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Un sociologue parle d’éducation
Par La poule pondeuse • Le 1 octobre 2009 à 7:00 • Catégorie : News, Réfléchir Bon OK c’est un article de méga-flemmasse mais Clemys a eu la gentillesse de m’envoyer le lien et je trouve les observations de ce Monsieur très justes et pertinentes alors je ne peux que vous les faire passer.
Interview de François de Singly parue dans le journal Le Monde du 29 septembre 2009 (je fais un copier coller car après un certain temps les articles deviennent payants… bon ce n’est probablement pas super légal mais tant pis j’ose…) :
François de Singly, sociologue à l’université Paris-Descartes, a publié de nombreux livres sur la famille, la vie privée et l’adolescence. Dans son dernier ouvrage, Comment aider l’enfant à devenir lui-même ? (Armand Colin, 160 p., 16,50 euros), à paraître le 1er octobre, il s’inscrit en faux contre les discours sur « l’enfant roi » et décrypte nos nouvelles manières d’éduquer les enfants.
Qu’est-ce qui a changé, en un siècle, dans le regard porté sur l’enfance ?
Dans les sociétés dites de la première modernité, de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe, la socialisation se résumait à l’apprentissage des règles : le petit apprenait les usages de la vie en commun, les préceptes d’hygiène, les manières de table et, ce faisant, il apprenait l’autorité et l’obéissance. L’application des valeurs de la philosophie des Lumières, comme l’autonomie, était repoussée à l’âge adulte, et encore.
Le grand tournant, c’est la seconde modernité, c’est-à-dire les années 1960. Le regard sur les enfants se modifie profondément en raison, notamment, du discours des psychologues symbolisé, en France, par Françoise Dolto. Les adultes se mettent à considérer que l’enfant est singulier et que le but de l’éducation est de l’aider à devenir lui-même. L’enfant doit donc être respecté en tant qu’être unique, mais aussi en tant qu’être humain : il devient un sujet de droit, comme le proclame la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 1989. Ce mouvement est contemporain de la scolarisation massive et de l’apparition d’une « culture jeune » : les enfants ont des goûts musicaux, des vêtements, des jeux propres à leur génération, ce qui était impensable il y a un siècle.
En quoi ce changement de regard sur l’enfant a-t-il transformé le rôle des parents ?
A la culture de la transmission et de l’obéissance succède peu à peu une culture de la découverte et de l’accompagnement. Le parent continue à se soucier de la transmission des valeurs familiales, mais il doit également prendre en compte la singularité de l’enfant, respecter ses droits et accepter la présence de la culture de ses pairs. Je dis souvent qu’il propose à l’enfant une boîte de briques – des activités culturelles, des traditions familiales, des moments de sport -, mais que la règle du jeu est plus ouverte : les parents, comme l’enfant, ignorent ce qui sera construit. Plusieurs modèles, identités, peuvent être bâtis à partir des mêmes briques !
Le « voyage » éducatif a donc profondément changé. Dans la logique de la transmission, le parent avait une autorité supérieure et il savait à tout moment ce qui était le mieux pour l’enfant : il était le guide sévère d’un voyage organisé qui passait par de « grandes » étapes imposées.
Dans la logique de la découverte, l’important n’est pas tant le but du voyage que le voyage en tant que tel : c’est en lui-même qu’il est formateur, car il permet à l’enfant d’accéder à l’autonomie et de développer un soi raisonnable.
Les détracteurs de ces nouvelles manières d’éduquer affirment que ces « parents-accompagnateurs » ont renoncé à tort à l’autorité et à la contrainte…
Quand on regarde de près, en sociologue, les familles d’aujourd’hui, on s’aperçoit que, contrairement à ce que dit, par exemple, le pédiatre Aldo Naouri, les parents fixent des cadres, et ils en fixent même beaucoup : les enfants choisissent très rarement leurs heures de coucher, ils doivent respecter les rythmes de la vie familiale, notamment pour les repas, et ils font l’objet d’une très grande exigence scolaire.
Il y a donc, dans la plupart des familles, un apprentissage continu de la vie collective et surtout, un suivi rigoureux de la scolarité, qui constitue l’élément central de ce qui reste de la transmission. Les enfants d’aujourd’hui ont sûrement plus de terrains d’expression personnelle qu’il y a cinquante ans mais pour l’immense majorité des parents, l’école est non négociable !
Dans le « voyage-découverte », la contrainte n’est évidemment pas absente. Elle prend deux formes : le parent impose à la fois l’explicitation des demandes et le respect du contrat. L’explicitation car , dans une société démocratique, il faut apprendre à discuter avec ses semblables autrement qu’en disant « J’ai envie de… » : l’enfant doit donc faire l’apprentissage de l’argumentation. Le respect du contrat car le parent est là pour imposer les règles du jeu : il peut, par exemple, accepter que l’enfant change de sport, mais à condition d’expérimenter le nouveau pendant un certain temps.
Vous parlez dans votre livre de la « fatigue » des parents. A quoi est due cette fatigue ?
Les principes directifs du modèle ancien étaient simples mais reposants : il fallait, par exemple, donner les biberons à heure fixe et, plus tard, imposer des règles sans argumenter. Le voyage-découverte, lui, est souvent épuisant : il faut décoder les pleurs du bébé, se poser des tas de questions que l’on ne se posait pas il y a cinquante ans, et plus tard, argumenter avec l’enfant et faire la part entre ce qui est légitime que l’enfant exprime et ce qu’il doit apprendre pour vivre en société.
Si l’enfant, en grandissant, joue honnêtement le jeu du voyage-découverte, le parent doit en outre accepter ce que l’enfant est en train de devenir, même si cela ne lui fait pas vraiment plaisir. Ce n’est pas toujours facile !
Propos recueillis par Anne Chemin