et ma vie – presque – comme toutes les jeunes filles de mon âge. Pendant les deux années qui ont suivi la naissance de mon fils, je suis restée célibataire. Et puis, à la faveur de la fac, des rencontres, des sorties et entre deux allers-retours à la crèche, j’ai fini par rencontrer quelqu’un.

Tout se passait très bien… jusqu’à ce que je tombe enceinte à nouveau malgré la contraception. Je prenais depuis longtemps une pilule inadaptée. Dès que je l’ai su, à la seconde même, il n’a jamais été question que je garde ce bébé. Je me démenais depuis des mois pour pouvoir enfin vivre seule, j’allais encore à la fac et je vivais de ma bourse et des allocations. Et cette histoire, même si elle était très belle, je savais bien qu’elle ne durerait pas. J’ai néanmoins prévenu mon compagnon, qui a jugé comme moi que ce n’était ni le moment, ni les conditions pour avoir un enfant. Je n’ai pas désiré qu’il m’accompagne dans ce parcours et lui non plus. En fait, j’ai souhaité traverser tout ça seule. Je ne peux pas expliquer pourquoi aujourd’hui. Je n’ai pas eu honte, mais je n’ai pas ressenti le besoin d’être soutenue, du moins pas avant ni pendant l’intervention.

Dès lors que ma décision a été prise, je n’ai pas été triste, ni affligée. Ma sœur à qui je m’étais confiée s’est beaucoup étonnée de mon apparente « froideur ». Assez rapidement, j’ai pris rendez-vous dans le service d’orthogénie de l’hôpital Béclère. C’est un petit bâtiment séparé de l’hôpital, composé de plusieurs bureaux et aux murs bardés d’affiches sur la contraception, le droit à l’IVG, le planning familial. J’ai été reçue par une femme admirable qui y exerce encore. Très humainement, elle m’a expliqué que cet entretien était le premier du parcours que nous allions faire ensemble : j’allais devoir rencontrer un psychologue, une sage-femme puis la revoir de nouveau, elle. Elle m’a examinée et a fait une échographie pour dater la grossesse. Elle m’a posé des questions sur les raisons de cette décision et sans insister, s’est bien assurée de ma conviction.

Encore une fois, c’est soulagée que j’ai quitté son cabinet. Je suis revenue à Béclère quelques jours plus tard pour voir la psychologue à qui j’ai dû, à nouveau raconter mon histoire. J’ai moins « accroché » avec elle, donc j’ai trouvé ça assez gênant. J’ai vu la sage-femme peu de temps après. Elle m’a expliqué que vu l’âge de ma grossesse, j’avais encore « le choix » de la méthode utilisée pour procéder à mon IVG : l’avortement médicamenteux par prise de Cytotec ou la chirurgie par aspiration.
J’ai choisi les médicaments.
Malheureusement, l’hôpital n’a pas pu accéder à ma demande. A l’époque (je ne sais si c’est toujours le cas [Note de la PP : maintenant l’IVG médicamenteuse peut être faite en ville et la femme prend le traitement chez elle]), l’avortement médicamenteux se faisait en plusieurs phases : la prise du cytotec sous surveillance quelques heures, puis un nouveau rendez-vous pour vérifier l’expulsion de l’embryon.

Par manque de place disponible (et pour des soucis d’emploi du temps), je n’ai finalement pas eu le choix et nous avons fixé la date de l’intervention. J’ai décidé de ne pas être endormie, j’allaisamèrement le regretter.

Le matin de l’intervention, j’étais à l’hôpital à 8 heures. J’ai eu le droit de boire un verre d’eau. Je me suis déshabillée et j’ai enfilé la blouse de l’hôpital. On m’a donné un comprimé de cytotec destiné à ouvrir le col de l’utérus, à prendre localement donc. L’effet a été très rapide, j’ai commencé à saignotter un peu. J’ai encore attendu deux heures avant d’être emmenée dans une pièce qui n’avait rien d’un bloc opératoire. La lumière était tamisée, un petit chariot à instrument dans un coin, une grosse machine dans l’autre. A cet instant, je ne ressentais toujours rien. Physiquement, je commençais à avoir une douleur comparable à celle du début de mes règles. Moralement, tout allait très bien : je savais ce que je faisais ici et pourquoi j’étais là. J’étais très sûre de moi.

La femme médecin (qui est généraliste et pas gynécologue) que j’avais rencontrée la première fois est venue me parler et m’a expliqué en détails ce qu’elle allait faire. Une infirmière serait là pour me tenir la main. Je crois me souvenir qu’on m’a injectée un petit anesthésiant local au niveau du col. L’intervention a commencé. A l’aide d’un spéculum, le médecin a examiné mon col pour voir s’il était bien ouvert. Puis a commencé une phase assez douloureuse. Elle m’a expliqué que mon col n’était pas « dans l’axe » et qu’elle allait devoir le maintenir avec une pince. Je ne sais pas si l’anesthésique était trop léger mais j’ai eu extrêmement mal. Pendant toute la durée de son geste, elle n’a pas arrêté de me parler, l’infirmière à côté de moi me serrait la main, enfin c’est plutôt moi qui lui broyais les doigts. Je n’ai pas vu de mes yeux tout le matériel qu’elle avait installé (un spéculum donc, et cette fameuse pince), mais nous avons trouvé le moyen d’en rire : à chacun de mes gestes, j’entendais un bruit métallique !

Elle a ensuite allumé la grosse machine à côté d’elle. Avec le long tuyau qui en sortait, elle a aspiré. Là encore, j’ai eu mal. Je me rappelle très bien ce bruit d’aspiration : le bruit de la machine et le bruit de ce qu’elle aspirait. J’ai ressenti le besoin de prier, même si ce que j’étais en train de faire est complètement réprouvé par ma religion. J’ai pleuré un peu, de douleur. Ca a été très rapide. Mes jambes étaient tétanisées, je tremblais un peu et il restait dans mon corps un peu de cette intense douleur que j’ai ressenti durant ces quelques minutes.
Le médecin m’a débarrassée de tout son matériel, m’a longtemps rassurée. L’infirmière à côté de moi ne m’a pas lâché la main une seule minute. La douleur commençait à s’éloigner, c’était terminé, j’étais soulagée.

Elles ont toutes les deux fini par quitter la pièce pour me laisser seule quelques minutes. Je ne peux pas dire aujourd’hui si c’était volontaire. Mais le fait de me retrouver seule a été comme un déclencheur. J’ai regardé cette machine et j’ai réalisé qu’il y avait dedans ce bébé que je n’avais pas gardé. Je me suis sentie bizarre : j’avais toujours mal, j’étais seule dans la pièce avec cette machine. Et pour la première fois depuis des semaines, j’ai pleuré. Je ne regrettais pas ma décision mais j’avais enfin l’impression d’en comprendre l’importance : j’avais perdu quelque chose, même si c’était mon choix. De comprendre qu’on pouvait porter le deuil d’un enfant qu’on ne voulait pas. Le médecin est revenu et m’a réconfortée sans me parler, je n’en avais pas besoin et je crois qu’elle l’a compris.

Je suis allée me rhabiller à peu près calme. En enfilant mon jean, je me suis rendue compte qu’il était tellement serré qu’il me faisait mal au ventre. J’ai pleuré à nouveau. On m’a laissée en salle d’attente, une heure peut-être. Puis le médecin a contrôlé l’expulsion de l’embryon par échographie. Tout allait bien, je pouvais rentrer chez moi, avec une ordonnance d’anti-douleur.

Je n’ai eu aucune complication, mais j’ai mis du temps à m’en remettre psychologiquement. Regarder mon fils, jouer avec lui m’a été assez difficile pendant quelques jours. Quand j’ai revu le médecin, j’ai été heureuse de pouvoir en parler avec elle. Nous avions cette journée en commun, nous l’avions vécue ensemble. J’ai rarement croisé un médecin généraliste aussi… gynécologue. Des années plus tard, je l’ai revue à la télévision. J’ai su qu’elle s’était toujours battue (et se bat toujours) pour que l’IVG ne disparaisse pas de l’hôpital public. C’est une spécialité que les médecins
ne souhaitent pas apprendre.

Je ne repense que rarement à cette journée. Quand mon deuxième enfant, ma fille, est née, j’y ai pensé. Sans nostalgie, sans peine, mais j’y ai pensé. Il y a quelques mois, j’ai visité une maternité dite « de pointe ». J’ai tenu à visiter le service d’orthogénie (ridiculement petit par rapport au reste de l’établissement). J’ai été heureuse de constater que des médecins se battaient toujours pour le droit des femmes.

Difficile de conclure un pareil billet… Il est rare de lire ce genre de choses sur les blogs de mamans, alors si j’ai pu libérer, déculpabiliser une personne ou si quelqu’un s’est reconnu dans mes mots –maux), j’en serais heureuse.

En tout cas, à moi ça m’a fait du bien.

P.S : Je remercie la Poule Pondeuse de m’avoir prêté un petit bout de son canapé pour que je puisse m’y épancher. Chez moi, je ne me sentais pas très à l’aise. Merci à toi.

Image : difficile d’illustrer un tel billet alors j’ai choisi cette fleur, la douce-amère (source Flickr). 

Ma fausse-couche : la physiologie oubliée ?

lundi, septembre 17th, 2012

Un thème pas très joyeux et pourtant plus banal qu’on ne le pense pour tenter de redonner un semblant d’activité à ce pauvre blog délaissé… J’accueille aujourd’hui en rédactrice invitée mon amie Ficelle qui m’a fait l’honneur de confier à cet espace l’histoire de sa fausse-couche. C’est un sujet sensible pour beaucoup d’entre nous, et contrairement à beaucoup des billets de ce blog, il s’agit simplement de son vécu, intrinsèquement subjectif. Comme tout ressenti, il n’a pas vocation à être généralisé à tout le monde, ni à prescrire une voie d’action ou à en condamner d’autres. Je compte particulièrement sur la délicatesse habituelle des commentateurs pour que le débat reste respectueux. Et avant que vous ne m’accusiez -à raison- de flemmingite aigüe je vous annonce pour demain un billet écrit par moi pour faire le point sur le sujet sous un angle complémentaire, plus général. Mais assez de blabla, je laisse la parole à Ficelle.

 Une amie qui a vécu plusieurs événements très difficiles me disait récemment à peu près cela : « Ce qui est très compliqué quand on raconte son histoire par écrit, c’est le côté figé. Cette histoire douloureuse, quand on en parle autour de soit, on la réécrit chaque jour… Les mots qu’on trouvait justes hier ne le sont plus forcément aujourd’hui ». Alors que mon amie la divine Poule pondeuse me propose de raconter ma fausse couche, les mots de cette amie résonnent exceptionnellement justes. Il se trouve que j’ai couché sur le papier certains éléments de « l’histoire » au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Je décide donc de ne rien changer à ces impressions du moment et de conclure avec ma vision « du jour ».

25 août 2012

Depuis quelques semaines, je porte un embryon qui a arrêté son développement. En langage courant, c’est une fausse couche. Contrairement aux idées reçues, les embryons défectueux ne lancent pas illico leur processus d’auto-destruction. Le dit processus prend plusieurs semaines, ce qui fait qu’on détecte l’arrêt de la grossesse avant d’avoir évacué l’œuf. Et ce, depuis que les échographies de contrôle sont généralisées aux alentours des huit semaines d’aménorrhée. Or, ce nouvel état de fait entraine au moins une conséquence fâcheuse : la possibilité de se débarrasser du bidule avant que notre corps ne finisse par faire le boulot lui-même. Ce qui peut prendre en l’espèce de trois à six semaines… Une éternité pour certaines femmes qui attendent impatiemment de retomber enceinte, ou pour celles qui ressentent encore de nombreux effets indésirables des hormones de grossesse, qui continuent un temps à être sécrétées.

