Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


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Tokophobia

Par  • Le 26 octobre 2009 à 8:40 • Catégorie : Faire un bébé, Naissance

munch_thescream Quelle femme n’a pas peur d’accoucher ? Même celles qui sont intimement convaincues que c’est un acte naturel pour lequel leur corps est fait ont leurs appréhensions pour la naissance. Il est vrai que les raisons d’avoir peur ne manquent pas : peur de mourir et/ou de perdre son bébé bien sûr, mais aussi peur de l’hôpital, peur d’avoir mal, peur de perdre sa dignité, peur d’avoir des séquelles, peur de certains gestes médicaux, et bien d’autres encore. Et ce bien que la naissance n’ait jamais été aussi sûre, tant pour la mère que pour l’enfant. Même si cette peur est plus ou moins présente chez tout le monde, elle peut prendre des proportions très importantes chez certaines (jusqu’à prendre plusieurs contraceptions simultanées voire renoncer à avoir un enfant) : on parle alors de tokophobie (si vous n’êtes pas rebutée par l’anglais vous pourrez lire de nombreux témoignages ici).

Sans aller jusqu’à ces extrêmes, il me semble que plusieurs facteurs peuvent entretenir cette peur :

  • Quelle représentation de la naissance dans notre société ? L’image principale qu’on en a, dans les médias notamment, est celle d’un passage difficile, sous haute surveillance médicale, qui ne demande qu’à partir en sucette. Dans les films on voit souvent la femme au moment crucial, échevelée, rouge et suante, entourée par un tas de blouses blanches qui lui crient « Poussez ! pousseeeeeeeeez ! » (apparemment les scénaristes n’ont pas lu Leboyer), le plan suivant représentant généralement la mère parfaitement coiffée et maquillée avec un « nouveau-né » de six mois dans les bras. Ou alors si vous êtes fan de séries médicales (comme la Poule…) il y aura entre les deux un passage plein de sang et de stress où le beau médecin sauvera in extremis Maman et bébé d’une mort fulgurante dans d’atroces souffrances sous le regard enamouré de la jeune infirmière/interne. Perturbant, et globalement pas très tentant.
  • L’entourage a également un rôle important : quelle femme n’a jamais entendu des récits d’accouchements terrifiants, avec douleurs insoutenables, mort évitée de justesse, déchirures du vagin jusqu’à l’anus et j’en passe. C’est peut-être une sorte de bizutage, mais en particulier quand on est enceinte on est abreuvée d’histoires plus gores et terrifiantes les unes que les autres (soit de première main, soit l’amie d’une amie dont la cousine a une tante qui…). Certes, il n’est pas très constructif d’enfermer les femmes enceintes au pays des Bisounours sous prétexte qu’il ne faut pas les stresser, mais on peut peut-être trouver un juste milieu non ? Evidemment les récits de l’entourage très proche (notamment les femmes de la famille) sont les plus percutants pour la future mère, qui se sent logiquement plus concernée (il y a une part de génétique dans le déroulement de la grossesse et de l’accouchement, même s’il y a bien sûr de nombreux autres facteurs à prendre en compte). Mais il peut aussi y avoir eu un film ou une image mal à propos qui gardent une empreinte durable.
  • Enfin bien sûr il y a le vécu d’une mère lorsque ce n’est pas sa première grossesse et qu’un accouchement antérieur s’est mal déroulé et/ou a été mal vécu (il y a des naissances qui sont sans problème d’un point de vue médical -le fameux « la mère et le bébé vont bien »- mais qui laissent un goût amer à la femme, voire au bébé) ; on peut aisément comprendre qu’on n’y retourne pas volontiers. Si la naissance a nécessité une intervention médicale importante, cela peut entamer la confiance de la femme en ses capacités pour donner naissance et ajouter à son angoisse.

La peur d’accoucher est donc probablement une des choses les mieux partagées par les femmes (et ne parlons pas des hommes…). Alors comment atténuer et gérer ces peurs, qu’on les ressente soi-même ou qu’on y soit confronté chez une autre ?

