Il y a quelques mois, le tocsin sonnait chez les cyber-mamans pour annoncer un haro généralisé sur un composé chimique : le Bisphénol-A, ou BPA pour les connaisseurs. Cette molécule, qu’on retrouve dans certains plastiques (et notamment à l’intérieur des canettes), avait le mauvais goût d’être présente dans la grande majorité des biberons en plastique. Les Canadiens ont lancé la charge (voir ici et là), tandis qu’un nouveau marché s’ouvrait. Il est clair que tous les grands scandales sanitaires des dernières décennies (nuage de Tchernobyl s’arrêtant aux frontières, sang contaminé, amiante, vache folle et j’en passe) ont rendu le public assez chatouilleux sur ce genre de question. L’émoi général à l’idée d’empoisonner nos enfants a donc conduit les autorités sanitaires des pays occidentaux à se saisir au plus vite de la question.
En Union européenne, ce rôle est dévolu à l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, ou European food safety authority : l’EFSA. C’est une agence communautaire que je connais bien par mon travail. Tout comme l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) en France, son rôle est de produire des évaluations scientifiques rigoureuses de tous les problèmes et questions liés à la sécurité sanitaire. Ces agences émettent alors des avis, à destination notamment des gestionnaires (le ministère ou la commission, selon l’échelle où on se place), qui prendront alors les décisions législatives, notamment pour autoriser ou pas tel ou tel produit. Leur fonctionnement s’appuie entre autres sur des panels d’experts, qui sont pour la plupart des scientifiques de renom, dont les conflits d’intérêt doivent être rigoureusement examinés par l’agence. Dans le cas du BPA, c’est le panel on Food contact materials, enzymes, flavourings and processing aids (panel CEF pour les intimes) qui s’est chargé d’examiner l’ensemble des données disponibles, et notamment les nouvelles études qui avaient alarmé nos amis d’outre-Atlantique.
D’abord une petite explication sur la façon dont on procède pour évaluer le risque lié à un produit chimique. On commence par le tester sur de pauvres animaux, qui doivent en manger, en respirer, en toucher, soit des quantités énormes en peu de temps, soit des quantités plus modérées sur plus longtemps. On observe alors les effets produits par le produit et on quantifie la dose à partir de laquelle ils surviennent. C’est la toxicité du produit. Pour le BPA, l’EFSA (ainsi que sa jumelle étatsunienne) conclue ainsi qu’on peut en avaler 0.05 mg/kg de poids corporel par jour sans qu’aucun effet ne soit observé. Cette valeur est appelée TDI, comme tolerable daily intake, ou dose journalière tolérable. C’est en fait la dose à laquelle aucun effet n’a été observé chez l’animal, mais divisée par 100 pour plus de précaution.
Ceci étant posé, il faut ensuite déterminer à quelle quantité on risque effectivement d’ingérer : par exemple l’eau de Javel est très toxique, mais il y a peu de chance que quelqu’un siffle le bidon (d’autant plus qu’il y a des avertissements sur l’étiquette et un bouchon anti-petites mains) donc au final le risque est faible, et c’est pour ça qu’on en trouve dans tous les supermarchés. Pour les produits alimentaires, il existe des modèles scientifiques pointus, basés sur des enquêtes auprès des gens pour savoir ce qu’ils mangent et en quelles quantités. Les particularités des uns et des autres sont prises en compte (végétariens, jeunes enfants, bébés, etc). Ces modèles permettent donc d’établir la quantité qui risque d’être effectivement avalée, c’est-à-dire l’exposition. Enfin, on compare la toxicité à l’exposition pour voir si une ou plusieurs catégories de consommateurs courront un risque lié à l’ingestion du produit.
Alors que nous dit l’EFSA ? Le panel CEF observe que le BPA est très rapidement métabolisé et excrété chez l’homme (y compris le nouveau-né), et ce beaucoup plus vite que chez les animaux de laboratoire, en l’occurrence les rongeurs (probablement des rats) sur lesquels les tests ont été effectués. En outre, les dernières études y sont qualifiées de « limitées en rigueur, en cohérence et peu plausibles au niveau biologique ». Le panel précise que cette conclusion est partagée par ses homologues étatsuniens, norvégiens (rappelons qu’il ne font pas partie de l’UE) et canadiens, ainsi que par un institut du Joint Research Centre de la Commission européenne. Pour l’EFSA, il n’y a donc pas lieu de revoir la TDI (la dose journalière tolérable), et de conduire une nouvelle évaluation du risque. Les Canadiens eux appellent les parents à la prudence sans toutefois aller jusqu’à l’interdiction.
