Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


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Pourquoi accoucher sans péridurale ?

Par  • Le 18 juin 2012 à 5:30 • Catégorie : Faire un bébé, Naissance

 Malheureusement pour le reste de ma vie, j’adore Twitter. Je trouve ça génial pour découvrir plein de trucs, et pour discuter avec des gens d’horizons variés. Le problème, c’est qu’en 140 caractères c’est parfois un peu juste pour développer une argumentation. Ainsi, l’autre jour je me suis vite trouvée limitée pour expliquer à @Cathyciel ce qui pouvait pousser une femme apparemment saine d’esprit à souhaiter volontairement accoucher sans péridurale. Et puis après mon récit de la naissance de Pouss2 qui a convaincu environ 150% des lecteurs de l’inanité d’un tel projet, je me suis dit que je devais au Grand Equilibre de l’Internet Mondial de remettre un peu les choses à plat sur ce sujet.

En préalable, je veux dire que je ne suis absolument pas contre la péridurale en général, qui est une avancée médicale majeure ; j’ai moi-même beaucoup apprécié d’en bénéficier pour mon premier accouchement. Par ailleurs, je pense que personne n’a à justifier de son choix de la prendre ou de ne pas la prendre : personne n’a à justifier les choix qu’elle a pu faire (ou pas) pendant son accouchement. Le but de ce billet n’est pas non plus de faire un classement des bonnes et des mauvaises naissances ; je suis convaincue que c’est à chacune de trouver ce qui est une bonne naissance pour elle-même, en fonction de ses attentes, de ses peurs, de sa santé et de celle de son bébé, des possibilités qui lui sont accessibles, et que sais-je encore. Je vais donc simplement essayer de faire une petite liste des raisons qui peuvent pousser à ne pas prendre la péridurale, encore une fois non pour convaincre la terre entière d’y renoncer mais pour essayer de donner une vision plus équilibrée que « vous voulez avoir mal ou pas ? ». Cette liste est un peu à la Prévert, mais je ne pense pas qu’il soit utile de hiérarchiser les différents points qui me semblent par nature éminemment subjectifs. N’hésitez pas à témoigner en commentaire sur ce qui vous a poussée à vouloir éviter la péridurale.

