Posts Tagged ‘expert’

Experts mode d’emploi

mardi, février 5th, 2013

 La controverse récente autour des pilules de 3ème et 4ème générations aura au moins eu le mérite de mettre en lumière la question du rôle des experts médicaux dans les médias, avec notamment une longue enquête du Monde sur les liens de certains gynécos avec les labos pharmaceutiques. Le choix de ces personnalités par les rédactions pour apporter un éclairage sur une question donnée ne semble en effet pas toujours être guidé ni par leur pertinence ni par leur compétence. Le Monde fait bien le point sur les conflits d’intérêt et les liens de nature diverse avec les labos pharmaceutique ou l’industrie agro-alimentaire, qui s’ils ne disqualifient pas entièrement l’expert devraient au moins être mentionnés. Notons que dans ce cas, certains médias particulièrement assujettis aux revenus publicitaires (et notamment la presse féminine et parentale) devraient sans doute en faire autant, ce qui ne laisserait pas grand chose à lire ou regarder.

Un autre problème moins mis en avant est l’incompétence de l’expert sur le sujet où on l’interroge : pourquoi interroger un pédiatre ou un psychanalyste sur la durée de l’allaitement ou la normalité du sommeil partagé ? Il n’est pas rare que certains en profitent pour propager leurs propres préjugés, qui prennent alors la couleur de vérités scientifiques alors qu’ils ignorent allègrement sur des pans entiers de la recherche (pour ces questions il serait souvent bien plus pertinent d’interroger des anthropologues ou des ethnologues par exemple, ou encore des épidémiologistes). Sans vouloir discréditer tout avis émis ex cathedra, il peut donc être utile d’aiguiser un peu son sens critique.

Concrètement, que faire quand on est confronté à une sentence d’expert, qu’elle soit dans une émission ou un article ou lors d’une consultation privée ?

  • Rechercher les éventuels conflits d’intérêt de la personne. Les déclarations d’intérêt des experts sont publiées sur les sites des agences et autorités publiques qui les sollicitent : voir par exemple la Haute autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM, ex AFSSAPS) ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, ex- Afssa et Afsset). Par exemple vous trouverez ici la déclaration d’intérêt du Dr Brigitte Letombe, à qui l’enquête du Monde s’est intéressée. Evidemment tous les experts médiatiques ne collaborent pas avec ces agences (ainsi je n’ai pas trouvé l’équivalent pour Israël Nisand, également cité dans l’article) mais c’est une première piste. Une recherche google peut également faire ressortir un colloque ou autre événement sponsorisé par les industriels dans lequel l’expert serait plus ou moins impliqué. Dans un cabinet médical, observez les affiches, prospectus, stylos etc : parfois les logos sont bien visibles, parfois c’est écrit en tout petit (par exemple la fameuse affiche pour le lait de croissance avec le biberon plein de frites était une production du Syndicat français des aliments de l’enfance, qui représente les intérêts de l’industrie agro-alimentaire -pour tout savoir sur le lait de croissance c’est ici). Certains avancent l’argument fallacieux que comme ils sont payés par tous ils n’en privilégient aucun, n’empêche qu’un médecin payé par les fabricants de pilule n’aura pas intérêt à mettre en avant les DIU ou les diaphragmes par exemple.
  • Vérifier la solidité scientifique de l’argument. A minima il doit être appuyé par des données scientifiques publiées, de préférence dans une revue à comité de lecture. La qualité de ces études et leur applicabilité étant variable, le must est une revue (ou mieux, une méta-analyse) de l’ensemble des études existantes. C’est le mode de travail de l’initiative Cochrane, dont certains travaux sont disponibles en français. En français, on peut également citer la revue Prescrire (même si beaucoup d’articles ne sont disponibles que sur abonnement) ou le Formindep. Les agences publiques citées ci-dessus (il y a aussi l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, INPES et l’Institut de veille sanitaire, InVS) sont normalement une source d’expertise collégiale et basée sur les preuves, même si elles font régulièrement l’objet de critiques nourries (il y a aussi les agences européennes et celles d’autres pays occidentaux, avec les mêmes limites, sans parler des dissonances parfois observées d’un pays à l’autre). Les sociétés médicales ou associations de patients sont également une source d’informations, mais certaines sont également financées par l’industrie et d’autres peuvent privilégier des intérêts corporatistes. Si vous lisez l’anglais, il est intéressant de comparer le point de vue des gynécos étatsuniens sur l’accouchement à domicile (« si vraiment vous y tenez et que vous n’êtes pas trop gênée par la mort de votre bébé, faites-vous plaisir ») à celui de leurs homologues britanniques (« proposons l’AAD avec une sage-femme à toutes les femmes à bas risque, peut-être même que ce sera mieux pour elles »). A noter que la revue Cochrane qui s’est penchée sur le sujet va plutôt dans le sens des Anglais, même si comme souvent sur ces questions elle souligne un manque de données de bonne qualité. Il me semble qu’en particulier pour la périnatalité, beaucoup de questions ne sont pas strictement médicales et biologiques mais ont une forte composante culturelle et sociologique : qu’il s’agisse du sommeil, de la nourriture (y compris l’allaitement) ou de l’éducation en général, l’émergence de recherches pluridisciplinaires mêlant la biologie, la médecine, la psychologie et les sciences sociales est encore balbutiante (et hélas peu médiatisée).

