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Boire ou se reproduire, faut-il choisir ?

mardi, novembre 1st, 2011

Un récent dossier de la revue médicale Prescrire relance le débat : peut-on boire (de l’alcool, what else ?) pendant la grossesse  ? Il faut savoir tout d’abord que Prescrire jouit d’un prestige important au sein de la communauté médicale française (plus que Top Santé par exemple…), étant un des rares lieux de débat scientifique médical exempt de l’influence de l’omniprésente industrie pharmaceutique. Ses recommandations sont donc le fruit d’une étude poussée et critique de la littérature internationale. Je n’ai pas accès à l’intégralité du dossier, n’étant pas abonnée, mais le résumé public, s’il rappelle bien sûr les risques liés à la consommation excessive d’alcool, ne recommande pas pour autant l’abstinence totale :

En pratique, il est important d’informer des risques liés à la consommation d’alcool durant la grossesse, mais de manière nuancée, sans culpabiliser d’une éventuelle consommation minime d’alcool. Cette information répétée semble utile pour réduire la consommation des femmes qui ont une consommation à risque. En leur conseillant de ne pas dépasser 4 verres par semaine, et 2 verres en une occasion.

Alors, après avoir appris qu’on se privait de fromages au lait cru pour de mauvaises raisons, va-t-on découvrir qu’on s’abstient en vain d’un bon verre de vin ? Rappelons d’abord que l’alcool ne pose potentiellement problème qu’à partir du moment où la circulation sanguine maternelle se connecte à celle de l’embryon, soit entre deux et trois semaines de grossesse (soit le moment où en théorie vous observez un retard de règles et faites votre test : qui a dit que la nature était mal faite ?).

Par ailleurs, une étude a même montré de meilleurs résultats pour les enfants dont les mères avait bu un peu d’alcool pendant la grossesse (1-2 verres par semaine) par rapport à ceux dont la mère s’était abstenue ; de là à encourager un petit verre aux femmes enceintes…

Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que -contrairement à beaucoup de molécules actuellement médiatisées, comme BPA, parabens etc- la toxicité de l’alcool est tout à fait avérée. Il est notamment reconnu comme « cancérogène pour l’homme » (Groupe 1 du CIRC, soit le plus haut niveau de certitude) et comme tératogène (c’est-à-dire qu’il provoque des malformations congénitales).

Je trouve également intéressant de s’intéresser à ce qu’on sait sur l’impact de l’alcool via le lait maternel. Celui-ci est moins important que lors de la grossesse, puisqu’il y a un effet de dilution (le foetus partage le sang maternel et est donc exposé à la même concentration en alcool, alors que le bébé allaité ingère le lait alcoolisé, celui-ci étant alors dilué dans son sang par l’appareil digestif). En outre, le bébé ne tète pas (toujours) en continu donc il peut éviter le moment où le lait est le plus concentré en alcool, alors que le foetus voit son sang renouvelé en permanence par la circulation maternelle via le placenta. Rappelons enfin que la concentration en alcool du lait est à peu près égale à celle du sang. Ainsi, la Leche league en compilant diverses études montre qu’on n’est pas obligée de complètement renoncer à l’alcool lorsqu’on allaite :

A court terme, l’absorption par la mère d’une dose d’alcool inférieure à 1 g/kg d’alcool pur ne posera généralement aucun problème au bébé allaité.

L’alcootest pour lait maternel Milkscreen se base quant à lui sur une limite de 0.03 % d’alcool dans le lait (notez que chaque rapport utilise une unité différente ce qui ne simplifie pas la comparaison ; mais cela correspondrait à un à deux verres « standard », selon les individus et les circonstances) au-delà de laquelle on observerait un changement des habitudes de sommeil et de tétée des nourrissons, mais ce seuil est également sujet à débat. On voit en tout cas qu’une dose peu importante peut affecter le comportement du bébé : même si cela n’est pas du même ordre qu’une malformation ou qu’un retard de croissance, je trouve que cela incite à la prudence, d’autant plus que comme on l’a vu le bébé allaité est moins exposé que le foetus et qu’il est également plus mature (donc plus résistant, notamment par la mise en place progressive de l’équipement enzymatique permettant de métaboliser l’alcool).

