Un procès

Aux Etats-Unis, une femme, Catherine Skol, a porté plainte contre l’obstétricien qui a pris en charge la naissance de son 5ème enfant, pour le traitement qu’il lui a réservé à cette occasion. Il me semble que c’est une première, car la mère et l’enfant sont en bonne santé physique. D’après la plainte officielle, les chefs d’accusation sont négligence (« gross negligence ») pour les faits suivants :

  • refus de commander/prescrire aucun médicament antalgique
  • ordres pour le traitement d’une possible hémorragie du post-partum sans tenir compte du fait que Mme Skol n’était pas une grande multipare
  • information de Mme Skol qu’elle risque de saigner jusqu’à mourir
  • examen vaginal augmentant la douleur de Mme Skol sans son consentement
  • réparation de la déchirure périuréthrale de Mme Skol sans anesthésie, alors qu’il est en outre probable qu’aucune suture n’était nécessaire, causant non seulement une douleur lors de l’opération mais également après

et avoir causé une détresse émotionnelle par négligence (« negligent infliction of emotionnal distress »). Pardonnez l’approximation de la traduction, je ne suis pas juriste. Si quelqu’un veut corriger en commentaires, j’apporterai les modifications ad hoc.

La description complète de l’accouchement (qu’on trouvera ici mais en anglais, avec des extraits du document officiel) n’est pas très rassurante.

En résumé, le Dr Pierce, contre qui la plainte a été déposée, remplaçait son obstétricien habituel qui était en vacances. Il a apparemment décidé que Catherine Skol avait mérité de souffrir pour ne pas l’avoir appelé avant d’aller à la maternité. Par exemple, il a refusé pendant plus de deux heures et demi de faire appeler l’anesthésiste pour qu’elle ait la péridurale qu’elle demandait, ou de lui donner aucune forme de soulagement de la douleur, au prétexte que le bébé serait là dans dix minutes (et en dépit du stade de dilatation de la parturiente, confirmé par l’interne de garde). Il l’a contrainte à prendre une position extrêmement inconfortable malgré ses protestations (d’autant plus qu’elle souffre de hernies discales). Il a répété à plusieurs reprises qu’il était certain qu’elle aurait une hémorragie du post-partum, et qu’il était probable qu’elle et son bébé meure (affirmation d’autant plus dévastatrice que la patiente avait déjà accouché d’un bébé mort-né quelques années auparavant), alors qu’apparemment aucun fait médical ne soutenait de telles suppositions (et d’ailleurs elle n’en a pas eu). Il l’a fait pousser alors qu’elle n’était pas à dilatation complète et a répondu à toutes les questions et contestations par « Taisez-vous et poussez ». Il a recousu sa déchirure sans anesthésie (malgré des demandes répétées de la patiente) et avec une aiguille plus grande que celles utilisées habituellement (donc apparemment plus douloureuse) en demandant au mari de la maintenir de force, et elle n’a pu obtenir d’antalgiques (prescrits par l’interne) qu’après son départ. Et pour finir, il a dit à l’infirmière que Mme Skol avait mérité de souffrir pour ne pas l’avoir appelé avant de venir, car parfois la douleur est le meilleur professeur. Bizarrement, Mme Skol, dont c’était le cinquième enfant, n’avait jamais eu de naissance aussi douloureuse et traumatique pour les quatre précédents. D’après le document de la plainte, l’hôpital s’est excusé et a mis le Dr Pierce à l’épreuve depuis. Bien sûr, on ne voit ici qu’une seule des deux versions, et comme toujours l’accusé doit être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, mais si ce qui a été présenté est confirmé (et l’infirmière et l’interne auraient confirmé tout cela) il me semble qu’une sanction plus sévère s’impose (et surtout la protection de ses autres patientes, futures et actuelles).

Alors, est-ce encore une de ces plaintes ridicules de ces idiots d’Américains ? Eh bien je ne le crois pas. Le harcèlement moral est puni par la loi me semble-t-il. On trouve normal qu’un policier qui maltraite quelqu’un en garde à vue soit sanctionné, qu’un enseignant qui abuse de son autorité soit mis en question. Lorsqu’on est dépositaire d’une certaine autorité, cela entraîne des responsabilités. De la même façon un médecin qui profite de sa position pour maltraiter son patient doit rendre des comptes. Peut-être que la voie judiciaire n’est pas la voie la plus appropriée pour en demander, mais je ne sais pas s’il en existe d’autres dans ce cas-là, et au moins cela a le mérite de mettre ce genre d’affaire sur le tapis. Et visiblement quelqu’un qui tient ce genre de raisonnement (et dont je ne pense pas qu’il soit représentatif de ses confrères) a une large capacité de nuisance auprès de ses patientes, qu’il convient de protéger.

