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La « contraception » « naturelle »

Par  • Le 2 mai 2013 à 20:02 • Catégorie : Contraception, Etre femme

Beauty in blood : de l’art avec du sang menstruel

Le récent « pilulegate » autour des risques liés aux pilules contraceptives, en particulier de 3ème et 4ème génération, a suscité un regain d’intérêt pour les méthodes dites de « contraception naturelle » (un célèbre fabricant de tests de grossesse et d’ovulation au nom coloré-mais-pas-trop en ayant profité pour vanter les mérites contraceptifs de son « moniteur d’ovulation » qui a défrayé la chronique -chez 10 lunes et Maman travaille notamment). Mais pourquoi tous ces guillemets ? D’abord certains définissent la contraception comme « l’ensemble des moyens employés pour provoquer une infécondité temporaire chez la femme ou chez l’homme » ; or les méthodes qui nous intéressent aujourd’hui s’attachent surtout à éviter les rapports sexuels en période féconde. Les tenants de ces techniques parlent plutôt d’espacement des naissances ou de planification familiale. Ensuite comme je l’ai déjà dit le terme de « naturel » veut dire à peu près tout et n’importe quoi, en particulier chez l’humain où nature et culture sont intimement entremêlées. Qui trouve ça naturel de faire sa courbe de température tous les matins au réveil ?

Ce qui m’a décidé à faire ce billet c’est qu’à force de lire des articles et d’échanger sur ce sujet j’ai l’impression qu’il y a une certaine confusion. En particulier, partant du postulat que ces méthodes seraient archaïques et peu fiables, certains laissent entendre qu’il ne faudrait même pas en parler. Je ne partage pas cet avis. Bien que le terme puisse recouvrir d’autres méthodes (coït interrompu, voire abstinence…) je me concentrerai ici sur les méthodes consistant à déterminer la période féconde du cycle féminin. A noter qu’outre les différentes techniques pour identifier cette période, il existe également différentes façons de la gérer : abstinence totale, sexe sans coït ou utilisation d’une méthode barrière (comme le préservatif). Mais revenons à la question de la période de fécondité féminine : comment la déterminer ?

  • La méthode du calendrier ou méthode Ogino-Knaus : on part du principe que l’ovulation a lieu 14 jours avant les règles, et comme on ne sait pas avec certitude quand tomberont les prochaines règles on se base sur le cycle le plus long que la femme ait observé. C’est une méthode peu fiable qui n’est plus recommandée par grand monde (le taux d’échec de base est estimé à 9% et monte à 25% en emploi typique).
  • Les méthodes d’observation : on peut suivre la température, les glaires cervicales (méthodes Billings et FertilityCare) et le col de l’utérus, séparément ou tous en même temps (on parle alors de méthode sympto-thermique). A part le thermomètre (et de quoi faire le graphique, sur papier ou ordinateur, sachant qu’il existe de nombreux sites et applis mobiles pour faciliter le suivi), il n’y a pas besoin de matériel particulier. Par contre il est généralement recommandé de suivre une formation, qui peut elle être payante (et non remboursée). Il n’est pas évident de trouver d’indice de Pearl (le taux d’échec quand c’est bien utilisé) pour chaque type d’observation, et une bonne partie des données disponibles vient d’entités faisant la promotion de ces méthodes (pour des raisons idéologiques ou commerciales), ce qui me rend un peu suspicieuse. Cependant, on peut arriver à une assez bonne fiabilité théorique (3% d’échecs voire moins d’1% -le top étant la méthode sympto-thermique), même si les taux en emploi typique sont beaucoup plus mauvais (jusqu’à 25%) -références : voir ici (article scientifique MAIS d’il y a 20 ans et avec quelques informations erronées qui incitent à la prudence) et ici (site plein de pubs dont on ne sait pas trop qui l’édite donc prudence aussi). L’étude dite de Düsseldorf, sur 851 femmes volontaires pour utiliser la méthode sympto-thermique arrive à un taux d’échec un peu supérieur à 2% (2.1-2.3%). Dans cette étude, la moitié se sont abstenues pendant leur période féconde et les autres ont utilisé une méthode barrière. La majorité des grossesses était due à une prise de risque durant la période féconde qui avait donc été correctement identifiée.
  • Les tests d’ovulation : Wikipedia a eu la bonne idée d’en recenser un certain nombre ici. Comme beaucoup sont vendus pour aider la conception plutôt que pour l’empêcher, on n’en connaît pas toujours la fiabilité. Le moniteur cité en début d’article annonce 6% d’échecs (je ne sais pas si c’est au minimum ou en emploi typique par contre).
  • La MAMA (méthode de l’allaitement maternel et de l’aménorrhée) : sous certaines conditions bien précises, sa fiabilité atteindrait 98% (mais là aussi manque de sources).