  • Peur des aiguilles : la péridurale c’est deux piqûres (anesthésie locale puis pose du cathéter), dont une avec à peu près la plus grande aiguille de l’arsenal médical (si on vous propose de la voir réfléchissez-y à deux fois !). Et cela implique d’avoir une perfusion posée. Donc si on est phobique de la piqûre, on y réfléchit à deux fois.
  • Peur des complications directes de la péridurale : même si c’est le pain quotidien de l’anesthésiste en maternité, c’est un geste qui peut avoir de rares conséquences gravissimes (genre mort ou paralysie) et d’autres un peu plus fréquentes et moins graves (chutes de tension, nausées, fièvre…). Pour certaines femmes ces risques même très improbables sont inacceptables. Voir par exemple ce document de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation pour plus de détails (même s’il date un peu).
  • Mauvaise expérience : pour certaines femmes dont ce n’est pas le premier enfant, une péridurale lors d’un premier accouchement a pu être mal vécue, que ce soit sur le moment (inefficace, tremblements, chute de tension, latéralisation, etc) ou après (brèche dans la dure mère…). Sans compter les aspects plus psychologiques (impression de ne plus être actrice, d’être déconnectée de son bébé, dépendance accrue au personnel médical ou aux machines -pour uriner notamment, etc) ou l’incrimination de la péridurale comme ayant déclenché des interventions mal acceptées (forceps, épisiotomie…), mais nous allons revenir sur ces deux points plus en détail. Tout ceci peut aussi être vécu par procuration, dans le sens où c’est une mauvaise expérience vécue par une (ou plusieurs) autre(s) femme(s), plus ou moins proche(s) de la parturiente, qui oriente le choix de celle-ci.
  • Crainte que la péridurale n’affecte le déroulement de l’accouchement : ce n’est pas une vue de l’esprit mais la conclusion de la revue Cochrane publiée par Anim-Somuah et al en 2011 sur l’analgésie péridurale pendant l’accouchement dont vous pouvez lire le résumé, en français et en anglais, grâce à un simple clic (et si vous êtes tenté par les 120 pages du texte, @EmmanuellePh a dégoté une copie ici). Pour ceux qui ne connaissent pas, la collaboration Cochrane est une organisation à but non lucratif dont la mission est de réaliser des analyses aussi exhaustives que possible de la littérature médicale pour évaluer les meilleures pratiques. A partir des données de 38 études qui ont été réanalysées pour l’occasion, cette méta-analyse conclut qu’en moyenne, la péridurale allonge la durée de la 2ème phase de l’accouchement (entre la fin de la dilatation du col et la sortie du bébé) et augmente le risque de l’administration d’ocytocine de synthèse (dont il a récemment été montré qu’à son tour elle augmente le risque d’hémorragie du post partum). Elle est aussi associée à un risque accru d’extraction instrumentale (comme les forceps) et de césarienne pour souffrance foetale (pour les césariennes en général il y a également une tendance mais non significative). De façon plus intuitive, certains pensent que la douleur pousse la femme à prendre la position qui sera la plus favorable à la progression du bébé (en étant la moins douloureuse).
  • Crainte que la péridurale n’affecte l’allaitement et/ou l’établissement du lien mère-bébé : cet aspect est plus délicat car loin de faire l’unanimité dans la littérature scientifique. On manque d’études comparant l’accouchement avec un minimum d’interventions et l’accouchement plus médicalisé (avec péridurale notamment) : ainsi la méta-analyse d’Anim-Somuah et al comporte surtout des études où on a comparé la péridurale à d’autres formes d’analgésie plutôt qu’à un accouchement peu médicalisé. Ainsi, on voit souvent citée une étude selon laquelle les brebis accouchant sous péridurale ne s’occuperaient pas de leur petit. Moyennant un peu de spéléologie googueulienne, j’en ai trouvé au moins le résumé, qui est nettement plus nuancé que cette conclusion sans appel (cela dépend du timing de la péridurale et de la parité de la brebis : première naissance ou pas, et ça n’est pas forcément irréversible). On sait que la péridurale peut affecter les processus hormonaux pendant l’accouchement, et notamment la sécrétion d’ocytocine (voir par exemple Rahm et al 2002), mais l’importance de ces processus dans l’établissement du lien mère-enfant chez l’humain reste controversée. De même, la réalité d’effets directs sur l’allaitement ne fait pas l’objet d’un consensus (voir par exemple Gizzo et al 2012 ou Dozier et al 2012).
  • Raisons religieuses ou spirituelles : nous avons tous en tête le fameux « tu enfanteras dans la douleur » biblique ; outre certains extrémismes religieux ou sectaires qui refusent par principe certains gestes médicaux, il peut aussi y avoir une vue du corps féminin et/ou du processus d’enfantement comme sacrés et ne devant pas faire l’objet d’interférence. Pour d’autres il peut y avoir une volonté de connexion à sa part animale, à ses instincts profonds.
  • Volonté de garder la maîtrise : évidemment la maîtrise d’un accouchement est un concept bien illusoire, mais certaines femmes ne veulent pas déléguer l’événement et pouvoir décider à leur guise de marcher, manger, boire, uriner ou bouger. La péridurale entraîne des restrictions plus ou moins fortes, d’une part car elle peut inhiber certaines fonctions (difficultés pour bouger ou uriner) et d’autre part car elle entraîne une surveillance plus rapprochée (monitoring, tension) qui entrave les possibilités de bouger. L’interdiction de boire et manger ne semble pas forcément justifiée au vu des dernières études (Singata et al 2012,  Sleutel & Golden 1999).
  • L’accouchement vu comme un accomplissement : pour certaines femmes, la sensation de puissance, de réussite à la suite d’un accouchement n’ayant pas nécessité d’intervention compense largement la douleur ressentie. Ce besoin de se dépasser, de transcender ses capacités physiques, est souvent comparé à un défi sportif, comme un marathon ou la conquête d’un sommet.
  • Douleur supportable : ce n’est pas moi qui témoignerai sur ce point (hélas ! ) mais il y a des femmes qui ne ressentent simplement pas le besoin de l’anesthésie pendant leur accouchement. Il est dommage que dans certains cas on leur suggère avec insistance de la prendre quand même, au cas où elles auraient mal plus tard…
A une femme enceinte qui se pose bien légitimement la question, je dirais qu’il faut envisager la possibilité de ne pas avoir la péridurale lors de l’accouchement et s’y préparer. Cela peut être volontairement, suite à une contre-indication (permanente -genre tatouage mal placé- ou temporaire -fièvre au moment de l’accouchement par exemple) ou à cause d’un problème d’organisation (anesthésiste pas disponible au bon moment, accouchement rapide…). En outre, il arrive que la péridurale marche mal ou pas du tout, cela peut généralement être résolu mais pas toujours dans les délais de l’accouchement. C’est d’ailleurs souvent une souffrance bien supérieure à celle d’un accouchement volontairement sans péridurale. Par ailleurs l’omniprésence de la péridurale dans certaines maternités (parfois plus de 90% des naissances) fait que ni les lieux ni le personnel ne sont prévus pour accompagner au mieux un accouchement sans péridurale : imposer les mêmes protocoles (perfusion, monitoring continu etc) à une femme qui n’a pas de péridurale accroît souvent sa souffrance.
Enfin, je ne peux pas finir ce billet sans évoquer ce que je perçois comme une dérive de notre système de santé, à savoir l’utilisation généralisée de la péridurale pour pallier le manque de personnel et en particulier de sages-femmes dans les maternités. Ainsi, la sage-femme de garde doit s’occuper de plusieurs parturientes en même temps et n’a généralement pas les moyens d’apporter le soutien et la surveillance que demande une femme qui n’a pas d’anesthésie. Cela entraîne un cercle vicieux avec les jeunes sages-femmes qui voient peu ou pas d’accouchement physiologique et n’apprennent pas cet art particulier. Or comme on l’a vu, en moyenne la péridurale apporte un certain nombre de complications. Une amélioration des résultats français en termes de périnatalité pourrait passer d’une part par l’amélioration des techniques de péridurale pour en diminuer les effets indésirables et d’autre part par envisager que tous les accouchements n’ont pas vocation à avoir lieu sous anesthésie. Encore une fois, cette simple demande s’impose : une femme, une sage-femme !  
Minute autopub Me, myself and I : j’avais parlé de péridurale il y a quelque temps (2008 !), vous pouvez y jeter un oeil à partir du premier billet ici. Et sur un tout autre sujet, si vous l’aviez raté, j’ai publié il y a quelque temps un article invité chez Ça fait genre ! sur le sexisme des dessins animés.

 Image : Le fermier : « Mais de quoi parles-tu ? Ponds tes oeufs ! »  La poule : « Non ! Je veux une péridurale »


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