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A peine deux lunes – le témoignage de Minka

mardi, juillet 22nd, 2014

Phobos et Deimos, les deux lunes de Mars (Wikimedia Commons)

Après un long silence, un peu d’activité sur ce blog avec le témoignage de Minka (que vous pouvez retrouver avec plaisir sur Twitter ou sur son blog, où ce texte est également publié).

 Mardi, première écho, à la maternité. J’en suis à 11 semaines de grossesse. La deuxième, on a déjà un enfant de 2 ans et demi. On aurait aimé un peu moins d’écart mais cette grossesse-là s’est un tout petit peu fait attendre.
L’écho commence, je trouve l’embryon bien petit (bien que je n’y connaisse rien), je ne me détends pas. Je me souviens que pour celle de ma grossesse précédente, j’avais souri jusqu’aux oreilles à la seconde où je l’avais vu à l’écran, avant même qu’on nous confirme que tout va bien. Je me raisonne, le gynéco n’a rien dit de négatif, il prend des mesures, 3 cm, il dit « et maintenant on essaie d’écouter le cœur » – je n’aime pas cet « essaie ». Phrase suivante, « Je suis désolé, il n’y a pas 36 façons de vous le dire, vous voyez que c’est une grossesse qui s’est arrêtée, il y a environ deux semaines. »

On retourne dans son bureau, il explique le protocole hospitalier, plutôt lourd : un cachet à prendre, deux autres le surlendemain, puis une opération sous anesthésie générale quelques heures plus tard. Il est très humain, souligne la banalité médicale de ce qui nous arrive et de l’opération, mais dit aussi qu’il sait que dans nos cœurs et dans nos têtes, c’était déjà un bébé et qu’il sait bien que c’est difficile. Je demande si on peut prendre un peu de temps, il me répond que bien sûr, qu’il n’y a aucune urgence médicale, que là il vient de nous assommer, qu’il nous balance encore plein d’informations et qu’il nous faut le temps de digérer tout cela … Mais que comme justement ce n’est pas une urgence médicale, il n’est pas dit qu’une fois que je serai prête ils pourront s’occuper de moi tout de suite, donc il m’enjoint à rappeler dans deux jours.

On rentre. Le portable sonne, les quelques copains au courant veulent des nouvelles. Je leur réponds, des larmes dans la gorge. Je suis sidérée, N. aussi. Le médecin nous a bien expliqué que c’était courant, et que la plupart des grossesses arrêtées dont on avait conscience (selon lui, une grossesse sur deux se finit ainsi, mais la plupart tellement rapidement qu’on ne le sait pas, on croit que les règles ont quelques jours de retard) se découvrent à ce moment-là, avant que l’organisme commence à évacuer l’embryon.
On récupère notre petite chez des amis, on coupe en deux mots leur grand sourire et « Alors tout va bien ? ». On rentre chez nous, on explique ce qui se passe à notre enfant, aussi simplement que possible. « Mais il est parti où ? » « Il est mort, ma chérie. C’était pas encore un bébé, tu sais, c’était comme un pépin de bébé, il aurait pu devenir grand, mais il n’a pas réussi » « Ah mais pourquoi ? » « On ne sait pas pourquoi, ça arrive parfois … »On avait prévu une soirée chez d’autres amis pour leur annoncer la nouvelle, N. y va avec Z., j’ai besoin d’être seule, d’appeler des gens et de considérer mes options. J’appelle d’abord une amie qui a vécu la même chose il y a quelques années, elle m’explique comment ça s’est passé pour elle, une séance d’acupuncture pour débloquer les choses, cinq jours d’attente, une évacuation naturelle et complète mais très douloureuse qui se finit aux urgences. J’appelle ensuite ma sage-femme, je dois la voir le surlendemain, on maintient le rendez-vous. Je ne sais plus ce qu’on se dit, à part que je n’ai pas d’arrêt de travail et qu’il faudrait que j’en obtienne un. Je reste dans le jardin, je regarde les papillons, le chaton, les jeunes pousses. Je ne vais pas sur Internet, je ne me renseigne pas davantage. Je laisse passer.

Les miens reviennent, un peu tard, on va vite se coucher, je pleure un peu dans les bras de N. Je m’endors, je me réveille en pleurs vers 4h du matin. Ma décision est prise, je vais suivre le protocole de l’hôpital, même s’il me paraît lourd, même si l’anesthésie générale me fait peur. Je n’ai pas envie de me battre, d’imposer ma façon de faire, de chercher un autre hôpital. Celui-là n’est pas parfait, avec son absence d’options et donc de consentement éclairé, mais je peux faire avec le protocole imposé, je sais que les gens y sont très humains (même si enfermés dans leur façon de faire), j’ai une grande confiance dans le gynéco et c’est ce qui m’importe le plus.

J’appelle mon généraliste, il me donne deux jours d’arrêt de travail, puis l’hôpital, la secrétaire est charmante, elle attendait mon coup de fil car le gynéco lui avait laissé un mot, elle se débrouille pour avoir des consultations rapidement, je peux revenir le jour même pour le premier cachet, puis un rendez-vous avec l’anesthésiste. On reconfie la môme à des amis – je nous découvre plus et mieux entourés que je croyais, N. m’accompagne à la maternité. Au secrétariat, je crois m’adresser à la personne que j’ai eue plusieurs fois au téléphone le matin même, elle ne me remet pas, j’ai un blanc au moment de lui expliquer la situation, et je dis « J’ai un bébé dans le ventre, il n’est pas vivant ». Je suis plus secouée que je croyais … L’autre secrétaire prend le relais, c’est elle à qui j’ai parlé. Le même gynéco nous reçoit, c’est pourtant son jour de congé, je prends devant lui le médoc qui va arrêter l’imprégnation, puis il me donne deux Cytotec, à prendre le lendemain le plus tard possible dans la nuit (voir le matin du surlendemain, vers 2h), l’un à avaler, l’autre à mettre au fond du vagin. Puis on voit l’anesthésiste. Entre les deux, on va déjeuner, on arrive à parler de plein de choses, aussi des pas tristes, des projets, à créer des moments de gaieté au milieu de tout ça. Je suis fière de nous.

Jeudi matin, je me lève, en sanglots encore, je vais dans le jardin. Aujourd’hui, à part ma sage-femme que je vois une heure et qui me conseille de demander deux semaines d’arrêt, je reste à la maison. Je lis les témoignages de fausses couches sur le blog de poulepondeuse. C’est donc bien ça, ce que je vis : une fausse couche, même si je n’ai pas encore vu une goutte de sang. Casse-tête pour faire garder la môme pour le lendemain. Je dois donc prendre les Cytotec, qui vont déclencher les saignements, dans la nuit de jeudi à vendredi, et je suis attendue à 6h45 à la maternité – je pars à 6h de chez moi. Est-ce que je serai en état de conduire ? Est-ce qu’on demande à un ami de dormir la veille à la maison pour que N. m’emmène ? Mais j’ai besoin d’être seule chez moi cette nuit-là … Et on ne va pas emmener Z. là-bas évidemment … La faire passer la nuit ailleurs ? Ca n’a encore jamais été le cas, et nos amis proches du coin ont des nouveaux-nés … Finalement, on décide que j’irai seule au rendez-vous, et que N. me rejoindra dès que Z. sera réveillée : une amie viendra tôt la garder à la maison, histoire qu’elle garde ses repères. Et je prendrai le Cytotec, en accord avec ma sage-femme, plus tard afin de ne pas être gênée pendant la route : à 4 ou 5h du matin, l’heure à laquelle je me réveille depuis quelques jours.

Jeudi soir, douche et shampoing à la Bétadine. Je coupe aussi ma toison pubienne, court, en espérant ça évitera qu’on la rase. Vendredi matin, je me réveille, pas en pleurant cette fois. Je prends les cachets, une seconde douche à la Bétadine. Je fais la route, j’écoute Noir Désir, il y a une lune énorme accrochée à l’aube. J’arrive à la maternité, les sages-femmes et les infirmières puéricultrices prennent leur petit déjeuner. C’est par ce couloir que je suis arrivée pour accoucher il y a presque trois ans. Ca pourrait me serrer le coeur, ça l’apaise plutôt : cette épreuve, car c’en est une pour moi, je l’inclus dans ma maternité. J’entends des vagissements de nouveaux-nés et ça me va (mais les femmes enceintes me collent les larmes aux yeux). Je préviens la sage-femme du « retard » avec lequel j’ai pris le Cytotec, elle me dit qu’il n’y a aucun souci. Elle semble inquiète pour moi, me propose de rester, mais pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de parler. Elle repasse 15 minutes plus tard : ils ont le planning des opérations, ce sera en fin de matinée. Je commence à saigner vers 8h, ça ressemble beaucoup à des règles, la douleur est moins forte (cela dit j’ai des règles habituellement très douloureuses, et quand j’ai accouché je n’ai pas eu vraiment mal). Je pourrais m’énerver d’être coincée ici si tôt, déjà en tenue réglementaire, alors que je ne serai opérée que dans plusieurs heures, mais j’aime autant que ça se passe ici. Je ne peux pas lire, je pleure un peu, je griffonne dans un carnet.

