Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


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Fausse-couche : le témoignage de Vany

Par  • Le 8 avril 2013 à 13:42 • Catégorie : Fausse couche, Surmonter

Voici le témoignage de Vany : l’histoire de sa première fausse-couche, mais aussi de son histoire pas banale de grossesses et de contraception. Comme quoi tout ne se passe pas toujours comme dans les livres… Merci à elle d’être venue partager cela ici ! Si vous souhaitez des informations et/ou échanger autour des fausses-couches précoces de façon plus générale, voir ce billet.

 On n’oublie jamais.

Il y a douze ans, j’ai rencontré mon mari. J’étais sous pilule, c’était le premier homme avec qui je faisais l’amour, on a utilisé des préservatifs.
Pourtant, des nausées, un retard de quelques jours et un test sanguin positif nous mettent dans une ambiance merdique.

Ca fait à peine six mois qu’on est ensemble, on vit dans un foyer de jeunes travailleurs, et si lui ne veut pas d’enfants (du moins, pas tout de suite), moi, je suis dans l’ambivalence.
Oui, c’est tôt, pas top côté matériel. Mais il y a tant de soucis de fertilité dans ma famille!
Si j’avorte et qu’après, j’ai des soucis pour tomber enceinte, vais-je réussir à ne pas m’en vouloir et surtout, à ne pas lui en vouloir, à lui?
Non. Le constat est net. Je chercherais un coupable et je lui en voudrais de m’obliger à subir un avortement que je n’arrive pas à désirer.

Deux semaines difficiles passent, pendant lesquelles nous nous évitons. Je lui laisse le choix d’accepter ma grossesse ou non. Je lui dis que je ne lui en voudrai pas s’il ne veut plus entendre parler de moi. Il comprend. Et finalement, après une longue conversation, on se décide : ce bébé, on le garde.

Je fais une écho de datation, entend les battements de coeur d’un petit haricot… Moment de doute et d’émerveillement.

Arrive la veille de la première écho, quelques gouttes de sang quand je vais aux toilettes. Un moment de panique silencieuse.  Je file aux urgences maternité de la ville la plus proche avec une amie infirmière.

Là, j’attends pendant deux heures dans une salle d’attente pleine de gros ventres qu’un gynéco daigne me recevoir. Il m’examine enfin, me dit que tout va bien. On fait une écho pour se rassurer. Sur l’écran, 6 ronds. Un corps, une tête, quatre membres. Une ébauche de ce futur petit que mon corps abrite. Je suis émerveillée, le haricot d’il y a six semaines est un vrai bébé maintenant.
Puis la phrase : « Mais le coeur ne bat pas. » Moi, dans mon rêve : « Ben si » « Non, Madame. Vous êtes enceinte de 12 semaines et ce foetus a arrêté son évolution à 8 semaines. Il faut vous opérer d’urgence pour évacuer tout ça, ou vous risquez votre fertilité. »
Je suis sous le choc. Incapable de pleurer, on me demande de voir un anesthésiste pour une intervention le lendemain matin, mais je suis incapable de me rappeler mon adresse, ma date de naissance. Heureusement, mon amie est là et parle pour moi.

Dans le bus qui me ramène chez moi, j’envoie un texto à ma mère « Je fais une fc, intervention demain. ne m’appelle pas » Bien sur, elle n’obéit pas, me rappelle de suite, me voilà à pleurer dans ce putain de bus et je lui raccroche au nez.

Rentrée dans notre chambre, je pleure, pleure, toutes les larmes de mon corps.
Je m’endors, me réveille, pleure, puis me rendors.

J’ai tant pleuré que je suis incapable de rester éveillée quand mon zhom arrive pour entamer une conversation sur ce qui va se passer le lendemain.

Ce lendemain tant détesté, j’arrive à la maternité.
On m’installe dans une chambre, sans rien me dire d’autre que de prendre deux cachets que me tend une infirmière.
Dix minutes après la prise, des contractions (à l’époque, je ne sais pas de quoi il s’agit) me tordent le ventre et j’insiste pour que zhom parte et ne revienne que lorsque tout sera fini.

Trente minutes plus tard, un brancardier arrive, et m’engueule de ne pas être en tenue de bloc. Je veux bien, moi, mais encore faudrait il m’en donner une!
« Elle est dans l’armoire Madame, voyons! »
Je me sens infantilisée et humiliée, en plus de l’état de choc dans lequel je suis depuis la veille.

Arrivée dans le bloc, deux infirmières sont là, en plein préparatifs. J’ai la gorge nouée, impossible de répondre à leurs questions.
Jusqu’à ce que l’une d’elle qui me demande pourquoi je suis là aujourd’hui, sans réponse de ma part, regarde le dossier, puis regarde sa collègue après m’avoir jeté un regard froid « Ha, un curetage…. »
Plus de conversations, ni de sourires. Je suis coupable de quelque chose que je ne comprends pas, que je n’ai pas désiré !

Heureusement, le gynéco vu la veille arrive. Une caresse sur la joue en me demandant comment je vais. Une larme qui coule.
Une grande compassion, je ne l’oublierai jamais.
Comme je n’oublierai jamais le changement de comportement des deux infirmières quand il a expliqué pourquoi je subis cette intervention.
Car d’un coup, les sourires reviennent. Mais pour moi, elles sont désormais fausses, des ennemies que je dois supporter.

