Posts Tagged ‘Sarah Blaffer Hrdy’

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dimanche, avril 19th, 2009

122-sans-tele1211464398 Grâce aux fidèles lectrices de ce blog, je n’ai plus besoin de suivre le programme télé. Génial ! (parce que d’habitude je suis au courant des émissions intéressantes APRES leur passage, super)

Donc :

  • Dimanche 19 avril 2009 (ce soir !) à 22h50 (jusqu’à 0h30) sur France 3 : Maternité : le combat des femmes handicapées. Résumé : Le choix de devenir parents pour des personnes handicapées est souvent un choix controversé dans la société. Des préjugés familiaux, des avis médicaux font renoncer beaucoup de femmes à leur désir d’enfant, même s’il s’avère qu’il n’y aucun risque de transmission du handicap. Ce documentaire suit la maternité de quatre mamans handicapées et de leurs compagnons, du début de la grossesse à la naissance. Florence est attenteinte d’ostéogenèse, la maladie des os de verre. Avec son compagnon, elle affronte la question de la transmission de sa maladie à son bébé. Sandra est atteinte d’une maladie génétique et elle est déficiente intellectuelle légère. Stéphanie et Yannick sont tous deux aveugles. Marie-Antoinette, gravement handicapée, doit mettre sa vie en danger pour avoir un enfant.
  • Lundi 20 avril (demain donc) à 23h55 (jusqu’à 0h50) : Il était une fois l’instinct maternel. Résumé : Qu’est-ce que l’amour maternel? Le mythe fondateur de la nature féminine? L’expression d’un mystérieux instinct? La primatologue Sarah Blaffer Hardy partage sa vision originale et novatrice de la maternité. Depuis les temps les plus reculés, la femme doit effectuer un arbitrage au moment de devenir mère. Que va lui «coûter» cet enfant? Que va-t-il lui rapporter? Quel soutien ceux qui l’entourent sont-ils susceptibles de lui apporter?
  • Pour les Parisiens : Exposition Ode aux mères au Réfectoire des cordeliers du 15 avril au 7 mai. Plus d’infos sur le site du réfectoire des cordeliers. Voici le petit laïus du Monde : Femmes enceintes et jeunes mères ont, de tout temps et sur tous les continents, fasciné les artistes. L’université Paris-Descartes, dans son exposition « Maternités, un monde d’amour et de tendresse », propose une sélection de cinquante œuvres, simples objets du quotidien ou vrais chefs-d’oeuvre : une douce vierge à l’enfant sculptée du XVIe siècle, une fine statue en bois du Nigeria de l’ethnie Yorouba, une « princesse des nuages bigarrés » confectionnée en Chine en bois polychrome sous la dynastie des Ming (1368-1644), ou encore cette photo d’une Panaméenne qui allaite, prise par le photographe Patrick de Wilde… Ces oeuvres, chargées d’émotion, en bois, terre cuite, pierre, etc., « témoignent de la prééminence et de la force du lien maternel« , souligne Yvan Brohard, commissaire de l’exposition, et sont « un hymne à la tendresse et à la vie ».

Comptez sur moi pour vous reparler de tout ça si j’ai l’occasion d’en (sa)voir plus.

Et merci à Clemys, Gaëlle et Marmousette pour les infos !

(Dessin : un peu hors-sujet mais j’adore Martin Vidberg et ses patates alors c’est une occasion de lui faire un peu de pub à ma petite échelle)

