Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants


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J’accouche bientôt et j’ai peur de la douleur

Par  • Le 1 décembre 2009 à 6:45 • Catégorie : Bibliothèque, Réfléchir

trelaun Le titre de ce billet n’est pas une confession de la Poule (euh OK en fait si…) mais le titre d’un livre de Maïtie Trélaün dont je vais entreprendre ici un compte-rendu de lecture. C’est un livre récent (2008), publié aux éditions du Souffle d’or, n’existant pas en poche donc pas donné (22€ d’après la couverture), en ce qui me concerne je l’ai donc emprunté (toujours à ma prof de yoga qui est bien mieux achalandée pour ce type de bouquins que la bibliothèque du quartier…).

L’auteur est une sage-femme expérimentée (presque 30 ans de pratique) qui travaille en accompagnement global, en plateau technique comme à domicile. Elle propose toute une réflexion autour de la douleur de l’accouchement, étayée par des explications illustrées sur la physiologie du processus (rôle des hormones, progression du bébé dans le bassin, etc), sur les gestes médicaux pouvant y être associés, des références à des études scientifiques médicales, des réflexions sur le rôle de la culture et du sacré, et des témoignages de parents (y compris quelques récits de naissances). Bref  j’ai beaucoup apprécié la méthode. Le fond est également assez équilibré, même si bien sûr le sujet en lui-même est à haut potentiel de culpabilisation. Je précise pour vous donner une idée que j’ai eu une péridurale pour la naissance du Poussin, que je l’ai bien vécue (mais si, mais si), et que je ne me suis pas sentie agressée par le livre…

Au niveau du contenu il y a un certain nombre de réflexions intéressantes sur l’accouchement (l’auteur parle d’enfantement pour le processus physiologique). Dans la lignée de Michel Odent, l’auteur insiste sur le respect des processus hormonaux à l’œuvre lors de l’accouchement, dont les bénéfices sont multiples pour la mère comme pour l’enfant. Bien sûr on ne peut pas faire abstraction de ces connaissances mais c’est à mon avis une vraie épée à double tranchant quant à la culpabilisation maternelle : « tu n’as pas été capable d’avoir un accouchement physiologique donc ton enfant va devenir un psychopathe asocial », est une conclusion facilement tirée par la mère et pire, par d’autres qui pensent qu’il y aurait besoin d’en remettre une couche. Bref je reste toujours perplexe sur la façon optimale de communiquer ces informations (si vous avez des idées ?), même si je trouve que ça n’est pas trop mal fait dans ce livre.

Concernant le rôle de la douleur, il est proposé que de la même façon qu’elle nous protège des blessures dans d’autres cas (par exemple je me brûle la main donc je la retire immédiatement avant que ça ne s’aggrave), elle a pour rôle de guider la future mère dans le processus d’enfantement, pour qu’elle prenne les positions les plus adaptées pour faire progresser le bébé (d’où à mon avis l’absurdité de dire « je veux accoucher sur le côté » ou « je veux accoucher à quatre pattes », mieux vaut dire « je veux pouvoir choisir ma position au moment M »). Ce serait également une épreuve initiatique dont la femme ressortirait grandie, renforcée dans ses capacités de mère. L’auteur note d’ailleurs que ses patientes ont la réputation d’être plus « habiles » avec leur bébé que les jeunes mamans lambda auprès des auxiliaires de puériculture, j’ajouterai qu’il y a probablement un effet de sélection de ses patientes : une femme qui choisit l’accompagnement global cherche généralement à prendre une plus grande autonomie et n’arrive généralement pas là par hasard. M. Trélaün remarque d’ailleurs que dans beaucoup de cultures sont organisées des épreuves initiatiques pour les garçons, l’accouchement étant considéré comme suffisant pour les filles (et dans le monde occidental c’était l’armée pour les hommes…). Personnellement je reste plus dubitative sur ce point, certains de ces rites notamment étant extrêmement violents à mon goût ; je ne suis pas sûre que la comparaison soit toujours heureuse. Ceci dit, on compare souvent l’accouchement sans péridurale à une épreuve sportive d’endurance, comme un marathon ou l’ascension du Mont Blanc, notamment pour les bénéfices du dépassement de soi et de ses limites.