En France, ce type de débat pourrait bien aussi être d’actualité, notamment autour de l’épisiotomie : puisque la loi Kouchner du 4 mars 2002 pose le droit au consentement éclairé (c’est-à-dire qu’une intervention ne peut être pratiquée qu’avec l’accord du patient, celui-ci en ayant au préalable bien compris les tenants et les aboutissants), pratiquer une épisiotomie malgré le refus de la patiente est illégal. Théoriquement on pourrait donc faire un procès pour maniement abusif du ciseau, sauf qu’il semble qu’aucune sanction ne soit prévue lorsqu’on contrevient à cette loi. J’avoue que je ne sais pas trop quoi penser de cela (j’ai vu sur des forums des personnes envisager ce type d’action), si ce n’est qu’il doit être extrêmement difficile de prouver que l’épisiotomie n’était pas nécessaire et que le praticien n’a pas agi avec les meilleures intentions pour le bien-être de ses patients, mère et enfant (d’autant plus que le CNGOF préconise de la pratiquer selon un jugement d’expert: « Dans toutes ces situations obstétricales spécifiques, une épisiotomie peut être judicieuse sur la base de l’expertise clinique de l’accoucheur »). Je pense aussi que régler ce problème par la justice serait la pire façon, mais en attendant comment prendre en compte le besoin de réparation des femmes qui ont été traumatisées par ce geste (même s’il était nécessaire d’ailleurs) ?

Je ne suis pas fanatique de la dérive judiciaire de l’obstétrique, qui traduit souvent un refus du risque zéro que je trouve préoccupant. D’autant plus que le risque croissant d’action judiciaire, au-delà du préjudice évident causé aux professionnels de santé, n’est pas forcément profitable aux patients non plus : de moins en moins d’obstétriciens (mais aussi de sages-femmes libérales faisant les accouchements à domicile, étranglées par les demandes des assurances), surmédicalisation parfois iatrogène pour se parer en cas de procès, etc. Mais il me semble que j’aurais tendance à pardonner plus facilement une erreur de bonne foi qu’une maltraitance volontaire (même s’il existe évidemment une large variété de situation entre ces extrêmes).

Enfin, cela n’est pas sans rappeler non plus la mise en garde à vue du médecin urgentiste de Valence pour avoir effectué sur une patiente en plein malaise cardiaque (dont elle est décédée) des gestes jugés inadéquats par les témoins du drame qui a été (comme toujours) magistralement traitée par Maître Eolas. Il semble d’ailleurs que le médecin n’ait pas été inquiété plus avant. Dans ce cas-là apparemment, les gestes qui ont épouvanté l’assistance font partie des gestes de routine, impressionnants pour le quidam mais néanmoins efficaces et nécessaires pour la réanimation (un peu comme si nous assistions à une chirurgie orthopédique : aimeriez-vous voir un médecin avec une perceuse ou une scie, pourtant essentielles à leur travail ?).

En bref, tout cela est loin d’être simple et ne sera certainement pas réglé par un article de blog, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en discuter ! J’essaierai de vous tenir au courant de l’issue de la plainte.

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12 Responses to “Un procès”

  1. Nashii dit :

    Je n’ai pas lu le détail du lien que tu donnes (mon dieu, pas le temps, pas le temps, pas le temps) mais le résumé que tu en fait, me donne la chair de poule. Quand je vois comme j’ai souffert (oui, souffert, c’est la mot) pour la réparation de ma déchirure alors que je bénéficiais pourtant d’une anesthésie locale… je n’ose pas penser à la même chose sans anesthésie. Ce genre de comportement est écoeurant… et, je suis d’accord avec toi, mériterait autres sancions qu’un simple « mise à l’épreuve ».

  2. Eve dit :

    Eh bien… voilà qui n’est pas rassurant! Quel acharnement de la part de ce médecin.