Nouveau Sarah Blaffer Hrdy

vendredi, mars 20th, 2009

sbh Sous ce titre un peu énigmatique pour les non initiés se cache une nouvelle qui me rend excitée comme une puce : Sarah Blaffer Hrdy, la géniale auteur des Instincts maternels (voir mon billet sur ce livre) va sortir un nouveau livre en avril ! Je suis aussi impatiente qu’une pré-adolescente avant un concert de Tokyo Hotel (Biiiiiiiiiiiiiiill ! Ich liebe dich d’amouuuuuuuuuur !). Et il a l’air top. Son titre : Mothers and Others: The Evolutionary Origins of Mutual Understanding (Les mères et les autres : les origines évolutives de la compréhension mutuelle). Le résumé du New York Times est alléchant : SBH nous présente l’espèce humaine comme ayant une « reproduction coopérative », ce qui serait tout à fait original par rapport aux autres primates. Ainsi, les humains auraient évolué jusqu’à être extrêmement sociaux et altruistes (mais si, mais si) pour maximiser la survie de leurs bébés.  Ceci expliquerait aussi que l’être humain soit tout à fait pacifiste par rapport aux autres grands singes (puisqu’on vous le dit) : apparemment prendre l’avion avec des chimpanzés ferait prendre un risque de se retrouvé écartelé ou démembré tout à fait significatif. Voilà déjà la couverture (le livre est en pré-commande sur Amazon) :

mothers-and-others

Bref j’ai l’impression que ça va encore décaper un certain nombre d’idées reçues ! Et comptez sur moi pour vous en raconter plus quand le livre sera sorti.

(Photo de Sarah Blaffer Hrdy trouvée sur American Scientist : et en plus c’est même pas une professeure à moustache !)

Le melon à deux pattes

lundi, mars 9th, 2009

Ou : pourquoi l’accouchement humain est-il si particulier ? Ces derniers temps, dans la plupart des pays occidentaux (dont la France) tendent à s’affronter deux positions opposées sur la naissance : c’est un moment dangereux qui doit être bien contrôlé médicalement (les plus extrêmes préférant passer d’office par la césarienne de convenance) vs. c’est parfaitement naturel et la plupart du temps il n’y a rien à faire (les plus extrêmes accouchant volontairement sans aucune assistance médicale). Personnellement je n’aime pas les extrêmes, ni dans ce domaine ni dans un autre (à part peut-être les hommes extrêmement beaux ? ou la bouffe extrêmement bonne ?). J’ajouterai aussi que ce débat a un petit côté « méga problème de riche » (MPR, (c) Alix Girod de l’Ain), puisque l’OMS nous informe que la mortalité périnatale fauche chaque jour 1500 femmes et 10 000 bébés par jour faute de soins appropriés. Ceci étant dit, ça ne doit pas nous empêcher de faire de notre mieux chez nous.

Mais revenons à nos moutons : pourquoi est-ce si compliqué pour une femme d’accoucher, par rapport à une chatte ou une brebis justement ? Deux raisons principales :

  • L’être humain est bipède, ce qui fait que d’une part il a un bassin tout bizarre et que d’autre part la femme a la gravité contre elle pour garder le bébé au chaud pendant neuf mois, ce qui implique d’avoir un col de l’utérus super tonique (et donc plus difficile à ouvrir au moment M).
  • L’être humain est très très intelligent et a donc un gros crâne pour caser toute cette intelligence (voir ici une page web très moche mais qui permet de comparer la taille du cerveau par rapport à la taille totale chez différents animaux).

Cette double contrainte est parfaitement illustrée par la figure suivante, tirée du livre de Sarah Blaffer Hrdy Les instincts maternels (dont nous avons déjà parlé ici) :

crane_naissance

Le rond noir représente la tête du bébé, et le cercle (l’ellipse devrais-je dire) vide le bassin maternel. On aurait presque envie d’être réincarnée en gorille en voyant ça, et la légende de la figure nous apprend d’ailleurs que le travail dure en moyenne 20 minutes chez ces guenons (je ne révèlerai pas ici la durée de mon propre travail de peur d’entraîner une chute de la natalité chez les lectrices, mais on parle ici de 8 à 14 heures pour un premier accouchement).

L’accouchement humain nécessite donc d’une part une première phase de dilatation du col durant généralement plusieurs heures, pendant lesquelles il faut un certain nombre de contractions efficaces (c’est le mot officiel pour « douloureuses », donc souvent fatigantes), et d’autre part que le bébé se fraie un chemin à travers le bassin de sa mère en se mettant pile dans l’axe adéquat (qui n’est pas le même selon les étapes). A la préparation à l’accouchement que j’ai suivie, la sage-femme nous avait fait une démo avec un poupon et un squelette de bassin, c’était assez impressionnant. Vous pouvez voir ici quelques explications (en anglais avec photos de maquettes).