Une fois que l’arrêt de la grossesse a été détecté dans mon cas, « ma » gynécologue, celle chez qui je vais chaque année – et bien plus en période de grossesse justement, déjà deux à mon actif – depuis près de 10 ans, m’a indiqué que j’avais alors deux options : le protocole d’expulsion médicamenteux (Cytotec) ou le « curetage » (aspiration de l’embryon –NB : on utilise encore souvent le mot curetage même si la procédure de routine est une aspiration, voir par exemple wikipedia pour la nuance). Joie, bonheur… panique. En plus d’être attristée par l’échec de ce début de grossesse et la remise au placard, provisoirement du moins, de notre projet de troisième bébé, je me sens piégée entre deux alternatives qui m’effraient. Influencée par le raisonnement reposant uniquement sur le paramètre d’efficacité de mon médecin, je me décide d’abord pour le curetage. Le « vite fait, bien fait » de cette procédure, pourtant chirurgicale, qui impose une anesthésie générale (même légère, elle n’est jamais anodine !), me tente de prime abord. Je me dis : deux rendez-vous, une matinée d’hospitalisation et cet épisode désagréable est derrière moi. Et puis, en face de la secrétaire de l’obstétricien indiqué par ma gynécologue « de ville », je flanche. Larmes, indécision, tour aux toilettes du cabinet flambant neuf, colère, renoncement. Je prends un rendez-vous pour le lendemain, à contre-cœur. Et puis deux coups de fil à deux amies sage-femme et généraliste me remettent sur pieds.

Une troisième voie s’ouvre. Celle de… ne rien faire. Et ma tristesse se transforme en colère. Comment cette professionnelle, avec qui pourtant j’ai souvent discuté, a-t-elle pu passer à côté du fait que l’option la plus « naturelle » puisse me convenir ? Celle d’attendre, de laisser faire la nature. Même 15 jours, même trois semaines. Une attente longue pour certaines, qui le sera aussi pour moi, mais qui reste une option, et pas des moindres. C’est celle qui permet de ne pas alimenter le trou de la sécu. Une échographie suffit en fin de processus pour vérifier que tout a été évacué. Attendre ou prendre des médicaments engendrent un léger risque d’hémorragie et peuvent « se terminer » en curetage. Mais le pourcentage n’est pas très élevé (impossible d’avoir un chiffre…). Alors que le curetage en première intention n’est pas l’option la plus économique. C’est une consultation de spécialiste en plus des deux précédentes chez le gynécologue de ville permettant d’établir le diagnostic (plus les deux prises de sang pour constater la baisse du Bêta HCG, l’hormone de grossesse dans le sang), une rencontre avec un anesthésiste en clinique, une anesthésie et un acte chirurgical – on écarte le col de l’utérus, on passe une sorte de paille large comme un stylo (aïe) et on aspire le sac embryonnaire.

Si cette éventualité de l’attente est d’emblée écartée par cette gynécologue, ce n’est pas par malice mais peut-être consécutif à une demande répétée des femmes. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. L’explication peut aussi venir d’un conditionnement interventionniste de la profession. « Couvrons-nous », « Maîtrisons le processus ». Mais sur le plan politico-sociétal ? Et bien, ces Cytotec-curetage, s’ils sont indispensables aux femmes dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse, sont dans le cas de fausses couches les instruments de contrôle de ces mêmes femmes. Comment reprendre confiance en soi et en son corps, si même ce processus physiologique, qui intervient pour d’excellentes raisons – éviter la mise au monde d’un bébé avec une anomalie génétique par exemple – n’est pas même reconnu comme une « option » à envisager pour la femme ? Pour moi, la capacité de la machine humaine à traiter seule ce genre de situations « normales » est niée par le système médical actuel, ou en tout cas un certain système médical. Et cette prise de conscience participe de mon engagement militant. Reste plus qu’à évacuer ma balle de ping-pong…

Lundi 3 septembre

La balle de ping-pong est toujours là. Aucun signe annonçant un décollement prochain. L’aspiration est programmée pour demain mardi. Ce qui me reste en travers de la gorge : le sentiment que plus personne ne sait vraiment comment vont se passer les choses sans intervention médicale. Il est quasiment impossible pour moi de prendre cette décision d’intervention de façon véritablement éclairée. La médecine n’est pas une science exacte certes. La connaissance des mécanismes physiologiques a été perdue, c’est en tout cas mon impression. Ma frustration est plus grande que ma déception (de ne pas être enceinte, de ne pas avoir expulsé l’œuf malgré les deux semaines d’attente éprouvantes, les quatre semaines depuis que la grossesse est vraisemblablement arrêtée). J’ai la sensation d’être entrainée, à moitié consentante, dans une spirale interventionniste. Je suis déchirée. Pas bien dans mes baskets. Je pleure beaucoup… Mon mari ne sait pas trop quoi me dire. Il pense à cette attente qu’il juge maintenant trop longue et douloureuse, moi je pleure (enfin ?) ce bébé qui ne viendra pas.

Dimanche 16 septembre

Deux heures, peut-être trois après que j’ai écrit ces derniers mots, je me promène dans les magasins. Désabusée, mal physiquement et moralement. Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter des serviettes hygiéniques pour incontinents, je saigne plus qu’à l’accoutumée. Je prends également deux Ibuprofène pour atténuer de petites crampes à l’utérus. Envie de changer ma serviette, je m’arrête dans un bar. Sur les toilettes, je sens que le sang s’écoule, assez abondant… et que glisse un caillot largement plus gros que les autres. Je jubile. Et le mot est faible. Je nettoie tout ça, sors en vitesse du bar, compose le numéro direct de ma gynécologue, souffle sur un ton de fausset : « C’est… sorti ! » Elle est contente pour moi, me confirme qu’elle annule l’intervention. On prend rendez-vous pour le vendredi suivant, histoire de vérifier que tout va bien [l’écho montrera un utérus complètement vide le vendredi en question]. Je bois un verre dans ce bar avec une amie. Je repasse aux toilettes une heure plus tard et sens à nouveau, sans éprouver aucune douleur, du « matériel » glisser. On dirait un peu un morceau de foie de veau. C’est bien le sac embryonnaire – avec l’embryon dedans mais invisible au stade où il a arrêté son développement, surtout au fond d’une cuvette. Je sais que tout est fini. Je suis sur mon petit nuage, soulagée.

 

Je n’ai qu’un tout petit recul aujourd’hui sur cet événement. Quinze jours à peine. Mais déjà je m’interroge : qui, du calendrier « programmé », physiologique, de cette fausse couche ou du rejet viscéral de l’intervention, tellement fort psychologiquement, est à l’origine de cette expulsion in extremis ? Trois amies, sage-femme, médecin et femme ayant vécu deux fausses couches, ont eu la même réaction : « Tu devais pleurer ce bébé », « tu n’étais pas prête à le laisser partir avant ». Je ne suis pas complètement satisfaite par cette explication, mais soit. Cette amie sage-femme m’a aussi textoté : « Belle leçon de patience pour l’obstétrique. Les femmes sentent toujours ce qui est bon pour elles, nous sommes trop précautionneux et interventionnistes ». Ces mots m’ont beaucoup touchés. Je ne jette pas la pierre aux personnels de l’hôpital que j’ai rencontré lors de cette épreuve – malgré tout ce que j’ai pu laisser paraître, c’en était une… – qui ont été prévenants et à l’écoute. Malgré tout, je regrette le parti pris du système médical, qui vise à prévenir un risque (celui d’une éventuelle infection, « très peu probable dans votre cas, mais quand même, ce serait tellement dommage… ») sans prendre forcément la mesure des vents contraires. L’effet boomerang de s’infliger un acte (médical ou chirurgical) que l’on ne veut pas et qui, si j’en crois mon aventure, n’est pas nécessaire et encore moins vital, loin s’en faut. Je sais que ce dernier point fera l’objet de discussions ici ou ailleurs. Je tiens donc à préciser que ce que j’ai défendu (et que je défends aujourd’hui en racontant cette histoire), c’est de pouvoir rester maître des décisions qui concernent notre corps, dans un cas comme celui-là qui est tout sauf grave. Presque banal diront certain(e)s, même si le mot me semble dur, dans un contexte où nos grossesses, le plus souvent désirées, sont souvent très vite investies.

Bien vivre l’allaitement

vendredi, septembre 23rd, 2011

Aujourd’hui, la Basse-cour a l’honneur d’accueillir une guest-star, et pas n’importe qui : la Mère Joie. Pour ceux qui n’auraient pas l’heur de la connaître, c’est une des rares blogueuses capables de balancer avec le même talent des vannes graveleuses, des réflexions personnelles touchantes et des dossiers hyper fouillés (voir la fessée et l’allaitement, à lire !). Donc quand j’ai vu sur Twitter qu’elle était en train de lire Bien vivre l’allaitement, un des livres que, par le blog alléchée, je convoite depuis quelque temps déjà , ni une ni deux, j’ai proposé à la Mère joie (les intimes disent LMJ) de faire une fiche de lecture et de la publier chez moi (observez la feinte de la blogueuse feignasse qui s’économise 1. de lire le livre et 2. de faire un billet récapitulatif). Et figurez-vous que non seulement elle ne m’a pas traitée de grosse sangsue parasite mais qu’elle a accepté. Et comme Mme Déjantée qui passait par là n’a pas les yeux dans la poche, on a convenu d’en faire en prime une participation aux Vendredis Intellos. Bref, un grand merci à LMJ, qui publie sur son blog une interview de Madeleine Allard et Annie Desrochers, les auteures du livre. Place donc à la Mère joie !

Deux mères québécoises de quatre enfants chacune se sont penchées durant cinq ans sur le « phénomène bio-culturel par excellence » qu’est l’allaitement et ses multiples facettes.

« Il n’est pas si simple de parler d’allaitement. Il ne suffit pas d’énoncer qu’il représente le meilleur choix. Allaiter est avant tout un geste intime qui demande ouverture et engagement. Pour cette raison, il faut en parler avec empathie et délicatesse » donne de suite la clef pour percevoir la force de l’ouvrage.

Bien vivre l’allaitement de Madeleine Allard et Annie Desrochers aux éditions Hurtubise est le livre que j’aurais aimé écrire sur l’allaitement. D’un ton totalement bienveillant, il ne s’adresse pas qu’aux femmes qui sont en train d’allaiter ou souhaitent allaiter : il est à remettre entre les mains d’un plus large public. Comme le précisent effectivement les auteures « Allaiter est bien plus que nourrir un bébé, c’est un geste social partagé avec d’autres. ».

Ultra documenté, construit impeccablement, il relève avec brio le défi de :

– Fournir sans jamais être ronflant des outils, des données techniques exhaustives telles que des positions pour allaiter et remédier à des situations précises, tirer le lait manuellement, reconnaître la succion efficace. Tous les maux ou les inquiétudes qui peuvent jalonner un parcours d’allaitement y sont aussi décrits ainsi que leurs solutions.