Tu as vécu
Dans mon ventre
Deux lunes
Je t’appelais Ö
Ni fille ni garçon
Homoncule
Tom Pouce
Petite Poucette
Une ébauche
Et le docteur a dit
La grossesse est arrêtée
Ni vivant ni mort
Comme l’autre poème
Tu as oscillé entre le pas encore et le déjà plus
Et nous t’avons aimé
Et nous te pleurons
Mon corps alourdi par la grossesse et le deuil
Il me reste encore
Quatre heures
Avec toi
Qui n’est pas là
J’essaie de te dire au revoir

Je dis adieu à cette promesse de bébé. Mon mari arrive, je continue mes allers-retours aux toilettes. Au bout de deux heures, je sens quelque chose glisser en plus du sang, ça ressemble beaucoup à la sensation du placenta (pour lequel la délivrance a été naturelle). A partir de là je ne saigne presque plus, je lis, je n’ai plus besoin de me focaliser sur mon ventre.

Une grosse demi-heure plus tard sans saignement, on appelle une sage-femme et on demande une échographie. Je suis persuadée que tout est parti. Alors qu’elle va se renseigner, le brancardier arrive. Adorable lui aussi « Madame, enchanté, enfin je suis désolée de vous dire enchanté dans ces circonstances ». La SF revient, l’opération a lieu quand même, par sécurité me dit-on. Je pourrais obtenir gain de cause en tempêtant, je choisis de m’économiser. Ensuite, les infirmières de la salle d’opé me piquent et me posent quelques questions, dont pourquoi je suis là. Gentilles elles aussi « N’ayez pas peur Madame … – Je n’ai pas peur, je suis triste – Oh oui je comprends bien que vous êtes triste … ». Puis la salle d’op, très blanche, les anesthésistes qui discutent entre eux, le seul moment où je me sens vraiment seule et misérable. « Vous allez dormir », dit le plus vieux des deux, d’une voix joviale. Ducon.

Je me réveille, dans une sorte de salle d’attente avec des lits. Mes jambes sont sous le drap, comme quand je me suis endormie. Je regarde sous ma culotte d’hôpital, on ne m’a pas rasée. Une infirmière vient me voir, je lui pose des questions, est-ce que tout s’est bien passé (oui), est-ce que je peux boire (non), est-ce que je suis en train de lui poser toutes les questions deux fois (oui).
C’est fini. Je me suis réveillée, l’AG ne m’a pas tuée (oui, j’avais peur). Je veux remonter voir mon mari, je veux quitter l’hôpital. On me ramène dans ma chambre, il n’est pas encore là, je me rhabille « en civil », je me rince la bouche. N. revient, je suis quasi euphorique, c’est fini ! On va rentrer ! La sage-femme passe, me voit habillée, sourit, « j’allais vous dire de m’appeler pour le premier lever » … C’est la seule à prononcer le mot « fausse couche ». Je veux sortir, je fais tout pour qu’on voit que je suis bien réveillée. Je bous pendant ces deux heures d’observation. On me propose des antidouleurs, on insiste même un peu, mais je n’ai pas mal. Finalement on me libère, avec un arrêt de travail d’une journée (et encore, parce que je l’ai demandé).

Cela fait dix jours. J’ai le sentiment d’avoir été bien traitée, bien accueillie par l’équipe hospitalière, même si j’aurais aimé avoir l’occasion d’exprimer des choix. Parce que je connais d’autres interlocuteurs, j’ai pu avoir les réponses que j’attendais et découvrir des possibilités, choisir celle-ci en connaissance de cause, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Mais tout le monde a été chaleureux, humain.

Je suis encore triste. J’ai de la chance : cette grossesse s’est arrêtée tôt, je ne me sens pas trahie par mon corps, j’ai plutôt l’impression qu’il a fait ce qu’il fallait,et je ne considèrais pas l’embryon comme un enfant, plutôt comme une promesse. J’ai du chagrin, envie d’être encore enceinte, ou de l’être à nouveau, des larmes aux yeux de temps en temps. Mon mari est passé à autre chose, il est un peu inquiet pour moi. Et notre petite fille encaisse, a du mal à s’endormir, a peur (pour moi, je crois) et se pot-de-collise.  Mais cela aussi passera.

Entre leurs mains

dimanche, décembre 15th, 2013

 J’ai eu la chance d’être invitée à l’avant-première du film Entre leurs mains, un documentaire sur l’accouchement à domicile. J’y allais un peu nez au vent, n’ayant pas trop suivi le projet, et j’ai eu une très bonne surprise. Après quelques minutes, j’ai été happée et je n’ai plus vu le temps passer. D’habitude je n’aime pas trop les documentaires militants (même quand ils militent pour des causes que je soutiens), qui ont une fâcheuse tendance à en faire des tartines aux dépens de l’honnêteté intellectuelle la plus basique. Ce n’est pas le cas d’Entre leurs mains, qui fait un excellent travail, tout en sobriété et en finesse. J’ai aussi beaucoup apprécié l’équilibre délicat entre l’émotion et les arguments rationnels (ainsi que l’absence des chants mayas chers à mon amie 10 lunes). Très simplement, le film suit quatre sages-femmes qui ont fait ce choix d’accompagner des femmes et des couples dans leurs projets de naissance physiologique et respectée, à la maison ou en plateau technique. Il aborde aussi bien les raisons qui poussent les femmes dans ce choix, les questions que suscite cette approche de la naissance (tant du côté parents que du côté sage-femme), que les obstacles qui s’empilent contre elle.

Quelques mots d’abord sur l’accouchement à domicile (AAD) et l’inévitable question de la sécurité. On parle là d’une pratique extrêmement définie et cadrée, et pas comme on l’entend souvent d’un retour en arrière ou d’accoucher « comme les Africaines » (qui comme chacun sait forment un grand tout homogène). En réalité, il s’agit plutôt d’accoucher comme les Allemandes, les Suissesses, les Néerlandaises, les Anglaises… Les femmes qui font ce choix sont soigneusement sélectionnées en amont grâce au suivi prénatal : sont exclus les jumeaux (ou plus !), les bébés en siège, les prématurés et toutes les pathologies. Elles doivent également pouvoir être transférées facilement vers une maternité en cas de complication. La présence continue auprès de la femme de la sage-femme, avec les compétences et le matériel appropriés, permet une détection précoce des problèmes pouvant survenir en cours de travail. L’Association nationale des sages-femmes libérales récapitule tout cela dans sa charte de l’AAD.  Par ailleurs, la revue Cochrane sur le sujet, publiée en 2012, conclut qu’en l’état des connaissances… on ne peut pas conclure. Globalement il faut être vigilant sur les études sur le sujet qui mélangent souvent plusieurs types de naissances à domicile : non planifiées, avec une variété d’accompagnement (aux USA notamment il y a plusieurs « sortes » de sages-femmes, aux compétences différentes)…

Personnellement, ce que j’ai vu en filigrane tout le long du film et dans le débat qui a suivi, c’est le féminisme, même si le mot n’a jamais été prononcé. Des femmes qui se battent pour faire respecter leurs choix et leur corps, ça vous dit quelque chose ? Des femmes qui se battent pour offrir cette liberté, cette autonomie à d’autres femmes (les sages-femmes sont majoritairement des femmes même s’il y a aussi des hommes) ? Se battre est bien le mot, puisque tout est fait pour décourager ces pratiques. Au delà de l’opprobre qui pèse tant sur les femmes (forcément folles inconscientes) que sur les sages-femmes (des sorcières, voire des gourous sectaires), et qui use même les meilleures volontés, il y a la résistance active du reste du système de santé : les maternités qui refusent les inscriptions des femmes ayant un projet d’AAD (alors que c’est justement la condition de la sécurité), les femmes en transfert mal accueillies, les plateaux techniques qui restent fermés aux sages-femmes libérales (sauf de très rares exceptions)… et surtout l’assurance, obligatoire pour tout professionnel de santé, qui monte à 20 000 € par an pour pratiquer l’AAD, ce qui est totalement inenvisageable dans les conditions actuelles de leur rémunération (une sage-femme qui va se rendre disponible 24h/24 7j/7 pour accompagner une femme qui accouche, aussi longtemps que nécessaire, touchera 313,60 € de la Sécu, incluant le suivi des suites de couches). Ainsi ces sages-femmes travaillent à la limite de la légalité, risquant de fortes amendes, de la prison et la radiation de l’Ordre des sages-femmes (soit l’interdiction d’exercer leur passion et surtout leur gagne-pain).