Bien sûr, et nous sommes ici pour en témoigner, des millions de femmes ont donné naissance sans problème (et sans assistance) avant nous. En outre, nous n’avons aucun contrôle conscient sur ces étapes (de la même façon qu’on ne peut pas arrêter son coeur ou sa digestion, on ne contrôle pas ses contractions utérines ou l’ouverture de son col) et il semble que mettre en veilleuse notre intellect aide à obtenir une progression favorable. Rappelons aussi que la naissance peut être un moment de plaisir pour la mère. Mais il me semble tout simplement erronné de dire qu’il suffit de faire comme les autres mammifères qui n’ont ni obstétricien ni péridurale pour accoucher.

Les instincts maternels, bonus track

jeudi, janvier 15th, 2009

Un post rapide pour vous signaler un article très intéressant de Libé : La mort cachée des bébés. On y apprend notamment que derrière la mort subite du nourrisson se cachent des actes de maltraitance et des infanticides. Selon les auteurs, un quart à un tiers de ces morts subites seraient en réalité des infanticides, plus ou moins conscients et intentionnels (syndrôme du bébé secoué, négligence grossière…). C’est également la thèse de Sarah Blaffer Hrdy dans Les instincts maternels, l’article tombe donc à point pour compléter cette lecture. Dommage que Libé n’y fasse pas référence !

Et sur ce sujet difficile, cette histoire horrible qui dépasse l’entendement : en Louisiane, une baby sitter a mis un bébé de 5 mois au sèche-linge (oui, dans la machine qui sèche le linge) ET appuyé sur « start » pour pouvoir regarder la télé tranquille. Le bébé est mort. Et ce n’est pas tout : elle a elle-même un fils d’un an (qui était enfermé dans une autre pièce avec le grand frère du bébé au moment des faits), qui grandira sans sa mère, puisqu’elle va donc très probablement passer sa vie en prison. Je vous laisse, j’ai un petit déjeuner à vomir.

Les instincts maternels

mardi, janvier 13th, 2009

instincts_maternels La lecture de L’amour en plus, d’Elisabeth Badinter, m’avait donné envie d’en savoir plus sur la question de l’instinct maternel. Je me suis donc plongée dans Les instincts maternels, de Sarah Blaffer Hrdy (titre original : Mother Nature. A History of Mothers, Infants and Natural Selection). Autant vous le dire tout de suite, je n’ai pas été déçue. Ce livre est absolument passionnant, et je le recommande à tous : femmes, hommes, parents, non parents. Et bien qu’extrêmement bien documenté et fouillé, avec de solides références scientifiques, il me semble plutôt abordable et agréable à lire pour le novice. Primatologue et anthropologue, Sarah Blaffer Hrdy (non, je ne sais pas comment ça se prononce) rassemble notre connaissance des animaux (et en particulier des primates) et des hommes à travers le monde, à la lumière de la sociobiologie, pour comprendre la part de notre biologie dans notre comportement autour de la reproduction. En gros, on peut dire qu’elle essaie de dégager la base commune à tous les Homo sapiens sapiens de ces comportements, hors des modifications culturelles. Ou encore : l’homme a-t-il un « programme naturel » ? Et si oui, quel est-il ?

Je trouve ce type d’approche incontournable, car comment pouvons-nous exercer notre libre arbitre si nous ne connaissons pas nos motivations archaïques, celles qui sont inscrites au plus profond de notre être ? Attention, loin de moi (et il me semble de S. Blaffer Hrdy) l’idée de dire que nous devons suivre à la lettre ces instincts, puisque d’une part ils ont évolué dans des conditions qui ne sont pas celles que nous connaissons actuellement (et donc ne sont peut-être plus optimaux aujourd’hui), et d’autre part ce n’est pas pour rien que nous sommes doté de la capacité d’aller à l’encontre de ces instincts justement. Et puis pour quiconque est intéressé par le maternage, et veut agir suivant ses instincts, je trouve que ce type de mise en perspective est presque indispensable. Cela peut être aussi le moyen de clouer le bec à un certains nombres d’idées reçues sur le sujet, comme nous allons le voir.

