Posts Tagged ‘médias’

Etre parent aujourd’hui

mercredi, avril 22nd, 2009

brainy (en France ou dans un pays occidental)

Être parent aujourd’hui, c’est n’avoir jamais été aussi près du « Un enfant si je veux, quand je veux. » C’est avoir le taux de mortalité infantile et maternelle le plus bas connu par l’humanité : perdre un enfant est devenu exceptionnel. C’est disposer d’un niveau de connaissance encyclopédique sur l’enfant, son développement, sa psychologie… C’est (en théorie) pouvoir le confier à du personnel qualifié à un coût acceptable.

Mais…

Être parent aujourd’hui, c’est souvent l’occasion d’une première rencontre de près avec un bébé. Qui avait déjà changé une couche, donné un bain ? Qui avait déjà vécu (en tant qu’adulte ou adolescent) sous le même toit qu’un nouveau-né ? Nous n’avons plus de neveux, cousins, frères, voisins, etc sur lesquels nous faire la main. Notre principale source de connaissance du bébé provient des médias, où des femmes au physique parfait accouchent en 5 minutes d’un bébé de 6 mois tout propre sans cordon ombilical pendant que des médecins leur hurlent « Pousseeeeeeeeeez ! ». Pour beaucoup d’entre nous, le bébé est un parfait inconnu dont la moindre déviation du Laurence Pernoud nous plonge dans une perplexité qui vire rapidement à la panique.

C’est manquer de repères, de soutien : notre société étant centrée sur la famille nucléaire, notre famille plus large n’est pas toujours proche géographiquement et nous ne connaissons pas nos voisins. Les parents au foyer sont plus facilement isolés, restant 24 h sur 24 seuls ou presque avec des tout petits, alors que c’est très difficile. Nous sommes en plein changement de paradigme par rapport à la vision de l’enfant inculquée à nos parents et grands-parents, ce qui rend leur aide parfois impossible et souvent difficile. Comment concilier les informations contradictoires et démêler les conseils utiles des interférences nuisibles ?

Nous sommes ensevelis sous les informations alarmistes, échaudés par les derniers scandales sanitaires (amiante et sang contaminé pour ne pas les citer). Comment trouver un matelas bio ? Des biberons sans BPA ? Le gras trans ? L’huile de palme ? Les cosmétiques ? Les produits laitiers ? Quels vaccins ?

Et surtout nous avons la pression. Les dernières avancées de la psychologie, même s’il n’est pas ici question de réfuter leur pertinence et leur intérêt, sous-entendent que les parents (et surtout la mère) sont responsables (mais pas coupables ?) de tous les maux de leurs enfants. Aussi odieux que puissent être les comportements des enfants, ils trouvent tous leur origine dans un problème de l’adulte. Et tant que vous n’aurez pas affronté et réglé votre traumatisme originel, vous subirez la double peine : supporter un enfant au comportement problématique et votre problème à vous, avec en bonus la culpabilité de ne pas en avoir trouvé la clé.

Votre enfant se réveille la nuit ? Votre faute. Votre enfant fait des cauchemars ? Votre faute. Votre enfant a tapé sa copine de crèche ? Votre faute. Votre enfant se roule par terre dans le magasin ? Votre faute. Votre enfant n’a pas dit bonjour à Mamie ? Votre faute. Et ça vaut aussi pour sa santé physique : c’est vous qui lui avez donné de la courgette avant la carotte, pourquoi croyez-vous qu’il soit allergique aux acariens maintenant ? Vous l’avez laissé manger des Haribos ? Ne venez pas vous plaindre qu’il soit hyperactif, avec tous ces colorants et ce sucre. Il est trop gros ? Votre faute. Trop maigre ? Votre faute.

Même les experts auto-proclamés qui passent habituellement leur temps à se chamailler à l’antenne ou dans les magazines pour vendre leur prose sont unanimes : que ce soit parce que vous avez été trop ferme ou pas assez, c’est vous qui avez rendu cet enfant infernal (notez que ce sont également eux qui ont fixé des normes de comportement pour votre enfant qui semblent prévues plutôt pour la reine d’Angleterre que pour un enfant de 3 ans). Vous n’avez pas allaité ? C’est mal. Vous allaitez encore ? C’est mal aussi. Vous reprenez le travail ? Mère indigne. Vous restez à la maison ? Mère castratrice. Et maintenant vous culpabilisez ? Mais arrêtez il va en avoir de l’eczéma le pauvre petit.

