Pour commencer dignement cette année 2010 (que je vous souhaite bien sûr remplie de bonheur, de succès, de joie et d’enfants qui dorment 12 heures par nuit), je vais partager avec vous une bonne résolution.
Comme vous le savez sans doute si vous lisez régulièrement les articles de la Basse-cour, j’essaie d’avoir l’esprit relativement critique sur les traitements médicaux, en particulier pour ce qui ne me semble pas essentiel (si j’ai une pneumonie et qu’on me prescrit des antibios, je ne crois pas que j’irai faire une recherche avant de les prendre…). Au-delà de la confiance qu’on peut avoir en un praticien (et qui est bien sûr essentielle au bon fonctionnement de la thérapie), je m’appuie sur l‘Evidence-based medicine (EBM pour les intimes) ou Médecine factuelle en français (voir ici ou là pour plus d’explications). Ce système de pensée a déjà été pas mal intégré dans la médecine allopathique occidentale, même s’il reste encore beaucoup de travail, notamment en obstétrique (voir par exemple la réticence de certains à abandonner des pratiques démontrées nocives et/ou inutiles comme l’épisiotomie ou le monitoring continu systématiques). A côté, les remèdes plus traditionnels et les médecines alternatives restent moins étudiés, et c’est fort dommage. Il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain, il est clair que notamment les plantes recèlent de molécules actives avec des propriétés thérapeutiques (l‘aspirine vient du saule par exemple, la pénicilline de champignons). Or pour beaucoup de produits de ce type c’est surtout basé sur l’expérience générale d’un praticien, et pas du tout sur des tests standardisés, avec des contrôles, des placebos, des doubles aveugles etc. Scientifiquement je ne trouve pas ça satisfaisant. Et l’argument « c’est naturel donc c’est bien/pas dangereux » n’a à mon sens aucune valeur, je laisse ses tenants le tester par ingestion de ciguë ou d’ammanite phalloïde (garantis bio et sans OGM). S’il y a des molécules actives, il y a forcément des effets indésirables potentiels.
Donc ma résolution pour cette nouvelle année, c’est d’aller voir sur PubMed (THE base de données des articles médicaux) à chaque fois qu’une proposition de traitement me pose question, histoire de voir s’il est utile et quels en sont les risques éventuels. N’ayant accès qu’aux résumés, cela ne donne hélas qu’une vue partielle des études mais je trouve que c’est toujours mieux que rien. Il est révélateur de constater le faible nombre d’études que je trouve à chacune de mes recherches (en général moins de 20).
Voici déjà quelques exemples sur des prescriptions faites au cours de la grossesse. Loin de moi l’idée de vous dire quoi faire ou pas, simplement partager avec vous ce que j’ai trouvé afin que, si cela vous intéresse, cela puisse vous aider à prendre une décision éclairée.
La tisane de feuille de framboisier : à prendre le dernier mois pour préparer l’utérus et les tissus. Je lance donc une recherche sur « raspberry leaf pregnancy ». Bingo, la première entrée est un article « Raspberry leaf -should it be recommended to pregnant women? ». Il s’agit d’une revue de la littérature existante, donc plutôt intéressant puisque permettant de prendre en compte plusieurs études et tests. Le résumé déplore l’absence de recherche sur le sujet ; les quelques données disponibles indiquent un risque possible pour l’enfant à naître et ne permettent pas de mettre en évidence son efficacité. Donc en l’état actuel des connaissances : ça ne sert à rien et c’est potentiellement dangereux. Une autre étude va dans le même sens. On peut tout de même tempérer par une étude randomisée en double aveugle avec contrôle par placebo sur la prise de comprimés de feuille de framboisier à partir de 32 semaines de grossesse. Les auteurs concluent qu’il y a peu de différences significatives entre les deux groupes et qu’il faudrait plus de recherches, notamment sur le dosage. Conclusion : je passe (en plus ça a pas l’air super bon).