Rappelons aussi que la théorie de la sélection de groupe, selon laquelle notamment les individus agiraient « pour le bien/la préservation de l’espèce », a été écartée il y a quelque temps déjà, même si elle ressort régulièrement deci delà. La vision actuelle de l’évolution est plus proche de celle de Richard Dawkins dans Le gène égoïste (autre lecture que je vous recommande) : en gros les individus agissent pour in fine maximiser la reproduction de leurs gènes et c’est tout. L’espèce, rien à carrer.

Ceci étant dit, il n’est pas question de faire ici un compte-rendu exhaustif de ce livre, que j’engage plutôt chacun à lire lui-même, même si je ne résiste pas à vous citer quelques unes de ses conclusions. Une des idées importantes développées est que les humains, comme la plupart des êtres vivants, et notamment ceux dont la reproduction est très coûteuse (grands mammifères principalement), ont toujours eu recours au planning familial. L‘allaitement est notamment un bon moyen d’espacer les naissances (même si ça n’est pas toujours très fiable, voir par exemple ce feuillet de la Leche League pour plus de détails) : en effet un jeune enfant est un lourd fardeau pour la mère (rappelons qu’un allaitement exclusif coûte environ 500 calories par jour, ce qui est deux fois plus que la grossesse au troisième trimestre), et en assumer deux à la fois risque d’entraîner la mort des deux, voire de la mère (on parle ici des conditions préhistoriques lors de l’évolution des hominidés, pas de notre société occidentale où la bouffe coule à flots). En parallèle, la condition physique de la mère détermine également sa fécondité : pas assez de graisse, trop d’efforts physiques peuvent arrêter l’ovulation (actuellement on retrouve cette influence dans les aménorrhées plus fréquentes chez les anorexiques et les sportives de haut niveau, notamment marathoniennes).

Toutes ces dispositions n’empêchent pas qu’un enfant puisse arriver à un moment où la mère ne peut s’en occuper, et là l’auteur accumule un faisceau de preuves assez convaincant pour montrer que l‘infanticide est bien plus répandu qu’on le croit, dans le monde animal mais également chez les humains, et aussi bien les bons sauvages bien connectés à leurs instincts que les bons Chrétiens allant à l’église tous les dimanches. Par infanticide on recouvre ici une large palette de comportements plus ou moins actifs : abandon, envoi en nourrice, non allaitement (on parle là d’un contexte où l’allaitement est essentiel à la survie de l’enfant, pas de l’Occident au XXIème siècle)… L’enfant humain est en effet si dépendant qu’il suffit la plupart du temps que sa mère s’en désintéresse pour qu’il meure, sans qu’elle ait à lui porter activement un coup fatal.

C’est dans cette décision que le cerveau conscient intervient : la mère peut évaluer au mieux en fonction des conditions actuelles les chances de survie de l’enfant, et si il vaut le coup qu’elle consente à l’énorme investissement qu’il demande. Parmi les critères de décision se trouvent aussi bien des facteurs extérieurs (ressources, aide dont pourra bénéficier la mère…) que propres à l’enfant (santé, sexe, malformations, poids…). L’auteur note ainsi que les nouveaux-nés humains sont extrêmement gras par rapport aux autres petits primates, et que les adultes ont tendance à trouver cette graisse séduisante (par exemple, on dit « un beau bébé » pour  un bébé bien potelé) ; or la survie d’un bébé est notamment corrélée à son poids de naissance, indépendamment de sa prématurité éventuelle (même si c’en est aussi un indicateur).

Par ailleurs, l’infanticide n’est pas l’apanage des mères : les hommes peuvent également y avoir recours, notamment lorsqu’ils veulent qu’une femme allaitant un enfant qui n’est pas le leur redevienne fertile. Ce serait d’ailleurs l’explication à la peur des inconnus manifestée par les tout petits : crainte du mâle infanticide. L’auteur note que cette peur est innée, contrairement à celle des prédateurs qui est apprise auprès des parents. Enfin, il est bien entendu que l’explication des comportements infanticides par la biologie et l’évolution n’en est pas une justification morale ; les moyens modernes de contraception sont un moyen bien plus acceptable d’organiser le planning familial, qui semble lui incontournable (à part chez les Duggar…).