– Indiquer quelques règles biologiques / physiologiques (dont on oublierait presque l’évidence) aide-mémoire « Sein plein = fabrication du lait ralentie ; sein vide = fabrication du lait accélérée », « Toute la lactation repose sur une prise efficace du sein », allant jusqu’à utiliser des comparaisons judicieuses pour imager leur discours.

– Aborder toutes les particularités de l’allaitement de la relactation à l’allaitement en tandem.

– Inviter à la réflexion sur l’allaitement en posant des questions pertinentes. Il y a notamment un passage très intéressant sur l’allaitement des femmes ayant un problème avec la drogue, sur le deuil de l’allaitement ou sur la portée symbolique sacrée du lait.

Le lecteur (mot volontairement laissé au masculin) interrogé est rendu acteur mais n’est pas laissé seul sans réponse face à lui-même puisqu’il est rassuré en parallèle par des explications pointues pourtant très accessibles. Il ne s’agit pas par exemple de citer que le colostrum et le lait mature sont bons comme une sorte de miracle humain (« Le lait n’a rien de miraculeux ») mais bien d’en définir les propriétés réelles ; ce qui favorise véritablement un choix éclairé par rapport à la façon de nourrir son enfant. Le lecteur a alors les éléments pour mener son propre cheminement, pour remettre en cause ses opinions préconçues et analyser ses expériences antérieures à la lueur de nouvelles données.

Madeleine Allard et Annie Desrochers coupent court aux mythes comme celui du bébé allaité qui n’a pas de coliques (à l’inverse est étudiée l’importance des coliques dans l’allaitement), de l’inévitable confusion sein / tétine, de la perte de poids liée à l’allaitement « L’allaitement n’a pas de vertus magiques et il n’est pas à lui seul le régime amaigrissant rêvé. »… Elles n’essaient pas de nous vendre de l’allaitement à tout prix et du rêve mais posent les réalités de l’allaitement pour que chaque mère puisse créer l’allaitement qui lui ressemble, qui a du sens pour elle ; puisse évaluer si son allaitement va bien (ce qui est normal, ce qui est « pathologique ») et vivre un allaitement souple pour plus de sérénité. Et malgré les embûches soulevées, le livre donne fortement envie d’allaiter ! Peut-être parce que nous nous savons immédiatement entre de bonnes mains, accompagnées par deux amies ne cherchant pas à nous soustraire notre libre arbitre…

Des mots très justes sont également mis sur ce que peuvent ressentir des femmes commençant à allaiter, rencontrant des difficultés d’allaitement, ou sevrant leur bébé, etc. Il n’y a aucun préjugé et les témoignages illustrant certains passages à caractère plus personnel renforcent ce sentiment d’écoute active de la part des auteures. Il y a spécialement dans la partie 4 intitulée La mère des mots déculpabilisants et salvateurs – qui seront en mesure d’apaiser les mamans avec un sentiment d’échec concernant leur(s) allaitement(s) – tels que « Le succès d’un allaitement devrait d’abord se mesurer par ce qu’il apporte à ceux qui en font l’expérience avant d’être noté sur la quantité de lait donné, le temps passé ou la façon de sevrer son bébé. Chacune a le pouvoir de définir sa propre relation d’allaitement et de décider ce qui constitue, pour elle, un allaitement réussi, de la première tétée au sevrage ».

Bien vivre l’allaitement est une véritable bible de l’allaitement (pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’oeil au sommaire) qui donne enfin toute sa place au sevrage « Le sevrage n’est pas en opposition avec l’allaitement. Il n’est pas une négation de tout ce que l’allaitement représente. Il en fait partie. C’est l’un des deux pôles de l’allaitement. ». Il ne lui manque plus qu’une adaptation française pour parfaire nos études sur les problématiques d’allaitement outre-Atlantique.

NDLPP : En attendant, vous pouvez discuter avec les auteures sur Twitter en suivant @BVAllaitement

La fièvre du samedi soir…

vendredi, avril 8th, 2011

Non ce blog n’est pas mort, il est juste tenu par une Poule qui croule sous le boulot. C’est là que la Providence a eu pitié de votre gallinacée plumitive habituelle et frappé à sa porte en la personne de Ludivine, étudiante en dernière année de médecine et future médecin généraliste. Elle fait habituellement un beau travail d’information médicale sur son blog, L’ordonnance ou la vie, mais a proposé de venir ici nous éclairer sur la fièvre chez l’enfant. Je l’ai bombardée de questions et voilà le résultat. Place au Dr Poule !

Lorsqu’on est parent, la fièvre, on connaît. Généralement on sait aussi que fièvre + enfant = esprit pas tranquille et envie de consulter… mais en même temps une consultation simplement pour se rassurer, est-ce que ça vaut le coup ? Et puis si c’est rien, ça fait une consultation inutile, une ordonnance avec du paracétamol, du temps perdu, quelques fois un médecin pas sympa… Alors je fais quoi ? Pour s’en sortir avec toutes ces questions, apprenons à mieux connaître l’ennemi.

1. Quand parle-t-on de fièvre ?

Pour commencer la fièvre se définit par une température supérieure à 38°C chez un enfant (ou un adulte) au repos depuis 20 minutes et à distance du repas. C’est une réaction normale du corps à une agression. Le corps, en plein combat avec un agresseur (virus, bactérie…) envoie un signal d’alerte au cerveau qui va déplacer la température interne de 37-37,5°C vers 38°C ou plus. Cette augmentation de température “réveille” les cellules du système immunitaire (l’armée du corps composée de macrophages, polynucléaires, lymphocytes) et augmente leur efficacité, en même temps qu’elle permet de diminuer la virulence et la croissance des agresseurs. La fièvre est donc une réponse adaptée et théoriquement bénéfique lors d’une infection.

Pourtant, la fièvre est souvent traitée et ceci pour plusieurs raisons. Mais avant d’explorer ces raisons, comment mesurer la fièvre ; quel thermomètre utiliser ? Les plus répandus sont les thermomètres à infrarouges (auriculaires, frontaux), les thermomètres électroniques et ceux en verre. Les plus précis sont les électroniques et ceux en verre utilisés en rectal. Si vous vous demandez dans ce cas pourquoi les urgences des hôpitaux utilisent les infrarouges auriculaires ou frontaux, je pense que c’est pour des raisons pratiques (pas de vaisselle à faire, pas besoin de déshabiller, d’explorer en détail les parties intimes du patient, ni d’attendre pour le résultat, en plus ça fait marcher les laboratoires qui fournissent les embouts…), mais c’est moins précis. Au diable la précision, à l’hôpital, il y a d’autres moyens pour voir à quel point c’est grave !

En ce qui vous concerne, vous avez le droit d’être sérieux(se) et d’opter pour l’électronique, en rectal : mettez l’enfant sur le dos et insérez le thermomètre doucement jusqu’à 2,5 cm dans le rectum, avec un peu de vaseline au bout pour éviter les blessures de la muqueuse et on attend le bip de mesure. Pour ceux en verre, c’est la même chose, sans le bip et avec 2 minutes de mesure ; le seul risque étant la casse et une coupure.

Les autres lieux de prise de température sont moins précis comme la bouche, plutôt après 5 ans (et pas le thermomètre en verre) et où il faut bien expliquer de laisser le thermomètre sous la langue, serrer avec les lèvres pas avec les dents, ne pas parler, bien fermer la bouche, être patient… Ou l’aisselle où il faut en plus faire des calculs : + 0,5°C bouche et aisselle, mais selon les auteurs ça varie entre + 0,4 et 0,8°C bonjour la précision…

Moins fiable, la prise de température sous l'aisselle

2. La fièvre à la maison : je fais quoi ?

Pourquoi traiter ?

Combattre la fièvre du point de vue médical, n’a ni pour but de prévenir les convulsions fébriles, ni d’obtenir la disparition immédiate de la fièvre. En revanche, le traitement permet d’assurer le confort de l’enfant, la récupération de son comportement habituel avec son entourage, ainsi que sa capacité à jouer, à être manipulé par ses parents pour le change et autre, ainsi que la reprise rapide de son appétit.

Dans tous ces cas, on peut traiter, mais sans obligation. Il faut bien comprendre que la fièvre en elle-même ne pose pas de problème, si ce n’est qu’elle n’est pas agréable, et retentit sur le comportement. Donc rassurez-vous, si vous n’avez pas le “paracétamol facile”, ce n’est pas si grave ; il vous reste le traitement non médicamenteux qui peut déjà faire un bon effet.

Quelle que soit la maladie qui cause la fièvre, le traitement sera le même ; pour cette raison, lors d’une hospitalisation, la fièvre sera toujours traitée pour les raisons de confort évoquées plus haut.

Comment traiter ?

Le plus efficace est d’associer un traitement physique et un traitement médicamenteux.

Le traitement physique : il vise à augmenter les pertes de chaleur dans le but de diminuer la température interne. Pour cela, il faut enlever les vêtements en trop (laisser le strict minimum sous-vêtements ou pyjama léger), enlever les édredons ou autres enrobages de tissus inutiles, opter pour une température “basse” 18-19°C par exemple dans la pièce et proposer régulièrement de petites quantités de boissons fraîches (eau, tisane) notamment la nuit. N’hésitez pas à déshabiller votre enfant et à faire un « peau à peau » avec lui pour évacuer le surplus de chaleur vers votre peau. Si vous allaitez, donner à la demande permettra de le réhydrater par l’apport de lait, le rassurera et limitera la perte de poids s’il s’alimente peu. Les autres méthodes, telles que les bains à une température inférieure à 2°C de celle de l’enfant ou les enveloppements humides, sont actuellement abandonnées pour des raisons qui m’échappent, mais qui sont probablement d’ordre pratique (écologiques faut pas rêver non plus…).

Le traitement médicamenteux : 3 possibilités théoriques, une seule à utiliser en pratique. Ce traitement est généralement proposé à partir de 38,5°C.

Le paracétamol est LE médicament à utiliser en cas de fièvre. Il convient à tout enfant, quel que soit l’âge et est très bien toléré. La dose est de 60 mg par kg et par jour, donné en 4 prises, ce qui fait 15 mg par kg à chaque prise. Le traitement doit être poursuivi durant 48 heures, sans oublier la prise de nuit pour qu’il n’y ait pas de rupture d’efficacité… Il permet à la fois de diminuer la fièvre (antipyrétique) et les douleurs (antalgique).

L’autre option, qui n’est à utiliser qu’en deuxième recours et surtout après l’avis d’un médecin est l’ibuprofène (Advil) qui ne peut être donné qu’à partir de 3 voire 6 mois selon les auteurs, pour la fièvre. Le gros problème de ce médicament est qu’il possède les mêmes effets secondaires que l’aspirine (3ème option thérapeutique théorique) dont la famille commune est celle des AINS anti-inflammatoires non stéroïdiens, ce qui leur confère un gros désavantage par rapport au paracétamol. Les risques les plus fréquents, sont des altérations du rein, des saignements digestifs / ulcères, des déséquilibres des ions sanguins. De plus, il ne faut pas en donner à un enfant atteint de varicelle (ou rhume ou grippe), car il existe un risque de complication dont on ne sait pas grand chose, mais qui n’est pas très sympa : le syndrome de Reye qui mène à des défaillances d’organes en chaine et donc à un séjour en réanimation. Pas de panique, cela reste rare, mais disons que c’est une information intéressante à connaître pour se rappeler que les Advil et compagnie sont contrairement aux idées reçues, des médicaments pas si anodins que cela.

