Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


« « Préc. Bien s’installer pour allaiter    |     Suiv. Injustice » »

Vous êtes ce que votre mère mange

Par  • Le 25 avril 2008 à 15:07 • Catégorie : Grossesse

Quelques précisions sur une publication scientifique qui a eu un certain succès médiatique ces derniers temps, mais qui peut facilement prêter à des interprétations un peu délirantes : You are what your mother eats: evidence for maternal preconception diet influencing foetal sex in humans, qu’on pourrait traduire par Vous êtes ce que votre mère mange : preuves de l’influence du régime maternel pré-conception sur le sexe du fœtus chez l’homme (résumé ici). Evidemment le titre est un peu racoleur mais c’est la dure loi de la science : un jeu de mots à deux balles ou une affirmation un peu provocante augmentent significativement les chances d’être publié dans une bonne revue, et ensuite de se voir interviewé par la presse généraliste. A ce propos, j’ajouterai que la revue où cet article a été publié (Proceedings of the Royal Society of London, B) est un journal généraliste en biologie, particulièrement réputé en sciences de l’évolution. Donc l’article a été soumis à la rigoureuse évaluation d’au moins deux confrères concurrents des auteurs avant d’être accepté, tout ça pour vous dire que ça n’est pas juste le premier torchon venu. J’ajouterai enfin que j’ai moi-même lu ce papier (et pas juste le résumé), et que je dispose d’une version pdf que j’enverrai à tous ceux que ça intéresse par email (cliquer sur le gros téléphone à gauche).

Quelles sont les principales conclusions de cet article ? En comparant le régime maternel pré-conception, il apparaît que les femmes ayant une alimentation plus riche (tant en énergie qu’en micronutriments –vitamines et autres), et notamment celles qui mangent des céréales de petit déjeuner, ont plus de chances d’avoir un garçon que les autres. Cet effet est cependant modéré : on observe 56% de garçons chez le tiers des femmes avec l’alimentation la plus riche contre 45 % chez le tiers avec l’alimentation la moins calorique.

 

Petite précision : c’est le chromosome X ou Y du spermatozoïde qui va déterminer le sexe de l’enfant, puisque tous les ovules sont X. Cependant, on sait que l’ovule et plus généralement les conditions physico-chimiques sur le « chemin » jusqu’à lui ont une grande influence sur la sélection du spermatozoïde gagnant. En outre, le corps de la mère peut éliminer sélectivement l’embryon dans les jours qui suivent la conception (notamment en cas de défaut génétique). D’où le rôle maternel dans le sexe de l’enfant à venir.

 

Si vous souhaitez choisir le sexe de votre futur enfant, vous conviendrez donc que ces résultats, quoi que prometteurs, vous laissent encore une grande part de hasard. En même temps ce n’est pas le but de cette étude. Il s’agit de travaux en sciences de l’évolution, dont le but est de comprendre quels facteurs peuvent influencer le sex ratio en général, et pas de permettre à Mme Schmoldu d’avoir enfin le fils dont son mari rêve pour transmettre ce précieux patronyme. En effet, on a constaté depuis quelques décennies que le sex ratio à la naissance penche de plus en plus en faveur des filles, alors qu’il est naturellement de 105 pour 100 en faveur des garçons (ceux-ci étant de petites choses fragiles ont plus de mal à atteindre l’âge reproducteur). Il semble donc important de comprendre les raisons de ce phénomène avant de nous retrouver avec une situation déséquilibrée, comme en Chine ou en Inde (mais inversée).

 

Le mécanisme évolutif proposé et généralement admis est le suivant. D’abord un petit rappel sur la théorie de l’évolution : contrairement à ce qu’on lit partout, les individus n’ont strictement rien à carrer de la perpétuation de leur espèce. Ce qui les intéresse c’est la perpétuation et la multiplication de leurs gènes (notons que ceci peut en parallèle contribuer à la perpétuation de l’espèce mais ce n’est pas le moteur). Faire un garçon est plus coûteux et plus risqué qu’une fille : les garçons ont besoin de plus de nourriture, ils ont plus d’accidents, ils sont moins résistants aux maladies. Par contre, le potentiel reproducteur d’un mâle est bien supérieur à celui d’une femelle, pas besoin de vous faire un dessin. Ainsi en période de disette mieux vaut opter pour la sécurité (une fille), alors qu’en période faste on peut faire un pari plus audacieux (un garçon).

