Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


« « Préc. L’allaitement en public    |     Suiv. Pourquoi accoucher sans péridurale ? » »

La rééducation périnéale

Par  • Le 10 mai 2012 à 9:15 • Catégorie : Faire un bébé, Naissance

Ce billet a été écrit à vingt doigts avec la merveilleuse Dix lunes, la sage-femme qui te donne envie d’avoir autant de gosses si c’est elle qui s’occupe de toi. Il a été préparé suite à la demande de Mme Déjantée (qui réussit à donner envie d’avoir cinq enfants) qui souhaitait que ce sujet fasse l’objet d’un billet Guest sur les Vendredis intellos. Vous le retrouverez donc (outre ici en version intégrale) chez Dix lunes et sur les Vendredis intellos. Après une première partie générale pour tracer les grandes lignes sur le sujet, un échange de points de vue entre la femme (moi) et la sage-femme (Dix lunes -qui n’en est bien sûr pas moins femme).

D’abord, le périnée, c’est quoi ? A ne pas confondre avec le péroné (qui en fait s’appelle la fibula, faut suivre), nous signale Wikipedia, qui le définit fort poétiquement comme « l’ensemble des parties molles fermant le détroit inférieur du pelvis ». En gros, et pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce « plancher » contient en particulier un ensemble de muscles qui a pour grandes fonctions d’une part le soutien des organes du petit bassin, soit utérus, vessie et rectum (sous peine de prolapsus, nom savant de la descente d’organes), et d’autre part le contrôle des sphincters (urètre, vagin/canal éjaculateur et anus). Messieurs, inutile de prendre cet air dégoûté, vous en avez un aussi.

Et alors, c’est quoi son problème ? La partie musculaire du périnée est mise à rude épreuve tant par les hormones de la grossesse que par l’accouchement, mais aussi par la ménopause. Certaines interventions (forceps, épisiotomie… mais aussi expression abdominale, d’ailleurs formellement déconseillée par la Haute autorité de santé) ou complications (déchirure, gros bébé -bien qu’en soi ce ne soit pas forcément une complication !) lors de l’accouchement peuvent accroître cette fragilisation des tissus. Concrètement, sans aller jusqu’à la descente d’organe, cela peut se manifester par des problèmes plus ou moins sévères (fuites urinaires, incontinence aux gaz, diminution des sensations sexuelles…).

Alors, on fait quoi ? C’est là qu’intervient la fameuse rééducation périnéale. En France du moins, car si la rééducation périnéale est facilement proposée (et donc remboursée)  à toute femme ayant accouché, l’existence même d’une telle thérapie reste embryonnaire dans d’autres pays occidentaux (voir par exemple ce témoignage édifiant d’une Américaine). Elle est fortement recommandée même si vous avez accouché par césarienne, et avant de reprendre le sport. La nécessite d’une rééducation périnéale doit toujours être évaluée lors de la consultation postnatale – six à huit semaines après l’accouchement – même si ce n’est que pour reprendre une activité sportive modérée (cf l’inoxydable trio marche-yoga-natation).

Petit aparté : mais si les forces de l’évolution ont bien fait leur boulot et façonné le corps de femmes pour donner la vie, ne suffirait-il pas de respecter la physiologie pour éviter d’avoir à rééduquer le périnée ?

  • Il est clair qu’un certain nombre des pratiques actuelles d’accompagnement des accouchements sont délétères pour le périnée : outre les interventions citées plus haut, la poussée en inspiration bloquée (dite de Valsalva) et/ou dirigée et la position imposée sont par exemple identifiées comme des facteurs de risque (voir par exemple Albers et al 2006 ou Albers et Borders 2007). Je ne dis bien sûr pas qu’il faut se passer totalement de ces pratiques, mais simplement qu’elles ont souvent un impact sur notre périnée : peut-être plutôt réfléchir au rapport risque-bénéfice avant de les mettre en oeuvre.
  • Par ailleurs notre mode de vie n’est pas très « périnée-friendly », nous vivons avachis sur le canapé dans une sédentarité quasi-totale entre-coupée par ci par là d’efforts violents et inadéquats (ah c’est caricatural ?), au lieu de vivre accroupis en marchant quotidiennement de longues distances tout en portant des poids importants de façon plus physiologique (quoi c’est aussi caricatural ?).
  • Enfin notre société valorise un corps hyper maîtrisé, y compris dans l’excrétion des fluides corporels et autres gaz. On ne transpire pas, on n’a pas ses règles (et si jamais on perd du sang bleu transparent, merci), on ne pète pas… Il ne semble pas impossible que ça sentait le fennec dans les grottes préhistoriques et qu’on n’était pas à une petite fuite urinaire près. Et puis l’espérance de vie étant bien moindre, les femmes mourraient sans doute avant d’arriver au prolapsus…

