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Une histoire ordinaire : mon IVG douce-amère

jeudi, novembre 8th, 2012

Aujourd’hui, la basse-cour a l’honneur d’accueillir une invitée : je vous présente Nanette. Si vous ne la connaissez pas déjà vous pouvez suivre ses humeurs ici. Elle a souhaité partager avec nous son expérience sur un sujet à la fois banal, délicat et intime : l’interruption volontaire de grossesse. Reprenant la formule testée avec Ficelle, je vous propose de lire d’abord son témoignage puis dans un second temps de le compléter par un autre billet plus général sur la question. Si vous souhaitez discuter de la question de l’IVG , je vous demande de réserver vos commentaires pour ce second billet et de respecter les choix et les ressentis que Nanette nous expose. Je lui laisse maintenant la parole, en la remerciant très chaleureusement de nous offrir ce témoignage dont la publication me tient à coeur.

 J’ai choisi d’avorter en 2002. Il y a longtemps que j’avais envie d’en parler sur mon blog mais je n’ai jamais trouvé le bon moyen, le bon moment. J’ai toujours su que j’en parlerai un jour pourtant.
D’abord parce que je n’ai jamais caché grand-chose à mes lectrices (sauf sans doute, nos identités véritables à ma famille et à moi) et ensuite parce que selon moi, il FAUT en parler. Le plus possible. Et sans honte.
Et pourtant, moi qui ai souvent raconté le plus intime sur mon blog, je trouve que raconter cet épisode de ma vie est ce qu’il y a de plus difficile.

J’ai accouché de mon premier enfant un mois avant mes 18 ans, en mars 2000. J’étais en classe de terminale et ma grossesse que j’ai très longtemps cachée à mes parents a été assez difficile et évidemment difficilement acceptée par ma famille. J’ai eu la chance d’être beaucoup soutenue par mon père et de pouvoir poursuivre mes études et ma vie – presque – comme toutes les jeunes filles de mon âge. Pendant les deux années qui ont suivi la naissance de mon fils, je suis restée célibataire. Et puis, à la faveur de la fac, des rencontres, des sorties et entre deux allers-retours à la crèche, j’ai fini par rencontrer quelqu’un.

Tout se passait très bien… jusqu’à ce que je tombe enceinte à nouveau malgré la contraception. Je prenais depuis longtemps une pilule inadaptée. Dès que je l’ai su, à la seconde même, il n’a jamais été question que je garde ce bébé. Je me démenais depuis des mois pour pouvoir enfin vivre seule, j’allais encore à la fac et je vivais de ma bourse et des allocations. Et cette histoire, même si elle était très belle, je savais bien qu’elle ne durerait pas. J’ai néanmoins prévenu mon compagnon, qui a jugé comme moi que ce n’était ni le moment, ni les conditions pour avoir un enfant. Je n’ai pas désiré qu’il m’accompagne dans ce parcours et lui non plus. En fait, j’ai souhaité traverser tout ça seule. Je ne peux pas expliquer pourquoi aujourd’hui. Je n’ai pas eu honte, mais je n’ai pas ressenti le besoin d’être soutenue, du moins pas avant ni pendant l’intervention.

Dès lors que ma décision a été prise, je n’ai pas été triste, ni affligée. Ma sœur à qui je m’étais confiée s’est beaucoup étonnée de mon apparente « froideur ». Assez rapidement, j’ai pris rendez-vous dans le service d’orthogénie de l’hôpital Béclère. C’est un petit bâtiment séparé de l’hôpital, composé de plusieurs bureaux et aux murs bardés d’affiches sur la contraception, le droit à l’IVG, le planning familial. J’ai été reçue par une femme admirable qui y exerce encore. Très humainement, elle m’a expliqué que cet entretien était le premier du parcours que nous allions faire ensemble : j’allais devoir rencontrer un psychologue, une sage-femme puis la revoir de nouveau, elle. Elle m’a examinée et a fait une échographie pour dater la grossesse. Elle m’a posé des questions sur les raisons de cette décision et sans insister, s’est bien assurée de ma conviction.