Clarifions également un autre malentendu : personne dans le film (ou dans les défenseurs de l’accouchement physiologique que je connais d’ailleurs) ne milite pour interdire la péridurale ou pour imposer une nouvelle façon de faire aux femmes. Il ne s’agit surtout pas de faire de l’accouchement une nouvelle épreuve de bonnematernitude. L’objectif est d’une part que les femmes bénéficient d’informations leur permettant un choix éclairé, et d’autre part que ce choix ne soit pas purement virtuel. A mon sens, le problème relève de plusieurs difficultés :

  • les réticences de certains professionnels de santé à remettre en cause leurs pratiques, en dépit des preuves scientifiques de leur inutilité voire de leur nocivité (ainsi le monitoring continu entraîne plus d’interventions sans diminuer la mortalité infantile par rapport au monitoring intermittent, ainsi l’utilisation du Syntocinon augmente le risque d’hémorragie de la délivrance, etc), le tout mâtiné d’un certain paternalisme
  • un système de santé qui pense faire des économies sur le dos des femmes en remplaçant les sages-femmes par des machines-qui-font-PING (poke les Monty Python -à voir ABSOLUMENT)
  • l’inflation du risque médico-légal qui se retourne contre les patientes, les médecins et sages-femmes étant généralement poursuivis pour n’être pas intervenus plutôt que pour l’avoir fait inutilement

Le film en outre ne veut absolument pas opposer l’AAD à la naissance à l’hôpital, mais demande leur coexistence, ainsi qu’une meilleure prise en compte de la physiologie dans les maternités. Au delà des quelques inévitables sombres connards, il y a dans les hôpitaux une large majorité de gens qui font du mieux qu’ils peuvent avec les contraintes qu’ils subissent (de moyens, mais aussi de formation insuffisante sur l’accouchement physiologique -point bien abordé dans le film).

En tant que femme, en tant que féministe, je pense que ce film doit être aussi largement diffusé que possible. Il est intéressant de noter qu’il n’a pu voir le jour que grâce au soutien financier des particuliers, parmi lesquels une large majorité de femmes, si j’en crois le générique de fin. Il faut que les femmes et les filles (et aussi les hommes) sachent qu’une naissance peut être un évènement puissant et paisible, très loin des représentations hystériques qu’on en donne habituellement. Il faut mettre parmi les revendications féministes de premier plan : « une femme qui accouche, une sage-femme » (j’en avais déjà parlé il y a un moment, et c’est apparemment le cas au Royaume-Uni, d’après une des sages-femmes du film). Il n’est pas acceptable que 85% des femmes qui subissent une épisiotomie ne soient pas consultées (voire même pas informées). En France on est à 800 000 naissances par an : même en enlevant les naissances multiples et celles qui ont la « chance » d’accoucher deux fois dans l’année, ça fait quand même un paquet de femmes concernées.

Pour voir le film : il sera diffusé (en version courte) pendant les vacances sur Public Sénat (qui fait partie des financeurs, ayant identifié la dimension politique du sujet). Les dates sont disponibles ici (je comprendrai que ce ne soit pas votre priorité le 24 décembre à 22h30…). J’étais bien entourée pendant la projection, et mes camarades sages-femmes ont eu la souris plus vive que la mienne pour donner leur avis :

La « contraception » « naturelle »

jeudi, mai 2nd, 2013

Beauty in blood : de l’art avec du sang menstruel

Le récent « pilulegate » autour des risques liés aux pilules contraceptives, en particulier de 3ème et 4ème génération, a suscité un regain d’intérêt pour les méthodes dites de « contraception naturelle » (un célèbre fabricant de tests de grossesse et d’ovulation au nom coloré-mais-pas-trop en ayant profité pour vanter les mérites contraceptifs de son « moniteur d’ovulation » qui a défrayé la chronique -chez 10 lunes et Maman travaille notamment). Mais pourquoi tous ces guillemets ? D’abord certains définissent la contraception comme « l’ensemble des moyens employés pour provoquer une infécondité temporaire chez la femme ou chez l’homme » ; or les méthodes qui nous intéressent aujourd’hui s’attachent surtout à éviter les rapports sexuels en période féconde. Les tenants de ces techniques parlent plutôt d’espacement des naissances ou de planification familiale. Ensuite comme je l’ai déjà dit le terme de « naturel » veut dire à peu près tout et n’importe quoi, en particulier chez l’humain où nature et culture sont intimement entremêlées. Qui trouve ça naturel de faire sa courbe de température tous les matins au réveil ?

Ce qui m’a décidé à faire ce billet c’est qu’à force de lire des articles et d’échanger sur ce sujet j’ai l’impression qu’il y a une certaine confusion. En particulier, partant du postulat que ces méthodes seraient archaïques et peu fiables, certains laissent entendre qu’il ne faudrait même pas en parler. Je ne partage pas cet avis. Bien que le terme puisse recouvrir d’autres méthodes (coït interrompu, voire abstinence…) je me concentrerai ici sur les méthodes consistant à déterminer la période féconde du cycle féminin. A noter qu’outre les différentes techniques pour identifier cette période, il existe également différentes façons de la gérer : abstinence totale, sexe sans coït ou utilisation d’une méthode barrière (comme le préservatif). Mais revenons à la question de la période de fécondité féminine : comment la déterminer ?

  • La méthode du calendrier ou méthode Ogino-Knaus : on part du principe que l’ovulation a lieu 14 jours avant les règles, et comme on ne sait pas avec certitude quand tomberont les prochaines règles on se base sur le cycle le plus long que la femme ait observé. C’est une méthode peu fiable qui n’est plus recommandée par grand monde (le taux d’échec de base est estimé à 9% et monte à 25% en emploi typique).
  • Les méthodes d’observation : on peut suivre la température, les glaires cervicales (méthodes Billings et FertilityCare) et le col de l’utérus, séparément ou tous en même temps (on parle alors de méthode sympto-thermique). A part le thermomètre (et de quoi faire le graphique, sur papier ou ordinateur, sachant qu’il existe de nombreux sites et applis mobiles pour faciliter le suivi), il n’y a pas besoin de matériel particulier. Par contre il est généralement recommandé de suivre une formation, qui peut elle être payante (et non remboursée). Il n’est pas évident de trouver d’indice de Pearl (le taux d’échec quand c’est bien utilisé) pour chaque type d’observation, et une bonne partie des données disponibles vient d’entités faisant la promotion de ces méthodes (pour des raisons idéologiques ou commerciales), ce qui me rend un peu suspicieuse. Cependant, on peut arriver à une assez bonne fiabilité théorique (3% d’échecs voire moins d’1% -le top étant la méthode sympto-thermique), même si les taux en emploi typique sont beaucoup plus mauvais (jusqu’à 25%) -références : voir ici (article scientifique MAIS d’il y a 20 ans et avec quelques informations erronées qui incitent à la prudence) et ici (site plein de pubs dont on ne sait pas trop qui l’édite donc prudence aussi). L’étude dite de Düsseldorf, sur 851 femmes volontaires pour utiliser la méthode sympto-thermique arrive à un taux d’échec un peu supérieur à 2% (2.1-2.3%). Dans cette étude, la moitié se sont abstenues pendant leur période féconde et les autres ont utilisé une méthode barrière. La majorité des grossesses était due à une prise de risque durant la période féconde qui avait donc été correctement identifiée.
  • Les tests d’ovulation : Wikipedia a eu la bonne idée d’en recenser un certain nombre ici. Comme beaucoup sont vendus pour aider la conception plutôt que pour l’empêcher, on n’en connaît pas toujours la fiabilité. Le moniteur cité en début d’article annonce 6% d’échecs (je ne sais pas si c’est au minimum ou en emploi typique par contre).
  • La MAMA (méthode de l’allaitement maternel et de l’aménorrhée) : sous certaines conditions bien précises, sa fiabilité atteindrait 98% (mais là aussi manque de sources).

On voit donc que « contraception naturelle » recouvre une certaine variété de méthodes, avec une forte hétérogénéité de fiabilité. Pour mémoire, le préservatif masculin, qui est la méthode « barrière » la plus fiable, a un indice de Pearl de 2% et un taux d’échec en emploi typique de 15% ; la pilule elle part de 0.3 % et atteint 8% en emploi typique (voir toutes les méthodes ici). La méthode sympto-thermique ne me paraît donc pas un archaïsme forcément réservé aux cathos intégristes, mais une alternative possible à considérer quand on choisit sa contraception. Bien sûr, elle n’aura jamais la fiabilité d’un DIU (le nom officiel du stérilet), mais tout le monde ne peut (même si les femmes n’ayant pas d’enfant ou venant d’en avoir un sont éligibles, rappelons-le encore et encore) ou ne veut en porter un (et même le DIU connaît des échecs, j’en connais personnellement). A mon avis, le problème de la méthode sympto-thermique (qui est aussi un de ses attraits) c’est qu’une fois formé le couple doit complètement se prendre en charge : la femme pour suivre rigoureusement l’évolution de son cycle, et l’homme (et la femme bien sûr) pour jouer le jeu pendant la période fertile. C’est ce qui explique qu’elle soit si mauvaise en emploi typique, en particulier si c’est un choix par défaut. Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que l’identification de la période féconde sera sans doute plus aisée chez certaines femmes que chez d’autres. En outre, certaines femmes voient leur libido exacerbée dans les jours qui entourent l’ovulation, ce qui peut rendre l’abstinence particulièrement difficile (mais cela reste contournable par l’utilisation d’une méthode barrière). Enfin il est clair que cette méthode paraît plus adaptées à certains styles de vie (en gros un couple stable qui habite ensemble) qu’à d’autres.