  3. Clemys dit :

    Si tout cela est vrai, c’est du pur sadisme et pas une erreur médicale ! et c’est, je l’espère un cas isolé…
    Pour ce qui est du consentement éclairé, dans le cas d’un touché vaginal pour vérifier l’ouverture du col, c’est facile de discuter de la nécessité du geste avec le personnel soignant, mais dans la cas d’une épisio, le timing n’est pas le même. Bon, j’ai pas eu d’épisio (coup de bol pour une primipare), mais je vois bien à quel moment c’est pratiqué (« Arrêtez de pousser pour éviter l’épisio » 😉 ) et franchement, alors que j’étais contre à 100%, si la SF m’avait dit, on coupe, je ne serais pas rentrée dans la discussion pour connaître le bien fondé de son geste….

  4. @Nashii : c’est dans ces moments-là qu’on est contente d’avoir la péri (surtout quand je vois le temps qu’il a fallu pour réparer la mienne de déchirure ! un peu relou de rester tout ce temps en poulet de Bresse mais au moins je profitais du poussin qui était en peau à peau) 😉 Il paraît aussi que l’anesthésie locale n’est pas toujours bien efficace (voir par ex ici http://afar.naissance.asso.fr/presse/parents-juillet2004/article1.pdf).

    @Eve : je pense que ce type a un problème, et qu’heureusement il n’est pas représentatif de ses confrères !

    @Clemys : il y a toujours la possibilité de refuser a priori l’épisio quoi qu’il arrive, même par écrit (je ne dis pas que c’est ce que je ferais mais j’ai déjà vu ça envisagé par d’autres). Moi aussi j’ai eu la poussée dirigée pour protéger le périnée (avec une sorte de massage pour guider la tête du poussin) 😉

  5. Mélou dit :

    tout simplement consternant…

  6. CDLPSF dit :

    Prudence : sur le cas en particulier, difficile de juger à partir du seul récit de la plaignante, par définition subjectif, et peut-être lui-même déformé par le net : attention avant de s’y fier totalement (testis unus…) !
    Ça semble tellement gros que je suis un peu sceptique. Et si c’est avéré, c’est une banale histoire de violence aggravée, quasiment indépendante du fait que ça se passe dans un hôpital.

    Pour en rester donc en attendant sur un débat plus général, je recommande aussi l’article brillant de Maître Eolas, cité par la poule, qui a le mérite de rappeler des choses juridiques essentielles sur la médecine et notamment qu’un acte médical est un acte de violence par nature, mais imposé par la nécessité.
    Cette contradiction apparente se pose surtout depuis que la chirurgie est entrée en médecine et elle n’a pas toujours été considéré comme un acte normal (cf. le serment d’Hypocrate d’origine ultra mal traduit sur http://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d%27Hippocrate, qui interdit notamment certains actes de chirurgie).
    Donc c’est presque par nature le devoir de la médecine de violer l’intégrité physique d’un malade si nécessaire, mais >uniquement< pour lui apporter un bien plus grand que le mal.

    Il y a ensuite deux possibilités pour que ce soit en phase avec les attentes de la société qui attend des comptes :
    1- soit le métier du médecin doit être revu pour qu’il consacre plus de temps à la communication et à la pédagogie : sur le médecin urgentiste, cela aurait par exemple consisté à expliquer après coup aux gens qui y ont assisté pourquoi il faisait ces gestes apparamment violents. Ça paraît « marketing », mais ça change toute la perception des patients et de leur famille : lors de la mort
    de ma première grand-mère, on ne nous a rien dit et nous restons toujours dans l’idée qu’elle est morte en premier lieu de la négligence de l’hôpital de province où elle avait été « prise en charge » (même si objectivement sa maladie et l’âge l’aurait de toute façon probablement emportée peu après) ; alors que lors de la mort de ma 2e grand-mère, la médecin chef est venue expliquer patiamment à ma mère et mon grand-père tout ce qui s’était passé et tout ce qu’ils avaient tenté pour la sauver. Ça change tout !
    Et je suis sûr que pour un accouchement, ça change tout aussi quand la femme est aussi prise en charge et qu’on lui explique pourquoi on lui fait ça et pourquoi c’est nécessaire et qu’on l’écoute. Et à défaut d’avoir eu le temps de le faire pendant, de le faire après.
    Maintenant en pratique, les médecins ou sage-femmes le disent : on ne leur laisse pas toujours le temps de le faire, parce que ça coûte cher de passer du temps à expliquer : est-ce que tous les patients sont prêt à le payer ce surcoût ?
    2- On judiciarise, c’est-à-dire qu’on forge une jurisprudence par des procès et du droit, quitte à ce que ça coûte très cher en assurances, en avocats, en experts (finalement, peut-être plus cher que d’essayer la première méthode, mais moi, j’essaierais alors de me reconvertir dans cette niche…) et décourage les vocations. Mais dans ce cas, la réponse économiquement logique de la part des médecins, ce serait qu’ils fassent signer à l’avance des contrats aux gens qu’ils prennent en charge (si on peut le faire, ce qui est toujours le cas des accouchement, puisqu’on a 9 mois pour voir venir… ; sinon, on leur fait signer sous le coup de l’urgence, c’est encore moins nécessaire de négocier !) : ok, on accepte de vous prendre en charge, mais voilà ce que vous nous autorisez (ou ne nous autorisez pas) à faire, mais en en assumant toutes les conséquences, voilà les indemnités qu’on vous devrait, mais seulement dans tel ou tel cas, dans telles limites, etc. Ça permettrait de couvrir le personnel médical et de limiter l’inflation aux assurances.
    C’est en tout cas comme ça que ça fonctionne pour autre chose sur plein de marchés dans l’industrie, mais est-ce bien d’une médecine de ce type qu’on souhaite ? Pas très sûr non plus…

