Hold on to your kids (1)

Parmi mes lectures estivales (Voici, Glamour…) s’est glissé ce livre : Retrouver son rôle de parent (ou en VO Hold on to your kids), de Gordon Neufeld et Gabor Maté. Les auteurs sont Canadiens, le premier est psychologue et le second médecin. Je dois dire qu’à première vue, un livre qui annonce que les temps ont changé, que les enfants et ados sont plus difficiles et plus mal élevés qu’avant, qu’y a plus de saison ma brave Simone et qu’à notre époque les enfants se tenaient bien (et la fermaient), ça ne me fait pas très envie. Mais la personne qui me l’a prêté a insisté que c’était ‘achement intéressant alors j’ai passé outre, et bien m’en a pris. Je crois que c’est probablement le livre le plus intéressant qu’il m’ait été donné de lire sur la parentalité. Il intéressera aussi beaucoup les professionnels de l’enfance (éducateurs, profs, puéricultrices, nounous, etc). Comme je suis vraiment très sympa, je vais vous raconter un peu (enfin vous allez voir la tartine) mais si ça vous parle, je vous recommande vraiment de mettre la main dessus.

La plus grande partie du livre nous explique le concept psychologique d’attachement. Développée chez l’homme par John Bowlby en 1969, cette théorie décrit le lien si particulier qui se met normalement en place entre l’enfant et le(s) parent(s) qui l’élève(nt). Il a également été observé chez les animaux pour lesquels au moins un des parents s’investit dans l’éducation des jeunes (typiquement oiseaux et mammifères). En gros, dès sa naissance, l’enfant a un besoin émotionnel fort d’attachement, qui est normalement comblé par ses parents, à la fois par une satisfaction de ses besoins physiques (faim, froid etc) et de ses besoins psychologiques (amour, réconfort…). Un lien très particulier se crée alors, l’enfant se tournant vers l’adulte dès qu’il a un besoin à satisfaire tandis que l’adulte est prêt à faire pour l’enfant toutes sortes de choses qu’il ne ferait pour personne d’autre (mettre les mains dans le caca, se lever 15 fois la nuit, vous voyez ce que je veux dire). Ce lien fera également que l’enfant suivra volontiers les directives données par l’adulte qui devient en quelque sorte sa boussole, son point de repère. Un bon lien d’attachement entre l’enfant et ses parents rend la parentalité facile, puisqu’il pousse les parents à se « sacrifier » pour leurs enfants (ou en tout cas rend les sacrifices plus doux) et pousse les enfants à obéir aux parents et à tout faire pour leur être agréable (mais si, mais si). Si vous voulez en savoir plus, vous avez l’article wikipedia (en anglais, le français est assez vide), et si vous voulez en savoir beaucoup plus, il y a ce livre : L’attachement. Concepts et applications, par Nicole et Antoine Guedeney (par contre j’avoue je ne l’ai pas lu).

Une bonne relation d’attachement est indispensable à la maturation psychologique d’un enfant : tant qu’il ne ressent pas de sécurité à ce niveau-là et craint de perdre l’objet de son attachement, toute son énergie sera dévouée à obtenir cette sécurité. Il est donc capital qu’il sente que ses parents l’aimeront et s’en occuperont quoi qu’il fasse, quoi qu’il soit. C’est de sentir cet amour inconditionnel qui va lui permettre d’exprimer sa vulnérabilité, elle-même indispensable à son développement psychologique. Tant qu’il ne peut pas transformer la frustration en tristesse (qui est une forme de vulnérabilité), il ne pourra pas la gérer. C’est aussi ce qui lui permettra de laisser s’exprimer des sentiments contradictoires (« j’ai très envie de jouer avec cette porcelaine Ming » et « je n’ai pas envie qu’on me gronde ») et ainsi de s’intégrer harmonieusement dans la société.