Encore une fois, c’est soulagée que j’ai quitté son cabinet. Je suis revenue à Béclère quelques jours plus tard pour voir la psychologue à qui j’ai dû, à nouveau raconter mon histoire. J’ai moins « accroché » avec elle, donc j’ai trouvé ça assez gênant. J’ai vu la sage-femme peu de temps après. Elle m’a expliqué que vu l’âge de ma grossesse, j’avais encore « le choix » de la méthode utilisée pour procéder à mon IVG : l’avortement médicamenteux par prise de Cytotec ou la chirurgie par aspiration.
J’ai choisi les médicaments.
Malheureusement, l’hôpital n’a pas pu accéder à ma demande. A l’époque (je ne sais si c’est toujours le cas [Note de la PP : maintenant l’IVG médicamenteuse peut être faite en ville et la femme prend le traitement chez elle]), l’avortement médicamenteux se faisait en plusieurs phases : la prise du cytotec sous surveillance quelques heures, puis un nouveau rendez-vous pour vérifier l’expulsion de l’embryon.

Par manque de place disponible (et pour des soucis d’emploi du temps), je n’ai finalement pas eu le choix et nous avons fixé la date de l’intervention. J’ai décidé de ne pas être endormie, j’allaisamèrement le regretter.

Le matin de l’intervention, j’étais à l’hôpital à 8 heures. J’ai eu le droit de boire un verre d’eau. Je me suis déshabillée et j’ai enfilé la blouse de l’hôpital. On m’a donné un comprimé de cytotec destiné à ouvrir le col de l’utérus, à prendre localement donc. L’effet a été très rapide, j’ai commencé à saignotter un peu. J’ai encore attendu deux heures avant d’être emmenée dans une pièce qui n’avait rien d’un bloc opératoire. La lumière était tamisée, un petit chariot à instrument dans un coin, une grosse machine dans l’autre. A cet instant, je ne ressentais toujours rien. Physiquement, je commençais à avoir une douleur comparable à celle du début de mes règles. Moralement, tout allait très bien : je savais ce que je faisais ici et pourquoi j’étais là. J’étais très sûre de moi.

La femme médecin (qui est généraliste et pas gynécologue) que j’avais rencontrée la première fois est venue me parler et m’a expliqué en détails ce qu’elle allait faire. Une infirmière serait là pour me tenir la main. Je crois me souvenir qu’on m’a injectée un petit anesthésiant local au niveau du col. L’intervention a commencé. A l’aide d’un spéculum, le médecin a examiné mon col pour voir s’il était bien ouvert. Puis a commencé une phase assez douloureuse. Elle m’a expliqué que mon col n’était pas « dans l’axe » et qu’elle allait devoir le maintenir avec une pince. Je ne sais pas si l’anesthésique était trop léger mais j’ai eu extrêmement mal. Pendant toute la durée de son geste, elle n’a pas arrêté de me parler, l’infirmière à côté de moi me serrait la main, enfin c’est plutôt moi qui lui broyais les doigts. Je n’ai pas vu de mes yeux tout le matériel qu’elle avait installé (un spéculum donc, et cette fameuse pince), mais nous avons trouvé le moyen d’en rire : à chacun de mes gestes, j’entendais un bruit métallique !

Elle a ensuite allumé la grosse machine à côté d’elle. Avec le long tuyau qui en sortait, elle a aspiré. Là encore, j’ai eu mal. Je me rappelle très bien ce bruit d’aspiration : le bruit de la machine et le bruit de ce qu’elle aspirait. J’ai ressenti le besoin de prier, même si ce que j’étais en train de faire est complètement réprouvé par ma religion. J’ai pleuré un peu, de douleur. Ca a été très rapide. Mes jambes étaient tétanisées, je tremblais un peu et il restait dans mon corps un peu de cette intense douleur que j’ai ressenti durant ces quelques minutes.
Le médecin m’a débarrassée de tout son matériel, m’a longtemps rassurée. L’infirmière à côté de moi ne m’a pas lâché la main une seule minute. La douleur commençait à s’éloigner, c’était terminé, j’étais soulagée.

Elles ont toutes les deux fini par quitter la pièce pour me laisser seule quelques minutes. Je ne peux pas dire aujourd’hui si c’était volontaire. Mais le fait de me retrouver seule a été comme un déclencheur. J’ai regardé cette machine et j’ai réalisé qu’il y avait dedans ce bébé que je n’avais pas gardé. Je me suis sentie bizarre : j’avais toujours mal, j’étais seule dans la pièce avec cette machine. Et pour la première fois depuis des semaines, j’ai pleuré. Je ne regrettais pas ma décision mais j’avais enfin l’impression d’en comprendre l’importance : j’avais perdu quelque chose, même si c’était mon choix. De comprendre qu’on pouvait porter le deuil d’un enfant qu’on ne voulait pas. Le médecin est revenu et m’a réconfortée sans me parler, je n’en avais pas besoin et je crois qu’elle l’a compris.