Qui s’en occupe ? La rééducation peut être prescrite par un médecin ou par une sage-femme (tant qu’elle fait suite à une grossesse pour le second cas) ; elle est principalement pratiquée par les kinés et les sages-femmes libérales (plus rarement proposée en maternité).

Quand s’y mettre ? On attend généralement la visite de contrôle des six semaines post-natales (avec le médecin ou la sage-femme) ; même si certaines maternités donnent l’ordonnance en suite de couches, il vaut mieux attendre d’avoir fait le point à cette occasion, sans compter qu’il faut laisser le temps aux tissus et organes de se remettre en place (et honnêtement qui a envie de travail endovaginal juste après l’accouchement ?). On peut soit profiter du congé maternité/parental (il est admis de venir avec son bébé et les professionnels sont souvent équipés pour cela), soit attendre la reprise du travail.

Comment ça marche ? Plusieurs techniques existent, et je ne suis pas certaine que leur efficacité relative ait été beaucoup étudiée (PubMed n’est pas très bavard sur le sujet, à part un article sur l’efficacité de l’électrostimulation sur les dyspareunies du post partum). Selon l’endroit où vous habitez (et la densité de professionnels de santé), vous n’aurez d’ailleurs peut-être pas le choix de la méthode.

  • L’électrostimulation par sonde : vous avez vu les pubs pour Sport élec au télé-achat ? C’est un peu le même principe : on stimule les muscles du périnée par des courants électriques envoyés par une sonde endovaginale. Paraît que non, c’est pas vraiment comme un vibro.
  • Le biofeedback avec sonde : une des techniques les plus pratiquées. Toujours avec la sonde endovaginale, mais qui là est passive. Vous contractez vos muscles et voyez le résultat sur un écran, au final c’est un peu comme un jeu vidéo mais assez répétitif.
  • Connaissance et maîtrise du périnée (CMP) : il s’agit d’une technique basée sur la visualisation dont le côté indirect et imagé peut être déroutant. En effet, on visualise certains mouvements à différents endroits du périnée sans pour autant tenter de bouger les muscles, et les images (herse, pont levis, vase, etc) ne sont sans doute pas adaptées à toutes. Mais elle présente l’avantage de travailler très spécifiquement et précisément les différents muscles.
  • L’eutonie : si on en croit l‘institut d’eutonie, « l’eutonie propose une recherche adaptée au monde occidental, pour aider l’homme de notre temps à atteindre une conscience approfondie de sa propre réalité corporelle et spirituelle dans une véritable unité. » Bon ça ne parlera pas forcément à tout le monde mais lisez ici le témoignage de Petit Scarabée qui a l’air d’avoir apprécié.
Il y a encore d’autres techniques plus ou moins directes : la pratique du yoga peut contribuer, avec les bandhas ; les boules de geisha sont régulièrement citées pour allier plaisir et rééducation. Les Anglo-saxons parlent beaucoup des exercices de Kegel, qui sont une version un peu rudimentaire du biofeedback (mais pas forcément avec la sonde). Quelle que soit la méthode choisie, il y a généralement une part importante de travail à la maison entre les séances si on veut voir des résultats significatifs.
La poule :
Personnellement, deux enfants, deux histoires. Le seul point commun : j’ai attendu d’avoir repris le travail pour m’y mettre, dans le premier cas parce qu’il n’y avait pas de place plus tôt, dans le second parce que je ne me voyais pas y aller avec Pouss2 ET Pouss1 (3 ans à l’époque et pas encore scolarisé). Je dois dire aussi que c’était dans les deux cas une rééducation « de confort », n’ayant pas eu de traumatisme périnéal majeur (pour Pouss1 une petite déchirure, pour Pouss2 rien du tout) ni de gros dysfonctionnement (juste quelques fuites urinaires pour parler simplement). J’imagine qu’on aborde ça un peu différemment lorsqu’on souffre de problèmes plus sévères.