 

Quelques détails intéressants (en vrac) sur le protocole et les résultats de l’étude :

  • Au niveau du régime alimentaire pré-conception, les éléments pour lesquels on trouve une différence significative entre bébé fille et bébé garçon sont : énergie, glucides, protéines, fer, zinc, sodium, potassium et calcium. Et c’est toujours plus élevé chez les mères de garçons.
  • Le régime alimentaire a également été suivi pendant le début de la grossesse, mais aucune différence n’a été trouvée. Le sexe du fœtus/embryon ne semble donc pas influencer le régime maternel. 
  • Les auteurs ont croisé ces données avec un grand nombre d’autres facteurs concernant les mères : tabagisme, âge, supplémentation en folate avant la conception, éducation, poids, taille et IMC avant la conception et à 14 semaines de gestation. Aucun impact significatif de ces variables n’a été observé. Notons que la parturiente moyenne dans cette étude a 25.8 ans et pèse environ 62 kg pour 1.64 m (avant bébé). Et que bien que les mères de garçons aient en moyenne mangé plus riche que les mères de filles, elles ne pesaient que 200g de plus avant la grossesse (ça c’est le vrai scoop de cette étude !).
  • Aucune des mères ne connaissait le sexe de son bébé lorsqu’elles ont répondu au questionnaire, et les données « pré-conception » portent sur l’année précédente.
  • Toutes les femmes ayant participé étaient blanches et primipares, car tant le groupe ethnique que le rang de naissance (de l’enfant) peuvent influencer le sexe du fœtus (mais il n’est pas précisé dans quel sens).
  • L’impact des céréales est selon les auteurs représentatif de l’impact du petit déjeuner, puisqu’au Royaume-Uni (lieu de l’étude) cela semble d’une part le principal aliment du petit déjeuner, et d’autre part le petit déjeuner semble le principal moment auquel on les consommerait.
  • A noter que les femmes observées étaient globalement bien nourries et que personne ne mourrait de faim. Il est probable que des effets encore plus marqués seraient observés s’il y avait une vraie disette.

 

Evidemment, le sexe du fœtus est le résultat d’un ensemble de facteurs (parmi lesquels le hasard tient probablement une bonne place) : hormones (et perturbateurs endocriniens), stress, ou timing relatif entre insémination et conception (les spermatozoïdes ayant une durée de vie de quelques jours dans les voies génitales féminines, le jour du rapport n’est pas forcément celui de la fécondation) sont parmi les plus souvent évoqués. Les auteurs notent cependant que la diminution du nombre de garçons à la naissance dans les pays occidentaux est corrélée avec celle du nombre de personnes prenant un petit déjeuner, ainsi qu’à une tendance à la restriction des apports alimentaires (vous savez, le fameux « spécial maigrir pour être la plus belle en maillot perdez ces 2 kg qui vous défigurent en une semaine »).

 

En conclusion : il est probablement peu efficace de se taper consciencieusement son bol de corn flakes tous les matins pour avoir un garçon (ou de se serrer la ceinture toute la journée si on veut une fille). Cela ne changera probablement pas grand chose à la probabilité habituelle de 1/2. Par contre, il est important que notre société réfléchisse aux implications de la dérive du sex ratio et aux moyens pour la contrer si ces conséquences apparaissent inacceptables. Ce type d’étude me semble donc tout à fait pertinent dans cette optique.

 

Tagged as: , , , , , , , ,


« « Préc. Bien s’installer pour allaiter    |     Suiv. Injustice » »

Comments are closed.


« « Préc. Bien s’installer pour allaiter    |     Suiv. Injustice » »