A mon sens, l’autre inconvénient du balayage systématique de toutes ces méthodes façon « ce n’est pas fiable prenez plutôt ce petit comprimé une fois par jour tous les jours ça fera 60€ merci » c’est que du coup on parle peu du cycle menstruel (au point qu’il faudrait maintenant des « doulas menstruelles » pour nous expliquer tout ça…). Et quand on en parle, c’est souvent pour dire des conneries, comme « la pilule régularise les cycles », ce qui est faux puisque la pilule (en tout cas les pilules oestro-progestatives et la plupart du temps les pilules progestatives) arrête les cycles (voir Martin Winckler sur les règles sous pilule qui n’en sont pas). Qu’une femme souhaite avoir un cycle menstruel physiologique ou le mettre en sommeil avec des hormones c’est strictement son problème et son choix, mais il ne faut pas faire croire que la contraception hormonale guérit les règles douloureuses, trop abondantes ou irrégulières. Elle permet en arrêtant le cycle de traiter les symptômes mais avec le risque qu’ils reviennent à l’arrêt du traitement.

Plus généralement, je ne me reconnais pas dans la représentation habituelle du cycle menstruel : c’est soit la malédiction soit (beaucoup plus rarement ceci dit) la féminité sacrée à vénérer. C’est d’ailleurs le cas pour la plupart des fonctions biologiques propres au corps féminin (grossesse, naissance, allaitement…) : soit c’est une plaie, c’est sale, c’est tabou, et il faut s’en affranchir à tout prix (ou à défaut faire comme si ça n’existait pas), soit c’est un trésor pour la femme mais surtout pour la société qui en le portant au pinacle la place sur un bien inconfortable piédestal. J’aimerais simplement dire que le vécu du cycle menstruel est très variable d’une femme à l’autre (et au cours de la vie de chacune), qu’il peut être positif ou négatif ou même neutre. Que s’il n’est bien sûr pas une pathologie en soi il peut être effectivement dysfonctionnel et que ces maladies méritent d’être traitées comme telles et pas ignorées sous prétexte que c’est normal d’avoir des règles douloureuses. Et surtout qu’une femme peut avoir des raisons tout à fait légitimes d’être fatiguée, stressée, en colère ou énervée sans qu’on ne ramène ça à ses hormones. Certaines recherches remettent d’ailleurs en question l’existence même du syndrome prémenstruel, y voyant une prophétie auto-réalisatrice. Personnellement si je n’en souffre pas, loin de moi l’idée de remettre en question le vécu d’autres femmes, même si je pense qu’il faut être attentif à la tendance actuelle de l’industrie pharmaceutique à médicaliser toute souffrance pour nous vendre en retour une pilule miracle.

Pour finir, il me semble utile pour chaque femme de savoir comment suivre son cycle, et d’avoir des outils qui permettent de le faire facilement. Bien entendu utiliser ces informations pour éviter de tomber enceinte est comme on l’a vu une possibilité crédible (même si loin d’être adaptée à tous les cas), mais cela peut aussi aider à commencer une grossesse quand on le souhaite (et à la dater quand ça fonctionne), et tout simplement à pouvoir anticiper ses prochaines règles. Donc parlons de cycle menstruel (ce n’est pas sale… pense aux fleurs…), parlons de fertilité féminine, parlons-en en couple aussi (quelle contraception ? quels risques ? quel plan B en cas d’échec ?) et laissons chacune faire ses choix en toute connaissance de cause.

EDIT : Une clarification entre fiabilité théorique et « en emploi typique » (voir par ex ici), suite aux nombreuses demandes. L’efficacité théorique, c’est la probabilité que ça fonctionne en conditions parfaitement contrôlées, si on fait tout exactement comme prévu (par exemple on prend bien sa pilule les bons jours aux bonnes heures mais par exemple on a un métabolisme un peu atypique et on ne reçoit finalement pas la bonne dose d’hormone). « En emploi typique », c’est la vraie vie, on oublie sa pilule, on a une gastro, on a cru qu’il fallait la prendre qu’après un rapport… Pour le DIU la principale cause de variation entre « théorique » et « emploi typique » c’est une mauvaise pose par le professionnel ; on voit qu’elle est extrêmement faible. A l’inverse pour la méthode sympto-thermique, il y a de nombreuses étapes où l’utilisatrice peut se planter : surveillance incomplète ou erronée du cycle, prise de « risques » en période féconde etc.

Quelques liens (en anglais) : le blog de la Société pour la recherche sur le cycle menstruel et un article pour tout savoir sur les règles (bonne base pour la discussion « premières règles »). Et pour celles qui ont un cycle actif n’hésitez pas à lire mes billets sur la coupe menstruelle.

Fausse-couche : le témoignage de Vany

lundi, avril 8th, 2013

Voici le témoignage de Vany : l’histoire de sa première fausse-couche, mais aussi de son histoire pas banale de grossesses et de contraception. Comme quoi tout ne se passe pas toujours comme dans les livres… Merci à elle d’être venue partager cela ici ! Si vous souhaitez des informations et/ou échanger autour des fausses-couches précoces de façon plus générale, voir ce billet.

 On n’oublie jamais.

Il y a douze ans, j’ai rencontré mon mari. J’étais sous pilule, c’était le premier homme avec qui je faisais l’amour, on a utilisé des préservatifs.
Pourtant, des nausées, un retard de quelques jours et un test sanguin positif nous mettent dans une ambiance merdique.

Ca fait à peine six mois qu’on est ensemble, on vit dans un foyer de jeunes travailleurs, et si lui ne veut pas d’enfants (du moins, pas tout de suite), moi, je suis dans l’ambivalence.
Oui, c’est tôt, pas top côté matériel. Mais il y a tant de soucis de fertilité dans ma famille!
Si j’avorte et qu’après, j’ai des soucis pour tomber enceinte, vais-je réussir à ne pas m’en vouloir et surtout, à ne pas lui en vouloir, à lui?
Non. Le constat est net. Je chercherais un coupable et je lui en voudrais de m’obliger à subir un avortement que je n’arrive pas à désirer.

Deux semaines difficiles passent, pendant lesquelles nous nous évitons. Je lui laisse le choix d’accepter ma grossesse ou non. Je lui dis que je ne lui en voudrai pas s’il ne veut plus entendre parler de moi. Il comprend. Et finalement, après une longue conversation, on se décide : ce bébé, on le garde.

Je fais une écho de datation, entend les battements de coeur d’un petit haricot… Moment de doute et d’émerveillement.

Arrive la veille de la première écho, quelques gouttes de sang quand je vais aux toilettes. Un moment de panique silencieuse.  Je file aux urgences maternité de la ville la plus proche avec une amie infirmière.

Là, j’attends pendant deux heures dans une salle d’attente pleine de gros ventres qu’un gynéco daigne me recevoir. Il m’examine enfin, me dit que tout va bien. On fait une écho pour se rassurer. Sur l’écran, 6 ronds. Un corps, une tête, quatre membres. Une ébauche de ce futur petit que mon corps abrite. Je suis émerveillée, le haricot d’il y a six semaines est un vrai bébé maintenant.
Puis la phrase : « Mais le coeur ne bat pas. » Moi, dans mon rêve : « Ben si » « Non, Madame. Vous êtes enceinte de 12 semaines et ce foetus a arrêté son évolution à 8 semaines. Il faut vous opérer d’urgence pour évacuer tout ça, ou vous risquez votre fertilité. »
Je suis sous le choc. Incapable de pleurer, on me demande de voir un anesthésiste pour une intervention le lendemain matin, mais je suis incapable de me rappeler mon adresse, ma date de naissance. Heureusement, mon amie est là et parle pour moi.

Dans le bus qui me ramène chez moi, j’envoie un texto à ma mère « Je fais une fc, intervention demain. ne m’appelle pas » Bien sur, elle n’obéit pas, me rappelle de suite, me voilà à pleurer dans ce putain de bus et je lui raccroche au nez.

Rentrée dans notre chambre, je pleure, pleure, toutes les larmes de mon corps.
Je m’endors, me réveille, pleure, puis me rendors.

J’ai tant pleuré que je suis incapable de rester éveillée quand mon zhom arrive pour entamer une conversation sur ce qui va se passer le lendemain.

Ce lendemain tant détesté, j’arrive à la maternité.
On m’installe dans une chambre, sans rien me dire d’autre que de prendre deux cachets que me tend une infirmière.
Dix minutes après la prise, des contractions (à l’époque, je ne sais pas de quoi il s’agit) me tordent le ventre et j’insiste pour que zhom parte et ne revienne que lorsque tout sera fini.