Bref, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés. Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire qu’un verre de vin pour toute la grossesse n’aura probablement pas d’impact visible sur le bébé, et pour dire qu’une bouteille de vin par jour ce n’est pas une bonne idée. Mais où est la limite entre les deux : c’est bien cela qui fait débat. Il est probable aussi que les variations individuelles soient trop importantes pour pouvoir fixer une limite claire et adéquate pour le plus grand nombre (autre que 0). Et dans le doute, on recommande de ne pas boire du tout. Je comprends la nécessité d’un message simple, surtout dans un pays où l’alcool est hyper banalisé (quoi ? la bière et le cidre ça compte comme de l’alcool ?), mais en même temps je déteste qu’on décide pour moi. Croit-on vraiment que les femmes sont incapables d’appréhender elles-mêmes ce type de problème ? Qu’elles n’ont pas le bien-être et la santé de leur bébé au coeur de leurs préoccupations ? Est-ce qu’on ne peut pas plutôt les laisser décider des risques qu’elles souhaitent prendre ou pas ? Quoi qu’il en soit, j’aime bien l’approche de Prescrire : « informer des risques (…) de manière nuancée, sans culpabiliser ». Et je ne vois pas pourquoi elle ne ferait pas consensus.

Image : « Attention : la consommation d’alcool peut entraîner la grossesse. » Et cet article est dédié à Mère Bordel à qui je pense à chaque fois que je vois une bouteille de vin…

Pour l’amour du risque

jeudi, janvier 13th, 2011

Nous sommes confrontés chaque jour à des choix, aux conséquences plus ou moins importantes. Une part majeure de notre décision est l’évaluation des risques associés à chacune des alternatives qui s’offrent à nous. En tant que parent, c’est d’autant plus difficile que nous sommes responsables d’une personne qui n’est pas encore en mesure de faire ses propres choix. Comme vous le savez si vous traînez depuis quelque temps dans la basse-cour, j’essaie de documenter et d’argumenter avec des faits les propositions que je fais ici, tentant à ma  mesure d’aider qui le souhaite à avoir un vrai choix éclairé. Cependant je ne peux que constater la logique pour le moins floue avec laquelle raisonne un certain nombre de mes concitoyens, y compris à des niveaux d’étude et de spécialisation auxquels l’esprit de Descartes est censé régner. Cela est particulièrement vrai pour tout ce qui touche aux enfants, la moindre remise en question de ce que nous avons fait ou projetons de faire étant souvent vécue comme une critique acerbe de notre compétence et même de notre bonne volonté  parentale (ou d’expert, pour le corps médical par exemple).

Prenons quelques exemples avec certaines pratiques, minoritaires sous nos latitudes et à notre époque. Le traitement des risques et des problèmes est très différent selon  l’alternative considérée. Intéressons-nous au sommeil de nos enfants, et aux décès qui peuvent y être associés, que ce soit par suffocation ou par mort subite du nourrisson. Si l’enfant meurt dans un berceau ou lit à barreaux, on cherchera à comprendre ce qui dans le couchage a pu causer son décès et si on ne trouve rien on blâmera le hasard. Si par contre son décès a lieu dans le lit parental, c’est forcément parce qu’il s’y trouvait et n’avait pas à y être. C’est du moins ce que diront certains des experts les plus écoutés, qui seront ensuite relayés par les médias puis par l’entourage des parents déjà durement éprouvés. Pourtant la logique voudrait qu’on conduise la même investigation dans les deux cas, afin de fournir des recommandations adéquates pour diminuer les risques. Par exemple, il est clair que nos lits d’adultes ne sont souvent pas conçus pour accueillir des tout petits, avec des risques de chute et de suffocation plus importants que dans les lits de bébés. Cependant, il est tout à fait possible de les aménager pour réduire ces risques. Mais on préfère dire que le cododo est dangereux. Sachant que la majorité de la population le pratique de toute façon à un moment ou un autre (quel parent ne s’est JAMAIS retrouvé avec un bébé dans son lit ?), ça ne me semble pas très productif. Ou alors il faudrait carrément interdire le sommeil des bébés, ça nous éviterait bien des prises de tête sur qui doit faire les nuits de qui, quand et surtout comment…