L’auteur fait également la différence entre douleur et souffrance, et insiste bien sur l’importance de ne pas tomber dans le dolorisme, façon Ste Future maman vierge et martyre. Pour une raison ou pour une autre, si une parturiente ne peut accueillir la douleur, que cela devient une souffrance qui la fait finalement sortir de la physiologie, alors il ne faut pas hésiter à recourir à la péridurale. Globalement, je suis d’ailleurs assez d’accord avec sa façon de voir l’utilisation de la péridurale. C’est un outil fabuleux mais ça ne doit pas être l’unique réponse à la douleur ; on peut citer : techniques de préparation (haptonomie, sophrologie, yoga…), soutien par un accompagnant (père, sage-femme, doula…), liberté de position (notamment avec la possibilité de suspendre par exemple), bain, ballon… Il est vrai qu’il y a un certain nombre de maternités où les alternatives à la péri se réduisent en gros à mordre dans un morceau de cuir (en faisant bouillir des linges propres façon Dr Quinn femme médecin). N’oublions pas la fameuse phase de désespérance, encore peu connue des femmes et des personnels soignants, qui entraîne un certain nombre de péridurales peu utiles et finalement mal vécues (puisque très proches de la fin de l’accouchement). Bien sûr, et comme le souligne l’auteur, ce n’est pas à chacun d’attendre que l’autre fasse le premier pas en lui rejettant la responsabilité, mais aux femmes comme aux équipes soignantes d’œuvrer ensemble en ce sens.

Il y a aussi un chapitre très intéressant sur l’eau et l’accouchement, avec beaucoup d’informations sur ce qu’un bain peut entraîner aux différents stades du travail. L’effet analgésique et détendant du bain est bien connu, mais saviez-vous que l’immersion provoquait la sécrétion d’une hormone, l’ANP, qui est un antagoniste de l’ocytocine (essentielle à la bonne progression de l’accouchement) ? Ceci dit sa libération est lente et prend environ deux heures : il ne faut donc pas rester trop longtemps dans le bain et en sortir si le travail semble s’arrêter. Il vaut mieux également éviter que la mise au monde à proprement parler ait lieu dans l’eau (même si ça n’est pas interdit bien sûr) : l’effet de l’ANP peut notamment entraîner plus d’hémorragies de la délivrance (en ralentissant les contractions utérines) et la surveillance de telles hémorragies est plus compliquée si la femme est dans le bain. J’ajouterai que vous n’êtes pas sans savoir qu’en sortant du ventre maternel le bébé appuie au passage sur le rectum de sa maman et que si celui-ci n’est pas vide… je ne vous fais pas de dessin (sinon allez voir l’excellente chronique de Mère indigne sur le sujet)… mais imaginez en prime si vous êtes dans le bain… désolée pour ceux qui lisent en mangeant…

Pour revenir à des considérations moins scatologiques, il n’est pas recommandé d’avoir un plan prédéfini en tête pour la naissance (du style « je prendrai un bain pour me soulager »), l’important étant au contraire de se laisser aller et d’obéir aux sensations et aux besoins du moment. Chaque naissance est différente, et surtout imprévisible. Le plan doit être justement d’accepter l’imprévisible au fur et à mesure qu’il se présente, même si ça n’empêche pas de préparer certaines alternatives au cas où (pour reprendre l’exemple : s’assurer qu’on accès à une baignoire/piscine même si finalement on ne l’utilise pas).

Globalement j’ai donc trouvé que ce livre était une lecture très intéressante, même si c’est ensuite à chacun de faire le tri dans ce qui lui convient ou pas, et j’aurais tendance à le recommander à tous ceux qui sont concernés de près ou de loin (les femmes enceintes donc mais aussi les pères, le personnel soignant, pourquoi pas une femme qui a mal vécu son accouchement, etc). Il y a d’ailleurs un chapitre sur les hommes dont je ne désespère pas que le Coq lise les neuf pages d’ici le mois de janvier…

Revenons maintenant à une étude citée dans le livre (p. 150) qui a fait débat dans les commentaires du billet précédent. Il s’agit d’une étude où deux groupes de femmes ont eu pour certaines une péridurale avec des anesthésiants, et pour d’autres une péridurale avec simplement du sérum physiologique. L’étude a été faite en triple aveugle, c’est-à-dire que ni l’anesthésiste, ni la parturiente, ni l’accoucheur ne savent qui a du sérum phy et qui a l’anesthésiant. D’après le compte-rendu dans le livre, la satisfaction suite à l’anesthésie était identique dans les deux groupes, ce qui bien sûr ne manque pas de provoquer la surprise, voire l’incompréhension. J’ai donc cherché à en savoir plus. Passons sur le fait qu’il y a des coquilles dans la citation de l’étude (ce qui est souvent le signe d’une citation qu’on a repris chez quelqu’un d’autre sans retourner au papier d’origine… impression renforcée par la présentation des résultats sous forme d’une citation dont on ne comprend pas d’où elle vient et qui cite les deux articles…), l’internet et PubMed permettent de contourner ce genre de difficultés et j’ai pu mettre la main sur le résumé de cette étude, ainsi que de celle qui a suivi (également citée). Malheureusement je n’ai par contre pas pu mettre la main sur les papiers complets. Ceci dit dans ce type d’article le résumé est écrit par les auteurs et passé au crible du comité de lecture donc on peut considérer que c’est relativement fidèle.