Trente minutes plus tard, un brancardier arrive, et m’engueule de ne pas être en tenue de bloc. Je veux bien, moi, mais encore faudrait il m’en donner une!
« Elle est dans l’armoire Madame, voyons! »
Je me sens infantilisée et humiliée, en plus de l’état de choc dans lequel je suis depuis la veille.

Arrivée dans le bloc, deux infirmières sont là, en plein préparatifs. J’ai la gorge nouée, impossible de répondre à leurs questions.
Jusqu’à ce que l’une d’elle qui me demande pourquoi je suis là aujourd’hui, sans réponse de ma part, regarde le dossier, puis regarde sa collègue après m’avoir jeté un regard froid « Ha, un curetage…. »
Plus de conversations, ni de sourires. Je suis coupable de quelque chose que je ne comprends pas, que je n’ai pas désiré !

Heureusement, le gynéco vu la veille arrive. Une caresse sur la joue en me demandant comment je vais. Une larme qui coule.
Une grande compassion, je ne l’oublierai jamais.
Comme je n’oublierai jamais le changement de comportement des deux infirmières quand il a expliqué pourquoi je subis cette intervention.
Car d’un coup, les sourires reviennent. Mais pour moi, elles sont désormais fausses, des ennemies que je dois supporter.

Je me réveille un peu plus tard, je ne sens rien. Un coup de panique : aurait-il oublié de m’opérer?
On me ramène dans ma chambre et le brancardier me demande de descendre du brancard pour aller dans mon lit. Sans son aide. Il sait et me méprise, il me l’a fait comprendre. Une mare de sang. J’ai envie de pleurer, de crier, de frapper.
Je me couche, mais ces gouttes de sang sur le sol m’obsèdent, elles me désignent coupable, j’ai l’impression.

Me voilà donc à quatre pattes, avec du papier toilette, à me hâter de nettoyer avant que quelqu’un n’arrive et ne me juge encore.
Je prend d’ailleurs une douche froide (il n’y a pas d’eau chaude car les douches ne sont pas censées être utilisées dans ce service) pour effacer toute trace « de ma honte »

Deux heures plus tard, on me demande d’ailleurs de libérer ma chambre. Une heure avant celle prévue. Mais pour eux, peu importe, je gêne.
On m’emmène dans une salle d’attente, je suis toujours en état de choc. On me demande d’attendre, je n’ai pas le droit de partir seule.

Puis on me laisse. Et je découvre l’horreur : la salle d’attente est celle d’obstétrique. Je suis entourée de futures mamans radieuses aux bidons ronds, de jeunes mamans.

J’ai l’impression d’un puits sans fond, que je vais me disloquer si je ne quitte pas ce lieu sur l’instant!

Bien qu’on m’ait interdit de partir seule, aucune des infirmières qui me verra partir ne me retiendra.
Je sors de l’hôpital et je m’assois sur un truc en béton qui maintient un panneau. Je ne vois rien, ne sens rien, je suis anesthésiée. A tel point qu’il faudra bien dix minutes à mon zhom pour que je remarque enfin sa présence.

Trois semaines plus tard, j’ai revu ma gynéco habituelle, outrée de la façon dont s’était passé cette procédure. Outrée qu’on ne m’ait donné aucun médicament pour ne pas souffrir des contractions que j’ai eues pendant quatre jours. Outrée qu’on ne m’ait proposé aucun suivi, ni aucune contraception.
C’est elle qui m’a appris que j’aurais du reprendre la pilule le soir même. Qu’ils auraient du me prescrire un antidouleur et un antibio. Que j’aurais du refaire une écho de controle pour être sûre que tout est bien parti.

J’ai été traitée comme une coupable, alors même que cet avortement n’était pas désiré. Ils ont réussi à me faire sentir coupable. Coupable d’une chose que je ne pouvais éviter. C’est monstrueux. Et je n’imagine même pas la souffrance que cela peut causer à celles qui subissent cette procédure pour une IVG.

Douze ans plus tard, quand j’y repense, c’est toujours comme un cauchemar pour moi. Et j’en pleure encore de colère, de désillusion.

Heureusement, je suis une éternelle optimiste. Dès le lendemain, je n’ai plus versé une larme pour ça. J’ai été de l’avant.
J’ai écouté, stoïque, les phrases assassines qui, au mieux, nient cette vie que j’ai portée et la douleur de cette perte : « Bah, c’est mieux comme ça, tu en auras d’autres » et qui, au pire, me rendent coupable de ce malheur : « C’est mieux comme ça, tu n’étais pas prête, tu ne l’as
peut être pas assez voulu »….

Alors, j’admire. J’admire celles qui font ce choix et qui le vivent « bien » car pour moi, au fond, ça reste un choix « par défaut » et que, quoi qu’on dise, on ne l’oublie pas. Je crois que c’est aussi une souffrance pour beaucoup. Plus ou moins, certes. Mais quand même….

Voilà, je sais que ce n’est pas l’histoire d’un avortement à proprement parler. Mais ça démontre bien que si l’avortement est un droit, il est encore souvent mal vu par le corps médical qui peut vous donner l’impression d’être une meurtrière.

Je n’en ai jamais parlé. Les gens savent mais ne connaissent pas les détails. Mais moi, je n’oublie pas. Ni ce que j’ai vécu, ni ce bébé que j’ai perdu et qui vit toujours quelque part dans mon cœur.
Et ça me fait du bien, de raconter. Parce que ça me donner l’impression de ne pas l’oublier…

Après ça, j’ai fait deux autres fausses couches précoces « classiques ». Pendant plus de trois ans, j’ai essayé sans succès de tomber enceinte.
J’ai fait des examens à n’en plus finir, puis j’ai fini par me résigner à passer par une PMA. J’ai repris la pilule parce que j’ai trouvé un nouveau boulot.
Deux mois plus tard, j’étais enceinte.
Neuf mois plus tard, un pluvieux samedi de mars, un merveilleux petit homme est venu faire de nous une famille!
Puis j’ai eu deux autres enfants.

Je suis comblée mais toujours pas reconnue dans la douleur de ce que j’ai vécue.
On me traite d’irresponsable car je suis tombée enceinte quatre fois sous pilule. C’est impossible, me dit-on.
Jusqu’à ce que je tombe enceinte de mon dernier… sous stérilet!

Hyperfertilité. Manque de réactions aux progestatifs. Il aura fallu cette dernière grossesse pour qu’enfin, on me reconnaisse comme une victime des circonstances.
Mais néanmoins, personne ne comprend ma peine pour ces trois anges que je ne serrerai jamais dans mes bras.

On ne devrait pas avoir à se justifier quand on souhaite avorter. On ne devrait subir ni jugement, ni morale. Et on ne devrait pas nier la douleur des femmes qui subissent un curetage ou une aspiration, que ce soit pour une fausse couche ou une IVG.

Photo : l’issue heureuse d’une des grossesses de Vany

IVG : la tête ou le coeur – le témoignage de Leila

lundi, mars 4th, 2013

Un nouveau témoignage d’IVG aujourd’hui avec Leila, que je remercie beaucoup de venir partager avec nous. Si vous aussi vous souhaitez raconter votre histoire d’IVG ou de fausse-couche, il suffit de me l’envoyer à lapoulepondeuse at gmail point com. Si vous vous trouvez dans une situation de grossesse non désirée, un billet d’information est disponible ici (c’est aussi sous ce billet que je vous demande de commenter si vous voulez discuter autour de l’IVG, les commentaires du témoignage étant réservés à celui-ci). 

 Bruxelles, janvier 2013. Je me sens mal. Très mal. Je n’arrive plus à dormir. Ma tension est très basse. Je suis épuisée. J’ai mal au ventre, des nausées. Je pleure beaucoup. Je dois m’absenter au travail, le temps de comprendre ce qui se passe dans mon corps. J’imagine le pire. Après quelques jours, maman me propose de faire un test de grossesse. C’est impossible, je suis sous stérilet. Je le fais quand même.

Positif.

Je ne me sens pas enceinte, je n’ai pas pu connecter avec l’embryon. Je suis malade. Je sens que je n’y arriverai pas. J’ai déjà deux enfants, de 4 et 6 ans. J’ai 39 ans, mon mari 44. Maman, notre unique soutien, a 68 ans. Cette fois-ci, ni mon mari ni ma maman n’ont l’énergie nécessaire pour m’entourer. Moi aussi je suis fatiguée : déjà deux amours à gérer, un travail aux horaires fatigants.

Je suis de plus en plus mal. Ma tête tourne : que se passera-t-il si je n’ai pas la force physique  de mener cette grossesse à terme ? Pour moi mais
aussi pour le futur bébé ? Que se passera-t-il s’il y a un problème (risques plus élevés à cet âge quand même ; j’avais bu un peu et pris
quelques médicaments, ne me sachant pas enceinte), pour moi ou pour lui ? Que se passera-t-il pour mes deux amours, déjà là et bien réels ?
J’ai peur, très peur. Je panique. Quelle sera notre vie avec trois enfants ? Je n’y arriverai pas. Je ne saurai pas gérer cela. Comment pouvoir leur payer des études, leur accorder assez de temps dans toutes les étapes que la vie réserve ?
J’ai peur, il faut se décider, le délai pour l’IVG approche.