De la même façon, on ne parle que rarement des morts autour de la naissance à l’hôpital, qu’elles soient maternelles ou infantiles. Par contre, le moindre problème lors d’un accouchement à domicile est immédiatement relayé et imputé au choix du lieu de naissance. Ne doutons pas que si les maisons de naissance finissent par voir le jour, on ne leur fera pas de cadeau. On énumère toujours les risques inhérents à accoucher ailleurs qu’à l’hôpital, mais rarement de ceux qui découlent de ce lieu : accident sur la route (d’autant plus probable avec un conducteur stressé par la situation et d’autant plus grave que si le travail est avancé la femme risque de ne pas attacher sa ceinture pour mieux supporter les contractions pendant le trajet) et infections nosocomiales sont les plus évidents même s’il y en a d’autres. On peut ainsi trouver rassurant que le cœur du bébé soit écouté en continu par un appareil pendant l’accouchement (comme c’est généralement pratiqué dans les maternités) ; pourtant la Haute autorité de santé (HAS) nous informe que pour un accouchement non pathologique, lorsque cette écoute est faite de façon intermittente, il n’y a pas d’incidence sur la mortalité infantile et il y a moins d’interventions (césariennes ou extractions instrumentales, qui ne sont pas dénuées de risques : ainsi l’étude européenne Peristat –p. 100- nous apprend qu’en France une extraction instrumentale double le risque de mort maternelle tandis qu’une césarienne le multiplie par 8). Mais la pénurie de personnel (une sage-femme de garde doit suivre plusieurs femmes en travail en même temps) et le risque de procès (le monitoring continu constitue une trace tangible de la surveillance pendant l’accouchement qui pourra justifier pourquoi il y a eu ou pas une intervention) font qu’en pratique le monitoring continu tend à s’imposer dans les maternités.

Ainsi il est courant de ne présenter les risques que dans un seul sens. Prenons les examens prénataux : on vous parlera généralement des pathologies que ces tests visent à dépister, mais il est plus rare qu’on vous présente les problèmes qu’ils induisent. Le dépistage du diabète gestationnel est ainsi sujet à controverse.
Quelques extraits du rapport de la HAS sur le sujet :

La valeur prédictive positive du test de dépistage (O’Sullivan) est faible : moins de 20 % des femmes dépistées positives sont des vrais positifs en retenant un seuil de dépistage (test de O’Sullivan) à 1,40 g/l (7,8 mmol/l). [NB : Le test de O’Sullivan est recommandé par le CNGOF pour toutes les femmes enceintes, il s’agit de mesurer l’effet de l’ingestion d’une solution de glucose sur la glycémie.]

Il n’existe aucune preuve directe de l’efficacité d’un dépistage systématique ou ciblé du diabète gestationnel à partir de la 24e semaine de grossesse pour réduire la mortalité et la morbidité périnatales.

Par ailleurs, le diagnostic et la prise en charge du diabète gestationnel ne seraient pas dénués d’effets indésirables : anxiété, accroissement du nombre de consultations et d’examens complémentaires, accroissement des taux de césariennes même en l’absence de macrosomie foetale, accroissement du taux de déclenchement et du passage en réanimation néonatale des nouveau-nés. [NB : et je trouve fortement paternaliste l’idée que c’est une bonne excuse pour imposer aux femmes une meilleure hygiène alimentaire]