Le massage du périnée en fin de grossesse pour éviter épisio et déchirures : résultats de la recherche « antenatal perineal massage ». Une première revue de la littérature ne parle pas de ces massages : sa principale conclusion est que la meilleure protection du périnée passe par la diminution de l’utilisation de l’épisiotomie, pour les autres pratiques on est dans le flou. Une autre quant à elle arrive à la conclusion suivante : les massages du périnée pendant la grossesse diminuent la probabilité d’avoir une épisiotomie, en particulier chez les primipares, et peuvent diminuer les douleurs du périnée du post partum (3 mois après la naissance) chez les femmes ayant déjà accouché par voie basse. Par contre il n’influence pas les déchirures (quel qu’en soit le degré), l’incidence des extractions instrumentales, la satisfaction sexuelle et le risque d’incontinence. Enfin un article dont le résumé ne montre pas très bien sur quoi il se base (revue de la littérature ? essais cliniques ? « on dit » ?) cite le massage du périnée chez les primipares comme moyen de réduire les traumatismes des voies génitales, avec un certain nombre d’autres facteurs (position d’accouchement verticale ou latérale, éviter la poussée de Vasalva*, éviter l’épisiotomie, gérer la sortie de la tête du bébé…). Il y a aussi des études randomisées avec comparaison d’un groupe témoin et d’un groupe faisant des massages (bon on ne peut pas faire ça en double aveugle comme avec un médicament, les femmes ayant tendance à se rendre compte de si elles se massent ou pas…). Les résultats ne sont pas très tranchés (ha ha ha) :
- Shipman et al (1997) : Le massage du périnée semble avoir certains bénéfices en termes de réduction des déchirures de 2ème et 3ème degré, des épisiotomies et des extractions instrumentales. Ces effets sont plus marqués chez les femmes de 30 ans et plus.
- Eogan et al (2006) : Le massage permet de limiter la douleur du périnée lors du post partum mais n’influence pas le taux de périnées intacts lors de l’accouchement, pas plus que les lésions du sphincter anal.
- Meidan et al (2008) : Le massage n’a d’effet ni bénéfique ni délétère sur l’occurrence d’un traumatisme du périnée.
A noter que ces trois études ont été conduites chez des primipares attendant un seul enfant. Par ailleurs, avec les résumés du moins, si on veut se lancer dans le massage, on ne sait pas : quand commencer, à quelle fréquence, combien de temps, faut-il utiliser une huile ou une crème (si oui laquelle ?), avec quelle technique ? J’avoue qu’en ce qui me concerne, n’étant pas très tentée par la chose, je ne trouve pas cela suffisamment convaincant pour lever mes réticences. Mais pour le coup je reconnais que ça ne peut pas faire de mal.
Le massage des tétons en fin de grossesse pour préparer l’allaitement ; après quelques essais infructueux je trouve des articles intéressants avec les mots clés « nipple massage ».
- Brown et Hurlock (1975) : ils ont demandé à des femmes de préparer un seul sein en se massant les tétons, en appliquant de la crème ou en exprimant du colostrum. Aucune différence n’a été observée entre les seins en termes de sensibilité ou de traumatisme.
- Whitley (1978) : un sondage a été conduit auprès de jeunes mères et permet de proposer entre autres que le massage des tétons et des seins (avec expression de colostrum) n’est associé ni à un allaitement plus long ni à une prévention des tétons irrités et des engorgements. Cette hypothèse reste à étayer par des études plus poussées.
Je trouve incroyable qu’en ces temps où les pouvoirs publics veulent promouvoir l’allaitement on ne trouve pas plus d’études plus récentes. Ceci dit la Leche league par exemple ne recommande aucune préparation des seins, si ce n’est dans un but de « familiarisation » pour les femmes qui ne sont pas très à l’aise avec l’idée d’allaiter et avec leur corps en général.
Les soins du cordon à la teinture-mère de calendula : je n’ai rien trouvé sur ce sujet sur PubMed, par contre il y a un certain nombre d’articles démontrant l’efficacité du calendula pour d’autres affections. En élargissant ma recherche au grand Google, je suis tombée sur les recommandations de la fédération des sages-femmes suisses sur les soins du cordon. Il ne semble pas très clair qu’il y ait vraiment besoin de traiter le cordon, mais si on le fait le calendula ne semble pas pire qu’autre chose, donc pourquoi pas.
Si vous avez d’autres données sur ces sujets ou sur d’autres pouvant intéresser la basse-cour, n’hésitez pas à les partager.
*qui semble correspondre à notre « inspirez-bloquez-poussez » mais qu’on me corrige si je me trompe.
Photo : après le sondage organisé par Clemys à l’occasion d’un précédent billet, je vous remets George, le grand vainqueur, pour commencer l’année tout en douceur (what else ?).