Je suis allée me rhabiller à peu près calme. En enfilant mon jean, je me suis rendue compte qu’il était tellement serré qu’il me faisait mal au ventre. J’ai pleuré à nouveau. On m’a laissée en salle d’attente, une heure peut-être. Puis le médecin a contrôlé l’expulsion de l’embryon par échographie. Tout allait bien, je pouvais rentrer chez moi, avec une ordonnance d’anti-douleur.

Je n’ai eu aucune complication, mais j’ai mis du temps à m’en remettre psychologiquement. Regarder mon fils, jouer avec lui m’a été assez difficile pendant quelques jours. Quand j’ai revu le médecin, j’ai été heureuse de pouvoir en parler avec elle. Nous avions cette journée en commun, nous l’avions vécue ensemble. J’ai rarement croisé un médecin généraliste aussi… gynécologue. Des années plus tard, je l’ai revue à la télévision. J’ai su qu’elle s’était toujours battue (et se bat toujours) pour que l’IVG ne disparaisse pas de l’hôpital public. C’est une spécialité que les médecins
ne souhaitent pas apprendre.

Je ne repense que rarement à cette journée. Quand mon deuxième enfant, ma fille, est née, j’y ai pensé. Sans nostalgie, sans peine, mais j’y ai pensé. Il y a quelques mois, j’ai visité une maternité dite « de pointe ». J’ai tenu à visiter le service d’orthogénie (ridiculement petit par rapport au reste de l’établissement). J’ai été heureuse de constater que des médecins se battaient toujours pour le droit des femmes.

Difficile de conclure un pareil billet… Il est rare de lire ce genre de choses sur les blogs de mamans, alors si j’ai pu libérer, déculpabiliser une personne ou si quelqu’un s’est reconnu dans mes mots –maux), j’en serais heureuse.

En tout cas, à moi ça m’a fait du bien.

P.S : Je remercie la Poule Pondeuse de m’avoir prêté un petit bout de son canapé pour que je puisse m’y épancher. Chez moi, je ne me sentais pas très à l’aise. Merci à toi.

Image : difficile d’illustrer un tel billet alors j’ai choisi cette fleur, la douce-amère (source Flickr). 

Ma fausse-couche : la physiologie oubliée ?

lundi, septembre 17th, 2012

Un thème pas très joyeux et pourtant plus banal qu’on ne le pense pour tenter de redonner un semblant d’activité à ce pauvre blog délaissé… J’accueille aujourd’hui en rédactrice invitée mon amie Ficelle qui m’a fait l’honneur de confier à cet espace l’histoire de sa fausse-couche. C’est un sujet sensible pour beaucoup d’entre nous, et contrairement à beaucoup des billets de ce blog, il s’agit simplement de son vécu, intrinsèquement subjectif. Comme tout ressenti, il n’a pas vocation à être généralisé à tout le monde, ni à prescrire une voie d’action ou à en condamner d’autres. Je compte particulièrement sur la délicatesse habituelle des commentateurs pour que le débat reste respectueux. Et avant que vous ne m’accusiez -à raison- de flemmingite aigüe je vous annonce pour demain un billet écrit par moi pour faire le point sur le sujet sous un angle complémentaire, plus général. Mais assez de blabla, je laisse la parole à Ficelle.

 Une amie qui a vécu plusieurs événements très difficiles me disait récemment à peu près cela : « Ce qui est très compliqué quand on raconte son histoire par écrit, c’est le côté figé. Cette histoire douloureuse, quand on en parle autour de soit, on la réécrit chaque jour… Les mots qu’on trouvait justes hier ne le sont plus forcément aujourd’hui ». Alors que mon amie la divine Poule pondeuse me propose de raconter ma fausse couche, les mots de cette amie résonnent exceptionnellement justes. Il se trouve que j’ai couché sur le papier certains éléments de « l’histoire » au fur et à mesure qu’elle se déroulait. Je décide donc de ne rien changer à ces impressions du moment et de conclure avec ma vision « du jour ».