Alors que faire dans ce flot d’informations contradictoires ? Le BPA est libéré par le plastique quand on y verse de l’eau bouillante. Si vous chauffez peu ou pas vos biberons, cela diminue d’autant l’exposition du poussin. Et si vous êtes vraiment préoccupés, achetez des biberons en verre (moi avec mes deux mains gauches ça me semble plus dangereux que le BPA mais ce n’est pas forcément le cas de tout le monde). Il existe aussi des biberons en plastique sans BPA (si les vôtres ne se signalent pas clairement comme tels, c’est a priori qu’ils en contiennent). Il y a enfin l’allaitement long et exclusif, bien sûr, mais même les mamans allaitantes apprécient de se faire remplacer par un bib de temps à autre. Moi je reste avec mes biberons non chauffés de la célèbre marque dont le nom rappelle les calendriers pour attendre Noël, garantis avec du BPA dedans.
Pour en savoir plus : un ensemble de questions/réponses très complet préparé par les autorités canadiennes.
(Photo Flickr -parce que ça manquait un peu de petits chatons par ici)
Tags: afssa, biberon, bisphénol-A, BPA, Canada, EFSA, Etats-Unis, exposition, Norvège, Panel CEF, plastique, risque, TDI, toxicité, Union Européenne
Comme d’habitude, un article rigoureux, bien documenté et sans paranoïa… Merci !
« C’est une agence communautaire que je connais bien par mon travail » C’est quoi ton travail ???
On pourrait toutes imaginer le travail de PP… Alors je lance des pistes : la PP aime bien les articles scientifiques et pense toujours à donner le copyright des photos (ce qui est super rare je trouve sur la blogosphère)
Secteurs activités possibles :
– Recherche
– Droit
Je m’arrête, chacun a le droit de préserver ses secrets ! 😉
Merci ! mais ce n’est ni la recherche (même si j’y ai fait un passage) ni le droit. En fait je travaille justement dans la sécurité alimentaire, d’où ma connaissance de ces problèmes.
haha quel brillant exposé ;-p
moi je vends la profession (et le CV) de la poule au plus offrant!!
@Alexou : merci, je suis sûre que tu as appris plein de trucs :-p
@Fleur : hé ho ! ou alors je prends ma com’.
Sujet où je me suis aussi bcp documentée en début d’année après avoir appris que mes bib, ou plutôt ceux de Clément étaient sur la sellette…après une colère où je me suis mise toute rouge (notamment envers ma pédiatre qui me les avait conseillés), j’ai décidé les choses suivantes :
– on ne chauffe plus le bib où alors très faiblement et je chauffe l’eau hors du bib
– j’ai vérifié un à un tous mes ustensiles de cuisine pour voir s’ils contenaient le fameux Bisphénol-A, (i.e. regarder le cycle de recyclage, le n°7), attention à tout le matériel de marque Béa** (notamment le « faiseur de miam-miam » plus connu sous le nom très mal traduit de « bébé cuisineur ») qui n’a pas encore prouvé qu’ils étaient exempt de toxicité,
– j’ai surfé sur le net et trouvé qq sites où ils vendent des bib sans Bisphénol et qui sont néanmoins incassables…je pense les acheter pour cet hiver quand il faudra réchauffer de nouveau les bibs.
Voilà, cet évènement et un autre (cancer déclaré chez une amie proche) m’ont fait me tourner vers la nourriture bio pour Clément…chacun se déculpabilise comme il peut 😉
Claire
@Claire : ta pédiatre n’en savait probablement rien avant que ça fasse les gros titres… Perso je n’ai pas le fameux bébé cuisineur : j’avais déjà cocotte minute et blender (en verre), et comme ça je faisais des grosses quantités et congelais le reste. Je parle au passé parce que maintenant le poussin mange à peu près « normalement » 😉 Et mon petit côté indigne : je ne réchauffe jamais un bib (à moins qu’il ait été au frigo avant), je n’ai même pas de chauffe-biberon d’ailleurs.