Comme le rappelle si bien Hillary Clinton : Il faut tout un village pour élever un enfant. Alors chers experts, chers donneurs de leçon, chers moralisateurs et autres culpabilisateurs : au boulot ! Pas la peine de venir changer des couches ou jouer les Super Nanny, merci bien (quoi que si vous voulez faire un peu de ménage faut pas se gêner), mais bougez-vous pour que la société nous donne les moyens de vos belles ambitions. C’est bien beau de prôner l’importance du lien parent-enfant et de l’autre côté rendre les enfants indésirables dans de nombreux endroits. C’est bien beau de clamer partout qu’il faut allaiter si en même temps on saborde consciencieusement les efforts des mères pour le faire (sur ce sujet un article intéressant ici). C’est bien beau de dire aux parents de rétablir leur autorité sans utiliser les méthodes d’antan et sans leur donner de nouvelles pistes. Et je suis sûre que vous trouverez plein d’autres exemples. Alors oui, un enfant a généralement deux parents, qui sont prêts à prendre leurs responsabilités, mais il a aussi une famille, des amis, des voisins, des profs, des élus, une communauté religieuse, un médecin, bref il fait partie d’une société. Cette société n’a pas à remplacer les parents (sauf en cas de problème), ni à les culpabiliser à tort et à travers, mais tout simplement à les soutenir. Et on peut déjà s’y mettre nous-mêmes…

(Image : http://www.smurf.com/smurf.php/www/who/fr/brainy)

Vous êtes ce que votre mère mange

vendredi, avril 25th, 2008

Quelques précisions sur une publication scientifique qui a eu un certain succès médiatique ces derniers temps, mais qui peut facilement prêter à des interprétations un peu délirantes : You are what your mother eats: evidence for maternal preconception diet influencing foetal sex in humans, qu’on pourrait traduire par Vous êtes ce que votre mère mange : preuves de l’influence du régime maternel pré-conception sur le sexe du fœtus chez l’homme (résumé ici). Evidemment le titre est un peu racoleur mais c’est la dure loi de la science : un jeu de mots à deux balles ou une affirmation un peu provocante augmentent significativement les chances d’être publié dans une bonne revue, et ensuite de se voir interviewé par la presse généraliste. A ce propos, j’ajouterai que la revue où cet article a été publié (Proceedings of the Royal Society of London, B) est un journal généraliste en biologie, particulièrement réputé en sciences de l’évolution. Donc l’article a été soumis à la rigoureuse évaluation d’au moins deux confrères concurrents des auteurs avant d’être accepté, tout ça pour vous dire que ça n’est pas juste le premier torchon venu. J’ajouterai enfin que j’ai moi-même lu ce papier (et pas juste le résumé), et que je dispose d’une version pdf que j’enverrai à tous ceux que ça intéresse par email (cliquer sur le gros téléphone à gauche).

Quelles sont les principales conclusions de cet article ? En comparant le régime maternel pré-conception, il apparaît que les femmes ayant une alimentation plus riche (tant en énergie qu’en micronutriments –vitamines et autres), et notamment celles qui mangent des céréales de petit déjeuner, ont plus de chances d’avoir un garçon que les autres. Cet effet est cependant modéré : on observe 56% de garçons chez le tiers des femmes avec l’alimentation la plus riche contre 45 % chez le tiers avec l’alimentation la moins calorique.

 

Petite précision : c’est le chromosome X ou Y du spermatozoïde qui va déterminer le sexe de l’enfant, puisque tous les ovules sont X. Cependant, on sait que l’ovule et plus généralement les conditions physico-chimiques sur le « chemin » jusqu’à lui ont une grande influence sur la sélection du spermatozoïde gagnant. En outre, le corps de la mère peut éliminer sélectivement l’embryon dans les jours qui suivent la conception (notamment en cas de défaut génétique). D’où le rôle maternel dans le sexe de l’enfant à venir.

 

Si vous souhaitez choisir le sexe de votre futur enfant, vous conviendrez donc que ces résultats, quoi que prometteurs, vous laissent encore une grande part de hasard. En même temps ce n’est pas le but de cette étude. Il s’agit de travaux en sciences de l’évolution, dont le but est de comprendre quels facteurs peuvent influencer le sex ratio en général, et pas de permettre à Mme Schmoldu d’avoir enfin le fils dont son mari rêve pour transmettre ce précieux patronyme. En effet, on a constaté depuis quelques décennies que le sex ratio à la naissance penche de plus en plus en faveur des filles, alors qu’il est naturellement de 105 pour 100 en faveur des garçons (ceux-ci étant de petites choses fragiles ont plus de mal à atteindre l’âge reproducteur). Il semble donc important de comprendre les raisons de ce phénomène avant de nous retrouver avec une situation déséquilibrée, comme en Chine ou en Inde (mais inversée).