25 août 2012

Depuis quelques semaines, je porte un embryon qui a arrêté son développement. En langage courant, c’est une fausse couche. Contrairement aux idées reçues, les embryons défectueux ne lancent pas illico leur processus d’auto-destruction. Le dit processus prend plusieurs semaines, ce qui fait qu’on détecte l’arrêt de la grossesse avant d’avoir évacué l’œuf. Et ce, depuis que les échographies de contrôle sont généralisées aux alentours des huit semaines d’aménorrhée. Or, ce nouvel état de fait entraine au moins une conséquence fâcheuse : la possibilité de se débarrasser du bidule avant que notre corps ne finisse par faire le boulot lui-même. Ce qui peut prendre en l’espèce de trois à six semaines… Une éternité pour certaines femmes qui attendent impatiemment de retomber enceinte, ou pour celles qui ressentent encore de nombreux effets indésirables des hormones de grossesse, qui continuent un temps à être sécrétées.

Une fois que l’arrêt de la grossesse a été détecté dans mon cas, « ma » gynécologue, celle chez qui je vais chaque année – et bien plus en période de grossesse justement, déjà deux à mon actif – depuis près de 10 ans, m’a indiqué que j’avais alors deux options : le protocole d’expulsion médicamenteux (Cytotec) ou le « curetage » (aspiration de l’embryon –NB : on utilise encore souvent le mot curetage même si la procédure de routine est une aspiration, voir par exemple wikipedia pour la nuance). Joie, bonheur… panique. En plus d’être attristée par l’échec de ce début de grossesse et la remise au placard, provisoirement du moins, de notre projet de troisième bébé, je me sens piégée entre deux alternatives qui m’effraient. Influencée par le raisonnement reposant uniquement sur le paramètre d’efficacité de mon médecin, je me décide d’abord pour le curetage. Le « vite fait, bien fait » de cette procédure, pourtant chirurgicale, qui impose une anesthésie générale (même légère, elle n’est jamais anodine !), me tente de prime abord. Je me dis : deux rendez-vous, une matinée d’hospitalisation et cet épisode désagréable est derrière moi. Et puis, en face de la secrétaire de l’obstétricien indiqué par ma gynécologue « de ville », je flanche. Larmes, indécision, tour aux toilettes du cabinet flambant neuf, colère, renoncement. Je prends un rendez-vous pour le lendemain, à contre-cœur. Et puis deux coups de fil à deux amies sage-femme et généraliste me remettent sur pieds.

Une troisième voie s’ouvre. Celle de… ne rien faire. Et ma tristesse se transforme en colère. Comment cette professionnelle, avec qui pourtant j’ai souvent discuté, a-t-elle pu passer à côté du fait que l’option la plus « naturelle » puisse me convenir ? Celle d’attendre, de laisser faire la nature. Même 15 jours, même trois semaines. Une attente longue pour certaines, qui le sera aussi pour moi, mais qui reste une option, et pas des moindres. C’est celle qui permet de ne pas alimenter le trou de la sécu. Une échographie suffit en fin de processus pour vérifier que tout a été évacué. Attendre ou prendre des médicaments engendrent un léger risque d’hémorragie et peuvent « se terminer » en curetage. Mais le pourcentage n’est pas très élevé (impossible d’avoir un chiffre…). Alors que le curetage en première intention n’est pas l’option la plus économique. C’est une consultation de spécialiste en plus des deux précédentes chez le gynécologue de ville permettant d’établir le diagnostic (plus les deux prises de sang pour constater la baisse du Bêta HCG, l’hormone de grossesse dans le sang), une rencontre avec un anesthésiste en clinique, une anesthésie et un acte chirurgical – on écarte le col de l’utérus, on passe une sorte de paille large comme un stylo (aïe) et on aspire le sac embryonnaire.

Si cette éventualité de l’attente est d’emblée écartée par cette gynécologue, ce n’est pas par malice mais peut-être consécutif à une demande répétée des femmes. C’est un peu le problème de la poule et de l’œuf. L’explication peut aussi venir d’un conditionnement interventionniste de la profession. « Couvrons-nous », « Maîtrisons le processus ». Mais sur le plan politico-sociétal ? Et bien, ces Cytotec-curetage, s’ils sont indispensables aux femmes dans le cadre des interruptions volontaires de grossesse, sont dans le cas de fausses couches les instruments de contrôle de ces mêmes femmes. Comment reprendre confiance en soi et en son corps, si même ce processus physiologique, qui intervient pour d’excellentes raisons – éviter la mise au monde d’un bébé avec une anomalie génétique par exemple – n’est pas même reconnu comme une « option » à envisager pour la femme ? Pour moi, la capacité de la machine humaine à traiter seule ce genre de situations « normales » est niée par le système médical actuel, ou en tout cas un certain système médical. Et cette prise de conscience participe de mon engagement militant. Reste plus qu’à évacuer ma balle de ping-pong…