Un autre élément intéressant est que l’élevage d’un enfant, et en particulier d’un nouveau-né, requiert tellement d’énergie et de calories qu’il ne peut pas être assumé par une mère seule (toujours dans les conditions préhistoriques…) : celle-ci doit bénéficier de l’aide d' »allomères », qui peuvent être des femmes de sa famille (plus jeunes qui s’entraînent ou au contraire grands-mères qui veillent sur leur descendance) ou des hommes (généralement le ou les père(s) potentiel(s)). Cette aide peut se manifester de plusieurs façons : garde de l’enfant pendant que la mère cherche de la nourriture, ou au contraire aider la mère à trouver plus de ressources, avec toutes sortes de situations intermédiaires, en lien direct avec l’organisation de la société considérée (matrilinéaire, patriarcale, polygame, etc). L’auteur note d’ailleurs que la monogamie est un bon compromis (le meilleur ?) pour l’ensemble des parties (père, mère et enfant).

L’explication des comportements altruistes des allomères se trouve dans la sélection de parentèle : il est rentable d’aider la descendance d’une personne de votre famille (donc qui partage une certaine proportion de vos gènes) si le coût qui vous incombe est inférieur au bénéfice que vous en retirez, pondéré par votre lien de parenté. De façon plus générale, l’explication des comportements altruistes est loin d’être  incompatible avec la théorie du gène égoïste, même si c’est assurément un des grands défis de cette science.

L’auteur nous parle également d’attachement et revient notamment sur l’opposition historique entre féministes et théoriciens de l’attachement, les premières reprochant aux seconds de vouloir les enfermer aux fourneaux avec les mômes. Mais nous ne pouvons pas rejeter une théorie aussi bien étayée juste parce qu’elle ne nous arrange pas ou parce que certains de ses tenants ont des tendances machistes. Oui, les enfants, comme les autres petits primates, sont des créatures d’attachement, qui en plus de sécurité physique ont besoin de sécurité émotive. Je ne résiste pas à vous citer ce passage :

Les bébés n’ont aucun moyen de savoir que la mère qui est partie travailler n’est pas morte, que les tigres à dents de sabre ont disparu, les jaguars sont plutôt rares, l’abandon illégal, et que très peu de mères modernes envisagent cette dernière solution. Car les bébés sont conçus pour être comme si les biberons n’avaient jamais été inventés, et aucune loi jamais votée.

Avant qu’Elisabeth et Marianne n’accourent, je précise tout de suite que Sarah Blaffer Hrdy (tout comme Gordon Neufeld) nous rappelle que ce n’est pas parce que cette réalité est incontournable que les femmes doivent rester au foyer : le vrai défi est de trouver des modes de garde de qualité qui permettent de développer une bonne relation d’attachement entre l’enfant et ses parents. Voir cet autre passage :

Si de multiples gardiens sont impliqués tôt dans la vie, il arrive souvent que l’enfant en choisisse un avec qui former une relation primaire. Pourtant, les enfants sont assez flexibles sur ce point. Tous les gardiens précoces deviennent les équivalents émotionnels de la parenté. Tout gardien est capable de passer le message que recherchent désespérément les bébés  – « On veut bien de toi et on ne te laissera pas tomber » – message qui suscite le sentiment de sécurité de l’enfant – une épée à double tranchant lorsqu’une allomère disparaît soudain.

[…] Ils [les théories de Bowlby, le pape de l’attachement] ne découragent pas les mères d’avoir recours aux crèches, mais ils poussent fortement à ce que la crèche ressemble à la famille, avec une série stable de personnages et une atmosphère qui offre à l’enfant un sentiment d’appartenance.

Notons aussi que les hommes semblent tout aussi capables de materner que les femmes : la seule différence (mis à part les nénés) est qu’ils réagissent à un seuil de stimulation des demandes de l’enfant un peu plus élevé que celui des femmes. Et donc, comme la femme réagit en premier, c’est toujours elle qui s’occupe de l’enfant et finalement les capacités de parentage masculine restent latentes dans la plupart des cas (mais rien d’irréversible, qu’on se rassure). Donc Mesdames, bouchez-vous les oreilles et laissez Monsieur se lever.