Je me réveille un peu plus tard, je ne sens rien. Un coup de panique : aurait-il oublié de m’opérer?
On me ramène dans ma chambre et le brancardier me demande de descendre du brancard pour aller dans mon lit. Sans son aide. Il sait et me méprise, il me l’a fait comprendre. Une mare de sang. J’ai envie de pleurer, de crier, de frapper.
Je me couche, mais ces gouttes de sang sur le sol m’obsèdent, elles me désignent coupable, j’ai l’impression.

Me voilà donc à quatre pattes, avec du papier toilette, à me hâter de nettoyer avant que quelqu’un n’arrive et ne me juge encore.
Je prend d’ailleurs une douche froide (il n’y a pas d’eau chaude car les douches ne sont pas censées être utilisées dans ce service) pour effacer toute trace « de ma honte »

Deux heures plus tard, on me demande d’ailleurs de libérer ma chambre. Une heure avant celle prévue. Mais pour eux, peu importe, je gêne.
On m’emmène dans une salle d’attente, je suis toujours en état de choc. On me demande d’attendre, je n’ai pas le droit de partir seule.

Puis on me laisse. Et je découvre l’horreur : la salle d’attente est celle d’obstétrique. Je suis entourée de futures mamans radieuses aux bidons ronds, de jeunes mamans.

J’ai l’impression d’un puits sans fond, que je vais me disloquer si je ne quitte pas ce lieu sur l’instant!

Bien qu’on m’ait interdit de partir seule, aucune des infirmières qui me verra partir ne me retiendra.
Je sors de l’hôpital et je m’assois sur un truc en béton qui maintient un panneau. Je ne vois rien, ne sens rien, je suis anesthésiée. A tel point qu’il faudra bien dix minutes à mon zhom pour que je remarque enfin sa présence.

Trois semaines plus tard, j’ai revu ma gynéco habituelle, outrée de la façon dont s’était passé cette procédure. Outrée qu’on ne m’ait donné aucun médicament pour ne pas souffrir des contractions que j’ai eues pendant quatre jours. Outrée qu’on ne m’ait proposé aucun suivi, ni aucune contraception.
C’est elle qui m’a appris que j’aurais du reprendre la pilule le soir même. Qu’ils auraient du me prescrire un antidouleur et un antibio. Que j’aurais du refaire une écho de controle pour être sûre que tout est bien parti.

J’ai été traitée comme une coupable, alors même que cet avortement n’était pas désiré. Ils ont réussi à me faire sentir coupable. Coupable d’une chose que je ne pouvais éviter. C’est monstrueux. Et je n’imagine même pas la souffrance que cela peut causer à celles qui subissent cette procédure pour une IVG.

Douze ans plus tard, quand j’y repense, c’est toujours comme un cauchemar pour moi. Et j’en pleure encore de colère, de désillusion.

Heureusement, je suis une éternelle optimiste. Dès le lendemain, je n’ai plus versé une larme pour ça. J’ai été de l’avant.
J’ai écouté, stoïque, les phrases assassines qui, au mieux, nient cette vie que j’ai portée et la douleur de cette perte : « Bah, c’est mieux comme ça, tu en auras d’autres » et qui, au pire, me rendent coupable de ce malheur : « C’est mieux comme ça, tu n’étais pas prête, tu ne l’as
peut être pas assez voulu »….

Alors, j’admire. J’admire celles qui font ce choix et qui le vivent « bien » car pour moi, au fond, ça reste un choix « par défaut » et que, quoi qu’on dise, on ne l’oublie pas. Je crois que c’est aussi une souffrance pour beaucoup. Plus ou moins, certes. Mais quand même….

Voilà, je sais que ce n’est pas l’histoire d’un avortement à proprement parler. Mais ça démontre bien que si l’avortement est un droit, il est encore souvent mal vu par le corps médical qui peut vous donner l’impression d’être une meurtrière.

Je n’en ai jamais parlé. Les gens savent mais ne connaissent pas les détails. Mais moi, je n’oublie pas. Ni ce que j’ai vécu, ni ce bébé que j’ai perdu et qui vit toujours quelque part dans mon cœur.
Et ça me fait du bien, de raconter. Parce que ça me donner l’impression de ne pas l’oublier…

Après ça, j’ai fait deux autres fausses couches précoces « classiques ». Pendant plus de trois ans, j’ai essayé sans succès de tomber enceinte.
J’ai fait des examens à n’en plus finir, puis j’ai fini par me résigner à passer par une PMA. J’ai repris la pilule parce que j’ai trouvé un nouveau boulot.
Deux mois plus tard, j’étais enceinte.
Neuf mois plus tard, un pluvieux samedi de mars, un merveilleux petit homme est venu faire de nous une famille!
Puis j’ai eu deux autres enfants.

Je suis comblée mais toujours pas reconnue dans la douleur de ce que j’ai vécue.
On me traite d’irresponsable car je suis tombée enceinte quatre fois sous pilule. C’est impossible, me dit-on.
Jusqu’à ce que je tombe enceinte de mon dernier… sous stérilet!

Hyperfertilité. Manque de réactions aux progestatifs. Il aura fallu cette dernière grossesse pour qu’enfin, on me reconnaisse comme une victime des circonstances.
Mais néanmoins, personne ne comprend ma peine pour ces trois anges que je ne serrerai jamais dans mes bras.

On ne devrait pas avoir à se justifier quand on souhaite avorter. On ne devrait subir ni jugement, ni morale. Et on ne devrait pas nier la douleur des femmes qui subissent un curetage ou une aspiration, que ce soit pour une fausse couche ou une IVG.

Photo : l’issue heureuse d’une des grossesses de Vany


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