Petit test : parmi les lectrices de ce blog qui sont ou ont été enceintes, à qui a-t-on fait part de ces informations au moment de la prescription du test ? A qui a-t-on simplement dit
« Vous allez faire le test de O’Sullivan, voici l’ordonnance » ? Je ne veux absolument pas minimiser les risques liés au diabète gestationnel ou suggérer qu’on supprime ces tests, mais proposer que la décision de les faire ou pas revienne à la femme, après une discussion permettant la présentation complète des avantages et inconvénients avec le praticien qui suit la grossesse. En fait je propose simplement qu’on respecte la loi Kouchner sur le  consentement éclairé, révolutionnaire non ? Je sais bien qu’entre la démographie médicale déclinante et les restrictions budgétaires les soignants ont de moins en moins de temps à consacrer aux patients mais je ne crois pas qu’il faille pour autant baisser les bras. C’est à chacun de prendre le temps de s’informer (oui, internet est une source formidable de connaissances, pourvu qu’on ait un peu de discernement), de poser des questions et au final de prendre ses responsabilités. Les examens dits obligatoires doivent être proposés à toutes les femmes, mais celles-ci n’ont pas l’obligation de les faire. Et je trouve insultant de leur demander si elles n’ont pas à cœur la santé de leur bébé quand leur avis diffère de celui du praticien. Chacun a sa hiérarchie des risques ; certaines sont basées sur des idées reçues et il est important de s’assurer qu’une décision n’est pas prise à partir de faits biaisés ou incomplets, mais au final c’est aux parents de choisir quels risques ils souhaitent prendre. Je crois qu’au lieu de commencer par critiquer une décision qui nous paraît irresponsable (et je parle aussi entre parents, où nous sommes prompts à nous jeter la pierre) il serait bien plus constructif d’en demander les raisons. Nous pourrions soit apprendre des choses soit apporter d’autres informations, bref il n’est pas impossible que chacun reparte avec un nouveau point de vue, plus complet et plus ouvert sur la question. J’en profite pour vous signaler un nouveau blog, l’ordonnance ou la vie, tenu par une étudiante en médecine qui a des réflexions très intéressantes sur la question.

Mais le patient responsable doit l’être jusqu’au bout. Comme dirait Peter Parker (alias Spiderman), « With great power comes great responsibility. »  Tant que tout se passe bien, c’est facile. Le souci c’est quand les choses tournent en eau de boudin. Si le médecin a recommandé un acte que le patient n’a pas voulu effectuer, et que l’état du patient s’aggrave, jusqu’à quel point  ? Ainsi, certains obstétriciens s’opposent aux accouchements hors maternité (domicile ou maison de naissance) car ils craignent les transferts en urgence sous leur responsabilité d’un problème sur lequel ils n’avaient jusque là aucune prise. Il arrive alors que des femmes avec un projet d‘accouchement à domicile (AAD) qui vont se faire enregistrer en maternité pour préparer un éventuel transfert en urgence soient mal reçues par le personnel soignant, et c’est parfois pire lors d’un tel transfert (un peu comme les femmes qui avaient tenté de se faire avorter avant la légalisation de l’IVG et à qui certains médecins faisaient des curetages sans anesthésie pour les dissuader de recommencer). L’effet de telles pratiques étant que loin de décourager les femmes de recourir à l’AAD, cela les dissuade simplement d’ouvrir un dossier à l’hôpital, voire en cas de problème va parfois leur faire repousser le transfert au-delà du raisonnable. D’un côté il est clair qu’un soignant qui « fait payer » à un patient un choix différent de ce qu’il préconise est inacceptable, de l’autre on peut comprendre le ras-le-bol des blouses blanches face à des patients qui viennent faire leur shopping médical. Comme le dit cette sage-femme américaine, « You buy the hospital ticket, you go for the hospital ride » (difficile à bien traduire, quelque chose du genre « Si on prend un ticket pour l’hôpital, alors on va à l’hôpital », ou moins littéralement « N’attendez pas de l’hôpital ce qu’il ne peut pas vous donner »). Évidemment, entre la raréfaction des sages-femmes accompagnant les AAD, le peu de plateaux techniques ouverts aux sages-femmes libérales et les tergiversations autour des maisons de naissance (sans compter les aléas de la Sécu qui rembourse ou pas les accouchements dans des maisons de naissance à l’étranger), un nombre non négligeable de femmes se retrouve avec un suivi classique en maternité par défaut. On voit donc que la situation est complexe, et la conciliation des intérêts des parties pas toujours évidente.