Evidemment, la médecine ne se résume pas à l’application stricte des données de la recherche, sinon on pourrait remplacer les médecins par des ordinateurs qui suivraient des arbres de décision (et alors on n’aurait plus de blog de médecin à lire quand on s’emmerde au boulot). En plus si vous lisez un certain nombre de publications de la collaboration Cochrane par exemple, vous verrez que la phrase « les recherches existantes ne permettent pas de conclure » est sans doute celle qui revient le plus souvent. S’il faut donc descendre l’expert de son piédestal, il ne faut pas pour autant le jeter avec l’eau du bain.

Pour finir, voici les liens de quelques camarades blogueurs qui publient des billets basés sur la littérature médicale, même si je ne suis pas toujours d’accord avec tout (un jour, je mettrai à jour ma blogroll, un jour…) :

Photo : pardon, j’ai pas pu m’empêcher

Les parents sont-ils nuls ?

mardi, mars 25th, 2008

super nanny Si vous traînez un peu sur la blogosphère bébé/enfant, vous n’avez pas pu échapper à une récente interview d’Aldo Naouri, pédiatre médiatique, dans Elle. Si elle n’est plus en ligne, vous en trouverez une retranscription ici, ainsi qu’une autre de ses bafouilles pour le Point (avec commentaires de la blogueuse). Son but principal semble être de redonner l’autorité aux parents, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, même si certaines de ses méthodes feraient passer Super Nanny pour une baba cool portée sur le hasch (genre supprimer le doudou ou la tétine à deux ans précis, sans préavis ni explication, ou introduire des horaires de repas militaires après 3 mois).

Ce qui me fait halluciner, ce n’est pas tant le contenu de ses propos, mais l’arrogance de ce genre de personnage, qui à la fois accuse les parents de se laisser mener en barque par leurs enfants et en même temps les infantilise en leurs posant des tas de normes et d’interdits sur les sujets les plus personnels. On en arrive au point où il vous dit combien de fois dire « je t’aime » à votre enfant. Vous imaginez demander à votre gynéco ou à votre médecin traitant combien de fois par jour dire « je t’aime » à votre tendre moitié ? Non, évidemment, c’est un équilibre que vous avez trouvé tout seuls comme des grands. Parce que dans la vie de tous les jours, qu’il s’agisse de votre boulot, de votre couple ou de vos prochaines vacances, vous savez vous débrouiller seul, sans que tout le monde vienne y mettre son grain de sable.

Mais dès qu’il s’agit d’éducation, tout le monde s’érige en expert et se mêle de donner des conseils à gogo, sans se soucier qu’ils soient contradictoires ou surtout fort mal à propos. Les pédiatres notamment, parés de l’autorité médicale, tendent (surtout pour certains cas médiatiques) à outrepasser leur rôle : il n’est certes pas évident de définir la limite entre éducation, santé et bien-être, mais vous dire que votre enfant ne devrait plus prendre la tétine là maintenant tout de suite, devrait prendre 30 ml de lait de plus ou de moins, ou devrait le prendre à 16h et pas à 16h15, no comment. Et par-dessus le marché, on accuse les parents de démissionner devant leurs enfants et de ne plus avoir d’autorité. Croit-on vraiment qu’un parent sera plus respecté par son gosse s’il fait « comme on lui a dit » (même s’il ne voit pas très bien pourquoi ou comment) ? Les enfants ne sont pas stupides, loin de là, et sont très forts pour vous mettre devant vos propres contradictions.

Evidemment, c’est au pédiatre de vous transmettre les dernières connaissances scientifiques (comme « coucher un enfant sur le dos diminue les risques de mort subite du nourrisson », ou « donner du beurre de cacahuète à un enfant de 4 mois risque de le rendre allergique et/ou obèse »), et ces conseils sont souvent utiles et salutaires. C’est vrai qu’on se retrouve souvent parfois en panique devant ce truc bizarre qu’est le bébé, dont on a mystérieusement oublié de nous communiquer le mode d’emploi. On est alors prêt à croire la première personne qui a l’air de détenir LA solution miracle. Autant vous le dire tout de suite : c’est comme la recette magique pour maigrir sans régime et sans sport, ça n’existe pas. Et au final, c’est à vous de faire le tri dans tous ces conseils et ces idées, car c’est vous qui savez ce qui est le plus important pour vous et pour votre enfant, ce qui va marcher pour votre famille. Pour les trucs vraiment graves (genre « ne pas balancer son enfant par la fenêtre »), il y a la loi et les services sociaux.

Alors s’il vous plaît, mesdames et messieurs les donneurs de leçon, arrêtez de nous prendre pour des buses, merci, on sait très bien comment élever nos enfants, mais on finirait presque par l’oublier à force de se faire répéter à longueur de journée qu’on est incompétents.