Pour en revenir à l’attachement et au lien si particulier qu’il entraîne, notamment entre la mère et son enfant, comment expliquer l’infanticide maternel malgré ce lien ? Il faut donc savoir que le lien n’est pas automatique à la naissance, mais se construit au fur et à mesure. L’infanticide, quand il a lieu, se produit donc généralement dans les heures suivant la naissance, et plus la mère passe de temps avec l’enfant et plus la probabilité qu’elle l’abandonne diminue. Ceci dit, l’auteur insiste pour qu’on évite la confusion entre l’attachement, dont la construction chez l’humain est subtile et progressive, et l’empreinte, qui caractérise plutôt les oisons de Konrad Lorenz qui considèrent comme leur mère la première chose qu’ils voient en sortant de l’oeuf. Par exemple, le peau à peau mère-enfant juste après la naissance est reconnu pour favoriser grandement l’établissement de ce lien (et l’allaitement) mais ce n’est une condition ni nécessaire, ni suffisante, pour l’un comme pour l’autre.

Bref, il y aurait encore bien des choses passionnantes à vous raconter, mais après avoir renouvelé mon emprunt à la bibliothèque, je crois que je vais l’acheter…

L’amour en plus

lundi, décembre 1st, 2008

N’allez pas croire que je ne lis que des magazines (y compris people). Sur les conseils d’un des rares commentateurs masculins de ce blog (le copain de la poule sage-femme ou CDLPSF pour les intimes), j’ai lu L’amour en plus, d’Elisabeth Badinter. Épouse du plus grand garde des sceaux connu par la France -avec qui elle a eu trois enfants-, elle est philosophe et féministe. Elle a récemment fait couler beaucoup d’encre (virtuelle) suite à des propos tenus dans le magazine Elle, puis dans le fameux article de Marianne, où elle interprète comme un retour en arrière la tendance croissante des femmes à s’investir plus dans la maternité (allaitement prolongé, congé parental, refus de la pilule…). Nous y reviendrons plus tard (probablement demain) et cela ne nous empêche pas de nous intéresser au travail historique réalisé par la philosophe dans L’amour en plus.

L’auteur y brosse l’évolution de l’amour maternel en France, ou plus exactement de la façon dont les femmes se sont occupées de leurs enfants du XVIIème au XXème siècle (le livre date de 1980). Ce travail historique lui permet finalement d’argumenter la thèse selon laquelle l’instinct maternel est une invention de la société patriarcale et misogyne pour enfermer les femmes au foyer, enfouies sous les couches sales. Autant vous prévenir tout de suite, ce livre est assez déprimant : la condition des femmes et des enfants jusqu’à la fin du XXème siècle n’est pas très reluisante.

La description des pratiques de mise en nourrice fait froid dans le dos. Le nouveau-né de quelques jours était envoyé à la campagne rejoindre la première nourrice qu’on trouvait (et apparemment on mettait plus d’application à choisir son palefrenier ou sa cuisinière), puis on ne voulait plus en entendre parler jusqu’au sevrage. La nourrice elle abandonnait ou délaissait souvent son propre nouveau-né pour privilégier les soins de son petit pensionnaire. Ce dernier, lorsqu’il repartait sans transition vers sa famille « de sang » qu’il n’avait jamais connue, se voyait alors rapidement renvoyé en pension. Ces pratiques n’étaient pas l’apanage des riches indolentes mais étaient également répandues dans les classes populaires où les femmes ne pouvaient pas travailler avec leurs enfants. En plus, à l’époque, l’enfant était considéré au mieux comme quantité négligeable et méprisable, au pire comme le porteur du pêché originel, un être vicieux à réformer d’urgence (d’après saint (??) Augustin : « Si on lui laissait faire ce qui lui plaît, il n’est pas de crime où on ne le verrait se précipiter. » Finalement Naouri est assez soft non ?).