C’est parfois si difficile qu’on en arrive au procès, dont la crainte est devenu un puissant moteur d’évolution des pratiques obstétricales. Les primes d’assurance des professionnels flambent, alors que les revenus fixés par la Sécu stagnent, rendant notamment l’exercice libéral de plus en plus difficile (voir ce billet de 10 lunes avec tous les chiffres, ainsi que les commentaires qui suivent pour d’autres éclairages). Là encore, la problématique n’est pas simple. D’une part on ne peut pas dire qu’il ne faudrait plus faire d’action en justice, ce qui reviendrait de facto à une immunité médicale, et d’autre part les patients peuvent se retrouver obligés de mener des actions en justice par des assurances qui ne veulent pas prendre en charge les coûts (notamment pour un enfant handicapé par exemple). Bref cela dépasse le cadre de la discussion et je ne me sens pas compétente pour réformer le système, même s’il me semble évident qu’il y a une bonne marge d’amélioration. Finalement, cela paraîtra sans doute évident mais je crois plus que jamais qu’il est indispensable de pouvoir établir un partenariat de confiance entre soignant et soigné (et ce d’autant plus quand le soigné n’est pas malade, comme c’est le cas d’une femme enceinte ou d’un jeune enfant qu’on emmène aux visites de contrôle). Commençons par écouter ce que l’autre a à nous dire avant de le juger, soyons prêts à examiner honnêtement nos raisons et nos motifs, pour assumer pleinement la responsabilité de nos décisions.

Je réalise que ce billet est un peu fourre-tout et décousu mais à ce stade j’avoue ne plus avoir le temps ni le courage de le remanier voire de le redécouper donc je le publie en l’état car je pense qu’il y a quand même quelques éléments intéressants dont j’aimerais discuter avec vous.

Photo : oui je sais c’est l’Agence tous risques, mais je n’ai jamais vu un seul épisode de Pour l’amour du risque alors… Et non, ça n’a pas grand rapport avec le schmilblick.

EFSA et BPA

vendredi, juillet 25th, 2008

 Il y a quelques mois, le tocsin sonnait chez les cyber-mamans pour annoncer un haro généralisé sur un composé chimique : le Bisphénol-A, ou BPA pour les connaisseurs. Cette molécule, qu’on retrouve dans certains plastiques (et notamment à l’intérieur des canettes), avait le mauvais goût d’être présente dans la grande majorité des biberons en plastique. Les Canadiens ont lancé la charge (voir ici et ), tandis qu’un nouveau marché s’ouvrait. Il est clair que tous les grands scandales sanitaires des dernières décennies (nuage de Tchernobyl s’arrêtant aux frontières, sang contaminé, amiante, vache folle et j’en passe) ont rendu le public assez chatouilleux sur ce genre de question. L’émoi général à l’idée d’empoisonner nos enfants a donc conduit les autorités sanitaires des pays occidentaux à se saisir au plus vite de la question.

En Union européenne, ce rôle est dévolu à l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, ou European food safety authority : l’EFSA. C’est une agence communautaire que je connais bien par mon travail. Tout comme l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) en France, son rôle est de produire des évaluations scientifiques rigoureuses de tous les problèmes et questions liés à la sécurité sanitaire. Ces agences émettent alors des avis, à destination notamment des gestionnaires (le ministère ou la commission, selon l’échelle où on se place), qui prendront alors les décisions législatives, notamment pour autoriser ou pas tel ou tel produit. Leur fonctionnement s’appuie entre autres sur des panels d’experts, qui sont pour la plupart des scientifiques de renom, dont les conflits d’intérêt doivent être rigoureusement examinés par l’agence. Dans le cas du BPA, c’est le panel on Food contact materials, enzymes, flavourings and processing aids (panel CEF pour les intimes) qui s’est chargé d’examiner l’ensemble des données disponibles, et notamment les nouvelles études qui avaient alarmé nos amis d’outre-Atlantique.