Je me décide, c’est la moins mauvaise solution, je me sens mal, je pleure, je pleure, je pleure beaucoup. Je n’ai pas de réel choix. La veille, j’avais rediscuté avec ma mère et mon mari. Aucun d’eux ne m’a poussée à le garder. Je ne leur en veux pas, ils sont fatigués eux aussi.
Le jour de l’intervention (8 semaines et 5 jours d’aménorrhée), je verse toutes les larmes de mon corps. Je suis prise d’une tristesse infinie.
L’embryon n’a pas souffert. Moi tellement ! Inconsciemment, j’aurais voulu le garder, j’aurais voulu être plus jeune, avoir plus d’entourage, pouvoir assurer à tous mes enfants un avenir digne et leur offrir une mère détendue…

Aujourd’hui, environ un mois après l’intervention, je suis encore infiniment triste quand j’y repense, c’est-à-dire à peu près à chaque
minute. Je ne sais pas quel autre chemin ma vie aurait pu prendre. Mais je sais que l’IVG peut nous arriver à toutes. Que c’est une épreuve extrêmement douloureuse et éprouvante psychologiquement (en tout cas pour moi ce fut le cas).
Et que, parfois, on ne peut parler de réel choix. Car le vie nous rattrape. Accueillir un bébé, ce n’est pas seulement l’aimer ni lui changer ses couches. C’est aussi se sentir assez solide pour pouvoir répondre à tous ses autres besoins, et ce toute sa vie durant.

La tête a parlé.
Pour le cœur, c’est autre chose…

Photo : Doug88888 sur Flickr

FCS : le témoignage d’Ella

lundi, février 25th, 2013

 Initialement, j’avais lancé un appel à témoignages d’IVG, parce qu’il me semblait qu’on manquait cruellement de parole sur ce sujet, de témoignages de femmes qui sont passées par là. Et puis Ella (une chouette sage-femme qui tient le blog Ella et Valentin) m’a envoyé son texte, qui ne parle pas d’IVG mais d’un sujet aussi tabou ou presque, la fausse-couche précoce. Quand vous l’aurez lu je pense que vous comprendrez pourquoi il m’a alors paru inévitable d’élargir ma proposition initiale de publication de témoignages d’IVG aux fausses-couches. Je suis consciente qu’entre ces témoignages et le fait que je n’écris pas beaucoup, le blog prend une teinte assez sombre, alors n’hésitez pas à naviguer dans les archives si vous trouvez cela trop pesant. Mais place au témoignage d’Ella, que je remercie du fond du coeur pour sa confiance.

Été 2010. Il fait beau, on est jeunes, amoureux. Depuis sept mois, on a décidé de faire un bébé. On rentre de vacances, et la prise de sang est positive. Un bébé pour le printemps. On est heureux… Je suis zen, tranquille, je ne fais aucune écho précoce. Tout va bien, pourquoi ? J’ai des nausées, je vomis, mais ça va. Et puis les nausées passent. Je suis bien. Je suis enceinte de 2 mois.

Septembre. Ce matin, mon homme souriait: « dans une semaine, première écho ! » Mais en me levant, je saigne. A l’écho, dans mon ventre, il n’y a plus qu’un œuf vide. Mon bébé s’est envolé il y a 1 mois…

Je prend des comprimés, pour faire partir cet œuf sans vie. J’ai mal, vraiment mal. Physiquement. Psychologiquement. Je rencontre un anesthésiste, au cas où. Cet abruti me parle d’IVG. Je crie, je pleure, je hurle, je fais un scandale jusqu’à ce qu’il efface ces trois lettres de mon dossier. « Mais c’est la même chose », me dit-il. Deux ans après, je le hais encore.

Un dimanche matin, mon corps laisse partir ce petit œuf…

Je n’ai aucun soutien. J’entends que ce n’est pas grave, que je suis jeune, que j’en aurais d’autres. Qu’il vaut mieux ça que d’accoucher d’un avorton. Que ce n’est pas normal que je pleure autant, que je devrais voir un psy.

Moi, j’ai juste besoin qu’on me prenne dans les bras, et qu’on me laisse faire mon deuil.

 

Janvier 2011. La prise de sang est positive, de nouveau. J’ai peur, mais je me dis qu’il n’y a pas de raison que ça recommence. Je fais une écho quand même, à 6SA. Tout va bien.

A 8 SA, une garde chargée, des pertes marrons. A l’écho, le petit cœur clignote. Je respire.

Mais dans la nuit, le sang. Dans mon ventre, il n’y a plus rien. Mon utérus n’est rempli que de sang. Le petit cœur ne clignote plus.

Je m’effondre. Je prend un arrêt de travail, note une date plusieurs semaines plus tard, le fait signer au médecin. Je suis incapable de travailler.

Je pleure. Beaucoup. Je tricote. Énormément. Maille après maille, je construis de mes mains ce que mon ventre ne peut faire. Je me coupe des gens. Je ne veux plus entendre leur non-compassion.

 

Avril 2011. Troisième prise de sang positive. J’ai peur cette fois, très peur. A 6 SA, l’écho révèle un décollement important. Repos strict.

J’ai des nausées, je vomis. Je m’en fiche. Le matin, je ne suis pas tranquille tant qu’une vague ne m’a pas envoyé la tête dans la cuvette.

Pendant quatre mois, je suis morte de trouille chaque jour. Ma collègue finit par me prêter un sonicaid. Tous les jours, j’écoute le cœur de mon bébé. J’ai du mal à m’y attacher. Je lui parle peu. Je suis heureuse d’être enceinte, mais j’ai du mal à créer un lien avec l’enfant que je porte.

 

Aujourd’hui, mon fils va bien. Il vient d’avoir un an. C’est un bébé intense, avec un besoin de contact énorme. Fusionnels ? Oui, on l’est. Je le porte, je l’allaite. Je le laisse le moins possible. Je ne peux pas.

Et mes autres bébés ? J’ai porté trois enfants, mais pour tout le monde, je n’en ai qu’un seul. Les autres, il faudrait que je les oublie. C’est le passé, paraît-il.

Mais ces anges m’ont faites mère, malgré tout. Ils n’ont fait que traverser ma vie mais m’ont apporté beaucoup. Sans eux, serais-je la mère que je suis…? j’en doute.

Souvent , je pense à eux. Qui étaient-ils ? Garçon, fille ? Je suis triste de les avoir perdus. D’un autre côté, sans ces deuils, le petit garçon que je regarde grandir chaque jour ne serait pas là… Ils sont partis pour lui laisser la place.

Non, ils n’étaient pas « rien ». Ils sont mes enfants. Mes petits anges partis si vite, passés dans ma vie comme des étoiles filantes. Mon deuil d’eux n’est pas fait. Je pleure encore en repensant à ces moments. Et déclenche l’incompréhension de mon entourage.

Une fausse-couche, ce n’est pas rien.

D’autres billets sur le même sujet :

Photo : Nuwandalice sur Flickr

Experts mode d’emploi

mardi, février 5th, 2013

 La controverse récente autour des pilules de 3ème et 4ème générations aura au moins eu le mérite de mettre en lumière la question du rôle des experts médicaux dans les médias, avec notamment une longue enquête du Monde sur les liens de certains gynécos avec les labos pharmaceutiques. Le choix de ces personnalités par les rédactions pour apporter un éclairage sur une question donnée ne semble en effet pas toujours être guidé ni par leur pertinence ni par leur compétence. Le Monde fait bien le point sur les conflits d’intérêt et les liens de nature diverse avec les labos pharmaceutique ou l’industrie agro-alimentaire, qui s’ils ne disqualifient pas entièrement l’expert devraient au moins être mentionnés. Notons que dans ce cas, certains médias particulièrement assujettis aux revenus publicitaires (et notamment la presse féminine et parentale) devraient sans doute en faire autant, ce qui ne laisserait pas grand chose à lire ou regarder.

Un autre problème moins mis en avant est l’incompétence de l’expert sur le sujet où on l’interroge : pourquoi interroger un pédiatre ou un psychanalyste sur la durée de l’allaitement ou la normalité du sommeil partagé ? Il n’est pas rare que certains en profitent pour propager leurs propres préjugés, qui prennent alors la couleur de vérités scientifiques alors qu’ils ignorent allègrement sur des pans entiers de la recherche (pour ces questions il serait souvent bien plus pertinent d’interroger des anthropologues ou des ethnologues par exemple, ou encore des épidémiologistes). Sans vouloir discréditer tout avis émis ex cathedra, il peut donc être utile d’aiguiser un peu son sens critique.

Concrètement, que faire quand on est confronté à une sentence d’expert, qu’elle soit dans une émission ou un article ou lors d’une consultation privée ?