En 1762, Rousseau (vous savez, celui qui a abandonné tous ses enfants…) publie Emile, ou de l’éducation, qui marque un changement de paradigme et une évolution des moeurs : les créations de la Nature sont pures, c’est la société qui les dévoie. Comme il le dit dans l’Emile : « Posons pour maxime que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain. Il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il est entré. »

On déterre alors le concept d’amour maternel, qui avait été largement nié jusque là, pour faire pendant à l’autorité paternelle. Cette dernière avait été valorisée pour produire des sujets dociles au Roi (puisque dociles à leur père, représentant du Roi dans le foyer). Cependant le désintérêt pour le devenir des enfants avait entraîné des records de mortalité infantile, et face à la catastrophe démographique le salut passera par le réinvestissement des mères dans la survie de leur progéniture. Les penseurs (toujours des hommes bien sûr) décidèrent que les femmes du XVIIIème siècle étaient des anormales qui avaient tourné le dos à la nature, au lieu de prendre exemple sur les femelles animales qui elles s’occupent bien de leurs petits (et je rejoins Elisabeth Badinter sur ce point : ce n’est pas parce qu’on est des mammifères qu’on doit nous comparer à des chattes ou à des chiennes).

L’allaitement maternel devient alors un enjeu crucial (notez qu’à l’époque il était opposé à l’allaitement par la nourrice, pas aux laits infantiles qui n’existaient pas -même si on trouvait déjà l’ancêtre du biberon qui faisait des ravages sanitaires). On promet aux mères qui le pratiquent qu’elles seront belles, aimées de leur mari, heureuses, qu’elles feront des économies et seront montrées en exemples de vertu. Qu’elles refusent et gare à elles : la rétention du lait maternel les rendra malades (voire les tuera) et Dieu les rejettera.

Évidemment tout ceci est plutôt positif pour les enfants, dont la position sociale a connu un bouleversement complet. Mais était-il pour autant nécessaire d’en charger entièrement et uniquement la mère (celle-ci étant même responsable du comportement du père : si celui-ci ne tient pas bien son rôle, c’est qu’elle-même n’assure pas bien le sien) ? La femme qui veut travailler ou même s’instruire intellectuellement est d’ailleurs très mal vue à l’époque. Ce n’est pas le fait que la mère s’occupe de ses enfants qui est choquant, mais bel et bien qu’elle n’ait pas d’autre issue. Sans compter la conception de la femme comme un être inférieur (largement illustrée par des citations à dresser les cheveux sur la tête) sous-jacente à cette morale.

Je pense qu’il est vraiment intéressant, voire crucial, d’avoir connaissance de ce (lourd) passé, qui n’est à ma connaissance pas enseigné dans les écoles. Il me semble aussi que cela permet de mieux comprendre les dernières interventions d’Elisabeth Badinter, sans pour autant adhérer à tous ses propos. Enfin le livre défend la thèse selon laquelle l’amour (ou plutôt l’instinct ?) maternel n’existe pas. A mon humble avis, ce concept d’amour maternel est en fait celui d’attachement (dont nous avons déjà parlé en ces lieux). Or nous savons maintenant que l’établissement de ce lien entre la mère et l’enfant est le fruit d’interactions complexes, tant hormonales (voir par exemple le rôle de l’ocytocine) que psychiques. Un contact quasi-permanent avec le nouveau-né juste après la naissance est notamment un facteur important : si l’enfant est séparé de sa mère à peine sorti du ventre pour être envoyé en nourrice à la campagne et qu’elle n’en entend pour ainsi dire plus parler pendant deux ou trois ans, il est certain que ça ne favorise pas vraiment l’établissement d’un vrai lien d’attachement.

En farfouillant sur le net, j’ai trouvé cet article sur le sujet (que je vous invite à lire), qui s’appuie sur les thèses développées par Sarah Blaffer Hrdy dans Les instincts maternels. Primatologue, et anthropologue, mais aussi féministe, celle-ci revisite la question en s’appuyant sur des données scientifiques plutôt qu’historiques. Autant vous le dire tout de suite, ce livre est bien placé dans ma liste « à lire », et en plus il est à la bibliothèque. Promis, je vous raconterai.