Restons simples et posons cette équation : enfant + fièvre = paracétamol. Pas besoin d’ordonnance, mais partiellement remboursé avec, donc à vous de voir. Théoriquement on recommande de le donner en sirop, c’est facile pour doser en fonction du poids avec la pipette. C’est la version officielle. Personnellement, je dois avouer que je suis plutôt fan de la version suppositoire en raison des excipients multiples, variés et inutiles (?) ajoutés dans les versions sirop et poudre (aspartame pour les versions sans sucre…). Dans les suppositoires, il n’y a que de la glycérine en excipient, entre 1 excipient et 6 je préfère en donner 1 seul à un enfant. Pour évaluer la dose avec les suppositoires, il suffit de choisir le dosage en fonction de la fourchette de poids, exemple doliprane suppo 100 mg pour un poids entre 3 et 8 kg. Après rien ne vous empêche de le couper en deux si votre enfant fait 4 kg. C’est sûr que c’est moins précis que pour le sirop, mais bon, on fait ce qu’on peut avec ce qui est disponible actuellement !

3. Consultation or not ?

Maintenant abordons la partie la plus délicate et probablement la plus stressante : quand consulter ? Niveau statistiques, il semblerait que la première cause de fièvre chez l’enfant soit l’infection virale des voies aériennes, ce qui va du nez (rhume) aux bronches (bronchite).

Est-ce que ça vaut le coup de consulter pour cela ? A priori non, vu que comme vous l’avez bien compris “les antibiotiques, c’est pas automatique !” et en cas d’infection virale, le traitement se résume à prendre son mal en patience et du paracétamol. En pratique, comment être sûr du diagnostic lorsque l’on est pas médecin ? C’est tout le problème. Heureusement, il y a quelques signes d’alerte que vous pouvez apprendre à repérer sur votre enfant et qui vous orienteront vers les urgences pédiatriques. Si tous ces signes sont absents, soyez rassuré(e).

Globalement toute situation peut amener à voir le médecin traitant / pédiatre en premier. Cela devrait être le circuit habituel. Néanmoins, j’ai fait un petit classement, pour vous éviter de perdre du temps à aller chez le médecin, qui va vous envoyer aux urgences dans les situations où il va de toute manière falloir hospitaliser, au moins pour surveiller quelques heures. D’ailleurs, ne vous inquiétez pas forcément si on vous propose l’hospitalisation lors de la consultation, c’est plutôt par prudence ; un enfant, surtout avant deux ans, peut voir son état de santé se dégrader très vite. Mieux vaut hospitaliser pour une surveillance 24-48 heures que de trop attendre et devoir lancer un traitement à la dernière minute, où la phase de récupération de l’enfant sera plus longue.

Les signes où il est inutile de consulter :

Fièvre isolée de moins de 3 jours, sans aucun autre signe. Dans ce cas, impossible pour le médecin de dire de quoi il s’agit. Il va vous dire : on attend et va prescrire du paracétamol = vous auriez pu le faire vous-même !

– Enfant supportant bien la fièvre, continue à manger normalement, ne se plaint pas plus que ça. Idem, on attend de voir comment ça évolue.

Nez qui coule + toux (sans impression qu’il va s’étouffer dans la minute). C’est viral dans presque tous les cas, donc à part le nettoyage du nez plusieurs fois par jour, l’hygiène et le réconfort, pas grand-chose à prescrire pour le médecin.

Les signes qui vous emmènent chez votre médecin :

– la fièvre ne passe pas au bout de 3 jours

– l’enfant présente une éruption cutanée, des tâches roses pâles, plus ou moins nombreuses, qui grattent ou pas et qui sont apparues deux à trois jours après le début de la fièvre. Il s’agit probablement d’une infection virale, parmi les nombreuses maladies éruptives de l’enfant possibles (selon les vaccins faits). Le traitement est le plus souvent : paracétamol + repos. Mais une consultation est nécessaire pour vérifier qu’il n’y a pas de complications et évaluer le risque de contagiosité ainsi que les mesures d’hygiène à prendre.

– l’enfant est “fragile” c’est à dire qu’il est atteint d’une maladie chronique grave telle que la drépanocytose, une immunodépression, une maladie systémique etc. Dans ce cas, un avis médical s’impose, par précaution.

– vous remarquez des douleurs à la moindre mobilisation d’une jambe, d’un bras et toujours le même. Il s’agit probablement d’une infection d’une articulation (ostéo arthrite) ; des examens seront nécessaires pour en savoir plus sur la nature de l’attaquant.

– les selles sont anormales et vous remarquez des glaires avec du sang. Il s’agit probablement d’une diarrhée bactérienne = nécessité d’une prescription d’antibiotiques avec examens complémentaires.

vomissements / diarrhées avec une alimentation encore possible = gastro-entérite aiguë. Ne pas tarder à consulter si l’enfant mange de moins en moins ou si il vomit ce qu’il mange. Proposez lui toutes les 10-30 minutes de petites quantités de boisson type SRO (soluté de réhydratation orale disponible en pharmacie sans ordonnance) ou encore mieux la tétée si vous allaitez. Le lait maternel contient de la lactadhérine (glycoprotéine) qui permet de bloquer la multiplication du rotavirus, souvent responsable de gastro-entérite aiguë, ainsi que des oligosaccharides (glucides) qui participent au maintien et à la restauration d’une flore bactérienne intestinale sympathique. Si vos tentatives de réhydratation échouent, consultez. Votre médecin va peser l’enfant pour estimer la perte de poids liée à la déshydratation (vomissements / diarrhées = perte d’eau +++). Dès 5% de perte de poids par rapport au poids antérieur et selon l’âge, ce sera hospitalisation, pour poser une perfusion de réhydratation au minimum.

– si la fièvre apparaît au retour d’un voyage dans un pays étranger (dans le mois qui suit le retour). Risque de maladie infectieuse selon le pays (paludisme, fièvre jaune…).

Les signes qui vous font appeler le SAMU ou aller aux urgences pédiatriques rapidement :

– l’enfant a du mal à respirer, il est bleu (cyanosé), a les côtes qui sont anormalement apparentes lorsqu’il respire, il respire beaucoup plus vite que d’habitude, vous avez l’impression qu’il s’étouffe. Il va lui falloir au minimum un apport d’oxygène au masque, d’où une hospitalisation, même courte.

– l’enfant ne mange plus, il ne boit que la moitié ou moins de la moitié de ses biberons, de ses repas et refuse les boissons ou la tétée si vous allaitez. Il va rapidement se dégrader si son corps ne reçoit pas les nutriments indispensables à sa défense.

– l’enfant a moins de 6 semaines ou moins de 3 mois si c’est un prématuré (retrancher les mois de prématurité).

– il convulse. Il va falloir déterminer si les convulsions sont liées à la fièvre (généralement pas grave) ou à autre chose ; des examens complémentaires seront probablement nécessaires.

– apparition de purpura, n’importe où sur la peau. Ce sont des tâches rouges foncées et violettes qui ne disparaissent pas lorsque l’on applique un verre ou une règle transparente dessus, ce qui signifie que du sang est en dehors des vaisseaux sous la peau (attention ! ces taches sont différentes de celles des infections virales telles que varicelle ou rougeole qui sont plus claires, roses rouges). Si ces tâches augmentent en nombre en quelques heures et deviennent de plus en plus étendues avec en général une fièvre élevée vers les 40°C > Réflexe = appeler le 15 ou aller aux urgences pédiatriques immédiatement. Ce signe est le reflet d’une infection bactérienne à méningocoque qui provoque des hémorragies (d’où le sang sous la peau) et qui peut tuer si on ne réagit pas rapidement. Aux urgences, le médecin confirmera qu’il s’agit bien de cette maladie (voir ici pour la photo de purpura fulminans), puis il injectera immédiatement une dose d’antibiotique pour contrer l’infection.

– l’enfant ne supporte pas qu’on le touche, pleure et est inconsolable ou si il est plaintif, somnolent, peu réactif à vos attentions et a un comportement inhabituel avec une fièvre élevée (supérieure à 38,5°C), ou présente une raideur du cou. Ces signes témoignent d’un retentissement au niveau du cerveau. Il vaut mieux ne pas attendre pour partir à la recherche de l’explication de ce changement de comportement. Des examens seront nécessaires pour éliminer une méningite (atteinte des enveloppes du cerveau).

– l’enfant vomit ou a des diarrhées importantes et refuse de manger ou boire plusieurs repas / biberons/tétées de suite. Si les diarrhées sont accompagnées de sang, si l’enfant a un teint très pâle > ne pas attendre, il va falloir apporter de l’eau et des ions (perdus dans les vomissements / diarrhées), voire plus et éliminer une possible infection bactérienne.

Maintenant que vous avez lu ce paragraphe et que vous vous dites “punaise, tout ça, le stress !”, relisez le premier paragraphe : les infections des voies aériennes sont les plus fréquentes ! Voilà, vous pouvez respirer…

4. Convulsions et fièvre

Un petit mot sur les convulsions lors de la fièvre, encore appelées crises convulsives fébriles. Bien que très impressionnantes, elles sont rarement graves. Le plus souvent elles surviennent avant 2 ans, sont peu fréquentes avant 6 mois et après 5 ans. Les risques sont plus grands si une personne dans la famille en a déjà présenté, ce qui sous-entend une susceptibilité génétique. Toute fièvre bactérienne ou virale peut provoquer des convulsions.

Le paracétamol ne permet pas la prévention des convulsions, qui apparaissent dans les premières heures d’une fièvre supérieure ou égale à 39°C et correspondent en quelque sorte à la “surprise” du cerveau face à l’augmentation intense de la température. Les cellules sont à ce moment là ultrasensibles au moindre signal (hyperexcitabilité cérébrale) et vont interpréter de manière exagérée toute information transmise, ce qui crée une réponse explosive, déclenchant la crise convulsive.

Les cas pour lesquels les convulsions ne sont pas alarmantes :

– âge : 1 à 5 ans

– durée de la crise convulsive de mois de 10 minutes

– les convulsions atteignent tout le corps

– après convulsions, l’enfant est rapidement dans son état normal, il parle, peut marcher etc.

Les cas pour lesquels il y a un doute sur l’évolution :

– âge : moins de 1 an

– convulsions longues supérieures à 10 minutes

– les convulsions ne touchent d’une partie du corps, ou ont commencé par des signes localisés (bras, bouche…) avant d’atteindre tout le corps

– après la crise, le retour à un comportement habituel est long

– l’enfant a déjà eu des problèmes au niveau du cerveau (antécédents de méningite par exemple)

Dans tous les cas, un enfant faisant des convulsions en cas de fièvre, doit idéalement être examiné afin d’éliminer une infection du cerveau / système nerveux central ; la ponction lombaire permettant de faire la part des choses.

Si votre enfant a déjà fait une convulsion fébrile, sachez que votre médecin peut vous prescrire des suppositoires de diazépam (Valium) à utiliser en cas de récidive des convulsions si celles-ci durent plus de 3 minutes. Cela ne vous dispense pas d’aller ensuite aux urgences !