  • Rechercher les éventuels conflits d’intérêt de la personne. Les déclarations d’intérêt des experts sont publiées sur les sites des agences et autorités publiques qui les sollicitent : voir par exemple la Haute autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM, ex AFSSAPS) ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, ex- Afssa et Afsset). Par exemple vous trouverez ici la déclaration d’intérêt du Dr Brigitte Letombe, à qui l’enquête du Monde s’est intéressée. Evidemment tous les experts médiatiques ne collaborent pas avec ces agences (ainsi je n’ai pas trouvé l’équivalent pour Israël Nisand, également cité dans l’article) mais c’est une première piste. Une recherche google peut également faire ressortir un colloque ou autre événement sponsorisé par les industriels dans lequel l’expert serait plus ou moins impliqué. Dans un cabinet médical, observez les affiches, prospectus, stylos etc : parfois les logos sont bien visibles, parfois c’est écrit en tout petit (par exemple la fameuse affiche pour le lait de croissance avec le biberon plein de frites était une production du Syndicat français des aliments de l’enfance, qui représente les intérêts de l’industrie agro-alimentaire -pour tout savoir sur le lait de croissance c’est ici). Certains avancent l’argument fallacieux que comme ils sont payés par tous ils n’en privilégient aucun, n’empêche qu’un médecin payé par les fabricants de pilule n’aura pas intérêt à mettre en avant les DIU ou les diaphragmes par exemple.
  • Vérifier la solidité scientifique de l’argument. A minima il doit être appuyé par des données scientifiques publiées, de préférence dans une revue à comité de lecture. La qualité de ces études et leur applicabilité étant variable, le must est une revue (ou mieux, une méta-analyse) de l’ensemble des études existantes. C’est le mode de travail de l’initiative Cochrane, dont certains travaux sont disponibles en français. En français, on peut également citer la revue Prescrire (même si beaucoup d’articles ne sont disponibles que sur abonnement) ou le Formindep. Les agences publiques citées ci-dessus (il y a aussi l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, INPES et l’Institut de veille sanitaire, InVS) sont normalement une source d’expertise collégiale et basée sur les preuves, même si elles font régulièrement l’objet de critiques nourries (il y a aussi les agences européennes et celles d’autres pays occidentaux, avec les mêmes limites, sans parler des dissonances parfois observées d’un pays à l’autre). Les sociétés médicales ou associations de patients sont également une source d’informations, mais certaines sont également financées par l’industrie et d’autres peuvent privilégier des intérêts corporatistes. Si vous lisez l’anglais, il est intéressant de comparer le point de vue des gynécos étatsuniens sur l’accouchement à domicile (« si vraiment vous y tenez et que vous n’êtes pas trop gênée par la mort de votre bébé, faites-vous plaisir ») à celui de leurs homologues britanniques (« proposons l’AAD avec une sage-femme à toutes les femmes à bas risque, peut-être même que ce sera mieux pour elles »). A noter que la revue Cochrane qui s’est penchée sur le sujet va plutôt dans le sens des Anglais, même si comme souvent sur ces questions elle souligne un manque de données de bonne qualité. Il me semble qu’en particulier pour la périnatalité, beaucoup de questions ne sont pas strictement médicales et biologiques mais ont une forte composante culturelle et sociologique : qu’il s’agisse du sommeil, de la nourriture (y compris l’allaitement) ou de l’éducation en général, l’émergence de recherches pluridisciplinaires mêlant la biologie, la médecine, la psychologie et les sciences sociales est encore balbutiante (et hélas peu médiatisée).

Evidemment, la médecine ne se résume pas à l’application stricte des données de la recherche, sinon on pourrait remplacer les médecins par des ordinateurs qui suivraient des arbres de décision (et alors on n’aurait plus de blog de médecin à lire quand on s’emmerde au boulot). En plus si vous lisez un certain nombre de publications de la collaboration Cochrane par exemple, vous verrez que la phrase « les recherches existantes ne permettent pas de conclure » est sans doute celle qui revient le plus souvent. S’il faut donc descendre l’expert de son piédestal, il ne faut pas pour autant le jeter avec l’eau du bain.

Pour finir, voici les liens de quelques camarades blogueurs qui publient des billets basés sur la littérature médicale, même si je ne suis pas toujours d’accord avec tout (un jour, je mettrai à jour ma blogroll, un jour…) :

Photo : pardon, j’ai pas pu m’empêcher

Parents, pensons la réforme des rythmes scolaires ensemble

mercredi, janvier 23rd, 2013

Aujourd’hui je relaie avec intérêt l’initiative lancée par quatre blogueurs pour remettre à plat la réforme des rythmes scolaires, sous la forme d’une tribune commune (à la rédaction de laquelle je n’ai malheureusement pas eu le temps de participer). Personnellement je suis un peu perplexe de constater que d’un côté les détails de la réforme restent flous et que de l’autre on nous annonce d’ores et déjà sa mise en oeuvre à la rentrée 2013, au moins à Paris. Merci donc à Nipette, Doudette, Libelul et Mauvais Père pour cette belle initiative. Vous pouvez aussi suivre toutes les infos en direct sur le site Parents ensemble ainsi que sur la page Facebook du collectif (je crains de manquer de temps pour tout relayer).

Nous sommes parents.

Nous sommes inquiets.

En maternelle et en élémentaire, le passage à la semaine à 4,5 jours doit être mis en œuvre dès la rentrée 2013, soit dans 9 mois. A ce jour, l’information dont nous disposons est parcellaire et contradictoire. Le projet tel qu’envisagé ne nous semble pas à la hauteur des enjeux.

Nous croyons cette réforme nécessaire et en partageons les objectifs, à savoir mieux apprendre et favoriser la réussite scolaire de tous. Depuis 2008, les écoliers français ont le nombre de jours d’école le plus faible des 34 pays de l’OCDE et de fait des journées plus longues et plus chargées que la plupart des autres élèves dans le monde. Cette situation est préjudiciable et doit être revue.

Cependant, le projet de réforme qui nous est présenté ne nous semble pas répondre à ces objectifs. Le choix de l’organisation sera à la discrétion des municipalités. On risque de se retrouver avec des communes où les enfants auront cours le samedi, d’autres le mercredi, d’autres encore auront une pause de midi allongée, d’autres finiront plus tôt et auront une période d’études/garderie plus longue, etc. Les moyens mis en œuvre dépendront essentiellement du budget des communes. Impossible, dans ces conditions, d’imaginer que cette réforme soit facteur d’égalité entre tous les enfants de France, quel que soit leur lieu de résidence et leur établissement scolaire. Il appartiendra aux municipalités de faire un choix et d’en répondre devant les électeurs en 2014.

Nous espérions qu’à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires, la place des arts, de la culture, des langues et du sport, etc. serait au cœur des préoccupations. Or, l’opacité des moyens à mettre en œuvre, l’augmentation du nombre d’enfants par animateur dans le temps périscolaire ainsi que la place choisie par les mairies pour ce temps (notamment à l’heure du déjeuner) vont diluer ces espoirs de diversification et de renforcement de ces enseignements.

Nous espérions également que cette réforme porterait sur l’intégralité du rythme scolaire, y compris le découpage entre vacances et classe et notamment la durée des grandes vacances. Force est de constater qu’il n’en est rien.

Nous sommes déçus et inquiets et rejoignons ainsi bien des enseignants. Nous craignons que l’augmentation du temps périscolaire sans réflexion quant à son contenu ni quant aux moyens de mise en œuvre fasse de ce temps un temps de désœuvrement organisé… Cela irait encore une fois à l’encontre de l’objectif de la réforme.

Afin de préserver le symbole de la demi-journée de cours supplémentaire, Il est essentiel de ne pas sacrifier les apprentissages, de ne pas perdre cette opportunité historique d’accroître l’égalité des chances des enfants face aux activités artistiques et sportives en créant du temps de garderie. Cela n’apporterait rien aux enfants, dévaloriserait un peu plus l’école et la fonction des enseignants et  remettrait en question l’organisation des familles.

Nous devons à nos enfants une réforme ambitieuse.

Citoyens connectés, blogueurs, parents, nous avons reçu de nombreux retours d’autres parents qui partagent nos inquiétudes et ne se sentent pas représentés.

Nous demandons à être entendus.

Prenons le temps de réformer l’école ensemble.

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Mon IVG en conscience : le témoignage de Koa

mardi, janvier 8th, 2013

 Aujourd’hui, c’est Koa, une fidèle lectrice et commentatrice de la basse-cour qui a souhaité partager le récit de son IVG. Un grand merci à elle pour sa confiance (et sa patience, oups…). Si vous aussi vous souhaitez publier ici votre témoignage (anonymat garanti), je vous propose de me l’envoyer à lapoulepondeuse at gmail point com. Pour plus d’informations sur les grossesses non désirées, voir ce billet.