 

Le mécanisme évolutif proposé et généralement admis est le suivant. D’abord un petit rappel sur la théorie de l’évolution : contrairement à ce qu’on lit partout, les individus n’ont strictement rien à carrer de la perpétuation de leur espèce. Ce qui les intéresse c’est la perpétuation et la multiplication de leurs gènes (notons que ceci peut en parallèle contribuer à la perpétuation de l’espèce mais ce n’est pas le moteur). Faire un garçon est plus coûteux et plus risqué qu’une fille : les garçons ont besoin de plus de nourriture, ils ont plus d’accidents, ils sont moins résistants aux maladies. Par contre, le potentiel reproducteur d’un mâle est bien supérieur à celui d’une femelle, pas besoin de vous faire un dessin. Ainsi en période de disette mieux vaut opter pour la sécurité (une fille), alors qu’en période faste on peut faire un pari plus audacieux (un garçon).

 

Quelques détails intéressants (en vrac) sur le protocole et les résultats de l’étude :

  • Au niveau du régime alimentaire pré-conception, les éléments pour lesquels on trouve une différence significative entre bébé fille et bébé garçon sont : énergie, glucides, protéines, fer, zinc, sodium, potassium et calcium. Et c’est toujours plus élevé chez les mères de garçons.
  • Le régime alimentaire a également été suivi pendant le début de la grossesse, mais aucune différence n’a été trouvée. Le sexe du fœtus/embryon ne semble donc pas influencer le régime maternel. 
  • Les auteurs ont croisé ces données avec un grand nombre d’autres facteurs concernant les mères : tabagisme, âge, supplémentation en folate avant la conception, éducation, poids, taille et IMC avant la conception et à 14 semaines de gestation. Aucun impact significatif de ces variables n’a été observé. Notons que la parturiente moyenne dans cette étude a 25.8 ans et pèse environ 62 kg pour 1.64 m (avant bébé). Et que bien que les mères de garçons aient en moyenne mangé plus riche que les mères de filles, elles ne pesaient que 200g de plus avant la grossesse (ça c’est le vrai scoop de cette étude !).
  • Aucune des mères ne connaissait le sexe de son bébé lorsqu’elles ont répondu au questionnaire, et les données « pré-conception » portent sur l’année précédente.
  • Toutes les femmes ayant participé étaient blanches et primipares, car tant le groupe ethnique que le rang de naissance (de l’enfant) peuvent influencer le sexe du fœtus (mais il n’est pas précisé dans quel sens).
  • L’impact des céréales est selon les auteurs représentatif de l’impact du petit déjeuner, puisqu’au Royaume-Uni (lieu de l’étude) cela semble d’une part le principal aliment du petit déjeuner, et d’autre part le petit déjeuner semble le principal moment auquel on les consommerait.
  • A noter que les femmes observées étaient globalement bien nourries et que personne ne mourrait de faim. Il est probable que des effets encore plus marqués seraient observés s’il y avait une vraie disette.

 

Evidemment, le sexe du fœtus est le résultat d’un ensemble de facteurs (parmi lesquels le hasard tient probablement une bonne place) : hormones (et perturbateurs endocriniens), stress, ou timing relatif entre insémination et conception (les spermatozoïdes ayant une durée de vie de quelques jours dans les voies génitales féminines, le jour du rapport n’est pas forcément celui de la fécondation) sont parmi les plus souvent évoqués. Les auteurs notent cependant que la diminution du nombre de garçons à la naissance dans les pays occidentaux est corrélée avec celle du nombre de personnes prenant un petit déjeuner, ainsi qu’à une tendance à la restriction des apports alimentaires (vous savez, le fameux « spécial maigrir pour être la plus belle en maillot perdez ces 2 kg qui vous défigurent en une semaine »).

 

En conclusion : il est probablement peu efficace de se taper consciencieusement son bol de corn flakes tous les matins pour avoir un garçon (ou de se serrer la ceinture toute la journée si on veut une fille). Cela ne changera probablement pas grand chose à la probabilité habituelle de 1/2. Par contre, il est important que notre société réfléchisse aux implications de la dérive du sex ratio et aux moyens pour la contrer si ces conséquences apparaissent inacceptables. Ce type d’étude me semble donc tout à fait pertinent dans cette optique.