5. Morale de l’histoire

Toutes ces connaissances, utiles pour pouvoir évaluer le degré de gravité d’un état fiévreux représentent la partie médicale de l’affaire, la partie émergée de l’iceberg lorsque l’on est parent. Un petit coup de paracétamol c’est bien sympa, mais il reste toute la partie gestion de l’humeur, du comportement des enfants lorsqu’ils sont malades. Dans ces cas là, quoi de mieux que l’effet placebo des bisous, câlins et autres attentions pour aider à supporter la fièvre et généralement la maladie ?

Sans me lancer dans ce qui pourrait faire l’objet d’un autre article, il est intéressant de relier les observations de la Poule, concernant l’association qui existe plus ou moins dans tous les esprits entre symptôme/maladie et besoin d’un médicament. Je partage son avis sur le fait que les désordres de santé minimes pourraient facilement être “désassociés” des médicaments et ce, dès l’enfance. Bien entendu, sans tomber dans l’excès inverse qui serait le refus de toute médication ! Trouver un juste milieu qui pourrait par exemple être de traiter en premier lieu avec les pansements psychiques tels que le soutien, l’encouragement ou encore suivre soi-même les conseils dispensés à nos enfants pour leur prouver que c’est possible etc. Si ces premiers traitements ne marchent pas, recourir alors sans hésitation aux médicaments.

Ce discours, bien qu’allant à l’encontre des attitudes actuelles, que ce soit médicales ou sociétales (je dois être un parent parfait) est un appel à avoir confiance en son intuition, son jugement, grâce à la connaissance que nous pouvons acquérir par l’observation et les soins que nous accordons à nos enfants. Qu’ils aient quelques semaines ou des années de vie, nous les connaissons bien ; et l’expérience que l’on peut avoir lors des consultations médicales témoigne bien du fait que ce ne sont généralement pas les parents les plus attentifs à leurs enfants qui commettent des erreurs aux issues malheureuses. Arrêtez de vous stigmatiser si vous ne cédez pas à la tentation immédiate de la molécule magique ! Mieux vaut une bonne surveillance de l’évolution, qu’un médicament et une confiance aveugle dans son action “scientifiquement démontrée”…

 

Crédit photo : Trombouze, Vabellon

Un zèbre à la maison (2)

mardi, mai 11th, 2010

quino La suite des aventures de nos petits zèbres et de leurs familles

Du diagnostic aux solutions

Bon OK, et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Eh bien, on lit, on cherche, on se renseigne… on apprend plein de choses et on commence à sentir que les choses vont être très compliquées, mais qu’il faut faire quelque chose pour lui.

La psychologue préconise le saut de classe, les enseignants ne veulent pas, le Zèbre non plus. Nous ne sommes pas très chauds : il est petit physiquement, de la fin de l’année et gauche et maladroit sur le plan moteur (un intello quoi !). On ne peut pas dire qu’il soit super à l’aise dans ses baskets, surtout avec les autres enfants de son âge. Il passe donc en double niveau l’année suivante avec l’idée qu’il ferait deux années en une. Ca ne marche pas : trop de lenteur et de problèmes à l’écrit. Le Zèbre n’arrive plus à s’endormir le soir : il est malheureux et angoissé. En plus le Zèbre n’aime pas l’école. Sa phrase favorite : « l’école c’est mon pire ennemi » (Une semaine après son entrée en CP, le Zèbre nous a gratifié d’un : « Pfff, ça dure longtemps le CP… ») ! Hum, que du bonheur… Sauf que l’école on est un petit peu obligé d’y aller. En fait non, on n’est pas obligé. Ce qui est obligatoire c’est l’enseignement scolaire. Il y a un certain nombre de zèbres en souffrance qui sont déscolarisés. Nous ne voulions pas aller jusque –là, parce que en plus d’être déscolarisé, il risque aussi d’être désociabilisé. Il existe aussi des écoles spécialisées ou des écoles où des classes spéciales EIP (enfants intellectuellement précoces) ont été mises en place. Mais ces écoles sont rares et souvent payantes car privées. Bref, nous nous voulons qu’il aille à l’école et si possible dans celle de notre quartier. C’est plus pratique et c’est plus sympa pour les copains.

On consulte une autre psy dans un centre spécialisé (Cogitoz) : diagnostic de dysgraphie. Dysquoi ?? Dysgraphie ou problème lié à l’écriture. Il faut savoir que les zèbres sont les spécialistes des problèmes en « dys » : dyslexie, dysorthographie, dysgraphie… Les troubles de l’écriture (crispation graphique, lenteur d’exécution, etc.) sont très fréquents chez les enfants surdoués et notamment chez les garçons. Cela s’explique, entre autres, par le fait que leurs pensées vont beaucoup plus vite que leur main et ils finissent par perdre le fil de ce qu’ils voulaient écrire et renoncent ainsi à s’exprimer par écrit à cause de la frustration engendrée. Ce blocage est souvent la cause d’un refus de saut de classe par l’école. Les zèbres n’aiment pas perdre leur temps et ne comprennent pas qu’on leur demande certaines choses qui leur semblent inutiles. En plus d’un problème de crispation scriptuelle, le Zèbre faisait un blocage sur l’écriture. Nous avons tenté de convaincre le Zèbre de l’utilité de l’écriture : « Bah, ça ne sert à rien d’écrire, il y a des ordinateurs ! ». Un jour que je faisais un chèque, je lui fais remarquer qu’il faut écrire pour rédiger un chèque : « C’est pas grave, je paierai toujours avec ma carte ! » Les zèbres ont toujours des arguments pour défendre leurs points de vue. Cependant, nous connaissons l’origine de ce blocage. En grande section de maternelle, le Zèbre n’arrivait pas à terminer ses pages d’écriture (problème dû à ses difficultés psychomotrices ; en plus le Zèbre, comme beaucoup de précoces, est gaucher). La maîtresse en a déduit qu’il était fainéant et faisait preuve de mauvaise volonté. Elle le punissait : elle l’envoyait dans les classes de Petite section parce que « c’était un bébé », elle le privait de récréation. Le comble c’est que le matin à l’arrivée en classe, au lieu de jouer, dessiner ou faire des puzzles comme les autres enfants, le Zèbre devait s’assoir tout seul à sa table et terminer sa page d’écriture de la veille. Ensuite, il embrayait sur la page d’écriture du jour… Un cauchemar pour un enfant qui n’y arrive pas ! Du coup, parfois, il restait un ¼ d’heure devant sa page sans même commencer à écrire. Pour lui écrire une page représentait la même chose que pour vous si je vous demandais de gravir l’Everest ; vous n’allez même vous y lancer, vous savez d’avance que vous n’y arriverez pas. Le Zèbre a alors décidé qu’il n’écrirait jamais. Donc, après le diagnostic de dysgraphie, à l’école du Zèbre un PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) est mis en place : le Zèbre aura moins à écrire. On lui proposera des exercices à trous, l’enseignante écrira la consigne, la date, etc. Il pourra n’écrire que les 3 premières phrases de l’exercice. Un autre enfant sera nommé « secrétaire » pour lui écrire ses devoirs dans son cahier de textes. L’enseignante et les autres élèves jouent le jeu jusqu’à la fin du CE1.  On entame la rééducation de l’écriture avec une psychomotricienne. 25 séances de rééducation et 5 séances de psychologue plus tard (et beaucoup d’argent en moins parce que rien de tout cela n’est remboursé), le Zèbre, entré en CE2, commence enfin à écrire correctement et il doit encore acquérir toute l’expérience de l’écriture qu’il n’a pas eue jusqu’ici. Il va enfin bien. Il a abandonné l’idée d’avoir des copains garçons bagarreurs et joue avec les filles. Sa nouvelle maîtresse le comprend très bien et est très sécurisante pour lui. Ses résultats sont enfin brillants. Mais nous savons que tout cela reste fragile et qu’il suffira d’un nouvel enseignant peu compréhensif pour que des problèmes resurgissent.

Bilan détaillé et chiffré en mains, face à la souffrance de notre fille, nous demandons un saut de classe. L’instit qui jusque là nous avait assuré qu’en effet Puce1 avait de très grandes facilités d’apprentissage (haut potentiel) et un vocabulaire extrêmement riche (son niveau de langage est en effet alors évalué à deux à trois ans de plus que son âge civil !) fait volte face et assure à présent que « Puce1 travaille bien, mais il y en a d’autres qui travaillent aussi bien ». Mais peu nous importe : notre fille souffre, et est insatisfaite. Armés des documents officiels, et prêts à demander un PPRE en plus du PAI (projet d’accueil individualisé que Puce1 a déjà pour ses allergies), nous sollicitons une réunion d’équipe éducative et demandons un glissement immédiat en grande section. Puce1 est alors évaluée (et c’est ainsi que l’on découvre qu’elle fait des soustractions, évidemment, on ne risquait pas de le voir en lui demandant de faire du découpage dans sa classe de MS…) et une psychologue passe l’observer en classe. Son constat est édifiant : Puce1 est en dépression, il est urgent de la mettre aux contacts d’enfants plus âgés susceptibles de partager ses centres d’intérêts !  Puce1 passe en grande section en décembre et là… on souffle ! Notre fille s’épanouit, brille en classe sans difficulté, et surtout : est heureuse ! Sa différence est reconnue ! Puce1 apprend à lire en CP et dévore, ingurgite, mémorise.

Mais cet état de grâce ne dure qu’un an : en fin de CP, retour de l’ennui. Nous continuons de proposer à Puce1 de la nourriture intellectuelle à la maison et tâchons de trouver des solutions avec son instit de CP puis de CE1. L’expatriation et les allergies compliquent les choses. Ceci participe d’ailleurs à notre ferme décision de rentrer en France. Pour cerner mieux le profil de Puce1, et comme cela est souvent nécessaire lorsque les enfants sont testés jeunes, nous faisons retester Puce1 en décembre 2009, avec un WISC-IV cette fois. Résultat encore plus net : profil homogène, QI très élevé. Puce1 souffre particulièrement de difficultés relationnelles : à l’âge des chichis entre filles, elle est très frustrée que ses copines la rabrouent lorsqu’elle entreprend de leur parler de la naissance des supernovas ou des modes de vie de la moufette et de l’ocelot. Le bilan nous permet de prendre des décisions pour la suite : nous mettons en place un soutien psychologique (effectué à 200km de chez nous, par une psychologue spécialiste des EIP) qui doit lui permettre de mieux surmonter cette frustration et de connaître et comprendre ses modes de fonctionnement. Le choix d’une école qui l’accueillera avec ses différences, les reconnaîtra et qui regorge d’enfants précoces détermine également notre futur lieu de vie. Il est décidé qu’elle ira l’an prochain en CE2-CM1, quitte  à faire les deux années en une si nécessaire. Nous savons d’ores et déjà que c’est une hypothèse très vraisemblable. Puce1 a 7 ans, son QI correspond, selon les tests, à celui d’un enfant moyen de 9 à… 14 ans et demi. En outre, Puce1 présente également une certaine avance en terme de graphisme et motricité, ce qui est peu commun chez les précoces et rend ces sauts de classes plus faciles. Nous nous attacherons également à lui offrir la possibilité de rencontrer davantage d’enfants comme elle, de sorte qu’elle prenne conscience qu’elle n’est pas seule.

Ce résumé me semble à la fois très long et très court, parce que le Zèbre c’est aussi des questions incessantes sur la mort, l’abandon, la guerre… Des angoisses qui donnent de l’eczéma et des insomnies. Le Zèbre a un rapport difficile à la nourriture : très tôt certains de ces enfants se posent la question de ce qui est bon ou pas pour la santé et refusent certains aliments. Et comme beaucoup sont hypersensibles et donc hypergueusiques (perception des goûts exacerbée), ils rejettent un certain nombre d’aliments trop goûteux. En revanche, un grand nombre devient de fins gourmets.