Tout d’abord, il me semble que comme la plupart des peurs et phobies, celle-ci a une part d’irrationnel qu’on ne doit pas juger ou moquer. La première chose à faire est au contraire de laisser la personne vider son sac et exprimer ses peurs : voir sa souffrance entendue et reconnue est un premier pas vers le soulagement. Le simple fait de formuler certaines peurs à voix haute en présence d’une personne bienveillante peut déjà permettre de les éliminer. Au delà, se documenter, tant sur l’accouchement en général que sur la façon dont les choses peuvent se passer à la maternité choisie (si on est enceinte) peut également faire tomber certaines craintes. N’oublions pas que les choses évoluent (même si parfois trop lentement), et qu’un certain nombre de pratiques redoutées par les femmes ont été abandonnées : si votre mère ou votre grand-mère vous explique qu’elle a du subir un lavement et être intégralement rasée, sachez qu’il y a peu de chances que ça vous arrive. Même s’il y a encore une grande disparité entre hôpitaux et praticiens, l’épisiotomie systématique semble elle aussi être en déclin. Visiter une salle de naissance, éventuellement voir certains instruments, cela peut aider. Par exemple lorsqu’on me parlait de la ventouse je visualisais le gros truc en caoutchouc pour déboucher l’évier, en fait le modèle obstétrical est nettement moins impressionnant. Bien sûr une phobie plus profonde est irrationnelle et ne pourra être levée par des arguments objectifs (tous les phobiques de l’avion se sont vus répéter 2 372 fois que c’est le moyen de transport le plus sûr bla bla bla, avec autant d’effet que de cracher dans un violon) : dans ce cas il faut envisager une psychothérapie si on souhaite traiter sa phobie.

Une échappatoire à cette peur de l’accouchement peut être pour certaines la césarienne. Il me semble qu’il faut éviter cela au maximum, et rappeler que pour une grossesse et un accouchement non pathologiques, la césarienne est plus risquée que l’accouchement par voie basse, tant pour la mère que pour l’enfant. Bien sûr il ne s’agit pas de diaboliser la césarienne, qui a sauvé et sauve tous les jours des femmes et des enfants, mais simplement de l’utiliser à bon escient. Or pour beaucoup de personnes la césarienne paraît plus sûre que l’accouchement par voie basse, et c’est cette idée reçue qu’il faut à mon avis battre en brèche (si le sujet vous intéresse voir aussi cet article très bien fait de Césarine sur la césarienne de convenance). Ceci dit, il ne faut pas non plus être dogmatique, et respecter la détresse et l’angoisse des femmes qui ne peuvent surmonter cette peur (ou pas dans les délais de l’accouchement). De toute façon, si la tokophobie est trop importante, elle peut suffire à bloquer le processus de l’accouchement et conduire à une césarienne en urgence.

Personnellement je dois dire que j’ai longtemps trouvé l’accouchement terrifiant, et qu’au début de la grossesse du Poussin je n’en menais pas large (Ste Péridurale priez pour moi). Je trouve d’ailleurs que c’est un des tests pour savoir si on est prêt à avoir un bébé : être capable d’écouter un récit d’accouchement sanguinolant/de nuits épouvantables depuis 6 mois/de gastro explosive et d’avoir toujours envie d’un petit bout. Finalement, entre diverses lectures, les cours de préparation à l’accouchement, la visite de la maternité, des témoignages positifs d’amies ayant accouché dans ladite maternité, et probablement aussi l’influence des hormones et du SNU (syndrome du neurone unique, une complication fréquente de la grossesse…) combinés (avec un soupçon de méthode Coué ?), je suis arrivée à peu près rassérénée pour l’accouchement. Pour cette deuxième naissance qui se profile, je dois dire que le fait d’avoir déjà accouché par voie basse sans instruments me donne une certaine confiance en mon corps, d’autant plus que la deuxième naissance est censée être plus facile que la première. Le fait d’avoir aussi un projet bien ficelé, avec l‘accompagnement global et une bonne préparation, y contribue également. Et n’oublions pas la merveilleuse combinaison hormones-SNU. On verra dans trois mois… Ce petit topo « ma vie mon œuvre » n’est pas pour m’ériger en modèle à suivre (à moins que je ne lance une secte ? l’argent est un souci qui te retient… la Poule te débarrasse de tous tes soucis…) mais pour que celles qui seraient dans ma situation initiale sachent que ce n’est pas inéluctable.