L’apport des auteurs à cette théorie -au demeurant relativement bien établie- est le suivant. Dans les sociétés occidentales modernes, les enfants ne s’attachent plus à leurs parents, mais à d’autres enfants. C’est notamment criant à l’école. Voyez un enfant qui tout à coup ne veut plus travailler, veut avoir les mêmes chaussettes Spiderman/le même ensemble jean slim-string que les copains/copines, devient insupportable et agressif avec ses parents/profs, passe toute sa soirée sur MSN/à envoyer des textos/sur Facebook avec ses copains et semble devenu imperméable à tout, carotte comme bâton (son langage se réduisant à « bof » et « j’m’en fous »). Ce sont les principaux symptômes de l’attachement à ses pairs (aux autres enfants). On dirait le portrait d’un ado mais en fait ça peut très bien commencer plus tôt, et même à l’adolescence, quand ce type de comportement s’exacerbe, il n’est pas vraiment normal.

En quoi est-ce gênant ? D’une part, l’attachement est bipolaire. C’est-à-dire qu’on ne peut avoir plusieurs figures d’attachement que si elles sont compatibles. Par exemple, la baby sitter ou les grands-parents sont compatibles avec les parents. Mais les parents ne sont pas compatibles avec Mattéo et Léa. Donc plus l’enfant s’attache à d’autres enfants, et plus il rejette les adultes en général et ses parents en particulier. Il devient agressif et n’a plus aucune intention de suivre une quelconque indication ou ordre venant de leur part. Déjà un premier problème pour les parents ainsi que pour les adultes encadrant l’enfant (profs, éducateurs…).

D’autre part, on a vu que l’enfant attendait de la figure d’attachement un amour inconditionnel pour pouvoir accomplir harmonieusement son développement psychologique. Ses copains sont totalement incapables de lui offrir cela. L’enfant alloue donc en vain toute son énergie à tenter de combler ce vide, énergie qu’il ne peut alors plus consacrer à sa maturation. De plus pour garder ces attachements éphémères, l’enfant doit se blinder contre sa vulnérabilité et ne jamais la laisser paraître. Il doit éteindre sa compasssion, sa tristesse, sa curiosité mais aussi sa joie. Il doit juste avoir l’air cool. Tout le temps. Pour être accepté il tente de ressembler aux autres et étouffe sa propre personnalité. Il ne peut donc pas connaître de maturation psychologique. Cela a également un retentissement important sur son comportement : tout le monde est d’accord pour dire qu’il est plus facile d’obtenir un comportement « acceptable » d’un enfant de 6 ans que d’un enfant de 2 ans. S’il reste bloqué à un stade de développement précoce, ses possibilités comportementales le sont aussi.

Pour les auteurs, un grand nombre des problèmes rencontrés par les parents actuellement vient de là. On se focalise sur le comportement des enfants alors qu’il faudrait commencer par réparer le lien d’attachement. Tant que ce lien n’est pas orienté vers un adulte (qui doit être prêt à en assumer l’immense responsabilité), celui-ci aura les plus grandes difficultés à orienter le comportement de l’enfant. Et toute l’autorité et les claques du monde n’y changeront pas grand chose (à moins vraiment de terroriser l’enfant mais qui voudrait cela ?). Les systèmes disciplinaires « classiques » (carotte et bâton en gros) ne marchent que dans le cadre d’un lien d’attachement fonctionnel.

Une bonne illustration de ce phénomène est à mon avis le problème des jeunes de banlieue (bon permettez-moi deux minutes de faire des grosses généralités pour vous faire passer l’idée, même si je suis tout à fait consciente que la réalité est plus complexe et nuancée). Lorsque les deux parents travaillent beaucoup et que les enfants vont de crèche en école en passant par la garderie dans des structures avec peu de moyens (et donc moins de personnel, qui plus est fréquemment renouvelé), où ils sont toute la journée avec d’autres enfants dans le même cas, la situation est très favorable à un attachement entre pairs. Ainsi cela entraîne la formation de bandes apparemment imperméables à la raison et la perte de l’autorité des parents. Le problème n’est donc pas l’interdiction faite aux parents de coller une bonne rouste (comme on peut l’entendre) mais le rétablissement d’un attachement vers les adultes.