La vie, la mort, questions incessantes… le cerveau qui ne s’arrête jamais… Puce1 est toujours une enfant angoissée, mais elle et nous avons désormais plus de clés pour l’apaiser. Perfectionniste (c’est est presque pathologique), Puce1 tend à développer des obsessions. Il nous faut désormais veiller à endiguer des troubles du comportement alimentaire qui résultent vraisemblablement de ses allergies, mais aussi d’une hypergueusie et du mal être engendré par les difficultés d’adaptation à son environnement.

J’appelle aussi le Zèbre l’Hyper, car il est hyper intelligent, mais aussi hyper sensible (dans tous les sens du terme, y compris en ce qui concerne les 5 sens, ils voient et entendent mieux !), hyper perceptif, hyper réceptif, hyper angoissé, hyper émotif, hyper lucide… Un zèbre peut être comparé à une maison avec, non pas une mais 15 antennes paraboliques sur le toit ! Il voit le monde à travers un microscope électronique à balayage. Il est capable de comprendre des choses qu’il ne peut pas gérer affectivement, parce qu’il n’est encore qu’un enfant, ce qui génère beaucoup d’angoisse. Ce sont aussi des enfants avec un sens aigu de la justice et l’injustice, une grande empathie et une grande lucidité sur le monde et les autres. Les adolescents peuvent en être fragilisés, jusqu’à devenir suicidaires. Il faut sans cesse argumenter, tout expliquer et justifier pour les rassurer. Ils ont un grand besoin de limites, encore plus que les autres enfants, parce qu’ils ont des capacités intellectuelles proches de celles des adultes qui peuvent leur donner une illusion de toute puissance, mais ce ne sont encore que des enfants. Les limites sont aussi indispensables parce que rassurantes et elles permettent à l’enfant de grandir et de franchir doucement les étapes de la maturité (mais, ça c’est vrai pour tous les enfants !). Les zèbres souffrent souvent du « syndrome de dyssynchronie » mis en avant par Jean-Charles Terrassier, spécialiste des surdoués. Pour résumer, la dyssynchronie c’est le décalage permanent que vit le surdoué avec son environnement : entre les attentes de l’école et ses capacités ; entre le comportement des enfants de son âge et le sien ; entre ce qu’il est capable de comprendre et ce qu’il peut gérer émotionnellement… Pour expliquer la souffrance engendrée par la dyssynchronie, J-C. Terrassier utilise l’image d’une F1 qu’on obligerait à toujours rouler comme une 2CV.

Bref, pour lui comme pour nous, beaucoup de défis à relever pour qu’il soit juste heureux et que son potentiel ne soit pas réduit à néant. J’ajouterai que tant que le Zèbre n’a pas eu à aller à l’école, la vie était plutôt facile avec lui. Il était très intéressant et intéressé, curieux de tout. Il apprenait très vite, comprenait ce que l’on attendait de lui et obéissait facilement. C’était (et c’est toujours) un enfant très attachant.

J’aurais pu écrire ceci de Puce1, mot pour mot. Vivre aux côtés d’une enfant qui est curieuse, intéressée et  percute vite est un vrai grand bonheur au quotidien. Je suis pour ma part d’autant plus facilement en empathie avec elle que, comme souvent, le dépistage de Puce1 m’a éclairée sur ma propre enfance… et  mon quotidien !

Ce sont les exigences scolaires qui ont vraiment compliqué les choses. Le Zèbre n’a pas compris ce que l’on attendait de lui et nous n’avons pas compris pourquoi, alors que nous le savions brillant à la maison, qu’autant de problèmes se soient soulevés en classe. Les enseignants sont mal formés à ce type de problématique et bien souvent, ils ne pensent pas que derrière les difficultés, il peut y avoir un enfant qui s’ennuie. Une fois, le diagnostic établi, il est très difficile aussi de faire reconnaître cette précocité intellectuelle : « Quoi, cet enfant, un génie ! Avec toutes ses difficultés, ce sont encore des parents qui ont la grosse tête et veulent pousser leur enfant à tout prix ». Mais précoce ne veut pas dire génie, précoce veut juste dire différent avec des besoins différents.

Ce qui fait souffrir aussi en tant que parents, ce sont les difficultés du Zèbre à avoir des amis et à oser entrer en relation avec les autres enfants. Quand nous allons chercher le Zèbre aux goûters d’anniversaire, il est toujours tout seul dans un coin, avec un livre souvent. Quand nous allons au parc, les autres enfants se regroupent pour jouer ensemble, lui, il les regarde de loin. Les rares fois, où j’ai pu observer le Zèbre dans la cour de l’école, je l’ai souvent vu seul et le regard perdu au loin. Il fait du judo et n’ose pas participer aux compétitions. Le pire, c’est que ce ne sont pas les autres qui le rejettent : c’est lui qui n’arrive pas à trouver sa place au milieu d‘eux. Bon, ceci dit depuis que le diagnostic a été posé et que des solutions à ses problèmes scolaires ont été trouvées, il va mieux et il a plus d’amis, des filles surtout.

Le zèbre en famille : de l’héritabilité de la précocité ?

Il est aussi très proche de son frère. Leur relation est quasi fusionnelle. Ils pleurent tous les deux à la rentrée parce qu’ils ne sont pas dans la même école (enfin, à la prochaine rentrée le Moyen va faire son entrée en CP et ils seront ensemble pour la première fois). Ils s’entendent très bien. Il faut savoir que la précocité est un trait héritable : ainsi dans une fratrie il est plus probable que tous les enfants soient des zèbres. Je ne parle ici que de l’aîné car c’est le seul dont on soit sûr de la précocité. Le Moyen n’a pas de problèmes scolaires pour l’instant et est beaucoup plus à l’aise dans ses baskets. Nous n’avons donc  pas éprouvé le besoin de le faire tester. De plus, il est préférable de faire passer les tests plutôt à partir de 6 ans pour un diagnostic fiable. Peut-être le ferons-nous l’année prochaine pour anticiper les éventuels futurs problèmes ? Pour la Petite, âgée de 3 ans, c’est trop tôt pour se prononcer. Toujours est-il que c’est une fratrie unie, qui adore regarder ensemble les documentaires sur la préhistoire, visiter les musées et les zoos et dévorer une quantité incroyable de livres…

Puce1 a deux petites sœurs. La seconde, âgée aujourd’hui de 4 ans et demi, a manifesté un certain ennui dès la petite section. Elle a également un niveau de langage exceptionnel et une sensibilité aiguisée. Lorsque les enfants de sa classe observaient le nombre de lapins sur une illustration, elle décrivait avec précision chacune des mimiques, et formulait des hypothèses sur les sentiments qui les habitaient. Lorsque Puce1 a passé un test de QI pour la première fois, elle allait mal, et cela a faussé les tests, biaisant son profil et sous-évaluant son QI d’une dizaine de point (c’est un cas connu et reconnu de mauvaise estimation du QI, toujours à la baisse). Nous avons voulu éviter cette situation d’urgence avec Puce2. Elle a donc été testée à 3 ans et demi. C’est très tôt, les tests sont alors peu précis. Mais cela était important. Selon ce test, Puce2 n’est pas précoce, mais présente une intelligence supérieure (QI>115). Pour tout un tas de raisons, nous savons qu’il sera utile de la refaire tester à 6 ans et ne serions pas nécessairement surpris d’un « changement de catégorie », c’est une lacune connue du WPPSI-R pratiqué chez les très jeunes enfants. La petite dernière marche dans les pas de ses sœurs et sera également testée.

Si vous avez des doutes…

Il n’est pas aisé d’alerter les parents pour détecter la « surdouance ». Les enfants surdoués sont des enfants généralement surprenants dans leurs questions, leurs centres d’intérêts : ils sont très curieux et très tôt s’intéressent à la nature, à l’histoire, la préhistoire, l’astronomie ; ils posent des questions sur le sens de la vie, sur la mort… Souvent, ils présentent des capacités supérieures aux autres enfants de leur âge, ils aiment la compagnie des adultes et des enfants plus âgés. Ils présentent souvent des difficultés de sommeil, de sociabilité, d’alimentation. Certains sont paradoxalement incapables de faire certaines choses (enfin, ils réussiront à le faire, mais plus tard que les autres et avec plus de difficultés) : faire du vélo, se brosser les dents, manger ou s’habiller seuls, apprendre à nager, apprendre les tables de multiplications (argh ! L’horreur les tables de multiplications !). Ils aiment bien faire le bébé et ont du mal à grandir. De manière générale, si votre enfant présente des troubles de comportements, si les enseignants ne font que s’en plaindre, si vous ressentez que quelque chose ne va pas, consultez un psychologue, lui saura si votre enfant doit être testé ou non, s’il est précoce ou s’il présente un autre trouble.

Si votre enfant présente beaucoup de curiosité intellectuelle, ne le laissez pas sans nourriture spirituelle : offrez-lui des livres (surtout des documentaires), des jeux de société stimulants intellectuellement (comme memory, bataille navale, échecs,  puzzles), emmenez-le visiter des musées, des expositions, montrez-lui des documentaires télévisés (sur les animaux, la préhistoire, la géographie, l’astronomie…), répondez à ses questions et si vous ne savez pas répondre, cherchez avec lui dans des encyclopédies ou sur Internet. Ces enfants ont besoin de stimulation intellectuelle pour vivre comme les plantes ont besoin d’eau. Soyez le meilleur allié de votre enfant et n’écoutez pas ceux qui disent que vous le poussez trop ! Vous ne le poussez pas, vous ne faites que le suivre dans ses désirs et ses besoins.

Pour se faire aider, il existe des associations de parents dont l’ANPEIP (association nationale pour les enfants intellectuels précoces) ou l’AFEP (association française pour les enfants précoces). Ces associations ont pour mission d’informer, de former et d’accompagner les enfants dans leur parcours scolaire et personnel. Elles organisent des rencontres entre parents et des activités de loisirs pour permettre aux enfants surdoués de partager des activités. Voir aussi le site Enfants précoces info qui permet information et entraide, ainsi que la liste de discussion sur les enfants intellectuellement précoces.

Quelques lectures :

  • L’enfant surdoué : l’aider à grandir, l’aider à réussir/ Jeanne Siaud-Facchin. – Paris, Odile Jacob, 2008. Ce livre est mon livre de chevet. Il est complet sur le sujet et simple à comprendre et il a l’avantage d’être récent. C’est aussi un « guide pratique » car il offre quelques trucs et pistes pour résoudre les problèmes.
  • Le livre de l’enfant doué/ Arielle Adda. – Paris, Solar, 1999. Je n’ai pas lu ce livre, mais Arielle Adda est une grande spécialiste des enfants précoces et son livre est considéré comme la « bible » sur les surdoués.
  • Les enfants surdoués ou La précocité embarrassante/ Jean-Charles Terrassier. – Paris, ESF, 1998. Celui-ci est assez court, mais il explique bien le fonctionnement intellectuel des surdoués. Jean-Charles Terrassier est notamment celui qui met le plus en avant la dyssynchronie dont souffrent les surdoués
  • Enfants surdoués en difficulté : de l’identification à une prise en charge adaptée/ dir. Sylvie Tordjman. – Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005. Un ouvrage un peu plus pointu que les précédents, mais très intéressant. Sylvie Tordjman est professeur à l’université de Rennes 1 et chef de service hospitalo-universitaire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Rennes (ce service accueille beaucoup d’adolescents surdoués en dépression).