Pour finir, je vous laisse sur cet extrait de Cette lumière d’où vient l’enfant de Frédérick Leboyer (je rappelle qu’il est obstétricien, né en 1918, et donc qu’il a du commencer la médecine dans les années 40, à une époque où la mortalité périnatale était encore loin d’être au niveau actuel).

– Quant à l’accouchement, ce ne sont pas les risques qui vous troublent. C’est la peur.

– La peur des risques ?

– Ah ! non, c’est là qu’est votre erreur. C’est là la confusion. Vous avez peur. Mais certes pas d’hémorragies, d’infections, de possibles quoique rares complications dont, au reste, vous ne savez rien.

– Je ne suis pas médecin.

– C’est votre chance. Une fois encore, pensez aux ennuis et ils arrivent.

– Mais alors, de quoi ai-je peur ?

– De tout et de rien. Vous avez peur. Un point c’est tout. Et vous vous mettez à projeter cette peur partout. Suivez-moi bien. Vous allez au cinéma et l’o vous montre un film d’épouvante. Si le film est bien fait, à mesure que les images défilent, la peur monte en vous. […]

– Cela m’est arrivé la semaine dernière, oh ! quel film ! Pendant trois nuits je n’ai pu dormir. […] Et je n’osais plus aller, le soir, dans la resserre.

– Qu’y a-t-il, dans la resserre, qui vous fasse trembler ?

– Des araignées.

– Qui, sortant du noir, vont se jeter sur vous et vous dévorer ?

– Oui, je sais, c’est stupide. Mais qu’y faire ?

– Non, ce n’est pas stupide puisque c’est. Donc, voici la peur imaginaire : vous savez bien que ces petites bêtes sont inoffensives. […] Elles n’ont pas plus d’existence que les images sur l’écran. Lesquelles, tout images qu’elles soient, vous ôtent le sommeil et ruinent votre estomac.

– Je vois.

– Or, il existe une autre peur qu’on pourrait appeler réelle : le feu peut prendre dans le cinéma. La pellicule est très inflammable. Un incendie peut détruire le bâtiment. Et votre vie. De cela, avez-vous souci ?

– Je n’y songe même pas.

– Quand vous allez au cinéma, vous n’allez pas, j’imagine, vous asseoir tout près de la sortie de secours au cas où…

– Je me mets au beau milieu de la salle.

– Face à l’écran. Pour bien voir. Au mépris de toute prudence ! Car si le feu prenait…

– Je m’en moque bien.

– Et vous avez raison. Donc, il existe deux sortes de peur, l’une réelle, l’autre imaginaire. L’une rationnelle, raisonnable, l’autre folle. Et vous voyez que, des deux, c’est la folle qui a le plus d’emprise sur votre vie.

– Quelle folie !

– Oui. Mais c’est ainsi. Or, il en va très exactement de même pour l’accouchement. Ces hémorragies, ces infections qui sont aussi réelles et rares que l’incendie au cinéma, vous vous en souciez comme d’une guigne.  Vous ne les connaissez même pas.

– Et de quoi donc ai-je peur ?

– D’aller dans la resserre. Vous avez peur des araignées. Cette peur, toute imaginaire qu’elle soit, est, pour vous, bien réelle. […] Pour combattre les effets de cette peur, que fait-on ? On construit des hôpitaux. Sans cesse plus grands, plus équipés, plus compliqués et plus ruineux. Lesquels, vous me l’accorderez, auront bien du mal à vous défendre des araignées.

(Image : faut-il vraiment présenter Munch ?)

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