Lundi 3 septembre

La balle de ping-pong est toujours là. Aucun signe annonçant un décollement prochain. L’aspiration est programmée pour demain mardi. Ce qui me reste en travers de la gorge : le sentiment que plus personne ne sait vraiment comment vont se passer les choses sans intervention médicale. Il est quasiment impossible pour moi de prendre cette décision d’intervention de façon véritablement éclairée. La médecine n’est pas une science exacte certes. La connaissance des mécanismes physiologiques a été perdue, c’est en tout cas mon impression. Ma frustration est plus grande que ma déception (de ne pas être enceinte, de ne pas avoir expulsé l’œuf malgré les deux semaines d’attente éprouvantes, les quatre semaines depuis que la grossesse est vraisemblablement arrêtée). J’ai la sensation d’être entrainée, à moitié consentante, dans une spirale interventionniste. Je suis déchirée. Pas bien dans mes baskets. Je pleure beaucoup… Mon mari ne sait pas trop quoi me dire. Il pense à cette attente qu’il juge maintenant trop longue et douloureuse, moi je pleure (enfin ?) ce bébé qui ne viendra pas.

Dimanche 16 septembre

Deux heures, peut-être trois après que j’ai écrit ces derniers mots, je me promène dans les magasins. Désabusée, mal physiquement et moralement. Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter des serviettes hygiéniques pour incontinents, je saigne plus qu’à l’accoutumée. Je prends également deux Ibuprofène pour atténuer de petites crampes à l’utérus. Envie de changer ma serviette, je m’arrête dans un bar. Sur les toilettes, je sens que le sang s’écoule, assez abondant… et que glisse un caillot largement plus gros que les autres. Je jubile. Et le mot est faible. Je nettoie tout ça, sors en vitesse du bar, compose le numéro direct de ma gynécologue, souffle sur un ton de fausset : « C’est… sorti ! » Elle est contente pour moi, me confirme qu’elle annule l’intervention. On prend rendez-vous pour le vendredi suivant, histoire de vérifier que tout va bien [l’écho montrera un utérus complètement vide le vendredi en question]. Je bois un verre dans ce bar avec une amie. Je repasse aux toilettes une heure plus tard et sens à nouveau, sans éprouver aucune douleur, du « matériel » glisser. On dirait un peu un morceau de foie de veau. C’est bien le sac embryonnaire – avec l’embryon dedans mais invisible au stade où il a arrêté son développement, surtout au fond d’une cuvette. Je sais que tout est fini. Je suis sur mon petit nuage, soulagée.

 

Je n’ai qu’un tout petit recul aujourd’hui sur cet événement. Quinze jours à peine. Mais déjà je m’interroge : qui, du calendrier « programmé », physiologique, de cette fausse couche ou du rejet viscéral de l’intervention, tellement fort psychologiquement, est à l’origine de cette expulsion in extremis ? Trois amies, sage-femme, médecin et femme ayant vécu deux fausses couches, ont eu la même réaction : « Tu devais pleurer ce bébé », « tu n’étais pas prête à le laisser partir avant ». Je ne suis pas complètement satisfaite par cette explication, mais soit. Cette amie sage-femme m’a aussi textoté : « Belle leçon de patience pour l’obstétrique. Les femmes sentent toujours ce qui est bon pour elles, nous sommes trop précautionneux et interventionnistes ». Ces mots m’ont beaucoup touchés. Je ne jette pas la pierre aux personnels de l’hôpital que j’ai rencontré lors de cette épreuve – malgré tout ce que j’ai pu laisser paraître, c’en était une… – qui ont été prévenants et à l’écoute. Malgré tout, je regrette le parti pris du système médical, qui vise à prévenir un risque (celui d’une éventuelle infection, « très peu probable dans votre cas, mais quand même, ce serait tellement dommage… ») sans prendre forcément la mesure des vents contraires. L’effet boomerang de s’infliger un acte (médical ou chirurgical) que l’on ne veut pas et qui, si j’en crois mon aventure, n’est pas nécessaire et encore moins vital, loin s’en faut. Je sais que ce dernier point fera l’objet de discussions ici ou ailleurs. Je tiens donc à préciser que ce que j’ai défendu (et que je défends aujourd’hui en racontant cette histoire), c’est de pouvoir rester maître des décisions qui concernent notre corps, dans un cas comme celui-là qui est tout sauf grave. Presque banal diront certain(e)s, même si le mot me semble dur, dans un contexte où nos grossesses, le plus souvent désirées, sont souvent très vite investies.