Mon histoire est différente de celle de Nanette, mais j’ai envie de la raconter pour les mêmes raisons : j’ai envie qu’on parle d’IVG, que celles qui sont en train de prendre cette décision savent qu’elles ne sont pas seules, et faire entendre un autre son de cloche que celui qui est habituellement proposé. A ce moment-là, j’ai une petite fille adorable de 19 mois. Je l’ai maternée et l’accompagne avec tout mon coeur, toute mon énergie, et je suis fatiguée. J’ai adoré ma grossesse et je rêve d’en revivre une. Mais pas là, pas maintenant, alors que je dois reprendre le travail sous peu (et mon salaire fait bouillir la marmite familiale) et que mon corps est encore fatigué de cet accompagnement intense. Alors quand je découvre cette nouvelle grossesse, c’est un immense NON qui jaillit de moi. Non, je ne suis pas prête, non, je ne veux pas. Mon compagnon est sur la même longueur d’onde, pour autant, avant de lâcher, j’ai besoin qu’il accepte cet enfant. J’insiste jusqu’à ce qu’il dise qu’après tout, c’est en moi, c’est à moi de décider, qu’il acceptera même si ce n’est pas son souhait. Au moment où il accepte la possibilité de cet enfant, mon NON est clair et sans failles. NON. Je me dirige vers l’avortement.

Je suis en pleine campagne, à des heures de voiture de la ville. J’appelle une amie médecin qui me fait les papiers nécessaires, attestant qu’on a parlé et que je commence un délai de réflexion. Je prends des tisanes de sauge en espérant vaguement qu’elles aient un effet magique. Je fais une séance d’acupuncture en espérant que ça résolve le problème. Et puis dès mon retour en ville, je contacte l’hôpital. Le jour du rendez-vous, je me transforme en victime pour attendrir les sages-femmes et négocier la présence de mon compagnon avec moi. J’ai besoin de lui, mais les enfants ne sont pas admis dans le service et personne n’a pu garder ma fille en cette période de fête. Mes amies ont rejoint leur famille, je suis loin de la mienne. Tout le monde est beaucoup plus avenant que lorsque je négociais mon projet de naissance dans ce même hôpital… Mon compagnon peut m’accompagner. Je refuse l’examen gynécologique que je trouve inutile en la circonstance. Le médecin qui me reçoit est très compréhensif et n’insiste pas. Il m’apprend que, puisque je suis dans les délais pour une IVG médicamenteuse et que c’est mon souhait, j’aurais pu faire ça en ville, sans être hospitalisée. Pas d’hospitalisation ? Chez moi ? C’est CA que je veux ! Oui, mais une fois la procédure entamée à l’hôpital, elle doit se dérouler à l’hôpital… Je mets toute mon énergie à sortir du parcours hospitalier et ça marche.

Je suis reçue le soir même dans le cabinet de ville de ce même médecin. Ouf ! Je prends les médicaments seule, le soir, devant la flamme d’une bougie, en pensant à ce bébé qui ne naitra pas. Je suis en paix avec ma décision, je suis sereine, je lui envoie de l’amour. Quelque part, j’ai été heureuse d’être enceinte pendant 4 semaines… Ca paraît ambigu, mais en moi, c’est clair : je ne veux pas ce bébé, je fais ce qu’il faut, mais être enceinte a un petit côté magique et même en sachant que je ne poursuivrais pas cette grossesse, je l’ai ressenti et savouré. Deux jours plus tard, je prends les médicaments qui déclenchent les contractions. J’ai installé un grand drap par terre et je dessine en attendant que le processus s’enclenche. Mes dessins sont plein d’étoiles et de couleur. D’un seul coup, une première contraction, une deuxième… Mon corps se souvient qu’il a déjà poussé de toutes ses forces. Je retrouve les sensations de mon accouchement, c’est bizarre. Je prends des douches chaudes à intervalles réguliers pour me soulager. Comme pour mon accouchement, je sens que les sensations pourraient être qualifiées de « douloureuses » mais ce qui me vient, c’est surtout « intense », et « suprenant » car je ne m’attendais pas à une telle force pour expulser un si petit corps… Au bout d’un long moment, tout s’arrête. Sur le drap, du sang, du sang, encore du sang et ce que j’identifie comme l’embryon. Pendant que je suis une dernière fois sous la douche, mon compagnon plie le drap et y dessine un coeur.

Nous irons l’enterrer en forêt, sous le soleil et la neige, toujours guidés par l’amour pour ce bébé que nous avons choisi de ne pas accueillir. Une quinzaine de jours après, je vais effectuler l’échographie de contrôle. Le médecin me signale des « restes » et explique : « Soit vous l’expulsez avec vos prochaines règles, soit il faudra une petite opération, par les voies naturelles, pour l’enlever ». Je me retiens de crier « QUELLES voies naturelles ? Il y a des voies naturelles pour accoucher, pas pour y introduire un objet médical ! ». A la place, je lui ai demande s’il pense que l’acupuncture pourrait m’aider. Je revois l’air condescendant qui accompagnait son « Non » catégorique. En sortant, je prends quand même rendez-vous chez le praticien en médecine chinoise qui me suivait pour aider mon organisme à drainer les drogues (les restes de médicaments) et à retrouver de l’énergie. Je lui explique la situation. Il m’écoute attentivement, pose quelque aiguilles d’acupuncture… et au moment de me relever, je saigne abondamment. Je n’ai bien sûr rien prévu et je dois filer aux toilettes… La quasi totalité du rouleau de papier finit dans ma culotte mais j’ai un grand sourire. Quelques temps plus tard, l’écho suivante montrera que tout est revenu à la normale. Je suis très soulagée. L’histoire est finie.

Ce qu’il me reste de cette expérience, c’est que je suis heureuse d’avoir pu vivre les choses à ma façon, d’avoir évité, par deux fois, l’hôpital. Je suis heureuse d’avoir pu ressentir l’amour sans me l’interdire parce que « avorter, c’est mal, c’est le contraire de l’amour ». J’ai fait ce qu’il fallait pour ma vie, pour ma famille, à ma façon, en me respectant tout au long du processus. En cela, cette IVG m’aura permis de prendre confiance en moi, de me sentir maitresse de ce qui m’arrive. J’y ai gagné de la force et le souvenir du passage, très court et très particulier, de ce bébé.

Photo : Hembo Pagi sur Flickr

2013

dimanche, janvier 6th, 2013

 Comme tous les ans vient l’heure de vous souhaiter un tas de belles choses pour l’année qui vient : confiance, tolérance, patience et ?

  • naissance (pour ceux et celles qui l’attendent)
  • chance (ça marche pour tout le monde)
  • bombance (plutôt que pitance)
  • aisance (à vous de voir en quoi)
  • lactance (pour celles que ça intéresse bien sûr)
  • jactance (sur le blog de préférence)
  • croissance ou décroissance, c’est selon
Et comme tous les ans un rapide bilan (basé sur le rapport WordPress Jetpack puisque Google analytics est encore dans les choux). 320 000 vues en 2012 (ce qui est un peu moins qu’en 2011, et je crains que 2013 ne reste sur la lignée flemmance) pour 14 nouveaux billets, avec le top 5 (ce ne sont pas tous des articles de 2012) :
  1. Les mystères du col (encore et toujours, ce billet reste LE hit du blog)
  2. Pourquoi accoucher sans péridurale ? (et volontairement en plus)
  3. L’allaitement en public (c’est ça aussi de surfer sur la polémique)
  4. Casse-toi Dukon (et j’en profite pour faire de la pub à son petit frère Le poids : et alors ?)
  5. Comme une poule devant un siège auto
Cette année a aussi été marquée par les échanges : j’ai publié un article chez Genre! sur les dessins animés (qui me paraît particulièrement creux depuis que j’ai découvert Le cinéma est politique) et une tribune dans Le Plus pour répondre aux attaques de la gynécologue Odile Buisson sur le rôle des sages-femmes et l’accouchement hypermédicalisé. J’ai eu la joie d’écrire à quatre mains avec Dix lunes sur la rééducation périnéale et de collaborer très ponctuellement aux Vendredis intellos. Enfin c’est avec plaisir que j’ai accueilli Ficelle et Nanette pour leurs témoignages sur des sujets difficiles mais sur lesquels la parole me paraît toujours essentielle (bientôt d’autres témoignages d’IVG à venir, n’hésitez pas à proposer le vôtre).
Je dois bien sûr remercier Jaddo et Marie des Mamans testent (à qui je souhaite au moins une nuit de 12 heures consécutives en 2013) qui sont les sites qui m’ont envoyé le plus de monde (avec Facebook, Twitter et Hellocoton) ; et bien sûr les amateur-e-s de vagins que google continue à m’envoyer sans faillir malgré leur probable déception à l’arrivée…
Sur le fond des articles, mes poussins grandissent, mes préoccupations évoluent, même si je reste passionnée par la périnatalité. Je vais continuer, ici et sur les réseaux sociaux, à informer, échanger et militer pour les droits des femmes (lors de la maternité mais pas que, sans oublier l’incontournable droit au gras) et des enfants,  contre le sexisme, ses clichés et ses injonctions qui pourrissent la vie de tous, et surtout pour le choix libre et éclairé. Au boulot !
Illustration réalisée avec Appygraph