Alors en pratique que faire ?

(à suivre… ici)

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15 Responses to “Hold on to your kids (1)”

  1. anne dit :

    oui, oui, que faire ????? on est en haleine !

  2. Clémys dit :

    J’espère qu’il y a d’autres solutions que culpabiliser parce que les 2 parents ont besoin et / ou veulent travailler… 😉

  3. Fleur dit :

    euh,…
    je ne vois pas le lien entre attachement et travail, moi!
    et je n’ai rien lu de tel dans le résumé de la poule, si??

    je suis, à titre personnel, convaincue que l’attachement peut excellemment se faire quand les deux parents travaillent !
    Et puis… il y a le congé maternité aussi, cette période pendant laquelle tant de choses se nouent déjà, non?

  4. @yoko : merci

    @anne : trop fort le suspense, hein ?

    @Clemys et Fleur : bien sûr qu’on peut travailler ! c’est vrai que le congé maternité permet de poser les bases mais le problème c’est qu’il faut ensuite les entretenir. plus de détails demain…

  5. Sophie D.-bientot Y. dit :

    La suite, la suite …;-)

  6. demain en exclusivité sur poule-pondeuse.fr 😉

  7. mimi dit :

    Ah super, tu réponds à ma demande
    merci

  8. Hé hé, j’ai déjà préparé la réponse avant que tu poses la question, je suis trop forte !

  9. Blandine dit :

    Si t’as une solution pour lutter contre l’invasion des chaussettes/t-shirt/slip/casquette/chaussons Spiderman c’est que tu as trouvé LE livre !! je file lire la suite…

  10. Yeah ! Spiderpoussin !

  11. Renarde dit :

    Alors moi, l’esprit aiguisé par la lecture de Thomas Gordon (qui m’a beaucoup plu quoique j’ai pu en dire !), lisant chez la Poule que « Retrouver son rôle de parents » était « probablement le livre le plus intéressant qu’il m’ait été donné de lire sur la parentalité », allez je me suis dit, j’achète, je me lance dans les 400 pages de cet ouvrage !
    Ok je passe sur « les enfants sont de plus en plus mal élevés », « à mon époque au moins », « ya plus de respect ma bonne dame » et compagnie etc. Passer toutes ces plaintes n’a pas été évident mais j’ai tenu bon, en attendant la promesse.
    Après ça, j’ai eu beaucoup de mal à manger les x dizaines de pages décrivant par le menu tous les malheurs qui attendent parents et enfants dont les enfants « se modèlent sur leurs pairs ». Honnêtement, nous parler des gangs d’enfants des rues, jusqu’aux jeunes filles qui boivent beaucoup pendant les soirées pour avoir moins mal quand elles se feront violer, vouais, là on n’est plus sur des enfants qui ont un problème d’attachement je crois, on est sur des enfants totalement laissés à l’abandon et qui doivent envoyer des sos depuis belle lurette.
    Je n’ai pas du tout apprécié qu’on mette dans mon esprit tous les malheurs possibles par lesquel mon enfant pourrait passer (sans me voiler la face, attention) avec un catalogue détaillé quasi exhaustif.
    Que Neufeld nous explique à quel point c’est mauvais pour les enfants de se modeler sur leurs pairs, ok, c’est ce qu’il a étudié, c’est ce en quoi il croit. De là à passer par tous les détails, franchement, c’était pas nécessaire pour moi de raconter tout ça pour prouver sa théorie.
    Moi en lisant j’ai commencé à me dire : « Mon Dieu mais j’emmène souvent mon fils de 20 mois au square et en plus il aime y aller, surtout s’il y a d’autres enfants, et d’ailleurs il s’entend bien avec les autres enfants, mon Dieu aidez-moi, il a commencé à se modeler sur ses pairs, faut que j’achète une maison avec un petit jardin isolé pour ne plus qu’il côtoie d’autres enfants. Oh et en plus il va 2 jours par semaines à la crèche, que faire ? Eh si on lui fait des frères et soeurs ? Et si un jour quand il aura 10 ans, on emmène un des ses amis en vacances ? » Ok j’exagère mais je me suis sentie mal à l’aise parce que je me suis dit, ok c’est sa théorie, on n’est pas obligé d’adhérer, mais on fait quoi alors ?!! (puisqu’il faut attendre la page 271 pour avoir des conseils).
    Bon donc, sa théorie de l’attachement, j’adhère. La cause des manquements de respect, d’obéissance dans l’attachement aux pairs, aussi. Mais je la trouve très très mal présentée. Pourquoi passer par le catastrophisme ? Pourquoi effrayer les bonnes gens pour faire passer son message ?
    J’ai maintenant dans mon esprit une espèce de vieille peur rampante et je checke souvent que oui mon fils est bien attaché à moi et pas aux autres…
    Je trouve que ne sont pas assez développées les idées que ce ne sont pas les pairs qui sont « nocifs » mais le modelage sur eux, que ce n’est pas parce qu’un enfant s’entend bien avec les autres qu’il est en danger, tout ça, des idées po-si-tives. Développer les parties finales.
    J’ai aimé ce bouquin sinon parce que ça m’a permis de mieux comprendre mon enfance et mon adolescence à la lumière de cette théorie.
    J’émets un grosse critique de sa théorie de l’attachement : que font les enfants qui ont des parents immatures ou qui s’en foutent ? Ça donne quoi de s’attacher à des parents « méchants » ?
    Je résumerais son message de la façon suivante : il ne faut ni éloigner nos enfants de nos vies, ni se laisser éloigner par eux de leur vie (comme c’est typique de l’adolescence). Ça me semble effectivement très important de le dire.