Image : Quino

Un zèbre à la maison (1)

lundi, mai 10th, 2010

zebre Cette semaine place aux zèbres et à Suzie et Fleur, les poules à rayures, qui viennent nous parler de leurs enfants différents. Un grand merci à elles de s’être lancées dans cet exercice à quatre mains avec tout le sérieux qu’on leur connaît !

Mais un zèbre, c’est quoi ?

Je n’habite pas dans un zoo (quoique, parfois, avec trois enfants, ça y ressemble un peu). Non, le zèbre, c’est mon fils aîné. Ce n’est pas un petit mot doux, c’est juste le nom donné par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue, aux enfants surdoués. Ça y est le grand mot est lâché. J’entends déjà certains commentaires : « Encore une qui se la pète avec son môme ! » Et bien, non, je ne me la pète pas justement parce qu’un zèbre est un animal difficile à domestiquer. Un zèbre ressemble beaucoup à son cousin le cheval, mais au milieu d’un troupeau équin, il se remarque pas mal avec son pyjama à rayures. Les clichés et les tabous sont légion en ce qui concerne les petits surdoués et l’ignorance et les remarques font souffrir parents et enfants. Chaque enfant est différent de son voisin et c’est pareil pour les zèbres dont aucun n’a exactement les mêmes rayures que son congénère. Pourtant, ils ont beaucoup de points communs dont nous parlerons plus bas.

Voici en parallèle les histoires du Zèbre et de Puce1, racontées par leurs mères Suzie et Fleur.

La petite enfance

Le Zèbre était un bébé très sage et très sérieux. Il passait son temps à observer d’un œil scrutateur son entourage. A sept mois, il a prononcé ses premiers mots, les mêmes que les autres bébés : Papa, Maman, merci, au revoir, coucou, etc. Puis à 10 mois, il savait nommer chat, chien, fleur… et ensuite il n’a fait que progresser jusqu’à dire à 2 ans à l’heure du petit déjeuner : «  Dis maman, les mamans porcs-épics, ça met des bébés de combien de kilos au monde ? ». A 3 ans, alors qu’on lui attachait ses chaussures pour aller en petite section : « Hein maman, l’univers ça a commencé par une grosse explosion qu’on appelle le big bang… » Et hier soir à table, alors qu’aujourd’hui il a 8 ans, en réponse à son frère de 6 ans qui se demandait comment dormaient les tricératops : « Tous les grands herbivores dorment debout, même le cheval et la vache. Ce qui est curieux c’est que l’indricotherium, qui était plus grand que l’éléphant, dormait lui couché. »  Je ne vais pas vous faire un florilège, c’est juste pour vous donner une idée.

Le Zèbre a eu très tôt une passion pour les livres. A 10 mois, il restait une heure assis dans sa poussette à feuilleter son imagier du Père Castor (très pratique, pour aller dîner au resto tranquille !). A 18 mois, il pouvait regarder pendant un ¼ d’heure un livre de poèmes d’Eluard sans image… Nous avons constaté qu’il savait lire le jour où à 5 ans et demi, il a sorti le dictionnaire Larousse (il adore les dictionnaires et les encyclopédies), et s’est mis à lire les légendes des images !

A 2 ans, notre Zèbre faisait des puzzles de 100 pièces et quand il en avait marre, il les faisait la tête en bas (le puzzle, pas lui, c’est un zèbre pas un acrobate !).

Née prématurément, Puce1 n’a pas vraiment été un bébé particulièrement éveillé. Elle était cependant déjà perpétuellement en demande. Et si ses premiers mots ne jaillirent qu’à 9 mois, elle faisait à 18 mois des phrases complètes, conjuguait en appliquant la concordance des temps à deux ans. C’est alors que j’ai saisi ce dont parlaient mes propres parents lorsqu’ils racontaient mes bavardages à deux ans, qu’ils n’osaient faire taire tant mes propos étaient censés. Rapidement, Puce1 a eu des préoccupations un peu atypiques : à trois ans, elle demandait comment on fait pour ne pas avoir de bébés, se préoccupait de son avenir après notre mort, etc… Elle montrait un vif intérêt pour la nature et distinguait aisément insectes et petites fleurs, elle avait un odorat à faire pâlir mon parfumeur de père. Elle était également déjà très tonique, aventureuse et acrobranche et escalade la stimulaient (ça c’est pour casser le mythe de l’intello qui ne fait que réfléchir… ceci dit, je dois admettre que chaque positionnement d’un pied ou d’une main donnait lieu à un savant calcul, et que le mécanisme d’ouverture d’un mousqueton l’intriguait !).Mais tout cela nous semblait absolument normal ! Ce qui nous tracassait davantage, c’étaient ses colères. Puce1 ne semblait supporter aucune frustration (et elle y était largement confrontée, du fait notamment de nombreux interdits alimentaires dus à ses allergies) et sa dernière année de crèche a été difficile… La psychologue consultée alors n’a fait que nous dire que, fille de parents ayant fait de longues études et sportifs, elle était surstimulée et qu’il fallait la calmer… A nos yeux, Puce1 ne présentait aucune « compétence extraordinaire »… nous la trouvions cependant hors du commun.

L’entrée à l’école : des premières difficultés au diagnostic

Jusque-là, tout ça semble très positif, formidable et plutôt amusant. En réalité, même si les débuts furent prometteurs, les choses se sont corsées avec l’entrée à l’école.

Le Zèbre fut déstabilisé par l’école et par ce que l’on attendait de lui. Il pensait qu’il allait apprendre des choses en allant à l’école et il fut déçu : il en savait déjà beaucoup plus que les autres… Du coup, le Zèbre décida de garder ses brillantes compétences pour lui et se rangea au niveau des autres. En Petite section, la maîtresse s’est aperçue seulement au mois de février qu’il savait parler. En moyenne section, le Zèbre ne voulait pas écrire. En grande section, personne n’a vu qu’il savait lire : il a fallu attendre la séance du dictionnaire pour le constater.

Il n’y a que la pédiatre qui nous avait suggéré, lorsque le Zèbre avait 4 ans de lui apprendre à lire. Le diagnostic n’avait pas encore été posé et elle n’a pas parlé de précocité. Toujours est-il que nous n’avons pas suivi son conseil. Nous pensions que nous ne saurions pas faire et qu’ensuite le Zèbre s’ennuierait à l’école. Résultat : il a appris à lire tout seul et en cachette et il s’est quand même ennuyé. Peut-être que si nous lui avions appris à lire, il aurait pu sauter une classe ou au moins se concentrer sur le reste comme l’apprentissage de l’écriture. Le Zèbre s’est beaucoup ennuyé en classe jusqu’en CE2 parce que l’essentiel de l’apprentissage du cycle 2 (grande section, CP, CE1) se concentre sur la lecture et l’écriture. La lecture, il maîtrisait déjà, l’écriture c’était son gros point noir. A partir du CE2, sont introduites des matières comme l’histoire, la géographie, l’anglais ou les sciences. Ce sont des domaines où le Zèbre excelle et qui l’intéresse beaucoup.

Il en ressort qu’aucun enseignant ne nous a jamais alerté sur ses particularités. En fait, ils s’en plaignaient beaucoup : trop lent, trop rêveur, fainéant, distrait, bébé… Pauvre Zèbre, il croyait ainsi passer inaperçu au milieu des autres !

Devant les remarques répétées de l’instit de CP (que je fuyais à chaque sortie d’école), j’ai emmené le Zèbre chez une psychologue : bilan de personnalité, tests d’intelligence.  Conclusion : votre enfant est surdoué ou précoce, ou à haut potentiel intellectuel, un zèbre quoi.  Remarquez on s’en doutait un petit peu vu son comportement. Et son orthophoniste, (ah oui, le Zèbre a AUSSI un petit problème d’élocution) nous avait dit qu’il avait le profil de l’enfant précoce et nous avait conseillé de le faire tester. Nous n’avions pas vu l’intérêt de le faire sur le moment.

Les choses se gâtent… Puce1 entre à l’école à trois ans et demi. Rapidement, les plaintes et complaintes se font entendre : « J’en ai mare de faire toujours la même chose, c’est nul », le tout hurlé chaque soir en sortant de l’école ! L’aspect répétitif des choses est insupportable à notre petite fille et nous ne pouvons que constater qu’elle a de quoi s’ennuyer. Si elle n’avait à nos yeux jusqu’alors pas de compétences extraordinaires, il est évident qu’elle apprend vite et facilement : entrée en petite section sans connaître les lettres, elle les connaît toutes en un mois, écrit son prénom après un mois de classe, etc… En parallèle, naturellement, elle continue d’être perpétuellement en train de poser des questions, de chercher à savoir plus et mieux. Nous comptons sur notre expatriation en cours de petite section pour la divertir et lui « donner du grain à moudre ». Echec. Le début de la moyenne section est catastrophique : pleurs et maux de ventre quotidiens, colères à gogo, pas de relations satisfaisantes avec les autres enfants. En octobre, nous prenons la décision de la faire tester. Elle a 4 ans et demi, ce sera un WPPSI-R. La psychologue est méticuleusement choisie et … ça y est, nous savons : Puce1 est précoce. Elle présente en outre un profil archétypique d’enfant précoce en terme de tempérament. Elle ne démontre cependant toujours pas de compétence extraordinaire dans le domaine scolaire (en dehors, si !) et n’apprendra d’ailleurs à lire qu’en CP (mais alors, ce seront directement des livres et des livres : à 7 ans, actuellement, elle lit des ouvrages recommandés pour le CM2 ou la 6ème, à raison de 4 par semaine en moyenne). Nous, parents, sommes soulagés : maintenant, nous savons ! Nous savons aussi que nous pouvons continuer à lui proposer des tas d’activités, peu importe qu’elles soient classiquement dédiées aux enfants de 2, 3 ou 4 ans de plus. Nous pouvons aussi continuer à répondre en détail à ses questions incessantes : elle est avide de connaissance et peut comprendre toutes nos réponses. Le saut de classe est recommandé.

Un peu de théorie : qu’est-ce qu’un surdoué ?

On naît surdoué, on ne le devient pas. Un enfant surdoué est un enfant qui obtient un score de QI supérieur à 130 (même si cette valeur est sujette à débats) aux tests d’intelligence validés et standardisés passés avec un psychologue compétent. Ce score est indispensable mais non suffisant au diagnostic. Il doit être complété par un examen clinique des particularités intellectuelles et affectives de l’enfant. Ces enfants sont appelés « surdoués » ou « précoces » ou désignés comme à « haut potentiel intellectuel ». Il y a débat entre spécialistes pour désigner ces enfants. L’expression « surdoué », en effet, laisse à penser que l’enfant possède quelque chose en plus, or, être « surdoué », c’est surtout posséder une forme d’intelligence qualitativement différente plus que quantitativement. L’expression « précoce » indique que l’enfant est en avance, ce qui est vrai, mais cette précocité existera toute sa vie, il ne sera jamais « rattrapé » par les autres. Personnellement, je préfère l’appellation à « haut potentiel » car elle est la plus proche de la réalité : ces enfants sont dotés d’un potentiel qui va s’exprimer ou non, selon la manière dont on aura pris en compte leurs particularités. L’expression « enfant intellectuellement précoce » (EIP pour les intimes) est aussi largement utilisée.