On voit donc que « contraception naturelle » recouvre une certaine variété de méthodes, avec une forte hétérogénéité de fiabilité. Pour mémoire, le préservatif masculin, qui est la méthode « barrière » la plus fiable, a un indice de Pearl de 2% et un taux d’échec en emploi typique de 15% ; la pilule elle part de 0.3 % et atteint 8% en emploi typique (voir toutes les méthodes ici). La méthode sympto-thermique ne me paraît donc pas un archaïsme forcément réservé aux cathos intégristes, mais une alternative possible à considérer quand on choisit sa contraception. Bien sûr, elle n’aura jamais la fiabilité d’un DIU (le nom officiel du stérilet), mais tout le monde ne peut (même si les femmes n’ayant pas d’enfant ou venant d’en avoir un sont éligibles, rappelons-le encore et encore) ou ne veut en porter un (et même le DIU connaît des échecs, j’en connais personnellement). A mon avis, le problème de la méthode sympto-thermique (qui est aussi un de ses attraits) c’est qu’une fois formé le couple doit complètement se prendre en charge : la femme pour suivre rigoureusement l’évolution de son cycle, et l’homme (et la femme bien sûr) pour jouer le jeu pendant la période fertile. C’est ce qui explique qu’elle soit si mauvaise en emploi typique, en particulier si c’est un choix par défaut. Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que l’identification de la période féconde sera sans doute plus aisée chez certaines femmes que chez d’autres. En outre, certaines femmes voient leur libido exacerbée dans les jours qui entourent l’ovulation, ce qui peut rendre l’abstinence particulièrement difficile (mais cela reste contournable par l’utilisation d’une méthode barrière). Enfin il est clair que cette méthode paraît plus adaptées à certains styles de vie (en gros un couple stable qui habite ensemble) qu’à d’autres.

A mon sens, l’autre inconvénient du balayage systématique de toutes ces méthodes façon « ce n’est pas fiable prenez plutôt ce petit comprimé une fois par jour tous les jours ça fera 60€ merci » c’est que du coup on parle peu du cycle menstruel (au point qu’il faudrait maintenant des « doulas menstruelles » pour nous expliquer tout ça…). Et quand on en parle, c’est souvent pour dire des conneries, comme « la pilule régularise les cycles », ce qui est faux puisque la pilule (en tout cas les pilules oestro-progestatives et la plupart du temps les pilules progestatives) arrête les cycles (voir Martin Winckler sur les règles sous pilule qui n’en sont pas). Qu’une femme souhaite avoir un cycle menstruel physiologique ou le mettre en sommeil avec des hormones c’est strictement son problème et son choix, mais il ne faut pas faire croire que la contraception hormonale guérit les règles douloureuses, trop abondantes ou irrégulières. Elle permet en arrêtant le cycle de traiter les symptômes mais avec le risque qu’ils reviennent à l’arrêt du traitement.

Plus généralement, je ne me reconnais pas dans la représentation habituelle du cycle menstruel : c’est soit la malédiction soit (beaucoup plus rarement ceci dit) la féminité sacrée à vénérer. C’est d’ailleurs le cas pour la plupart des fonctions biologiques propres au corps féminin (grossesse, naissance, allaitement…) : soit c’est une plaie, c’est sale, c’est tabou, et il faut s’en affranchir à tout prix (ou à défaut faire comme si ça n’existait pas), soit c’est un trésor pour la femme mais surtout pour la société qui en le portant au pinacle la place sur un bien inconfortable piédestal. J’aimerais simplement dire que le vécu du cycle menstruel est très variable d’une femme à l’autre (et au cours de la vie de chacune), qu’il peut être positif ou négatif ou même neutre. Que s’il n’est bien sûr pas une pathologie en soi il peut être effectivement dysfonctionnel et que ces maladies méritent d’être traitées comme telles et pas ignorées sous prétexte que c’est normal d’avoir des règles douloureuses. Et surtout qu’une femme peut avoir des raisons tout à fait légitimes d’être fatiguée, stressée, en colère ou énervée sans qu’on ne ramène ça à ses hormones. Certaines recherches remettent d’ailleurs en question l’existence même du syndrome prémenstruel, y voyant une prophétie auto-réalisatrice. Personnellement si je n’en souffre pas, loin de moi l’idée de remettre en question le vécu d’autres femmes, même si je pense qu’il faut être attentif à la tendance actuelle de l’industrie pharmaceutique à médicaliser toute souffrance pour nous vendre en retour une pilule miracle.

Pour finir, il me semble utile pour chaque femme de savoir comment suivre son cycle, et d’avoir des outils qui permettent de le faire facilement. Bien entendu utiliser ces informations pour éviter de tomber enceinte est comme on l’a vu une possibilité crédible (même si loin d’être adaptée à tous les cas), mais cela peut aussi aider à commencer une grossesse quand on le souhaite (et à la dater quand ça fonctionne), et tout simplement à pouvoir anticiper ses prochaines règles. Donc parlons de cycle menstruel (ce n’est pas sale… pense aux fleurs…), parlons de fertilité féminine, parlons-en en couple aussi (quelle contraception ? quels risques ? quel plan B en cas d’échec ?) et laissons chacune faire ses choix en toute connaissance de cause.

EDIT : Une clarification entre fiabilité théorique et « en emploi typique » (voir par ex ici), suite aux nombreuses demandes. L’efficacité théorique, c’est la probabilité que ça fonctionne en conditions parfaitement contrôlées, si on fait tout exactement comme prévu (par exemple on prend bien sa pilule les bons jours aux bonnes heures mais par exemple on a un métabolisme un peu atypique et on ne reçoit finalement pas la bonne dose d’hormone). « En emploi typique », c’est la vraie vie, on oublie sa pilule, on a une gastro, on a cru qu’il fallait la prendre qu’après un rapport… Pour le DIU la principale cause de variation entre « théorique » et « emploi typique » c’est une mauvaise pose par le professionnel ; on voit qu’elle est extrêmement faible. A l’inverse pour la méthode sympto-thermique, il y a de nombreuses étapes où l’utilisatrice peut se planter : surveillance incomplète ou erronée du cycle, prise de « risques » en période féconde etc.

Quelques liens (en anglais) : le blog de la Société pour la recherche sur le cycle menstruel et un article pour tout savoir sur les règles (bonne base pour la discussion « premières règles »). Et pour celles qui ont un cycle actif n’hésitez pas à lire mes billets sur la coupe menstruelle.


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