  12. @Renarde, intéressant ton point de vue, je n’avais pas ressenti les choses comme ça à la lecture de l’ouvrage ! Peut-être aussi que la traduction a joué ? Je comprends ton sentiment et j’avoue que je n’aime pas trop aussi quand on joue sur le catastrophisme et la culpabilisation. Ceci dit, je pense que le message du livre est tellement à contre courant de beaucoup de pratiques et de façons de voir de notre société qu’il a probablement du se sentir obligé de forcer le trait pour être écouté (ou lu en l’occurrence). Quant à ta critique : je ne crois pas que cela mette en défaut la théorie de l’attachement, c’est-à-dire qu’effectivement de base l’enfant s’attache à son parent, quel que soit le comportement de celui-ci. C’est ce qui rend d’ailleurs les situations de maltraitance si complexes, puisque malgré tout l’enfant reste généralement attaché à son parent (et ce qui explique aussi la possible reproduction de ces comportements à la génération suivante). Ceci doit en tout cas être pris en compte lorsqu’on veut s’occuper de ces enfants.

  13. […] A. Solter, qui cite d’ailleurs Thomas Gordon. A noter que Gordon Neufeld et Gabor Maté, dans Retrouver son rôle de parent, parlent également du rôle crucial des « larmes d’impuissance » pour […]

  14. […] Pour conclure, et avant de détailler plus avant (dans de prochains billets, à venir au cours de la semaine) les grands types de modes de garde (collectif, à la maison et chez un-e assistant-e maternel-le, pas forcément dans cet ordre d’ailleurs), je dirai donc que l’important est de trouver un mode de garde en lequel vous ayez vraiment confiance, car je crois qu’il y a toujours un moment où on doute, où l’enfant pleure à la mort quand on le laisse, et à ce moment-là si de façon générale on n’est pas très satisfait de la situation c’est vraiment très douloureux. En outre, il est probablement difficile pour l’enfant de s’attacher à la personne qui s’en occupe s’il sent que ses parents ne l’approuvent pas vraiment (cf les travaux de Gordon Neufeld et Gabor Maté). […]