Que nous dit le résumé de la première étude (Chestnut et al, 1987, Anesthesiology, 66(6): 774-80) ?

Son but est d’étudier l’influence d’une anesthésie péridurale à la bupivacaïne pendant le deuxième stade du travail* sur le mode d’accouchement (notamment extractions instrumentales). Il y a deux groupes de 46 femmes, l’un qui va recevoir la bupivacaïne et l’autre le sérum physiologique. Mais ceci n’aura lieu qu’à partir de 8 cm de dilatation : jusque là les 92 femmes ont une péridurale « normale ». Or c’est pendant la première phase du travail (donc avant les 8 cm et la substitution par du sérum phy) que les deux groupes ont des taux de satisfaction équivalents (96 et 98 %). Pendant la deuxième phase, les auteurs observent une différence statistiquement significative de satisfaction relative à l’anesthésie (82% des femmes ayant la bupivacaïne vs 41% pour le sérum phy). Concernant les effets de l’anesthésie sur le déroulement du travail :

  • nombre égal de césariennes dans les deux groupes (13%)
  • temps de travail plus long pour la deuxième phase sous produit anesthésiant (124 minutes) que sous sérum phy (94 minutes)
  • 70% d’extractions instrumentales (forceps, ventouse) pour le groupe sous anesthésiant vs 28% sous sérum phy
  • scores d’Agpar des nouveaux-nés non statistiquement différents

Donc on voit bien que l’anesthésiant utilisé (la bupivacaïne en l’occurrence) a des effets importants, significativement supérieurs au placebo, tant en termes de fonctionnement de l’analgésie qu’en termes de conséquences sur le déroulement de la naissance.

Passons maintenant à la seconde étude (Chestnut et al, 1990, Anesthesiology, 72(4): 613-8). Je vais être plus rapide car c’est un protocole très similaire à la première, la principale différence étant de tester un autre mélange de produits anesthésiants, en l’occurrence bupivacaïne à 0.0625% et fentanyl à 0.0002%. En outre, la substitution entre produit anesthésiant et sérum phy a lieu cette fois à dilatation complète, et les deux groupes de femmes ont des tailles différentes (29 anesthésiées, 34 sous placebo). Là encore, autant les scores de douleur sont équivalents pendant la première phase (avant le test à proprement parler donc), autant ils sont significativement plus élevés avec le sérum phy. Par contre les différences observées en termes d’extractions instrumentales ou de durée du travail ne sont pas statistiquement significatives entre les groupes.

D’après ces informations, l’interprétation proposée par Maïtie Trélaün ne me semble donc pas conforme à ce qui est rapporté dans ces études. Pour moi les conclusions des ces résumés sont que l’analgésie péridurale a une efficacité bien supérieure à celle du placebo (même si il y a aussi un effet placebo -et sans doute une combinaison d’autres facteurs-, le taux de satisfaction pour le sérum phy étant loin d’être négligeable) et qu’elle peut avoir des effets sur le déroulement du travail qui peuvent dépendre des produits utilisés. Bien sûr ces conclusions pourraient être remises en question par une lecture complète des publications en question ; il faudrait aussi faire une biblio de ce qui a été publié depuis (ça date un peu), et prendre en compte d’autres facteurs, toutes sortes de choses que j’ai une grande flemme de faire. Mais quoi qu’il en soit j’ai du mal à voir comment on pourrait en déduire que la péridurale n’est pas plus efficace que le placebo.

J’avoue que ça me pose question sur le reste des études citées dans le bouquin, et cela doit rappeler à chacun de prendre avec précaution avec les études brandies à tort et à travers comme montrant tout et son contraire. Evidemment c’est du boulot et du temps d’aller rechercher les études à la source, ça demande parfois des ressources supérieures à ce qui est simplement accessible sur le net, et je suis la première à ne pas m’embêter avec l’exercice…

Bon je vous laisse j’ai rendez-vous avec l’anesthésiste (et ce n’est pas une blague !).

*C’est-à-dire la sortie du bébé, le premier stade étant la dilatation du col et le troisième la délivrance du placenta (voir ici pour la description détaillée).

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