L’intelligence du surdoué est atypique : il est non seulement plus intelligent, mais aussi (et surtout), son intelligence fonctionne de manière différente. Des études ont récemment été menées sur le fonctionnement du cerveau des enfants. Sous IRM, on a demandé à des enfants d’effectuer un certain nombre de tâches. Chez un enfant normalement intelligent, des zones bien spécifiques de cerveau s’allument et ce sont toujours les mêmes pour le même type de consignes et ce pour tous les enfants concernés. Chez les surdoués, on observe un grand « flash » où toutes les zones du cerveau s’allument en même temps. La manière dont le surdoué trouve la réponse à une question peut être comparée au filet d’un pêcheur : le surdoué inconsciemment envoie son « filet » dans son cerveau pour ramener tout ce qu’il va trouver. Etonnamment, c’est souvent la bonne réponse qui ressort et pourtant, le surdoué ne sait pas comment il a trouvé cette réponse. Ce fonctionnement fait qu’un enfant surdoué élève a beaucoup de mal à justifier ses réponses et à expliquer son raisonnement. Il arrive parfois que les zèbres répondent de manière très déconcertante à une question simple : « je ne sais pas ». Soit la question était mal posée : il faut, en effet, être très vigilant à la manière dont on expose les consignes ou les questions aux enfants surdoués. Ils sont très sensibles à la formulation employée. Lors d’une conférence sur les EIP, une enseignante nous racontait qu’elle avait demandé à ses élèves après lecture d’un texte : « Alors qu’est-ce qui se passe dans ce texte ? ». Alors que les autres élèves planchaient sur le contenu narratif du texte, une petite zèbre avait répondu : « A la ligne 6, l’écriture change » (il y avait une partie en italique). Elle n’avait pas compris la question. L’autre possibilité à la réponse «  je ne sais pas », c’est que le zèbre n’a rien ramené dans son filet. C’est rare, mais ça arrive. Et là, si on ne l’aide pas à retrouver le chemin de la bonne réponse, il ne sait pas le faire tout seul. Cette capacité à trouver spontanément et quasi systématiquement les réponses aux questions, font que les enfants surdoués ont de très bons résultats scolaires jusqu’en 5e à peu près. Il faut savoir que les surdoués ont une mémoire prodigieuse. Ils enregistrent toute information qui passe à hauteur de leurs yeux ou de leurs oreilles. Lorsqu’on les interroge, leur « filet » ramène l’information quasi à coup sûr. A partir de la 4e les choses se compliquent parce que c’est le moment où l’on demande aux élèves de justifier leur raisonnement, de faire des démonstrations. L’enfant zèbre ne sait pas faire cela si on ne lui a pas appris auparavant. Il ne connaît pas l’effort de la réflexion. Alors souvent les résultats scolaires plongent, laissant le brillant surdoué en plein désarroi. C’est pour cette raison que le saut de classe est préconisé : pour que l’enfant précoce se trouve en difficulté et doive faire des efforts pour réussir. Notre Zèbre a une capacité intellectuelle supérieure de plus de deux ans à celle des enfants de son âge (ce calcul est fait par le psychologue à partir du score obtenu au test de QI). Pour qu’il soit suffisamment stimulé intellectuellement, il faudrait qu’il suive le programme scolaire de CM2, voire de 6e ! Comme cela n’est pas possible, il nous faut lui apprendre à travailler plus que ce qu’il lui faut pour obtenir de bons résultats. Du coup, les devoirs ressemblent parfois à des séances de pugilat, parce que nous lui en demandons beaucoup plus que ce que la maîtresse exige de lui… et ça le Zèbre, il n’aime pas !

Les tests de QI (ce passage s’appuie sur l’ouvrage de Jeanne Siaud-Facchin L’enfant surdoué et celui dirigé par Sylvie Tordjman Enfants surdoués en difficulté)

Comment se passe le passage du test ? Tout d’abord le psychologue s’entretient avec vous des difficultés de votre enfant et de son comportement intellectuel, social, affectif… Ensuite, le psychologue reste seul avec l’enfant et a un entretien avec lui. Puis, il passe aux tests proprement dits. Ces tests permettent d’explorer, d’évaluer et de comprendre le fonctionnement de l’enfant sur les plans intellectuels et psychodynamiques. Les données du bilan orientent le diagnostic et permettent la mise en place de l’accompagnement ou de l’aide la plus adaptée au profil et/ou aux difficultés présentées par l’enfant. Il existe deux grandes catégories de tests dans le bilan psychologique de l’enfant : les épreuves cognitivo-intellectuelles, et les tests de personnalité, qui visent à apprécier le fonctionnement psychoaffectif et psychodynamique de l’enfant.

Pour évaluer le QI le psychologue utilise un test d’intelligence, généralement une échelle de Wechsler. Les échelles d’intelligence de Wechsler proposent une diversité d’épreuves qui mettent en jeu différentes aptitudes intellectuelles. L’échelle comporte 10 épreuves fondamentales qui se regroupent en deux sous-échelles ou subtests : l’échelle verbale et l’échelle de performance. L’échelle verbale sollicite la capacité à former des concepts verbaux, active les compétences logico-mathématiques, fait intervenir l’adaptation sociale et la compréhension du fonctionnement de l’environnement. L’échelle de performance évalue la mise en acte de l’intelligence dans des situations concrètes et la capacité de l’enfant à mobiliser rapidement ses ressources cognitives. Chaque épreuve comporte des items de difficulté croissante. Le nombre d’items réussis par l’enfant permet de calculer son score brut qui sera transformé en note standard. En plus de ces deux échelles sont calculés deux indices : l’indice de mémoire de travail et l’indice de vitesse de traitement. Il est à noter que les enfants précoces, les garçons particulièrement, sont peu efficients dans le subtest du code, contenu dans l’indice de vitesse de traitement. Cela est dû au fait que cette épreuve fait peu appel à ce qui est considéré comme étant l’intelligence. Ces enfants sont désarmés devant une épreuve qui ne demande aucune réflexion. Les enfants précoces ont besoin qu’une activité fasse appel à leur intelligence pour mobiliser pleinement leur attention et être efficients. Ce subtest fait parfois chuter de quelques points le QI total. Certains spécialistes préconisent donc de calculer deux QI, l’un en tenant compte du code et l’autre sans le prendre en considération. Suite à la passation des échelles verbale et de performance et des deux indices, trois valeurs de QI seront ainsi déterminées : le QI Verbal, le QI Performance et le QI total. Un intervalle de confiance est associé à ces valeurs afin de prendre en compte les incertitudes de mesure : le potentiel de l’enfant se situe au sein d’une fourchette de valeurs.

A l’origine le quotient intellectuel était simplement la mesure du décalage d’un enfant par rapport à sa classe d’âge : âge mental/âge réel x 100 ; ainsi un QI de 120 signifie qu’un enfant de 10 ans a les capacités intellectuelles d’un enfant de 12. On parle maintenant plutôt d’écart à la moyenne : les tests de Wechsler sont calibrés de façon à ce que la moyenne de la population ciblée soit à 100 avec un écart-type de 15. Ainsi 68,2% de la population possède une intelligence normale avec un QI compris entre 85 et 115. 13, 6% possède une intelligence supérieure avec un QI supérieur à 115. On parle de surdoués à partir de 130 de QI, ce qui représente 2,1 % de la population. Il y a 0,1% de la population qui possède un QI supérieur à 145 et le Zèbre fait partie de cette dernière catégorie. L’intelligence limite se situe sous 85 de QI (13,6%) et la débilité mentale sous le score de 70, soit 2,1%. Aux extrémités de la courbe de Gauss formée par les scores de QI, on passe les bornes qualitatives. On ne parle plus d’une évaluation quantitative de l’efficience intellectuelle, on raisonne en termes de forme d’intelligence, de mode de pensée. Le QI perd sa valeur d’estimation d’un niveau intellectuel pour devenir un indicateur plus général qui oriente vers un diagnostic plus global. Cela concerne les QI en dessous de 70 et ceux au-dessus de 130.  Au delà de 130 le QI n’est plus un indice d’une intelligence quantitativement supérieure mais d’une forme d’intelligence qualitativement différente. Un surdoué est un enfant qui, par sa perception aiguisée du monde, par sa capacité à enregistrer simultanément des informations en provenance de sources distinctes, par son réseau puissant d’associations d’idées et sa rapidité fulgurante de compréhension…  fonctionne dans un système intellectuel incomparable à celui des autres enfants et très différent aussi des enfants les plus brillants (QI entre 115 et 130). C’est la différence qui est significative chez l’enfant surdoué et non pas la supériorité intellectuelle.

Il arrive parfois qu’il y ait hétérogénéité entre le QI verbal et le QI performance, c’est-à-dire une différence de plus de 12 points entre les deux QI, qui ne permet pas de calculer un QI total. Il appartient alors au psychologue de comprendre la raison de cette hétérogénéité et de trouver les solutions pour y remédier. Plus le test est homogène plus l’apprentissage et la mise en œuvre de l’intelligence sont facilités. Un QI homogène témoigne d’un équilibre global de la personnalité et de facilités d’adaptation. Notre Zèbre possède un QI homogène, ce qui est déjà un bon point pour son avenir. En revanche, une dysharmonie des aptitudes intellectuelles peut être à l’origine de difficultés scolaires parfois sévères. Cependant, en cas d’hétérogénéité des deux QI, les problèmes ne seront pas les mêmes selon que c’est le QI verbal ou le QI performance qui est supérieur. Si c’est le QI verbal qui est supérieur au QI performance, on peut émettre plusieurs hypothèses, soit cela représente de la part de l’enfant un mécanisme de défense psychologique, soit c’est le signe de troubles instrumentaux (aptitudes neuropsychologiques intervenant dans l’acte de lire, d’écrire ou de calculer), soit c’est le signe d’un surinvestissement parental des capacités de l’enfant, en particulier dans le domaine intellectuel et scolaire. Dans la situation inverse, c’est-à-dire QI performance supérieur au QI verbal, il peut exister des troubles du langage écrit ou parlé (ex : la dyslexie), on peut aussi parler de refus ou de non-investissement des apprentissages, en particulier scolaires. Cela peut-être aussi le signe d’une inhibition intellectuelle. Deux autres hypothèses peuvent être envisagées : l’appartenance à une autre culture que celle de référence dans laquelle le test a été étalonné ou une carence du milieu éducatif (milieu pauvre en stimulation intellectuelle). Pour tous ces problèmes des solution et des thérapies existent.

Si l’enfant présente de nombreux troubles, le psychologue peut faire passer à l’enfant des tests complémentaires : tests d’efficience intellectuelle, des échelles de raisonnement et les tests logiques, des tests instrumentaux et d’aptitude, des tests de mémoire, des épreuves cliniques d’exploration des structures cognitives ou des épreuves de personnalités.

Il faut savoir que tous les enfants surdoués n’ont pas de problème. Certains se montreront brillants toute leur scolarité, sauteront des classes sans souci et auront une personnalité forte qui en feront des leaders. Mais beaucoup d’entre eux auront un parcours semé d’embûches.

Au prochain numéro : vivre avec un zèbre à l’école, en famille…

Photo : Flickr