On m’a dit que les nouveaux DODIE (Initiation) n’en contenaient pas, mais qui croire ?
Effectivement, je ne pense pas que Dodie puisse mentir ouvertement sur ce point (autant sur les affirmations du style « le plus proche du sein de maman », hem hem, autant sur des infos aussi objectives que la composition, ils ne peuvent pas raconter n’importe quoi). Voir http://www.dodie.fr/questions_reponses.php
Coucou la Poule,
ton article sur les BPA a beau dater de 07.08, il me semble qu’il faille aujourd’hui peut-être le mettre à jour : d’abord le Canada a réellement interdit les biberons contenant le BPA ; ensuite, un nouveau réseau de scientifiques, professionnels de la santé et ONG, le RES (Réseau Environnement Santé), vient d’émettre un nouvel avis négatif contre les biberons et autres boîtes en plastique contenant du BPA, la dose minimale étant remise en question ainsi que (mais l’article ne précise pas pourquoi) le protocole de mesure concernant spécifiquement les perturbateurs endocriniens. Le RES préconise l’abolition du BPA alimentaire. Personnellement, après avoir un peu lu dessus, j’ai commandé la semaine dernière des nouveaux biberons « verts »… même si je ne chauffe que très peu le bib’ du matin de ma fille (et tjs au chauffe-bib’), je sais que chez les grands-parents il n’en est pas de même, et que je ne peux pas être derrière tout le monde (quand ma belle-mère vient chez nous et qu’elle s’occupe du bib’ du matin, elle n’utilise que le micro-ondes…) à houspiller les gens. Et je préfère ne prendre aucun risque (d’autant que j’attends bb2 😉 ). Ton article m’avait déjà surprise : toi qui prône la tolérance zéro lorsqu’il s’agit du risque alimentaire au cours de la grossesse, voilà que tout d’un coup tu deviens bcp plus « souple » avec le BPA, qui, je le rappel d’après l’article, « touche en premier lieu le foetus et le nouveau-né »… Voilà la référence de l’article :
http://www.quechoisir.org/pages/breves/De-nouveau-sur-la-sellette/07BA23D3AA9B2DB2C1257570005A018B.htm?f=_
@Meduse69, justement je prône la tolérance zéro pour la listériose parce qu’on sait très bien et sans l’ombre d’un doute que la maladie a de grandes chances de contaminer le fœtus et de le tuer ! Alors que pour le BPA c’est beaucoup moins clair.
@La poule pondeuse, moi je m’interroge sur le RES… Ils sortent d’où ? Pourquoi tout le monde (les journalistes) les prend comme référent scientifique ?
@Clemys, je me pose des questions sur ce « réseau » aussi. Enfin le WWF est plutôt une caution sérieuse, même si ça ne vaut pas un vrai institut de recherche.
[…] Des biberons bio… 1 avril 2009 Posted by Isabelle in Vie de famille. Tags: bébé, hygiène, Iris trackback Au cours de l’année 2008, j’ai été interpellée comme nombre de parents qui nourrissent leur bébé au biberon en plastique incassable par les inquiétudes soulevées par le bisphénol A contenu dans le polycarbonate (Voir les différents articles sur ce sujet: article sur Wikipedia, site officiel du gouvernement canadien sur les substances chimiques, synthèse sur le blog de la poule pondeuse). […]
[…] la synthèse du BPA… tout le connait bien ce vilain produit maintenant (sinon allez voir ici, c’est très bien expliqué) mais à l’époque (y’a 5 ans, quoi) on en entendait moins […]
Aujourd’hui, (Juillet 2011) un peu plus d’études, un peu plus d’infos sur le sujet…
A voir, parmi tant d’autres: http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/Notre-poison-quotidien/3673748.html
@S’Line, je n’ai pas vu le film, et pas très envie http://www.lanutrition.fr/bien-dans-sa-sante/environnement/contaminants-alimentaires/pr-narbonne-notre-poison-quotidien-accumule-les-contre-verites.html
Ceci dit ça n’empêche que depuis on est passé aux biberons en verre, sans regret : ils vieillissent et se nettoient tellement mieux, et pas de scrupule à les passer au micro ondes.
@La poule pondeuse, OK, c’est à potasser…
Biberons et récipients en verre pour nous aussi depuis le début 😀
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