J’ai donc d’abord testé le biofeedback avec sonde chez une sympathique kiné. Elle m’examinait d’abord pour faire le point et m’aider à trouver les muscles à contracter puis je faisais mon jeu vidéo avec la sonde (différentes intensités et durées de contraction, d’abord allongée puis assise et debout). A propos la sonde est personnelle et s’achète en pharmacie (remboursée sur ordonnance). La kiné recommandait de la garder dans sa poche avant de venir pour qu’elle soit à la température du corps, seul hic elle la passait sous l’eau froide avant de l’installer ce qui ruinait tout l’effet… Et je faisais les exercices entre deux séances (sur le quai du métro… regardez bien les femmes qui ont l’air un peu constipé en attendant le métro…), avec globalement un bon résultat.

Après mon deuxième accouchement, j’ai un temps caressé l’idée de me rééduquer toute seule, en faisant les exercices, en laissant le temps au temps. Mais finalement, après presque 2 ans, avec l’impression persistante que ma vessie avait parfois des velléités d’indépendance, j’ai pris le temps de retourner voir ma sage-femme, celle qui avait accompagné ma grossesse et mon accouchement, et ainsi de tester la méthode CMP. Je dois dire que la première fois que j’en ai entendu parler par une copine j’ai carrément halluciné (« votre urètre est comme un soliflore », mais oui bien sûûûr). Mais après tout, en y réfléchissant l’idée n’est pas si bête, et je l’avais même déjà expérimentée par la pratique du chant. En effet, le périnée, comme le chant, mobilisent des muscles qu’on ne voit pas ; il est impossible d’imiter le mouvement d’un autre, et de pouvoir comparer ce qu’on fait à une référence. La visualisation est donc un moyen assez efficace de contrôler ces organes qu’on utilise plutôt de façon inconsciente, la difficulté étant de trouver la bonne image pour chacun (et aussi simplement d’accepter de se prêter sincèrement à l’exercice). J’ai beaucoup apprécié de pouvoir rapidement acquérir une certaine autonomie et surtout la grande finesse de l’approche, qui va bien plus loin que le simple « serrez mes doigts » et permet de travailler indépendamment les différentes zones (urètre, anus, vulve, vagin etc). On peut ensuite privilégier les exercices dont on a le plus besoin en fonction de sa situation personnelle.

Dix lunes :

La professionnelle que je suis est habituée à l’air mi hagard mi goguenard de la dame qui découvre la CMP. Lorsque nous nous connaissons déjà, le  captal confiance acquis aide à passer cette première phase. Avec un peu de bonne volonté, la femme accepte la règle du jeu, visualiser, ne rien faire, et au départ, ne rien sentir… le plus souvent, il faudra huit à quinze jours d’exercices quotidiens avant de percevoir quelque chose. Mais une fois cette phase là arrivée, bingo, de nouveaux muscles se révèlent et cette conscience sera définitivement acquise, facilement ravivée par quelques exercices si le cerveau venait à se lasser. Et le bénéfice de cette finesse des sensations ne se limite pas à rétablir la continence urinaire…

La poule :

En bref la rééducation périnéale, et en particulier la seconde version, a été pour moi aussi une façon de me (ré)approprier mon corps. Le tabou encore persistant sur la masturbation (même si maintenant toute femme qui se respecte se doit d’avoir une collection de sex toys) interdit implicitement aux femmes l’accès à leur propre vagin. On nous vend même des tampons avec applicateur pour s’assurer qu’on n’y mette pas les doigts ! Par contre il nous est présenté comme normal d’écarter les cuisses chez le médecin et de le laisser faire ses affaires. Eh bien moi j’attends le médecin (ou la sage-femme !) qui proposera une petite caméra ou appareil photo pour me faire une visite guidée de mon anatomie, qui au lieu d’un laconique « tout va bien c’est normal » prendra le temps de me montrer mon col, de m’aider à l’examiner moi-même, qui m’aidera à comprendre comment j’ai été déchirée et comment exactement se place la cicatrice, etc. Idéalement comme je serais chez la même personne dans la durée on pourrait comparer des photos avant/après l’accouchement, pendant la grossesse, etc. On pourrait être aidée pour choisir une coupe menstruelle, un diaphragme (c’est déjà le cas même si peu de professionnels le proposent) ; on pourrait voir les fils du DIU si on choisit d’en porter un, ce qui aiderait aussi à se l’approprier et à mieux comprendre comment il se positionne… Techniquement je ne pense pas qu’il faille un matériel très sophistiqué, ce qui manque c’est sans doute le temps et probablement l’envie chez certains. Et vous, ça vous intéresserait ?