  7. @mélou : eh oui

    @CDLPSF : Je suis bien d’accord (et j’ai précisé d’ailleurs) qu’on n’a ici qu’une seule version, qui vaut ce qu’elle vaut. Cependant l’histoire que je relate est un résumé de ce qui est décrit dans le document officiel de la plainte (pdf scanné mais peut-être bidon, même si je ne le pense pas). Comme tu dis, c’est presque indépendant du fait que ça se passe dans un hôpital mais je trouve que c’est aggravé par le fait que la patiente place sa confiance, pour son corps (dans ce qu’il a de plus intime) et son bébé dans son médecin. Ce qui fait qu’une violence de sa part est ressentie plus violemment que si c’était un individu lambda (et d’autant plus que l’aspect psy joue un rôle énorme dans la période périnatale où la femme est plus facilement vulnérable).
    Je ne suis pas non plus fana de cette dérive judiciaire ; je ne pense pas que ce soit le meilleur moyen de faire avancer le schmilblick, mais je ne sais pas quoi proposer d’autre !

  8. CDLPSF dit :

    Exact, c’est que j’entendais par « aggravée » : comme tu le disais, ç’aurait été vrai de toute autorité morale (et physique aussi dans ce cas).
    Quant aux propositions, je penche très favorablement pour la première que j’ai exprimée : la communication. C’est celle qui permettrait de réduire les procès aux réels problèmes.

  9. Tout à fait d’accord pour privilégier la communication ! Et pour les réels problèmes, sous réserve que les accusations soient confirmées, cette histoire me semble en faire partie. (mais en fait on est d’accord, tout ça pour ça ? ;-))

  10. Ficelle dit :

    Il y a trois ans, j’ai fait un reportage dans une maternité hospitalière. Je suivais deux sage-femmes et les deux femmes qui ont accouché pendant leur garde. La première était déjà mère de trois enfants (à 28 ans!!) et son accouchement s’est déroulé par voie basse, très rapidement. J’étais présente et lui tenais la main. Le seconde femme, une primipare de 20 ans, a beaucoup plus souffert. Arrivée à 8 heures du matin, elle a dû subir deux péri dans la journée (pratiquée par un interne franchement pas doué, la première l’avait fait hurler de douleur et n’était pas efficace), puis finalement une césarienne sur les coups de 21h. Je l’ai suivi au bloc et j’ai assisté au déroulé de la césarienne. Rien ne m’a choqué, ni le sang, ni le scalpel, ni les coutures… Ce qui m’a choqué en revanche, c’est l’anesthésiste (femme) qui à quasiment engueulé et culpabilisé cette pauvre jeune femme quand, épuisée, elle s’est mise à pleurer en demandant à être totalement endormie. « C’est égoïste ce que vous faites, lui a-t-elle dit. Et ben dis donc, si vous n’êtes pas capable de supporter ça, vous n’aviez qu’à ne pas faire d’enfant! » Personne n’a entendu ces phrases, glissées alors que tout le monde s’affairait autour… Brr, j’en frissonne encore. Vieille frustrée sadique et froide.

  11. @Ficelle, pas évident de se retrouver à un accouchement sans y avoir vraiment de rôle ! Et l’anesthésiste 😯 👿

  12. Alfgard dit :

    Euh… hélas… ce genre d’inhumain existe ! Il suffit d’aller le BooB (Bêtisier Officiel de l’OBstétrique) : http://boob.over-blog.fr/