D’abord une petite explication sur la façon dont on procède pour évaluer le risque lié à un produit chimique. On commence par le tester sur de pauvres animaux, qui doivent en manger, en respirer, en toucher, soit des quantités énormes en peu de temps, soit des quantités plus modérées sur plus longtemps. On observe alors les effets produits par le produit et on quantifie la dose à partir de laquelle ils surviennent. C’est la toxicité du produit. Pour le BPA, l’EFSA (ainsi que sa jumelle étatsunienne) conclue ainsi qu’on peut en avaler 0.05 mg/kg de poids corporel par jour sans qu’aucun effet ne soit observé. Cette valeur est appelée TDI, comme tolerable daily intake, ou dose journalière tolérable. C’est en fait la dose à laquelle aucun effet n’a été observé chez l’animal, mais divisée par 100 pour plus de précaution.

Ceci étant posé, il faut ensuite déterminer à quelle quantité on risque effectivement d’ingérer : par exemple l’eau de Javel est très toxique, mais il y a peu de chance que quelqu’un siffle le bidon (d’autant plus qu’il y a des avertissements sur l’étiquette et un bouchon anti-petites mains) donc au final le risque est faible, et c’est pour ça qu’on en trouve dans tous les supermarchés. Pour les produits alimentaires, il existe des modèles scientifiques pointus, basés sur des enquêtes auprès des gens pour savoir ce qu’ils mangent et en quelles quantités. Les particularités des uns et des autres sont prises en compte (végétariens, jeunes enfants, bébés, etc). Ces modèles permettent donc d’établir la quantité qui risque d’être effectivement avalée, c’est-à-dire l’exposition. Enfin, on compare la toxicité à l’exposition pour voir si une ou plusieurs catégories de consommateurs courront un risque lié à l’ingestion du produit.

Alors que nous dit l’EFSA ? Le panel CEF observe que le BPA est très rapidement métabolisé et excrété chez l’homme (y compris le nouveau-né), et ce beaucoup plus vite que chez les animaux de laboratoire, en l’occurrence les rongeurs (probablement des rats) sur lesquels les tests ont été effectués. En outre, les dernières études y sont qualifiées de « limitées en rigueur, en cohérence et peu plausibles au niveau biologique ». Le panel précise que cette conclusion est partagée par ses homologues étatsuniens, norvégiens (rappelons qu’il ne font pas partie de l’UE) et canadiens, ainsi que par un institut du Joint Research Centre de la Commission européenne. Pour l’EFSA, il n’y a donc pas lieu de revoir la TDI (la dose journalière tolérable), et de conduire une nouvelle évaluation du risque. Les Canadiens eux appellent les parents à la prudence sans toutefois aller jusqu’à l’interdiction.

Alors que faire dans ce flot d’informations contradictoires ? Le BPA est libéré par le plastique quand on y verse de l’eau bouillante. Si vous chauffez peu ou pas vos biberons, cela diminue d’autant l’exposition du poussin. Et si vous êtes vraiment préoccupés, achetez des biberons en verre (moi avec mes deux mains gauches ça me semble plus dangereux que le BPA mais ce n’est pas forcément le cas de tout le monde). Il existe aussi des biberons en plastique sans BPA (si les vôtres ne se signalent pas clairement comme tels, c’est a priori qu’ils en contiennent). Il y a enfin l’allaitement long et exclusif, bien sûr, mais même les mamans allaitantes apprécient de se faire remplacer par un bib de temps à autre. Moi je reste avec mes biberons non chauffés de la célèbre marque dont le nom rappelle les calendriers pour attendre Noël, garantis avec du BPA dedans.

Pour en savoir plus : un ensemble de questions/réponses très complet préparé par les autorités canadiennes.

(Photo Flickr -parce que ça manquait un peu de petits chatons par ici)