Dix lunes :

Pour être honnête, l’idée était d’écrire un article à deux mains… Et comme je suis de loin la plus paresseuse des deux, j’ai proposé à la poule pondeuse de commencer…  Quand elle m’a envoyé « sa » partie, je ne pouvais que constater : je n’avais rien à ajouter. C’était clair, argumenté, documenté, avec tous les liens qui vont bien… J’aurais surement pu trouver quelques anecdotes pour illustrer tout ça mais à quoi bon ?

Et puis ce dernier paragraphe m’a rendu l’inspiration. Les féministes avaient déjà usé de ce moyen pour se réapproprier leur corps, mieux le connaitre, le comprendre.

En France, dans les années 70, on apprenait aux femmes la mise en place d’un spéculum, on leur proposait de regarder leur vagin, leur col dans une glace. J’ai bénéficié de cet accompagnement mais ce souvenir était resté tapi dans un tiroir mémoriel de mon adolescence, je ne l’avais jamais proposé. Je l’ai fait à quelques occasions depuis cette prise de conscience. Quelques regards interrogateurs sinon franchement étonnés, quelques refus polis et quelques pourquoi pas.. mais une autre fois.

 Au final, est-ce aux professionnels de santé d’assurer cette fonction de réappropriation ? L’essentiel est peut-être  de nous montrer suffisamment disponible pour que la demande puisse si besoin émerger.

A l’inverse, après un accouchement, je suggère régulièrement aux femmes de regarder leur sexe dans une glace, avec ou sans mon aide. Souvent, elles préfèrent avec. Certaines ne l’ont jamais fait et craignent de ne pas bien comprendre ce qu’elles vont voir. D’autres l’ont déjà fait mais craignent de ne pas se reconnaitre. Une cicatrice douloureuse, des points qui tirent, une sensibilité particulière ; à chaque fois, la réalité apaise.. ce n’est finalement « que » ça. Et l’imaginaire plus ou moins terrifiant qui s’était construit cède devant une cicatrice un peu rouge, un fil, un hématome, images finalement banales et beaucoup plus rassurantes.

Mais le temps de l ‘examen et plus encore le temps de la rééducation sont beaucoup plus larges que la simple éducation musculaire. Le « hors sujet »  le plus souvent abordé, surtout dans les semaines postnatales est celui de la sexualité ; la libido plus ou moins éteinte, la confiance en son corps plus ou moins atteinte, l’attente de l’autre plus ou moins pressante… Comment se retrouver ou se redécouvrir.

Enfin bien sur, pour répondre aux interrogations de la poule pondeuse, nous pouvons accompagner les femmes dans une meilleure compréhension de leur anatomie, le repérage du col, des  fils d’un dispositif intra utérin. Nous pouvons les aider à choisir un diaphragme – de  la bonne adaptation de la taille dépend son efficacité. Nous pourrions montrer comment utiliser une coupe menstruelle…

A vous de savoir exprimer vos besoins. Aidez nous à vous aider !

 

Photo : Les Pyrénées, à ne pas confondre non plus.

Et bienvenue aux lectrices (y a-t-il des lecteurs ?) d’Enfant Magazine !

Tagged as: , , , , , , , ,


« « Préc. L’allaitement en public    |     Suiv. Pourquoi accoucher sans péridurale ? » »

Comments are closed.


« « Préc. L’allaitement en public    |     Suiv. Pourquoi accoucher sans péridurale ? » »